Il a grandi à Villiers-le-Bel... Il a franchi les obstacles un à un pour être élu député... Il faut dire que cet ancien coach sportif a un mental d'acier. Carlos Martens Bilongo siège au sein du groupe La France insoumise à l'Assemblée.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
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00:00C'est un enfant de Villiers-le-Bel qui a franchi les obstacles un à un avant d'être élu député.
00:05Ancien coach sportif, mon invité à un mental d'acier, il siège au sein du groupe La France Insoumise à l'Assemblée.
00:26Bonjour Carlos Martins-Bilongo.
00:27Bonjour.
00:28Alors il y a quelques années, votre vie était très éloignée de celle de la vie du député que vous êtes aujourd'hui.
00:33Votre vie a ressemblé à ça.
00:47Donc ça, c'était quand vous étiez coach sportif à Villiers-le-Bel.
00:52On est d'accord, le mec hyper musclé qu'on voit, c'est vous.
00:55J'ai perdu un peu de masse musculaire.
00:56La vie du député n'a pas aidé.
00:59La vie du député n'a pas aidé.
01:01Mais oui, c'est moi, c'est moi.
01:02C'est plus jeune.
01:03Plus jeune, plus musclé.
01:04Mais bon, coach sportif, c'est un des nombreux métiers que vous avez exercé.
01:08Alors je dis métier, mais au départ, ce travail de coach, il était quasi bénévole.
01:12Il y avait même une dimension humanitaire.
01:14Exactement.
01:15Du coup, c'était une association qu'on avait sur Villiers-le-Bel.
01:18La volonté, c'était de faire sortir les femmes de la maison en pratiquant des cours de sport en collectif.
01:27Et très rapidement, on a eu aussi une vocation humanitaire.
01:30Là, c'est une photo de vous au Sénégal.
01:32On organisait des voyages humanitaires dans des pays bien définis où on partait faire du sport avec des collectifs sportifs en Afrique.
01:39Et également, ramener du matériel sportif.
01:42Alors vous avez fini par être un peu connu dans le milieu du coaching sportif.
01:46Est-ce que c'est comme ça que vous êtes devenu le coach d'Aya Nakamura ?
01:51C'est un peu ça.
01:53Oui ?
01:53C'est dingue quand même.
01:55C'est une référence.
01:56Un de ses managers venait de Villiers-le-Bel.
01:58D'accord.
01:58Du coup, ça m'avait demandé de préparer sa tournée avec elle pour que, comme elle vient d'avoir un enfant,
02:03qu'elle puisse perdre du poids et d'avoir les capacités physiques pour tenir une tournée,
02:09et ses concerts et showcases.
02:12Et du coup, on a commencé à travailler ensemble.
02:14Et c'était en quelle année, ça ?
02:152018, 2019.
02:17Et vous êtes resté en contact avec elle ?
02:18J'étais toujours en contact.
02:19Et je suis très heureux de la voir aujourd'hui faire des performances mondiales et d'être une grandatrice française.
02:25Alors, si on monte quelques années en arrière, Ado, vous avez raté le brevet des collèges.
02:29Ça ne vous a pas empêché, quelques années plus tard, de devenir prof d'éco et de gestion en lycée professionnel.
02:34Mais entre les deux, il a fallu franchir les obstacles un à un.
02:37Je crois que vous avez passé un BEP de tourneur fraiseur, un BTS technico-commercial et une licence de marketing.
02:44Là, on vous voit, je crois que c'était quand vous travaillez dans une entreprise d'échafaudage.
02:48Exactement.
02:49Pour y arriver dans la vie, c'est juste une question de mental ?
02:51Ça se joue là-dessus ?
02:53Non, je pense que s'il y a un facteur chance, mais le mental joue beaucoup.
02:57En fait, c'est les épreuves de la vie.
02:59Quand on vient de Villers-Belles, on a beaucoup d'obstacles dès le plus jeune âge.
03:03En fait, ça forge.
03:04Soit on craque, on abandonne tout et on cède.
03:08Soit, en fait, ça nous rend plus fort et devant toutes les difficultés, on arrive à les surmonter.
03:12Vous parlez des obstacles de votre enfance.
03:15Vous vous considériez comme un enfant handicapé.
03:19C'est ce que vous expliquez dans votre livre.
03:22Pourquoi ?
03:22Parce que j'étais bègue.
03:24Oui.
03:24Et ma mère en souffrait beaucoup, je le voyais dans son regard.
03:28Moi, j'en souffrais également.
