Comprendre le Débarquement de Normandie du 6 juin 1944 INTÉGRALE
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00:00Quand on se promène près des côtes de Normandie, on remarque généralement une chose.
00:14S'il y a des drapeaux partout, et surtout des Américains,
00:17c'est parce qu'ici s'est jouée l'une des plus grandes opérations militaires de l'histoire.
00:21Un assaut de 7000 bateaux, 7500 avions et 150 000 soldats.
00:26Mais le 6 juin 1944, c'est aussi l'histoire d'une légende.
00:30Celle d'une bataille du bien contre le mal, un coup de génie qui aurait fait chuter Hitler,
00:35et offert à l'Amérique une médaille sans tâche, celle de sauveur du monde libre.
00:45Aujourd'hui quand on parle du 6 juin, on pense généralement à ça, à ça ou à ça.
00:51Les documents de l'époque racontent pourtant une histoire assez différente.
00:54D'abord parce qu'à l'initiative d'un débarquement,
00:57il n'y a pas que le président américain Roosevelt et le premier ministre britannique Churchill.
01:02Il y a aussi lui.
01:05Depuis 1941, Staline milite intensément pour un assaut à l'ouest.
01:10Un second front qui allégerait le fardeau soviétique et prendrait les nazis en étau.
01:14Prudent, Churchill repousse l'échéance, plusieurs fois.
01:20Son armée, dit-il, n'est pas prête.
01:23Sauf qu'en 1943, la situation a changé.
01:26L'armée rouge a relevé la tête, gagné à Stalingrad.
01:29A l'Est, elle engrange les victoires.
01:31Pour les américains et les britanniques, il faut faire vite.
01:34Les soviétiques risquent d'écraser Hitler tout seul et de faire de l'Allemagne leur prise de guerre.
01:40A Téhéran, les alliés s'accordent secrètement sur un débarquement au printemps 1944.
01:45Son nom, Opération Neptune.
01:49Habitué des coups de force, Hitler est persuadé qu'un assaut approche.
01:53Mais n'en sachant ni le lieu ni la date, il a abattu sur l'Europe un rideau de béton.
01:58Le mur de l'Atlantique.
01:59Sur 4000 km de côte, des fjords de Norvège au sud de la France,
02:04des constructions fortifiées, les bunkers, abritent des troupes et des canons.
02:10Si le 6 juin est entré dans la légende, c'est donc parce qu'à l'époque déjà,
02:14tout le monde l'attendait, l'espérait ou le craignait.
02:18Mais c'est aussi parce que le 6 juin fut une extraordinaire réussite logistique.
02:24Regardez ces cartes secrètes de l'époque,
02:26dont certaines ont été réalisées avec l'aide de résistants français.
02:29Elles montrent l'une des raisons stratégiques du choix de débarquer en Normandie.
02:34Ici, les bunkers ne sont pas très nombreux,
02:37car le mur de l'Atlantique est encore en chantier.
02:41Mais ces cartes illustrent aussi un problème de taille.
02:44Il n'y a aucun port en eau profonde capable d'accueillir des milliers de bateaux alliés.
02:49L'idée de génie vient de ces trois britanniques.
02:53Puisqu'il n'y a pas de port, il faudra la porter directement sur place.
02:58Les ingénieurs conçoivent deux immenses ports en kit
03:00qui pourront être transportés par bateau et assemblés en quelques jours.
03:08Ces deux ports en métal et en béton, on envoie des bouts, encore aujourd'hui, au large.
03:12Ces ports artificiels n'ont pas permis de décharger tout le matériel prévu.
03:19Mais ils ont offert aux alliés un atout décisif.
03:23Pouvoir débarquer là où personne ne les attendait.
03:25L'autre tour de force du 6 juin, c'est ça, la péniche.
03:32Une sorte de caisson en bois avec un petit moteur
03:34et surtout cette grande porte à l'avant.
03:406 juin 1944, 6 heures du matin.
03:44Des milliers de tonnes de bombes sont larguées sur la côte
03:47pour fracturer la défense allemande.
03:5030 minutes plus tard, sous un temps maussade,
03:53les premiers soldats touchent le sable.
03:54Ils sont 150 000, ils viennent de 13 pays.
03:59Parmi eux, quelques dizaines de français,
04:02incorporés dans les péniches alliés
04:03ou déployés dans une unité spéciale, le commando Kieffer.
04:09Le débarquement, c'est donc une multitude de débarquements
04:12sur 80 kilomètres de côte.
04:15Et l'un des points chauds, c'est ici, au Mahabitch,
04:18la plus célèbre plage du jour J.
04:21Les bombes américaines auraient dû être larguées ici.
