L'ancien patron de Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, est placé en troisième position sur la liste du Rassemblement national aux élections européennes. Fabrice Leggeri était l'invité de 7h50 ce jeudi. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-29-fevrier-2024-5695329
00:00 Sonia De Villere, votre invité ce matin est ancien directeur de Frontex, l'agence de l'Union européenne chargée du contrôle des frontières.
00:07 C'est la dernière recrue du Rassemblement national, la prise de guerre, ont même dit certains,
00:12 Enarque, haut fonctionnaire depuis 33 ans, proposé par Bernard Cazeneuve en 2015 pour diriger Frontex.
00:18 Le voici, candidat aux élections européennes, en troisième position sur la liste de Jordane Bardella.
00:23 Bonjour Fabrice Leggeri.
00:25 Bonjour, merci de m'inviter.
00:26 Alors, afficher des opinions, mieux des engagements à l'extrême droite a longtemps été un tabou parmi la haute fonction publique.
00:34 Comment l'annonce de votre ralliement a-t-elle été perçue selon vous, parmi vos anciens collègues, parmi les serviteurs de l'État ?
00:42 Mon entrée en politique sur la liste de Jordane Bardella a été plutôt bien perçue par un certain nombre de hauts fonctionnaires qui m'ont fait part à titre personnel.
00:54 D'une part, du fait qu'ils considéraient que c'était la bonne décision, et le bon moment,
01:00 parce qu'ils ont le sentiment que l'État est en train de s'effondrer, y compris en particulier dans ses missions régaliennes les plus importantes.
01:08 Ils considèrent que le développement de l'Union européenne ne nous permet plus d'agir sur un certain nombre de leviers politiques.
01:15 Et donc, que ce soit par rapport aux problématiques migratoires de contrôle des frontières,
01:20 où j'ai évidemment acquis comme directeur de Frontex une expérience de premier plan.
01:24 Vous pensez que vous allez créer des émules ?
01:26 Je crois en tout cas que ça peut attirer de nombreux hauts fonctionnaires et d'autres fonctionnaires qui se disent qu'il faut relever la France,
01:37 que les Français valent bien cela, que la France le vaut bien, et que c'est le sens de leur engagement,
01:42 et d'ailleurs le sens de mon entrée en politique, c'est simplement la continuation d'un service public,
01:47 et de rendre en tout cas service à l'intérêt général, et en l'occurrence les Français au Parlement européen.
01:53 Vous êtes un homme de droite Fabrice Leggeri ?
01:56 Lorsque j'étais haut fonctionnaire, j'avais un devoir de neutralité.
02:00 Je crois ne jamais être sorti de mon devoir de neutralité dans l'exercice de mes fonctions.
02:04 Mais à titre personnel, j'avais évidemment toujours des sensibilités de droite.
02:10 Si je dirais être pour l'autorité, l'application de la loi, une certaine...
02:16 Et la droite aujourd'hui, c'est le Rassemblement national ?
02:19 Aujourd'hui, le Rassemblement national est en France le seul parti qui a le courage de faire un diagnostic lucide
02:26 sur les questions d'immigration, mais pas seulement.
02:28 C'est le seul parti, le Rassemblement national, qui a la capacité de mettre en œuvre un projet pour les Français et pour la France.
02:35 Parce que vous étiez en discussion avec les Républicains.
02:37 Vous avez longuement parlé avec Bruno Taillot, vous avez parlé avec Michel Barnier,
02:42 vous avez parlé avec François-Xavier Bellamy. Ils se sont sentis trahis par ce ralliement surprise ?
02:47 Mon attitude, en particulier lorsque j'exerçais les fonctions de directeur de Frontex,
02:52 était de parler à tous les responsables politiques français et ailleurs en Europe.
02:57 Oui, enfin là on parlait d'une entrée en politique pour les élections européennes.
03:01 Mais mon attitude était de parler à tous les responsables politiques qui souhaitaient que je leur explique mes fonctions.
03:08 Et donc des liens se sont tissés avec les uns et les autres, des discussions politiques avec les uns et les autres.