03:30Et du coup, je prenais très peu la parole à l'école.
03:35J'ai commencé, on va dire, à parler librement.
03:37Là, on vous voit avec votre frère et votre maman.
03:39C'est ça.
03:40J'ai commencé à parler librement, on va dire, à partir de 6-7 ans,
03:44malgré les difficultés.
03:45Ça a été un travail quotidien avec votre maman.
03:48C'était un travail quotidien avec ma mère parce qu'on n'avait pas beaucoup d'argent.
03:51Et du coup, ma mère me dit, écoute Carlos, j'ai réussi à avoir un rendez-vous sur l'orthophoniste.
03:57On va aller, on va y aller ensemble.
03:58On va apprendre mathématiquement tout ce qui va être fait pendant la séance.
04:02On va le reproduire à la maison.
04:04Parce que vous n'aviez pas les moyens d'y retourner.
04:05On n'avait pas les moyens.
04:05On n'avait les moyens que de payer une séance.
04:07Du coup, on a été ensemble.
04:09Et en fait, la dame nous a dit, bon, on vous revoit au prochain rendez-vous.
04:11On a dit, oui, oui, on reviendra.
04:12On a tout appris.
04:14Et à la maison, ma mère s'entraînait.
04:15En fait, dès qu'elle finissait le boulot, elle avait deux boulots.
04:17Dès qu'elle terminait le soir, elle me reproduisait, etc.
04:21Et de fil en aiguille, peu à peu, j'ai perdu mon bégaiement.
04:26Et ça a été une épreuve très difficile et douloureuse parce que ça prenait du temps.
04:31Et je voyais que ma mère aussi, ça l'a peiné de devoir mettre beaucoup de temps et d'argent sur moi.
04:36Dans votre livre, Noir français, c'est le titre de votre livre, vous évoquez vos parents qui sont tous deux nés au Congo.
04:43Votre mère qui a été aide-soignante puis vendeuse de bijoux, je crois, c'est le marché.
04:47Et votre père qui était chauffeur dans des ambassades.
04:50Un père violent.
04:51Vous en parlez dans votre livre.
04:53Vous expliquez, il crie, il frappe toute la famille.
04:55Il passe la frustration de ses échecs sur nous dès que l'occasion se présente.
05:00Comment est-ce qu'on grandit avec un père violent ?
05:02C'est très difficile parce que parfois, on ne sait pas si quand on va rentrer à la maison, si maman va être enceinte.
05:10Ça s'est produit, c'est des choses que vous avez vécues ?
05:12Je l'ai vécue.
05:14Ma mère a subi des choses terribles toute sa vie.
05:19Et en fait, c'est une femme très forte.
05:20Malgré tout, elle n'a pas voulu que nous, les enfants, puissions entendre ce qui se passait.
05:24voir où elle nous envoyait, nous, très jeunes, en Belgique, en vacances, pendant chaque période de vacances.
05:32C'était les semeurs de joie.
05:34C'est un dispositif qui permettait à des familles d'accueil en Belgique, des curés, des prêtres, de nous accueillir gratuitement.
05:42Et ça permettait à des Français qui n'avaient pas de moyens de déposer leur enfant.
05:45Et ma mère, en fait, elle travaillait.
05:47Mais en même temps, c'était pour régler ses problèmes avec son mari.
05:50Et malheureusement, la violence, elle est sociétale dans notre pays.
05:52Et il y a énormément d'hommes, en fait, par rapport à des traumatismes qu'ils ont vécu.
05:57Moi, mon père, c'est après, en me renseignant, j'ai su qu'il a vécu des grosses souffrances dans sa jeunesse.
06:03Il a vu aussi sa mère être battue par mon grand-père.
06:07C'est comme ça que vous expliquez le comportement qu'il a pu avoir.
06:09C'est ce que j'arrive à comprendre quand je regarde dans sa vie sa jeunesse.
06:13La politique était très présente dans votre famille.
06:16Votre mère adorait Lionel Jospin, au point qu'à 11 ans, j'ai lu que vous avez tracté pour lui pendant la présidentielle, la présidentielle de 2002.
06:24C'est ça.
06:24Ma mère, elle était super enthousiaste parce que c'est la première fois qu'elle a pu voter, en 2002.
06:31Et elle est devenue française en 1998.
06:33Et du coup, super enthousiaste de pouvoir voter, très à gauche.
06:38Elle aimait beaucoup Jospin.
06:40Avec mon père, ils avaient toujours des débats à la maison.