04:23Mais elles sont tombées trop loin dans les terres.
04:27Les allemands, sonnés mais intactes,
04:29attendent que les G.I. américains sortent de leur péniche,
04:32puis ouvrent le fond.
04:33Derrière sa mitrailleuse, l'un des allemands tire 12 500 balles.
04:38Au milieu du carnage, des reporters et des photographes militaires
04:41immortalisent l'événement en quelques rares photos saisissantes.
04:51Un millier de soldats sont morts à Mahabitch le 6 juin 1944.
04:55Et beaucoup sont enterrés ici, au cimetière de Colville-sur-Mer.
04:58Un cimetière devenu très symbolique,
05:05où se sont rendus tous les présidents des Etats-Unis,
05:07depuis Jimmy Carter.
05:11Car depuis 1944, le 6 juin est devenu davantage qu'un exploit militaire,
05:15le symbole d'une guerre juste,
05:17de la démocratie luttant pour la liberté.
05:20Quitte à reléguer au second plan l'autre grand vainqueur de la guerre,
05:23l'URSS.
05:37Mais peu importe,
05:39aux yeux de celui qui a fait du 6 juin
05:40la célébration spectaculaire que l'on connaît aujourd'hui,
05:44le président des Etats-Unis,
05:45Ronald Reagan.
05:53A quelques mois de la campagne pour sa réélection,
06:11Reagan veut attiser la flamme patriotique américaine.
06:15Exit la défaite de Pearl Harbor,
06:16qui était jusque-là l'événement de la Seconde Guerre mondiale,
06:20le plus commémoré aux Etats-Unis.
06:21Son discours le plus vibrant,
06:24il le réserve pour le 6 juin.
06:33Mais les soldats du jour J
06:35se voyaient-ils eux-mêmes comme des chevaliers de la liberté,
06:38prêts à mourir pour la démocratie ?
06:41Probablement, moins qu'on le croit.
06:43Des documents déclassifiés
06:45montrent qu'en mars 1944,
06:4862% des officiers américains en Europe
06:50se demandaient si la guerre méritait d'être livrée.
06:55Et seuls 18% des soldats américains
06:57déclaraient vouloir détruire le Reich
06:59alors qu'ils étaient à 70% favorables
07:02à l'anéantissement du Japon.
07:04Ce qu'il faut retenir, c'est que l'étendue des crimes nazis,
07:08dont toute leur horreur, n'ont vraiment été découvertes
07:11et rendues publiques officiellement
07:14que dans les tout derniers mois de la guerre.
07:15Reste une question.
07:22Que fait-on de nos jours chaque 6 juin ?
07:26Le débarquement des alliés ?
07:28La victoire du bien contre le mal ?
07:31Ou bien l'image que chaque pays veut aujourd'hui
07:33faire paraître de lui-même ?
07:36Chaque pays, chaque participant
07:38a pu trouver dans cette narration
07:41presque sublimée de l'événement
07:42de quoi satisfaire son organe national
07:44pour les pays anglo-américains en tant que libérateurs.
07:48Et puis même pour la France,
07:49se remémorer, c'est en même temps oublier
07:51à la fois la défaite de la France en 1940
07:54et puis le rôle de la France et de la Grande-Bretagne
07:57face à la montée du péril hitlérien
08:00dans le courant des années 1930.
08:02Des attitudes qui sont, elles,
08:03balayées sous le tapis de l'histoire.
08:06Rampées dans les vagues,
08:19échappées aux balles allemandes,
08:21éviter les éclats d'obus,
08:23avancer.
08:26Cette image granuleuse, floue et surexposée
08:29d'un soldat américain,
08:31c'est Robert Capa qui l'a prise.
08:33Un photoreporter américain d'origine hongroise.
08:36A l'époque, Robert Capa, c'est le photojournaliste
08:41le plus célèbre au monde.
08:43Le photographe de presse le plus célèbre du moment
08:46pour couvrir l'opération militaire la plus importante du moment.
08:51Le débarquement allié du 6 juin 1944 en Normandie.
08:56Un déploiement de forces devenu légendaire.
08:58légendaire comme ces photos de guerre de Robert Capa à Omaha Beach.
09:04Mais aux yeux de certains spécialistes,
09:06ces photos cacheraient une réalité moins flatteuse pour Robert Capa.
09:10Voici l'histoire habituelle du reportage de Robert Capa à Omaha Beach.
09:226 juin 1944, 6h30.
09:28Des milliers de soldats alliés déferlent sur les plages normandes.
