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  • 10/07/2025
Le carbone et la température sont l’avers et le revers d’une même médaille : le changement climatique. Le premier, sous forme gazeuse, constitue sa source principale - à condition d’inclure les autres gaz à effet de serre, convertis à leur tour en équivalent CO2. La seconde, consolidée en moyenne globale, n'est qu'une expression parmi d’autres de ses effets, au même titre que les événements extrêmes ou la montée des eaux.

Autrement dit, derrière chaque dixième de degré supplémentaire se cache une accumulation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. C’est la raison pour laquelle atténuation - du changement climatique - rime avec décarbonation - de nos modes de vie. Et qu’aucun pays, aucune entreprise ni aucun individu, ne peut prétendre réduire suffisamment ses émissions de CO2 sans avoir recours, d’une manière ou d’une autre, à la comptabilité carbone pour mesurer l’efficacité de ses actions.

Cette série en trois épisodes revient, avec le Président du Shift Project et inventeur du bilan carbone Jean-Marc Jancovici, sur trois aspects de cette quantification. D’abord en retraçant le parcours et la consolidation de la norme internationale ISO – fortement inspirée de la méthode française du bilan carbone - qui encadre aujourd’hui la grande majorité des inventaires. Ensuite en appliquant la méthode de calcul de l’empreinte carbone à la France, pour mesurer l’ampleur et la répartition des différents postes d’émissions. Enfin en recontextualisant ces données dans leurs environnements diplomatique, économique et même géologique, afin de déterminer les leviers les plus efficaces à actionner pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles.

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Transcription
00:00Bien qu'exprimé en degrés, le changement climatique est intimement lié au carbone.
00:22Car le réchauffement est un phénomène physique,
00:24directement piloté par l'accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
00:27Il faut que les émissions planétaires baissent de 5% par an actuellement,
00:31si on veut tenir l'objectif de 2 degrés.
00:36Sachant que l'objectif 1,5 il déborde, malheureusement.
00:38Pour réduire suffisamment, il faut agir.
00:40Nous, nous n'avons plus le choix.
00:41Pour agir efficacement, il faut mesurer.
00:44The emissions gap is not an abstract notion.
00:47Et pour mesurer l'efficacité de nos actions, on a désormais recours à la comptabilité carbone.
00:52Toute la question étant de savoir qu'est-ce qu'on compte et pourquoi on le compte.
00:57Tout commence à Rio en 1992.
01:04Dans le cadre du Sommet de la Terre organisé par l'ONU,
01:07189 pays signent la Convention sur le climat,
01:10qui pour la première fois établit la nécessité de mesurer des émissions de gaz à effet de serre.
01:15Voici venu aujourd'hui le temps du monde fini.
01:20Elle pose ainsi les bases de ce qu'on appelle aujourd'hui la comptabilité carbone,
01:24en demandant au pays de dresser des inventaires de leur rejet de CO2 pour mieux comprendre et agir face au changement climatique.
01:30Les États prennent éventuellement des engagements sur les émissions qui dépendent d'eux,
01:34donc les émissions qui prennent place sur leur propre sol.
01:37On a coutume d'appeler les émissions domestiques ou les émissions territoriales.
01:41En France, cette comptabilité carbone s'est développée sous la houlette du CITEPA,
01:45qui réalise encore aujourd'hui les inventaires officiels du pays et les transmet aux autorités onusiennes.
01:50Mais très rapidement, cette quantification des émissions s'étend au secteur privé.
01:54À ce moment-là, je me dis tiens, si une entreprise veut faire quelque chose d'utile pour baisser les émissions,
01:59ça serait pertinent qu'elle ait une radiographie complète à 360 degrés de toutes les émissions dont elle dépend,
02:05histoire qu'elle compare la possibilité qu'elle a d'agir sur les émissions qui sont dans son environnement proche.
02:11Parce que si ça se trouve, il y a des émissions qui ne dépendent pas d'elle,
02:14des émissions qui sont faites par ses fournisseurs, ses clients, etc.,
02:17qui seront plus faciles à réduire que des émissions qui dépendent d'elle.