06:42Mon père, elle disait un peu plus à droite, mais en fait, c'est juste pour être en conflit avec elle.
06:46Dès que je pourrais voter, moi, je voterais à droite, etc.
06:49Et en fait, super enthousiaste et en avoir envie de changer les choses.
06:54Vous êtes beaucoup investi dans le milieu associatif, assez jeune.
06:56De fil en aiguille, vous êtes allé vers la politique en vous engageant d'abord au PS,
07:00puis ensuite à la France insoumise.
07:02Et vous avez été investi par LFI aux législatives en 2022 dans la huitième circonscription du Val-d'Oise.
07:08Et alors là, vous avez battu assez sèchement le sortant, François Puponi,
07:13qui avait pourtant été député pendant 15 ans, qui avait été maire de Sarcelles pendant 20 ans.
07:17Comment est-ce que l'enfant de Villiers-le-Bel a réussi à, qui était novice en politique,
07:21a réussi à battre un vieux de la vieille, en quelque sorte ?
07:24Après, voilà.
07:25Nous, notre territoire, c'est un territoire où on avait Dominique Troscane.
07:29Du coup, c'est un territoire très socialiste.
07:30Du coup, on était plus ou moins tous sympathisants.
07:34On a mené une campagne assez simple.
07:36Dès lors où M. Puponi, lui, est allé vers le modem et la majorité présidentielle,
07:43il était un moment certain où les électeurs de la circonscription ne s'y retrouvaient plus.
07:48C'est vraiment un territoire de gauche et de gauche de rupture.
07:51Et j'ai suivi un carnet avec une campagne de proximité, avec les populations de ma circonscription,
07:57que ce soit sur Sarcelles, Villiers-le-Bel, Garges, Arnaudville et Bonneuil.
08:00Et on a transformé l'essai de cette belle campagne.
08:05Avoir un enfant du quartier qui réussit à être élu député,
08:08forcément, j'imagine que les attentes des habitants de Villiers-le-Bel, de toute la circonscription, sont très lourdes.
08:13Comment est-ce qu'on gère ça, cette pression ?
08:15Ça doit être une pression pour vous, j'imagine ?
08:17C'est une pression particulière et énorme, parce que les gens ont, comme vous l'avez dit, une très grosse attente.
08:23J'ai aussi une proximité où moi j'ai le même numéro de téléphone depuis plus de 15 ans.
08:27Ça veut dire que les personnes que j'avais pendant le milieu associatif, que je rencontrais,
08:29ils ont encore mes coordonnées et ils me sollicitent pour plein de sujets qui ne sont même pas liés à mon mandat.
08:34Mais j'essaye de répondre à ces questions-là.
08:36Le 3 novembre 2022 était un jour important pour vous.
08:38C'était le jour de votre première question au gouvernement.
08:40Il se trouve que votre intervention dans l'hémicycle a déclenché le plus grave incident de séance de ces dernières années à l'Assemblée.
08:47Et on va revoir un extrait du journal de 20h ce jour-là.
08:50Les personnes secourues se trouvent dans une situation d'urgence absolue.
08:53Les prévisions météo indiquent une détérioration significative du climat.
08:57Qu'il retourne en Afrique, est-ce le député qui est visé à titre personnel ou il, les migrants ?
09:04Pour l'insoumis Carlos Martins-Bilongo, aucun doute.
09:09Aujourd'hui, on m'a renvoyé à ma couleur de peau.
09:11Je suis né en France, je suis député français.
09:13Et je ne pensais pas aujourd'hui qu'à la Sommée nationale, j'allais me faire insulter.
09:16Une version contredite par son auteur, ce député Rassemblement national.
09:23Je ne parlais pas du député qui était en train de poser la question, je parlais du bateau passeur de migrants.
09:29Alors aujourd'hui encore, vous n'avez pas changé d'avis.
09:32Pour vous, vous en êtes convaincu, cette phrase, elle vous visez, vous ?
09:35Cette phrase est raciste, peu importe qui elle vise.
09:38Mais elle me vise moi parce que je suis en train d'évoquer le bateau en question, le Sun Viking.
09:44Il faut savoir que le sujet de l'immigration avait été évoqué par différents députés.
09:48À aucun moment, un député n'avait subi cette phrase-là.
09:52Et malheureusement, c'est la phrase qui m'a été envoyée.
09:57Et ça montre en fait aujourd'hui toute cette violence qui existe, le manque d'empathie, ce racisme aussi ambiant qui est dans la société.
