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La rédaction de l’Opinion organise sa conférence annuelle sur le secteur agricole. Parmi les grands sujets qui seront abordés cette année, l’enjeu majeur de la souveraineté alimentaire de l’Europe et celui des nouvelles barrières douanières imposées par l’administration Trump. Nous parlerons aussi de la « bataille de l’eau » qui se joue actuellement, dans un nombre croissant de territoires, entre agriculteurs et industriels. Enfin, nous nous pencherons sur les sujets qui feront l’agriculture de demain, comme la régénération des sols ou les NGT.
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00:00Madame Genevard, bonjour, merci vraiment au nom de toute l'équipe de l'Opinion et au nom de cette salle d'avoir accepté de lancer cette conférence.
00:12C'est notre cinquième conférence Nourrir la planète, un événement auquel on est très attachés.
00:17Pour votre part, ça fait neuf mois maintenant que vous êtes arrivés à la tête du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire.
00:23C'est important ce deuxième petit qualificatif qu'on lui a rajouté, c'est devenu très central.
00:28Neuf mois, vous avez mis les mains dans les dossiers jusqu'au coude, j'ose le dire un peu comme ça.
00:35Qu'est-ce que vous avez tiré de ces neuf premiers mois et quels constats est-ce que vous faites sur l'état de notre agriculture et de notre souveraineté alimentaire ?
00:46Merci cher Emmanuelle, mesdames et messieurs, ravie de partager un trop bref moment avec vous ce matin.
00:53Le premier renseignement que j'en ai tiré, la première confirmation en réalité, c'est que mon ministère est le ministère des crises.
01:06Depuis neuf mois, j'ai passé le plus clair de mon temps à éteindre des incendies sanitaires, à penser des plaies laissées par des récoltes en berne et des vendanges à laitiage.
01:18J'ai dû mobiliser toute la boîte à outils ministérielle pour soutenir les trésoreries souvent malmenées par une répétition de mauvais résultats liées le plus souvent à des chocs climatiques et l'effet ciseau de l'inflation des charges.
01:34Si la sécheresse et les inondations ne suffisaient pas, la stratégie douanière de Trump, qu'on peut à tout le moins qualifier d'erratique, et les menaces chinoises sur le cognac notamment,
01:46ajoutent le poids de la géopolitique commerciale sur les performances déjà dégradées de notre balance commerciale.
01:53J'ai aussi fait adopter la loi d'orientation agricole qui reconnaît le caractère général d'intérêt majeur à l'agriculture et fonde les bases d'une politique très ambitieuse de renouvellement des générations
02:07nécessaires au remplacement de la moitié des agriculteurs qui prendra sa retraite dans les dix ans qui viennent.
02:14Mais au-delà de l'urgence, mon plus grand défi, c'est de projeter la production française dans un avenir robuste et résilient.
02:22Et depuis plusieurs mois maintenant, les dossiers sur lesquels se joue l'avenir de nos paysans sont débattus à Bruxelles.
02:30Et le dossier auquel vous consacrez le plus gros de votre énergie, le plus clair de votre temps, c'est le Mercosur.
02:36C'est le Mercosur en effet, mais pas que. Alors sur le Mercosur, c'est le plus gros accord de libre-échange jamais conclu par l'Union européenne.
02:46Ce projet d'accord, il est sur la table depuis plus de vingt ans.
02:50J'ai tendance à penser dans un raisonnement assez basique que ce qui n'a pas abouti en vingt ans a sans doute des bonnes raisons de ne pas avoir abouti.
03:01Je dirais que c'est un accord de libre-échange d'un autre âge.
03:05Pourquoi d'un autre âge ? Parce qu'aujourd'hui, d'abord, je veux tordre le coup à l'idée que la France aurait un réflexe protectionniste.
03:12Ce n'est pas le cas. Les échanges internationaux sont une source de prospérité.
03:19La balance commerciale des accords de libre-échange, c'est un positif de plusieurs dizaines de milliards d'euros.
03:3067 milliards d'euros, la balance commerciale positive pour l'Union européenne.
03:35Donc oui, les accords de libre-échange sont bons pour l'agriculture française, mais pas à n'importe quel prix, pas n'importe comment.
03:44Et du reste, à la commission au Conseil Agri-Pêche, où j'étais en début de semaine, lundi et mardi,
03:50nous avons dit très clairement qu'il fallait assujettir les nouveaux accords de libre-échange à un certain nombre de conditions.
03:58Premièrement, s'assurer de clauses de sauvegarde robustes pour les filières qui sont en risque.
04:08Et c'est bien le cas avec le Mercosur sur le bœuf, la volaille, le sucre et l'éthanol.