02:19Je vous donne un exemple idiot.
02:21Vous utilisez des produits en acier.
02:22La fabrication de l'acier, ça ne dépend pas de vous.
02:24Par contre, ce que vous allez en faire, ça dépend de vous.
02:27Et selon que vous en faites des vélos, des machines à laver ou des trottinettes,
02:30les émissions d'utilisation ne seront pas les mêmes.
02:32Et il peut être plus simple pour l'entreprise en question d'agir sur un poste qui ne dépend pas d'elle,
02:37par exemple en changeant un peu des produits,
02:38plutôt que sur des postes qui dépendent d'elle, par exemple la façon dont les salariés se rendent au travail.
02:42Vous pouvez un peu influer, mais pas énormément.
02:44L'objectif était alors de créer une méthodologie exhaustive et impartiale
02:48en plaçant sur un même pied d'égalité toutes les émissions liées aux activités d'une entreprise,
02:53qu'elle puisse ou non les contrôler.
02:54La notion de propriété des émissions pour une entreprise, je considérais que ça n'avait pas de pertinence.
02:59Un exemple évident est celui de la logistique.
03:00Une entreprise qui fait appel à des transporteurs,
03:03elle n'est pas moins et pas plus dépendante des camions qu'une entreprise qui possède ses camions en propre.
03:07Et je me suis dit, il n'y a pas de raison de limiter l'inventaire d'émissions aux émissions
03:10qui sont la propriété juridique de l'entreprise.
03:12Sinon, je vais trouver qu'une entreprise est plus vertueuse
03:14simplement parce qu'elle fait appel à un transporteur plutôt qu'à laisser camions en propre.
03:18Et toutes ces réflexions ont finalement abouti au début des années 2000
03:21à la publication d'une méthode certifiée et soutenue par l'ADEME, le célèbre bilan carbone.
03:26Il est né avec une approche par processus.
03:28Donc l'idée, c'est d'avoir les émissions qui sont la contrepartie de tous les processus.
03:32Donc dépend une entreprise, que ces processus soient sa propriété ou pas.
03:35La France n'était pas seule à vouloir comptabiliser le carbone.
03:40À l'époque, il y avait un ancêtre qui faisait un petit bout chez les Anglais.
03:44Rapidement, il a fallu s'entendre au niveau mondial pour harmoniser la mesure et la vérification des émissions,
03:49que ce soit pour les entreprises, les villes ou les produits.
03:53Et c'est là qu'entre en jeu la norme internationale ISO qui est sortie en 2006
03:56et qui met notamment en lumière un acteur clé du processus, le GHG Protocol.
04:00La référence mondiale aujourd'hui, le GHG Protocol, c'est tout simplement parce que dans le cadre de la discussion
04:06qu'il y a eu à l'ISO au moment où le bilan carbone est passé dans la norme ISO,
04:10il se trouve qu'il y avait des représentants du GHG Protocol qui étaient là
04:12et ils ont sorti ce qui s'appelait le GHG Protocol Supply Chain,
04:15dans lequel il y avait tous les postes du bilan carbone qui étaient repris, avant que la norme ISO ne sorte.
04:19Et comme ils avaient une puissance de feu très forte en termes de com',
04:22ils ont présenté ça comme étant leur création.
04:23Mais en fait, ils ont juste fait un copier-coller du bilan carbone, c'est très simple à vérifier chronologiquement.
04:27Puis cette norme s'est rapidement imposée dans le secteur privé
04:30en fournissant un cadre certifiable et robuste pour toutes ces mesures.
04:34Tous les processus dont vous dépendez, on en fait l'inventaire
04:36et pour chacun de ces processus, on va regarder à combien de gaz à effet de serre ça conduit.
04:40Et alors pour ça, on prend ce qu'on appelle des données d'activité,
04:42par exemple des mètres carrés de bureau que vous auriez,
04:44et on va dire, pour un mètre carré de bureau, connaissant le type de chauffage que vous avez,
04:48on considère qu'il y a à peu près telle consommation annuelle
04:50et donc ça va émettre à peu près tant en fonction du type d'énergie que vous utilisez.