09:31Sous le commandement du général Eisenhower,
09:34les portes navales alliées,
09:36avec le soutien de puissantes formations aériennes,
09:39ont commencé ce matin
09:40le débarquement des armées alliées
09:43sur les côtes nord de la France.
09:47Face à eux,
09:48des bunkers et des mitrailleuses allemandes.
09:50Dans les premières heures de l'assaut,
09:55les alliés progressent à peu près partout,
09:57mais pas ici,
09:58à Omaha Beach,
09:59où rien ne se passe comme prévu.
10:03Sous une pluie d'obus,
10:05avec la première vague des troupes américaines,
10:07Capa débarque.
10:09Seul photographe de presse présent à ce moment-là,
10:12au cœur des hostilités,
10:14il est terrifié.
10:15C'était une nouvelle sorte de peur
10:18qui secouait mon corps des pieds aux cheveux
10:21et me tordait le visage.
10:23N'empêche,
10:24malgré l'effroi,
10:25pendant 90 minutes,
10:27il prend 106 photos des combats.
10:30Ce GI,
10:31à moitié immergé,
10:32pour éviter les mitrailleuses allemandes
10:34poster un peu plus haut sur la plage.
10:37Dans les vagues,
10:38ces soldats qui trébuchent
10:39sous 30 kg d'équipement,
10:41ou ces militaires du génie
10:43qui s'apprêtent à faire exploser
10:44ces obstacles d'acier,
10:46disposés là par les Allemands
10:47pour empêcher les bateaux d'accoster.
10:51Puis,
10:52Capa remarque tout près du rivage
10:53un bateau militaire chargé d'évacuer les blessés.
10:56Il saute dedans,
10:58direction Weymouth, en Angleterre.
11:00De là,
11:01Capa remet ses rouleaux de films à l'armée
11:03qui les envoie à Londres.
11:07À Londres, justement,
11:09tout va très vite.
11:12Dès réception des pellicules,
11:14John Godfrey Morris,
11:15l'un des responsables locaux de Life,
11:18le magazine américain
11:19pour lequel travaille Capa,
11:21ordonne qu'on les développe en priorité.
11:23Quelques minutes plus tard,
11:25Dennis Bank,
11:26un jeune laborantin peu expérimenté,
11:28a cours en sanglots dans son bureau.
11:31Les films de Capa sont tous détruits.
11:33Pour sécher les films,
11:34après leur développement,
11:36le laborantin les a suspendus
11:38dans une armoire chauffante.
11:39Comme je lui avais dit de se dépêcher,
11:41il a fermé les portes.
11:43Faute de ventilation,
11:44l'émulsion de la pellicule a fondu.
11:47Traduction,
11:48la température trop élevée dans l'armoire
11:50a détruit tous les négatifs.
11:53Sauf 11.
11:54Les moins dégradés sont publiés dans Life
11:57le 19 juin 1944.
11:58Tout ce que vous venez d'entendre,
12:04c'est l'histoire qu'a racontée dans ce livre
12:06John Godfrey Morris qu'on vient de voir.
12:09L'accident de labo,
12:10les films qui sèchent,
12:11les portes fermées de l'armoire chauffante,
12:13la température qui monte,
12:14l'émulsion qui fond,
12:16l'histoire est belle.
12:18Mais il y a des flous
12:19qui chiffonnent à la New Glass-Coleman,
12:21un critique photo.
12:22Entre juin 2014 et juin 2017,
12:33Coleman mène l'enquête
12:34avec l'aide d'historiens de la photo
12:35et d'un photographe de guerre.
12:40Sans entrer dans le détail
12:41des dizaines d'articles de son investigation,
12:44on a relevé trois points intéressants
12:46de ses recherches.
12:47Trois points qui laissent penser
12:49que l'histoire que vous venez d'entendre
12:50autour des photos de Kappa Aoma
12:52à Beach,
12:53eh bien,
12:54ça ne s'est pas tout à fait passé comme cela.
12:59D'abord, tout porte à croire
13:00que les pellicules photos de Kappa
13:02n'ont pas été endommagées
13:04pendant une des phases
13:05de leur développement au labo.
13:07Voilà pourquoi.
13:08Primo,
13:09quand on vient tout juste
13:10de développer un film,
13:12il est humide.
13:13Alors,
13:13on le suspend
13:15dans une armoire chauffante.
13:16Ensuite,
13:17on ferme l'armoire
13:18et on lance un mécanisme de ventilation
13:19qui, par principe,
13:21pulse de l'air chaud
13:22du haut vers le bas
13:23à la fois pour faire sécher la pellicule
13:25et pour évacuer toutes les poussières
13:27qui pourraient rester dans l'armoire
13:29et qui pourraient se coller ensuite
13:30sur la pellicule.