03:14 Mais mon choix pour le Rassemblement national, outre le fait que c'est le seul parti en France qui aujourd'hui et demain a la capacité de gouverner la France,
03:23 c'est aussi le seul parti qui, par exemple au Parlement européen,
03:28 se trouve dans l'opposition à l'Europe de Madame von der Leyen, qui est l'Europe du président Macron.
03:32 Parce qu'en réalité, ce que j'ai vu dans mes fonctions européennes est trop grave
03:37 et m'oblige à intervenir en politique et à m'engager.
03:40 Fabrice Leggeri, vous dites que très hostile à Frontex en 2015, quand vous êtes arrivé,
03:44 le RN a changé petit à petit de regard sur votre action,
03:48 qu'ils ont pris acte de votre engagement volontaire à lutter contre la submersion migratoire.
03:52 Alors comment expliquez-vous que le RN ait voté contre toutes les augmentations de budget que vous avez demandées pour Frontex ces dernières années ?
03:59 Toutes ! Vous avez décuplé les effectifs, vous avez armé les agents.
04:04 Le RN s'y est opposé et maintenant vous allez travailler main dans la main ?
04:08 L'agence a beaucoup changé. Parce qu'en 2015, lorsque je suis arrivé à sa tête, il y avait 300 employés.
04:15 Il y en avait 2500 lorsque je suis parti en 2022. Le budget a été multiplié par 10.
04:19 Et surtout, comme vous l'avez souligné, il y a effectivement une force opérationnelle
04:24 que j'ai mise en œuvre, que j'ai créée avec les moyens supplémentaires de l'agence,
04:32 afin de déployer sur le terrain des femmes et des hommes en uniforme,
04:36 avec une arme pour patrouiller comme le fait une police, au service des États.
04:41 Le RN a bloqué toutes vos demandes de financement ?
04:45 L'identité de l'agence, lorsque je suis arrivé en 2015...
04:48 Non, non, je parle là !
04:49 Non, non, mais je vous explique !
04:51 La question c'est comment vous allez travailler ensemble maintenant !
04:54 Nous parvenons au diagnostic que...
04:58 D'abord, moi j'ai fait la démonstration, et nous en avons beaucoup parlé avec Jordane Bardella,
05:03 depuis que nous avons eu des discussions politiques,
05:07 vraiment suivies sur ces questions-là en particulier.
05:10 Et le RN a pu mesurer, à partir de ces discussions, dans les deux dernières années,
05:20 qu'à sa tête, lorsque j'étais directeur de Frontex, il y avait quelqu'un qui voulait vraiment
05:25 prendre au mot le mandat et aider à contrôler les frontières au service des États.
05:31 Et qui en a été empêché. C'est ce que vous dites aujourd'hui Fabrice Leggeri,
05:34 qui en a été empêché. Vous dites que vous avez démissionné en avril 2022,
05:37 face aux pressions pour vous empêcher d'exercer votre mission.
05:41 Vous seriez donc victime d'une cabale politique ?
05:43 J'irais qu'il y a une instrumentalisation politique d'un certain nombre d'attaques.
05:47 Lesquelles ?
05:48 Les attaques contre le fait que, si vous voulez, il y a des ONG,
05:52 et la Commission européenne, au moins la commissaire Johansson chargée de ces politiques-là,
05:58 mais il y a des lobbies qui essaient de nous faire croire qu'on n'a pas le droit de contrôler les frontières.
06:03 C'est extrêmement grave. Parce que toute cette problématique nous disant "ah, attention",
06:07 moi on me disait "mais attention, à telle portion de frontière,
06:10 vous êtes en train d'aider à empêcher de rentrer les migrants illégaux".
06:13 Mais je suis désolé, le droit Schengen, c'est du droit européen, de la frontière extérieure, dit
06:18 "aux frontières extérieures de l'Union européenne, les États ont l'obligation d'empêcher les franchissements illégaux".
06:23 Et les personnes qui franchissent illégalement la frontière ont le devoir d'être sanctionnées.
06:29 Donc ça c'est aussi la partie du droit que l'on voulait m'empêcher d'appliquer.
06:33 Et c'est précisément celle que les États, les autorités nationales des États,
06:38 voulaient faire appliquer et c'est pour cela qu'elles voulaient le soutien de l'ONG.