04:12Deuxièmement, il faut une évaluation d'impact de ces accords, non seulement au niveau de l'Union européenne,
04:22mais aussi à l'échelle de chacun des pays membres.
04:25Troisièmement, il faut un processus de suivi des accords.
04:30Comment cela se déroule-t-il ?
04:32Est-ce que le déroulement est conforme aux critères qui ont prévalu à la signature de ces accords ?
04:38Et enfin, il faut des clauses de réciprocité.
04:42Solide et contrôlée.
04:44Je pense que la nouvelle génération d'accords de libre-échange obéira à ces critères
04:51qui ont échappé pour une large part à la conclusion de l'accord avec le Mercosur.
04:57Et c'est bien là le problème.
04:58Et c'est bien pourquoi nous menons un combat d'arrache-pied.
05:02Je rappelle qu'il n'y a pas tant de sujets que ça en France qui font l'unanimité,
05:06mais c'est le cas du Mercosur contre lui,
05:09puisque le Parlement a délibéré à l'unanimité.
05:12Le gouvernement est très clair dans sa position d'opposition au Mercosur.
05:18Le président de la République également.
05:21Donc nous en sommes là.
05:22Mais les sujets sont internationaux également,
05:24avec la négociation de la future PAC,
05:28du CFP, c'est-à-dire du fonctionnement budgétaire de l'Union européenne,
05:35et singulièrement de son budget agricole.
05:39Donc je passe beaucoup de temps à l'international.
05:42Et ce qui se joue sur la future PAC, c'est quelque chose de très fondamental.
05:48Michel Barnier a coutume de dire que la PAC est une politique d'avenir.
05:52Quand ses détracteurs ne voudraient y voir qu'une politique du passé.
05:55C'est le premier budget de l'Union européenne.
05:59C'est ce qui a fondé la construction européenne.
06:03Et c'est une politique d'avenir,
06:05parce que les grands défis qui se présentent à l'agriculture
06:09sont aujourd'hui nécessitent qu'on approche les choses
06:15de façon à échelle de l'Union européenne.
06:19Je ne donnerai qu'un exemple.
06:21Et c'est en vous voyant que l'exemple me vient à l'esprit.
06:26La question des engrais, par exemple.
06:28L'Union européenne n'est pas souveraine en matière d'engrais.
06:34L'engrais, c'est le début de la chaîne.
06:37Voilà un exemple, si vous voulez,
06:38où nous devons construire collectivement
06:40de la résilience et de la souveraineté alimentaire.
06:44Et c'est une politique d'avenir,
06:46parce qu'elle concerne chaque citoyen européen.
06:50Enfin, chaque citoyen des pays membres de l'Union européenne.
06:54C'est donc profondément une politique d'avenir.
06:57Et il y a des défis.
06:58Je vois le président du FMSE.
07:00Il y a des défis qu'on ne peut aborder que collectivement.
07:03Ce sont, par exemple, les attaques sanitaires sur nos cheptels.
07:06Il est évident que la recherche doit être commune.
07:08Donc voilà quelques exemples
07:10qui montrent qu'il faut garder à la PAC
07:12son caractère commun,
07:14ce que la Commission cherche à réduire
07:17en renationalisant les crédits de la PAC.
07:19Ça, ça n'est pas possible.
07:21Ça tuera la politique européenne agricole.
07:26La PAC doit donc rester absolument commune.
07:29Et pour ce qui est de la France,
07:30qu'est-ce que vous faites comme constat
07:32de notre souveraineté alimentaire ?
07:34Où est-ce qu'elle en est ?
07:37Dans la loi d'orientation agricole,
07:40j'ai souhaité introduire une notion nouvelle
07:43par rapport à la lecture qui avait été faite
07:44à l'Assemblée nationale,
07:47qui est de poser la souveraineté alimentaire
07:49comme un objectif de la loi d'orientation agricole.
07:53Souveraineté alimentaire, sécurité alimentaire.
07:55Les deux notions ne sont pas exactement concomitantes.
07:57Mais enfin, je ne vais pas entrer dans des détails sémantiques.
08:00Je considère que la souveraineté alimentaire est un enjeu régalien
08:06au même titre que la souveraineté militaire.
08:10Pourquoi ?
08:12Si on regarde l'histoire de l'humanité,
08:14l'alimentation a toujours été une arme stratégique,
08:18une arme offensive.
08:19Un continent qui n'est pas en capacité d'être souverain,
08:25un pays qui ne peut plus alimenter sa population,
08:29c'est un pays qui est en risque aussi sûrement
08:31que s'il était privé de moyens de défense militaire.
08:35C'est pourquoi je parle bien d'un enjeu régalien.
08:38Il y en a quelques-uns.