10:06Et qui est un reflet en fait de l'Assemblée nationale, est un reflet de la vie de tous les jours à l'extérieur.
10:12Quels sont les mots qui vous viennent aujourd'hui pour décrire ce que vous avez ressenti ce jour-là ?
10:16J'étais abasourdi, surpris. Je ne pensais pas vivre ça à l'Assemblée nationale, comme je l'évoque.
10:24Avant mon mandat, j'étais professeur d'économie dans le 17ème arrondissement.
10:28Et vous auriez voulu réagir différemment, quand vous vous êtes refait le film de ce qui s'est passé ?
10:32Non, beaucoup de gens m'ont dit que j'avais très bien réagi, parce que je suis quelqu'un de très calme.
10:37Je suis un sportif, je fais de la boxe, etc. J'ai l'habitude de recevoir des coups.
10:41Et ce n'est pas un coup physique qu'on reçoit. C'est une parole très blessante qui transperce.
10:46Moi, tout de suite, je pense à ma mère, je pense à Rosa Parks également.
10:49C'est au même moment. Et en fait, je reste figé, je ne réponds pas du tout.
10:53Mais je me dis, waouh, il l'a fait ici.
10:57Dans l'hémicycle.
10:59Me renvoyer à quelque chose qui est inacceptable, en fait.
11:01C'est nioménie et c'est odieux.
11:03Pendant les semaines qui ont suivi, vous avez reçu des menaces de mort, des dizaines de messages racistes.
11:08Même chose, un an et demi plus tard, quand votre collègue Raphaël Arnaud a posté cette photo
11:13qu'on va voir accompagnée de la légende RN, pas content.
11:17On vous y voit donc à ses côtés à l'Assemblée, avec les députés Ali Diwara et Sébastien Delogu.
11:22Vous vous attendiez à ce que cette photo déclenche autant de messages racistes ?
11:25Je ne pensais pas.
11:27Qu'est-ce qui a provoqué ces messages dans cette photo pour vous ?
11:30Moi, je suis convaincu que la présence d'un jeune de Vielle-Belle qui puissait député noir dérange.
11:39C'est ça le sujet.
11:40Mais dérange encore aujourd'hui ?
11:42Encore aujourd'hui, c'est une vérité.
11:44Parce que vous vous posez la question dans votre livre, Noir-Français.
11:46Vous racontez donc le racisme que vous avez connu bien avant d'être député,
11:50notamment dans le cadre de votre travail.
11:52Et vous interrogez, la France est-elle prête à faire de la place à tout le monde, sans distinction, surtout aux noirs ?
11:57Après trois ans de mandat, vous répondez quoi à cette question ?
12:01Il y a encore un travail à faire.
12:03C'est malheureux.
12:03On le voit à chaque fois.
12:04Je me mets juste pour une photo.
12:06Une simple photo.
12:07Vous imaginez, il y a eu plein de plateaux le lendemain, une heure après, pour dire oui, leur posture, etc.
12:14Un avocat a dit oui, on dirait la cour d'appel des Assises.
12:21Pourquoi ?
12:22Parce qu'un bon est rouge et vous avez deux noirs, un français,
12:27un autre français d'origine, quatre français, mais d'origine diverse.
12:31C'est terrible en fait.
12:32On va passer au quiz à présent.
12:34Vous allez donc devoir compléter les phrases que je vais vous proposer.
12:38Je m'appelle Carlos Martins, car...
12:40Carlos Martins, c'est le...
12:42C'est le curé qui a accepté de recevoir mes frères et soeurs en Belgique.
12:46Et vraiment, je le remercie parce qu'il a donné une bouffée d'oxygène à ma mère en ce moment difficile.
12:52Pour rester en forme quand on est député ?
12:54Pour faire du sport.
12:56Oui, mais vous disiez que vous avez un peu perdu en masse musculaire, là, depuis votre...
12:59J'ai perdu, mais...
13:01On peut garder la forme ?
13:03Il faut garder la forme.
13:04Un jour, les Girondins de Bordeaux, c'est votre club de cœur, mais bon, là, ils sont loin.
13:12Là, on jouait la montée en N1.
13:16Moi, je suis supporter historique des Girondins de Bordeaux.
13:18Et là, on est condamné à rester encore une fois au National 2.
13:22Et c'est une grosse difficulté.
13:23Merci beaucoup, Carlos Martins-Bilongo, d'être venu dans La Politique et moi.
13:26Sous-titrage Société Radio-Canada