04:53Et ce qui permet de convertir une donnée d'activité en émission s'appelle classiquement un facteur d'émission.
04:58Mais bien qu'elle reprenne largement la nomenclature du bilan carbone,
05:01la norme internationale se démarque de l'approche française
05:04par sa célèbre classification des émissions en trois scopes, qu'on peut aussi appeler périmètres.
05:08Les scopes, c'est quelque chose qui a été inventé par le GHG Protocol
05:11et dont je n'ai jamais compris la pertinence.
05:13Leur objectif, c'est de classer la provenance des émissions
05:15et le niveau de contrôle que détient sur elle une organisation qui en dépend.
05:19Le scope 1, c'était les émissions directes mais toutes agrégées.
05:21Le scope 2, c'était les émissions d'achat de l'électricité.
05:24Et le scope 3, c'était tout le reste.
05:25Tout le reste, ça signifie toutes les émissions indirectes.
05:28Ce qui représente potentiellement des dizaines de catégories d'émissions
05:31situées aussi bien en amont de l'activité, par exemple chez les fournisseurs,
05:34qu'en aval chez les clients ou à la fin de vie du produit.
05:37Prenons l'exemple d'un constructeur automobile.
05:39Les émissions d'utilisation des voitures, c'est dans le scope 3.
05:41Ce ne sont pas des émissions dont le constructeur est propriétaire.
05:43Pourtant, s'il s'en désintéresse, c'est ennuyeux.
05:45Le scope 3 agit donc comme une catégorie fourre-tout,
05:48mêlant tellement de processus différents qu'il devient facile pour une organisation
05:51qui en dépend de s'en extraire ou de s'en déculpabiliser complètement.
05:55Énormément d'entreprises encore aujourd'hui disent
05:57« moi, je ne vais m'occuper que des émissions dont je suis propriétaire
06:00et les autres, je ne m'en occupe pas ».
06:01Donc c'est un peu comme si quand vous faites une analyse de risque,
06:03vous faites un check-up de santé, vous dites
06:05« bon, je vais regarder juste le foie et le pancréas
06:07et le reste, je pense que ce n'est pas important ».
06:09Ben non, si vous faites une analyse de risque,
06:11vous regardez tous ceux dont vous dépendez.
06:12Or, le bilan carbone est une analyse de risque
06:14autant qu'un instrument d'impact, j'ai envie de dire.
06:18Quittons le monde économique pour revenir à la diplomatie climatique.
06:23On l'a dit, les États ont d'abord été encouragés à réduire leurs émissions domestiques,
06:27c'est-à-dire toutes celles qui ont été produites directement sur leur territoire.
06:31Dans les conventions internationales,
06:32on ne demande jamais aux pays de stipuler
06:34pour quelque chose qui se passe à l'intérieur des frontières d'un autre pays.
06:37Cette approche a le mérite de privilégier la coopération entre pays
06:41et de limiter les tentatives d'ingérence.
06:42Ça serait compliqué d'imaginer un système
06:45dans lequel la France pourrait prendre des engagements
06:46en ce qui concerne les émissions de l'Allemagne.
06:48Mais elle introduit une différence de perspective
06:50entre la vision mondialisée du bilan carbone des entreprises
06:53et la vision localisée des émissions territoriales des États.
06:57Le propriétaire du site, on s'en fiche un peu.
06:58De toute façon, le site est soumis à la réglementation française
07:01à partir du moment où il est sur le sol français.
07:02Or, cette tension entre propriété du capital
07:05et juridiction nationale fragilise parfois la comparaison des efforts climatiques,
07:10poussant certains acteurs à privilégier, pour les États,
07:12l'empreinte carbone nationale,
07:14qui cette fois tiendrait compte de toutes les émissions
07:16liées à la consommation d'un pays,
07:18qu'elles aient été générées ou pas,
07:20dans d'autres régions du monde.

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