08:41Le régalien, c'est le militaire.
08:42Le régalien, c'est l'alimentation.
08:44Le régalien, c'est la couverture sanitaire.
08:48On a bien vu pour le Covid, on n'était pas souverains.
08:51On n'avait pas de vaccins.
08:53Et c'est aussi, d'une certaine façon, l'énergie.
08:56Donc, il y a quelques marqueurs très forts de souveraineté.
09:01L'alimentation, à l'évidence, en est temps.
09:04Donc, j'ai posé comme objectif 10 ans.
09:09À 10 ans, il faut qu'on ait reconquis
09:11des pans entiers de souveraineté alimentaire
09:15dans les secteurs où nous sommes en défaillance.
09:19Et on reboucle avec la question du Mercosur.
09:22Les accords de libre-échange ont ceci de particulier
09:26qu'ils comportent toujours un volet agricole.
09:29Et que ce volet agricole a tendance à être
09:31la variable d'ajustement.
09:33On se polarise sur les biens industriels.
09:36Et pour en payer le prix, on va le chercher
09:39sur la production agricole.
09:42Ça, ça n'est pas possible.
09:43Alors, il y a des secteurs qui sont bénéficiaires,
09:45mais il y a des secteurs qui sont exposés.
09:47Et parmi les secteurs exposés,
09:48il y a toujours celui de l'élevage.
09:51Et ça, c'est un problème d'effet cumulatif
09:55de ces accords de libre-échange les uns avec les autres.
09:58Donc, moi, je suis évidemment la ministre des agriculteurs.
10:04Et je le dis sans détour.
10:08Je suis, je veux être la ministre des agriculteurs.
10:11Je suis à leur côté.
10:13Je ne peux pas dire que je suis l'une des leurs,
10:17parce que je n'ai jamais exercé de profession agricole.
10:20Mais depuis que je fréquente le milieu agricole,
10:24depuis que je suis élue, comme maire de Morteau,
10:30puis comme députée,
10:32j'ai toujours été très proche des milieux agricoles.
10:35Les gens de chez moi, dont certains sont dans la salle,
10:38le savent bien.
10:39Et donc, il faut avoir cet attachement
10:42aux professionnels de l'agriculture
10:44pour comprendre ce qu'ils vivent.
10:46Et c'est pourquoi je dis sans réserve
10:48que je suis la ministre des agriculteurs.
10:52Mais il faut aussi être la ministre de l'agriculture,
10:55c'est-à-dire pouvoir donner l'indication du chemin
10:58sur lequel on veut emmener l'agriculture.
11:02Et à l'évidence, la question de la souveraineté
11:05est une borne importante de ce chemin.
11:10Je crois aussi que le chemin,
11:12l'autre borne de ce chemin,
11:14c'est de dire ce qui...
11:16Un des points de vigilance et même d'inquiétude pour moi,
11:19c'est l'opposition que je vois monter en puissance
11:26entre l'environnement et l'agriculture.
11:31Et c'est une impasse.
11:33On ne peut pas opposer environnement et agriculture.
11:37Et pendant longtemps,
11:40c'était une évidence que le monde agricole
11:42était celui qui, non seulement, vit de l'environnement,
11:45mais en est un des ardents défenseurs.
11:48Et progressivement, nous voyons monter en puissance
11:51cette opposition que je récuse
11:52parce qu'elle est mortifère, d'abord,
11:55parce qu'elle se fonde parfois sur une idéologie
11:58qui est celle de la décroissance,
12:01qui est celle de l'opposition.
12:03Au fond, la meilleure façon de préserver l'environnement
12:06pour certains serait d'éteindre l'agriculture,
12:08ce qui est une folie.
12:09Donc ça, c'est la deuxième borne de ce chemin.
12:15Et puis, la troisième borne,
12:19qui est la résultante des précédentes,
12:23est qu'il faut absolument réhabiliter
12:26l'acte de production,
12:29que nos opposants assimilent à un productivisme.
12:34Enfin, quiconque connaît le monde agricole
12:36dans notre pays, c'est que nous sommes dans une échelle
12:41qui n'a rien à voir avec les feedlots américains
12:43ou les tours d'élevage des porcs en Chine.
12:46On n'est pas dans cette échelle-là.
12:49On est attaché à une forme familiale,
12:52même si ce ne sont pas des familles
12:55qui tiennent, comme autrefois,
12:57nos fermes françaises,
12:59mais dans l'échelle de nos exploitations agricoles,
13:02on est dans une forme profondément humaine,
13:04dans un périmètre qui est profondément humain
13:07de l'exercice de la profession.
13:09Donc, par rapport à cela,
13:12je terminerai en disant
13:14que je ne suis pas une décliniste.