06:42 Est-ce que les pressions dont vous parlez Fabrice Leggeri, ce n'est pas pour vous empêcher
06:46 de contrôler les frontières, mais plutôt pour vous en joindre à respecter le droit européen
06:53 et à respecter ce qu'on appelle le droit fondamental.
06:56 Au moment de votre démission, vous alliez être l'objet d'une procédure disciplinaire
06:59 suite à un rapport accablant de l'Office européen de la lutte anti-fraude
07:03 qui vous reprochait d'avoir couvert des refoulements illégaux de migrants en Grèce
07:07 et même d'en avoir co-financé.
07:09 On appelle ça des "push-backs".
07:10 Le magazine allemand Der Spiegel a eu accès à l'enquête, je le cite
07:14 "Au lieu d'empêcher les push-backs, l'ancien patron Fabrice Leggeri et ses collaborateurs
07:18 les ont dissimulés.
07:20 Ils ont menti au Parlement européen et ils ont masqué le fait que l'Agence a soutenu
07:24 certains refoulements avec l'argent du contribuable européen."
07:27 Alors moi je réponds à ça qu'il y a eu deux autres enquêtes préalables.
07:30 Il y a eu d'abord une enquête du Conseil d'administration de Frontex qui en février 2021
07:35 a conclu qu'il n'y avait pas de preuves par rapport à toutes ces accusations
07:40 et le Parlement européen lui-même, en juillet 2021, dans une formation où toutes les familles
07:46 politiques étaient représentées, a conclu qu'on ne pouvait pas établir cela.
07:49 Et ça revient...
07:50 - Alors, M.Léthien, ce rapport de 2021, je l'ai lu hier, vous avez démissionné suite
07:57 à la remise de ce rapport.
07:58 Vous avez raison, cette instance n'a pas trouvé de preuves concluantes quant à l'exécution
08:02 directe de refoulements ou d'expulsions collectives par Frontex.
08:05 En revanche, le rapport est très clair.
08:08 Vous avez eu des preuves chez Frontex qu'il y a des Etats membres de l'Union européenne
08:13 qui commettent des exactions et qui vont contre les droits fondamentaux.
08:17 Vous n'avez rien fait contre et même vous les avez couverts.
08:20 Le rapport est très préoccupé par le manque de coopération, je le cite, du directeur
08:25 exécutif pour assurer le respect de certaines dispositions de la Convention, notamment
08:29 ce qui concerne les droits fondamentaux.
08:31 Le groupe de travail regrette que son refus récurrent d'appliquer les recommandations
08:35 de la Commission.
08:36 C'est quand même un rapport très dur à votre encontre.
08:38 C'est une instrumentalisation politique et je rappellerai que, précisément, vous
08:42 accréditez l'idée qu'on ne peut pas contrôler les frontières.
08:44 Parce que toute cette théorie sur les push-back, on ne va pas faire un cours de droit ici,
08:47 mais si vous m'invitez une autre fois, on pourra vous expliquer ce que sont des interceptions
08:51 maritimes.
08:52 Donc ça c'est le premier point.
08:53 Le deuxième point, il est faux de dire que je n'ai pas coopéré avec les moniteurs
08:58 des droits fondamentaux et pour les droits fondamentaux.
09:00 J'ai même signé avec l'Agence européenne des droits fondamentaux, en présence du
09:05 commissaire Renders, chargé de la tutelle politique de l'Agence des droits fondamentaux.
09:10 Nous avons signé un accord en juin 2020 afin d'aider l'Agence Frontex à pouvoir s'assurer
09:17 qu'il y aurait le respect d'un certain nombre de principes.
09:19 Ce qui n'était pas possible pour des raisons que je pourrais vous expliquer une autre fois,
09:23 c'était de recruter aussi rapidement tous ces moniteurs des droits fondamentaux qui,
09:27 encore une fois, sont des militants à l'intérieur de l'Agence.
09:30 Et je crois que si vraiment l'Union européenne veut de la maturité politique et de la responsabilité
09:34 politique, il faut arrêter de mettre des militants au sein des agences qui sont chargées