13:31Donc,
13:31fermer la porte d'une armoire de séchage,
13:32c'est normal.
13:33Secondo,
13:35pendant le séchage,
13:36il est peu probable
13:37que la gélatine
13:38qui protège
13:39l'émulsion photosensible
13:40ait pu fondre
13:41parce que,
13:42pour que cela arrive,
13:43il faut deux conditions.
13:45Il faut d'abord
13:45une chaleur très élevée
13:46et il faut un taux d'humidité
13:47très élevé.
13:49Or,
13:49dans une armoire de séchage,
13:50en principe,
13:51le taux d'humidité
13:51est bas,
13:52voire très bas
13:53puisque le but est de faire sécher
13:54la pellicule.
13:54Et concernant la chaleur ?
13:55Concernant la chaleur,
13:56la température peut monter
13:57de manière très élevée
13:58mais pas suffisamment
13:59pour que la gélatine
14:00en tant que telle
14:01et le support se mettent à fondre ?
14:03Absolument.
14:04La gélatine fond
14:05à partir de 60 degrés Celsius
14:06tandis que le support plastique
14:08s'altère à une température
14:09bien plus élevée.
14:11Persio,
14:12si cette gélatine
14:13avait réellement fondu
14:14faisant du même coup
14:15disparaître
14:16l'émulsion photosensible,
14:18pourquoi 11 négatifs
14:19auraient-ils échappé
14:20au désastre ?
14:22Et justement,
14:23ces 11 négatifs,
14:24sont-ils vraiment 11 ?
14:26De cela,
14:27Coleman doute aussi.
14:28Sur la planche contact,
14:32on en voit 9.
14:339 photos numérotées
14:34de 29 à 38.
14:37Manque le négatif numéro 37.
14:40Il s'agit de 7 photos
14:41qu'on a vues au début
14:42de la vidéo.
14:44La 38 est possiblement
14:45la dernière
14:46de la pellicule Kodak
14:47de Robert Capa.
14:509 négatifs
14:50plus 1 manquant
14:52égale 10 photos.
14:53Pourtant,
14:57John J. Morris
14:58a toujours parlé
14:59de 11 photos restantes.
15:01Selon Coleman,
15:02personne n'a jamais vu
15:03cette 11e image.
15:05À moins qu'elle n'ait
15:06jamais existé.
15:08Comme n'ont jamais été détruits
15:09les autres négatifs
15:10de Capa,
15:11tout simplement
15:12parce qu'ils n'ont jamais existé,
15:13croit savoir Coleman.
15:15Autrement dit,
15:16les photos de Robert Capa
15:17à Omaha Beach
15:18en notre possession
15:19seraient les seules
15:20qui l'aient jamais prises.
15:23Pour expliquer
15:25ce nombre restreint
15:26de photos,
15:27Coleman a passé
15:28au peigne fin
15:28les détails
15:29de la matinée de Capa
15:30ce 6 juin 1944.
15:35Ce matin-là,
15:36le mauvais temps
15:37complique le débarquement
15:38des troupes alliées.
15:40Capa ne débarque pas
15:41à 6h30
15:42comme on a coutume
15:43de le lire,
15:44mais environ une heure
15:45plus tard,
15:45vers 7h30,
15:47ici,
15:47à Omaha Beach,
15:48secteur Fox Green.
15:52Et il n'arrive pas
15:52avec la première vague
15:53des alliés,
15:54mais avec la troisième.
15:58À ce moment-là,
15:59les combats ont lieu
16:00un peu plus haut,
16:01à proximité de la dune.
16:04Mais la plage
16:04reste très dangereuse.
16:07Pour cette raison,
16:08comme il le dit
16:08dans son autobiographie,
16:10Capa cherche à se protéger.
16:12J'ai décroché ma pelle
16:13et j'ai essayé
16:14de creuser un trou.
16:16Mais la pelle
16:16a heurté une pierre
16:17sous le sable
16:18et je l'ai jetée au loin.
16:20Et quand ce navire militaire
16:22tente de quitter la plage,
16:23alors ?
16:24Je me suis juste levé
16:25et j'ai couru
16:26vers le bateau.
16:28Je suis entré dans la mer
16:29entre deux corps.
16:31J'avais de l'eau
16:31jusqu'au cou.
16:33À ce moment-là,
16:34il est 7h47.
16:36Deux témoins
16:37le voient monter,
16:38trempé,
16:39à bord de ce navire
16:40qui évacue
16:40les blessés.
16:41Puis autour de 8h37,
16:43le bateau
16:44prend le large.