13:19Je suis très optimiste, au contraire,
13:23sur tout ce qui attend l'agriculture française.
13:27Et quand je visite des salons,
13:29quand je rencontre des entreprises,
13:30je vois, cher Jean-François, président de l'ANIA,
13:35je vois l'extraordinaire inventivité
13:39des entreprises de l'agroalimentaire
13:42dans la modernisation de leurs outils,
13:46dans le soin apporté à l'économie
13:49des intrants, l'eau, par exemple.
13:51Et je suis convaincue qu'il y a
13:55que la tech, l'agriculture de précision,
14:00le machinisme intelligent,
14:02nous apporteront énormément.
14:05Et c'est cette vision moderne,
14:07résolument tournée vers l'avenir,
14:09que je veux évidemment promouvoir.
14:12Avec un point de vigilance,
14:13et je veux le dire,
14:14et c'est une autre borne
14:16que je veux souligner
14:19dans ce chemin
14:21auquel j'invite la profession,
14:25c'est la question de l'agroalimentaire.
14:27La question de l'agroalimentaire est fondamentale.
14:30Le couple agriculture-agroalimentaire
14:33est un couple indissociable.
14:35Là où vous avez de l'agroalimentaire,
14:37vous avez de la transformation,
14:39vous avez de la production.
14:41Et quand vous avez de la production
14:42sans transformation,
14:43c'est une source de fragilité.
14:44Je prendrai l'exemple du blé dur.
14:46Donc on a véritablement
14:48à réhabiliter l'agroalimentaire
14:52dans notre pays,
14:53assimilé follement à la malbouffe.
14:57C'est une folie.
14:58On a une filière agroalimentaire magnifique.
15:01500 000 emplois.
15:02La première industrie française
15:04présente dans tous les territoires ruraux
15:06qui donne de la vie à nos territoires
15:08et de l'emploi à nos concitoyens.
15:10Donc voilà quelques-unes
15:12des bornes de ce chemin.
15:15Il y a beaucoup de ces sujets
15:16qu'on va évoquer ce matin.
15:18Merci de les avoir lancés.
15:19On parlera par exemple
15:20de la question de l'eau
15:21qui est absolument centrale,
15:23de la question de la production aussi.
15:25Merci vraiment à vous
15:25d'avoir lancé ces débats.
15:27Je crois que, hélas,
15:28vous êtes attendus aujourd'hui.
15:31Vous aurez bien gardé avec nous.
15:32Mais j'aurais eu grand plaisir à rester.
15:35Et puis j'ai quitté mes notes
15:36pour répondre spontanément à vos questions.
15:40Et c'est aussi bien.
15:42Mais les tables rondes
15:44auxquelles vous allez assister
15:47sont extrêmement intéressantes.
15:49Un mot sur l'eau, peut-être.
15:51Un mot sur l'eau parce qu'elle est tombée
15:53en masse hier soir.
15:56Si nous avions eu des réserves disponibles,
15:58elles auraient comblé ce matin
16:00et nous serions heureux.
16:02Lorsque je suis allée en Hongrie
16:04pour convaincre mon homologue
16:07des méfaits du Mercosur,
16:10en regardant depuis l'avion
16:12le parcellaire agricole
16:13aux abords de la capitale,
16:19je me suis rendue compte
16:20qu'il y avait des petites poches d'eau partout.
16:22Il y avait des petites réserves d'eau partout
16:24au milieu des champs.
16:26C'est exactement ce qu'il nous faut faire en France.
16:29Et le sujet de l'eau
16:30est une de ces cristallisations
16:32comme peut l'être l'alimentation,
16:34comme peut l'être l'élevage.
16:36Ce sont des points de cristallisation
16:37qui sont absurdes.
16:41Il n'y a pas d'agriculture sans eau.
16:43Il suffit d'aller voir
16:44les arboriculteurs d'Occitanie.
16:47Et qui osera dire
16:48à un arboriculteur devant son verger
16:50calciné de soif
16:52que l'accès à l'eau est induit ?
16:56Donc ce sujet est très important
16:58et je suis convaincue
16:58que dans les années qui viennent,
17:00les mentalités évolueront.
17:02En tout cas, c'est le vœu que je forme.
17:04Mesdames et messieurs,
17:05bonne matinée de réflexion.
17:08Et merci, cher Emmanuel.
17:11L'opinion a de la chance
17:13de vous avoir.
17:14Vous, qui êtes la grande spécialiste
17:16des questions agricoles,
17:18c'est très précieux
17:19d'avoir des journalistes
17:20qui savent de quoi ils parlent.
17:22Merci à vous.
17:23Merci.
17:24Applaudissements
17:55Merci.
17:56Merci.
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