16:44Si on fait le calcul,
16:46Robert Capa
16:47saurait donc rester
16:4830 minutes maximum
16:49sur la plage.
16:53En si peu de temps,
16:54sous le feu ennemi,
16:55difficile de faire
16:56beaucoup de photos,
16:58surtout quand personne
16:59ne vous protège.
17:00Pour le comprendre,
17:01il faut avoir à l'esprit
17:02qu'en 1944,
17:04Robert Capa
17:05est un des premiers
17:06journalistes de guerre
17:07tels qu'on les connaît
17:08aujourd'hui.
17:08Et à l'époque,
17:09les procédures de sécurité
17:11pour protéger
17:11les journalistes
17:12qui sont avec les armées
17:14combattantes
17:15ne sont pas aussi
17:16encadrées
17:18qu'elles ne le pourraient
17:19être aujourd'hui.
17:19Et de ce fait,
17:20Robert Capa
17:21se retrouve pratiquement
17:22livré à lui-même
17:23sur une zone de guerre
17:25extrêmement dangereuse
17:26à devoir à la fois
17:28faire son métier
17:28de journaliste
17:29et faire attention
17:30à sa vie.
17:31La peur,
17:32le stress,
17:33auxquels peuvent s'ajouter
17:34de très banals
17:35problèmes techniques.
17:37Son Contax 2
17:38est un appareil photo
17:38de la fin des années 30,
17:40allemand,
17:41totalement manuel.
17:42Et qui nécessite
17:43beaucoup de manipulations
17:44pour chaque prise de vue.
17:45Il faut faire la mise au point,
17:47régler l'exposition,
17:49remonter le mécanisme
17:50à la fois du déclencheur
17:51et le mécanisme
17:52qui fait défiler la pellicule,
17:54déclencher
17:55et recommencer.
17:56Donc toutes ces opérations
17:57prennent un petit peu de temps.
17:59Elles sont très faciles
18:00à faire
18:00quand on est dans des conditions
18:01normales de prise de vue,
18:03mais quand on se fait tirer dessus,
18:04c'est beaucoup plus compliqué.
18:06Enfin,
18:06une fois à bord du bateau
18:08qui lui a permis
18:08de quitter la plage,
18:10Capa a été trop éloigné
18:11des combats
18:11pour les photographier.
18:13Pour une raison très simple.
18:15Avec son contacts E2
18:16équipé d'un objectif 50 mm,
18:19impossible de zoomer.
18:22Malgré tout ce qu'il a écrit avant,
18:24John J. Morris
18:25a fini par laisser entendre
18:26que Capa n'avait peut-être pas fait
18:28beaucoup de photos
18:29à Omaha Beach.
18:56Ces images ont été filmées
18:57le 6 juin 1944.
19:01Ce jour-là,
19:02150 000 soldats alliés
19:04débarquent sur les côtes françaises.
19:07Leur mission,
19:08percer le mur de canon
19:09construit par l'armée d'Hitler.
19:13Au milieu des soldats,
19:16une poignée de français.
19:20177 volontaires
19:21réunis dans le premier
19:23commando français de l'histoire.
19:24Léon Gautier,
19:2722 ans,
19:29participera à la première vague d'assaut.
19:35Ok, ça,
19:36c'est pour la légende.
19:38Mais ce que les films
19:38de l'époque ne disent pas,
19:40c'est comment les soldats
19:41eux-mêmes
19:41ont vécu le débarquement.
19:43Le jeune Léon Gautier
19:48a survécu.
19:50Des années plus tard,
19:51il a confié son histoire
19:52à un journaliste
19:53sur un petit enregistreur.
19:56Allô ?
19:57Allô, ça marche ?
19:58Voilà, là ça marche très bien.
20:00Une conversation hors caméra
20:02dans laquelle le dernier
20:03vétéran français du 6 juin
20:05livre sa version
20:07du jour le plus long.
20:08Le 13 juillet 1940,
20:27le jeune Léon Gautier
20:28répond à l'appel
20:29du général de Gaulle
20:30et rallie la France libre
20:31à Londres.
20:32Je recommande de Gaulle
20:33parce qu'on continuait la guerre
20:34et la France occupée
20:36par les Allemands,
20:38ce n'était pas mon dada.
20:40En Grande-Bretagne,
20:41la campagne de 1940,
20:43désastreuse,
20:44a laissé des traces.
20:46L'heure n'est plus
20:47aux grandes opérations.
20:51Réaliste,
20:52Churchill valide la création
20:53d'un nouveau type
20:54d'unité militaire,
20:56les commandos.
20:58Des petits groupes
20:58de combattants
20:59surentraînés,
21:00capables de mener
21:01des actions ciblées.
21:04Après quelques échanges,
21:04ces unités spéciales
21:06font preuve
21:07de leur efficacité
21:08et suscite l'admiration
21:09d'un militaire français
21:11réfugié à Londres,
21:12Philippe Kieffer.
21:15Kieffer tente aussitôt
21:17de convaincre
21:18les autorités militaires
21:19que des français
21:20peuvent participer
21:21eux-mêmes
21:22à la libération
21:23de leur pays.
21:25C'est d'accord,
21:26une poignée de français
21:27seront entraînés
21:28avec les commandos britanniques
21:30et partiront au feu
21:31à leur côté.
21:34A la fin du printemps 1944,
21:40après plusieurs mois
21:41d'entraînement,
21:42les jeunes français
21:43sont enfin briefés
21:44sur la mission
21:45de leur vie.
21:46On est en partie
21:48à Tchiffille,
21:50dans un camp secret
21:51au mois de mai.
21:52Les Anglais étaient
21:52très prudents.
21:53Tous ces chérés
21:54s'échappaient
21:55de ce camp
21:55seraient lui-même
21:56qui l'a vu
21:57par les Américains
21:58qui gardaient ce camp
21:59avec un homme en l'âme.
22:01Là, nous avons été
22:02mis au courant
22:03des travails
22:05que nous avions à faire
22:06avec des plans,
22:07des maquettes.
22:08Ils ont dit
22:09voilà,
22:09voilà ce qui vous attend.
22:11Et là,
22:12quand nous avons connu
22:13ces plans,
22:14et à vrai,
22:15on vit reconnu
22:15la côte,
22:17on dit voilà,
22:17on débarque
22:18à Wistreham.
22:19Wistreham,
22:23nom de code
22:24Sword Beach,
22:25est l'une des 5 plages
22:26du débarquement.
22:30Un débarquement
22:31d'ampleur inédite.
22:34Sur une même journée,
22:35sont engagés
22:36plus de 1200 navires
22:37de guerre,
22:38des milliers de péniches
22:40et près de 200 000 soldats.
22:43Objectif,
22:44libérer les plages
22:45et plusieurs villes normandes
22:47pour assurer plus tard
22:48l'arrivée
22:49de millions
22:49de soldats alliés.
22:52À Wistreham,
22:53les commandos français
22:54et britanniques
22:55n'auront pas
22:56la partie facile.
22:58Les 2000 allemands
22:59affectés à la zone
23:00ont transformé
23:01la petite station balnéaire
23:02en forteresse.
23:05Une centaine de villas
23:06ont été démolies
23:07pour laisser place
23:08à des ouvrages défensifs
23:09et à une vingtaine
23:10de pièces d'artillerie.
23:15De l'ancien casino,
23:17les allemands
23:17n'ont gardé
23:18que le sous-sol
23:19sur lequel ils ont construit
23:21un poste de combat
23:22en béton armé.
23:24Mais surtout,
23:25il y a
23:25le grand bunker,
23:27une masse de béton armé
23:28de 17 mètres de haut
23:29qui dirige les batteries
23:31et permet de surveiller
23:32la baie
23:33sur 50 km à la route.
23:35Quant à la plage,
23:36elle est truffée
23:37de fils barbelés,
23:38de mines
23:39et d'obstacles anti-chars.
23:41Les alliés savent
23:43que l'opération
23:43sera délicate.
23:44secrètement,
23:46le quartier général
23:47prévoit 50% de pertes.
23:50Léon Gauthier
23:51et ses camarades
23:52du commando
23:52ont tous
23:53rédigé leur testament.
23:54Ce qui est fait,
23:56on nous avait dit
23:57avant de partir,
23:59il n'y a peut-être pas
23:59dix entre vous
24:00qui reviendront
24:01un tac.
24:02Celui qui ne veut pas partir
24:04et qui vienne me voir,
24:05je n'en voudrais pas.
24:06Tout le monde est parti.
24:07L'heure est arrivée,
24:10le 5,
24:11il y a eu un discours
24:11de Laure Lovat.
24:12On enlève tous ces Britanniques
24:14quand on leur souhaitait
24:15une bonne chance
24:15et il a fini ce discours
24:18en français disant
24:19« Monsieur les Français,
24:21demain les boches
24:21on les aura. »
24:24Nous avons embarqué
24:25dans les camions
24:26vers les 4h-5h
24:28de l'après-midi
24:28où nous avons rejoint
24:30les barges et débarquements,
24:31le 5,
24:32et là nous avons attendu
24:33vers les 10h30 du soir
24:35où on a eu un message
24:36de Churchill,
24:36le roi d'Angleterre
24:37qui disait
24:38« Bonne chance
24:40et que Dieu vous garde. »
24:42Et là,
24:43nous avons mis le câble
24:43sur la France.
24:46Dans la nuit du 5 au 6 juin,
24:48les bombardiers alliés
24:49pilonnent la côte normande.
24:54Des milliers de parachutistes
24:56sont largués dans les terres
24:57pour détruire des ponts
24:59et capturer
25:00des routes stratégiques.
25:04En mer,
25:04l'immense armada
25:06progresse.
25:08La météo est correcte,
25:10la mer agitée.
25:13Vers les 5h du matin,
25:15nous avons été réveillés
25:16en disant
25:17« Bon, préparez-vous. »
25:19Alors là,
25:19tout le monde avait fait
25:21ses armes,
25:21ses grenades,
25:22tout est bien chargé,
25:23ainsi de suite.
25:24Ils ont distribué
25:25une boîte de soupe
25:27auto-chauffante.
25:29Moi,
25:30je n'ai pas aimé
25:30cette soupe.
25:31Elle avait un goût amer,
25:32c'était parait-il
25:32de la soupe de tortue.
25:34Tortue ou pas tortue,
25:35je ne l'ai pas vue,
25:37je l'ai jeter à l'eau.
25:39Cette soupe de tortue,
25:40c'est peut-être
25:41plutôt un bouillon
25:42à base de céleri,
25:44comme celui distribué
25:45ici
25:46à des soldats américains.
25:50Bientôt,
25:51la flotte alliée
25:52est repérée.
25:54Vers minuit,
25:55côté allemand,
25:56l'alerte générale
25:57est donnée.
25:58Les canons
25:59font faux.
26:02En mer au large,
26:06on a recommencé
26:07à recevoir
26:07les premiers obus
26:08d'avant
26:08de l'artillerie allemande,
26:10bien sûr,
26:11qui tirait
26:12sur cet armada.
26:14Là,
26:14bon,
26:14ça tombait
26:14pas loin du bord.
26:16Et là,
26:16on arrive
26:17sur la plage.
26:20Sur la plage,
26:21nous sommes
26:22deux bateaux français,
26:23la 523
26:24et la 527.
26:25Ce sont des LCI
26:27et l'un des
26:27Graf Infantry.
26:29La 527
26:30a pris un obus
26:31à l'avant.
26:31Tous les officiers
26:33ont été blessés.
26:34Moi,
26:34je me trouvais
26:35sur la 523.
26:36L'OFI
26:37que je connaissais
26:37depuis le long date
26:38m'a dit
26:40« Tu me suis partout.
26:41J'aurais besoin de toi. »
26:43Là,
26:43on a débarqué,
26:44on a suivi,
26:45donc on a courant
26:45sur la plage.
26:47Trois français
26:48sont tués sur la plage.
26:49Les autres
26:50courent vers les dunes,
26:51jonchés de barbelés.
26:53Là,
26:54un nouvel ennemi
26:54les attend,
26:56les mines.
26:57Je peux vous dire
26:58qu'il y avait les mines.
26:59On a passé
26:59sur 60 000
27:00en toute connaissance
27:01de cause
27:01et aucune mine
27:03n'a explosé.
27:04Alors,
27:05les Anglais ont dit
27:05« C'est un miracle. »
27:07Et moi,
27:07le miracle,
27:08je l'ai résolu.
27:09C'est quand il y a
27:10eu une tempête ici,
27:12les mines ont été
27:13rendues inefficaces
27:14par le sable
27:14qui s'est amoncelé
27:15dessus.
27:18Alors,
27:18donc,
27:18on arrive,
27:19on prend ce bloco
27:20facilement là-haut.
27:22Vous savez,
27:22les Allemands
27:23sont un peu paniqués
27:23et les grenades
27:24arrivaient par les meurtrières.
27:26Bon,
27:27on a continué devant.
27:29On a déposé
27:30nos sacs
27:31dans une vieille
27:31colis de vacances
27:32qui avait là-haut
27:32parce que ces sacs
27:33étaient très lourds.
27:35Et donc,
27:35on recharge
27:37les chargeurs
27:37de munitions,
27:38on fait un petit
27:39casse-croûte
27:39et on repart
27:41vers l'intérieur.
27:41Direction
27:44le bourg
27:45de Wistreham.
27:46Pour y accéder,
27:48quelques chemins
27:48de terre
27:49et d'innombrables
27:50dunes
27:50dans lesquelles
27:51les Allemands
27:51ont positionné
27:52leurs pièces d'artillerie.
27:55On avait des ordres
27:56très stricts
27:57d'Alexandre Lofi
27:58qui nous avait fait
27:59la morale
27:59en partie.
28:00Vous savez,
28:00on a des dunes
28:01comme ça les gars.
28:01Alors,
28:02quand vous plongez
28:02dans une dune,
28:03je ne veux pas
28:04vous voir ressortir
28:05au même endroit.
28:05Vous rampez
28:06deux mètres à droite
28:07ou deux mètres à gauche
28:07car à la sortie
28:08de la dune,
28:09on va vous attendre.
28:10Les commandes
28:11français et britanniques
28:12perdent des hommes
28:13mais progressent
28:14jusqu'au cœur
28:16du dispositif allemand.
28:18À 9h30,
28:19le poste de combat
28:20du casino
28:21est réduit au silence.
28:24Deux heures plus tard,
28:26la quasi-totalité
28:27de la station balnéaire
28:28est sous contrôle allié.
28:30Au soir du 6 juin,
28:33le commando
28:33qui est fer
28:33a rempli
28:34la plupart
28:35de ses objectifs.
28:37Le bilan
28:38est lourd.
28:40Sur les 177
28:41volontaires français,
28:42les plages normandes
28:43ont coûté la vie
28:44à 10 hommes
28:45et fait 36 blessés.
28:49Ce voyage en enfer
28:51a laissé des traces
28:53dans la vie
28:53de Léon Gauthier.
28:55La suite
28:55aussi.
28:57Car la libération
28:58et le retour
28:59à la vie civile
29:00l'ont plongé
29:01dans un autre combat.
29:03Un combat
29:03auquel
29:04ils ne s'attendaient pas
29:05contre l'oubli.
29:06Ça a été difficile
29:07de retrouver la vie civile ?
29:08Très très dur.
29:09Les Français libres,
29:10ce n'est pas seulement
29:11les commandos,
29:12mais tous les Français libres
29:13n'ont pas tellement
29:14bien accueilli en France.
29:18Et pour cause ?
29:20Trop anglais
29:20pour la France libre,
29:22trop français libre
29:23pour la marine,
29:25Léon Gauthier
29:25et ses compagnons
29:26du commando-kiffer
29:27ne rentrent
29:28dans aucune case.
29:30Et puis,
29:31qui sont ces marins
29:32qui se battent sur terre ?
29:34De Gaulle les ignore,
29:36l'armée française
29:37de l'époque
29:37les évite.
29:39Les officiers,
29:41les gens
29:41qui avaient des relations
29:42assez hautes,
29:44bon,
29:44on s'en est occupé
29:45au point de vue
29:45gouvernemental,
29:46ils l'avaient,
29:47et ainsi de suite.
29:48Mais tous les hommes
29:50comme moi
29:50qui venaient partir
29:51de la troupe,
29:52bon,
29:52on s'en est pas occupé.
29:55Et quand je suis rentré
29:57en France,
29:58on n'a pas trouvé
29:58à se loger
29:59et j'étais sorti
30:02de la marine nationale
30:03congélié,
30:04avec conduite excellente,
30:07exemplaire,
30:08mais quand même
30:09congélié de la marine.
30:11Ceux qui ont pu
30:12rengager
30:12ont subi
30:13des insultes.
30:15Les officiers,
30:16quand ils s'assoyaient
30:16à une table au messe,
30:17les autres quittaient
30:18la table,
30:18ils allaient à une autre table.
30:20Quand la reconnaissance
30:21arrive,
30:22spectaculaire,
30:23au début des années 2000,
30:25une cinquantaine
30:25d'anciens
30:26du commando-kiffer
30:27sont morts,
30:28sans même
30:29une légion d'honneur.
30:32Voyez-vous,
30:33après la guerre,
30:34je ne m'étais pas senti
30:35comme un homme
30:37qui avait fait
30:38des choses extraordinaires.
30:40Pour moi,
30:40non,
30:41parce que j'ai fait
30:41mon devoir,
30:42et puis c'est tout,
30:42on n'en parle plus.
30:44Mais aujourd'hui,
30:45je me rends compte
30:46que
30:46nous avons fait
30:49quelque chose.
30:52La vie a voulu,
30:53nous étions dans
30:54ces 177,
30:55c'est un fait marquant.
30:56Nous n'avons pas fait plus
30:57que les anciens combattants,
30:58mais c'est un fait marquant.
30:59qui a représenté
31:00la France aussi.
31:02Voyez-vous,
31:02qui a représenté
31:03la France.
31:04Et donc,
31:05le si peu qu'on était,
31:06on a sauvé l'honneur
31:07de la France
31:08sur le 6 juin.
31:08Sous-titrage Société Radio-Canada