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L'écrivain et académicien Jean-Christophe Rufin était l'invité de France Inter dimanche 13 juillet. Il est l'auteur de "Un été avec Alexandre Dumas" (coédition Équateurs / France Inter) et des chroniques du même nom, chaque matin de l'été, sur France Inter.

Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien

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Transcription
00:00Il est 8h17 et cet été, chaque matin de la semaine, c'est lui qui vous accompagne sur France Inter juste avant 8h.
00:07En vous racontant l'un des plus grands auteurs français, son ami, comme il dit, Un été avec Alexandre Dumas.
00:14Bonjour Jean-Christophe Ruffin.
00:16Bonjour.
00:16Vous êtes membre de l'Académie française, vous êtes écrivain, romancier, vous avez été médecin, humanitaire, diplomate.
00:22Et aujourd'hui, vous voici donc aussi raconteur d'Alexandre Dumas.
00:26Bonjour. Aujourd'hui, on va parler de l'arrivée de Dumas à Paris.
00:32Alexandre a découvert le théâtre, mais comment s'y prendre quand on est un petit provincial sans le sou.
00:37Un petit extrait d'une de ses chroniques, 4 minutes chaque matin sur Inter.
00:43Qu'est-ce que vous vous êtes dit en entendant la première fois cet exercice de la chronique radio que vous avez enregistré ?
00:50Je me suis dit que c'était très beau. C'était autre chose que d'écrire dans son coin.
00:55Finalement, le travail des romanciers, c'est assez solitaire.
01:00Là, on s'expose, on s'expose et puis on parle.
01:04Et puis, il y a une réalisation.
01:06C'est-à-dire qu'entre ce qu'on écrit et ce qu'il va être entendu, il y a la réalisation.
01:11Il y a un formidable travail de réalisation de Xavier Pestudia, qui a fait un très, très beau boulot,
01:16qui anime, qui fait vivre vraiment le texte.
01:18Donc, je suis très heureux, très fier.
01:20Vous écoutez le matin ?
01:22Non. J'écoutais au début, mais d'une façon générale, je n'aime pas trop m'écouter.
01:28C'est souvent le cas.
01:31Non, mais on trouve toujours... D'ailleurs, la première chronique, je me suis dit, mais ils ont ralenti ma voix.
01:35J'avais l'impression que ça avait été trafiqué.
01:36C'est vrai ?
01:37Oui. Je ne reconnaissais pas ma voix.
01:39C'est garanti sans trucage, je vous le dis.
01:40Non, mais non, c'est ce que m'a dit le réalisateur.
01:43J'ai dit, mais vous avez changé ma voix, mais non, pas du tout.
01:45C'est vous.
01:47Non, il ne faut pas être trop narcissique.
01:52Ça existe.
01:53C'était formidable à faire.
01:54C'est une aventure.
01:55C'est une aventure de bout en bout.
01:56Parce que saisir d'un auteur comme ça, qui est énorme.
02:01J'allais dire, c'est un petit morceau, Alexandre Dumas.
02:03C'est un monstre.
02:03Donc, on ne peut pas tout relire, mais il faut en lire quand même beaucoup.
02:08Et puis, il faut se plonger dans son monde.
02:11Et rendre ça, vous savez, c'est comme la cuisine.
02:13C'est un énorme morceau de bœuf.
02:15Il y a la sortie, vous avez un tout petit truc dans votre assiette, mais c'est le meilleur.
02:19D'autant qu'il faut réussir à parler à tout le monde, puisque vous, vous le connaissez bien.
02:22Je le disais, vous parlez de votre ami en parlant d'Alexandre Dumas, parce que c'est un compagnon de vie pour vous.
02:28Et donc, il faut réussir à le rendre accessible à tous ceux qui nous écoutent.
02:30Voilà. Alors, il y a ceux qui l'ont lu et qui déjà connaissent les œuvres.
02:34Il faut pouvoir essayer de leur montrer autre chose.
02:37Et puis, il y a ceux qui le découvrent.
02:39Je ne sais pas s'il y en a encore beaucoup, parce que tout le monde le connaît.
02:42Mais quand même, tout le monde ne l'a pas forcément lu, en tout cas récemment.
02:46Donc, il faut s'adresser à des publics différents.
02:49Moi, j'étais toujours familier à Dumas, parce qu'enfant, j'étais assez solitaire.
02:55Il n'y avait pas beaucoup de distractions.
02:57Et la lecture, c'était la principale.
02:59Et Dumas, c'était vraiment, j'allais dire, la planche de salut.
03:04Parce que dans un monde qui n'était pas forcément très drôle, ni très ouvert, ni très varié,
03:09Dumas, c'était la fraternité, c'était l'aventure, c'était l'histoire.
03:13Mais l'histoire vivante, pas l'histoire merdante.
03:16Est-ce que ce n'est pas pour ça qu'il est peut-être finalement assez simple à raconter ?
03:21Parce qu'il est plein de vie.
03:24Il dit « j'ai la gaieté persistante » à Alexandre Dumas.
03:26Oui, c'est Georges Sandre qui disait « Dumas, c'est la vie ».
03:29Et moi, je pense qu'il y a des catégories comme ça d'écrivain.
03:32Et Dumas est, pour moi, le prototype de l'écrivain qui a commencé par vivre.
03:37Il n'a pas commencé par les bouquins.
03:38Il n'a pas commencé jusqu'à 20 ans.
03:40Il était presque très ignorant.
03:43Il avait vécu dans les bois, on peut dire.
03:45Donc, il a tout appris assez tard, finalement.
03:49Mais il a commencé par vivre.
03:50Et vivre, c'est l'essentiel.
03:51Et ce qu'il a mis dans ses bouquins, c'est la vie.
03:55Alors, Victor Hugo disait « il n'y a pas de ténèbres en lui ».
03:58C'était très hugolien.
04:00En fait, c'est vrai pour son œuvre.
04:02Il n'y a pas de ténèbres.
04:03C'est une œuvre de clarté.
04:04C'est une œuvre ouverte, transparente.
04:07C'est moins vrai dans sa vie.
04:08C'est pour ça que j'ai raconté aussi beaucoup sa vie.
04:09Parce que sa vie, au contraire, est une vie assez dure.
04:12Dans lesquelles il a dû affronter des choses difficiles.
04:15A commencer par, dès sa naissance, finalement.
04:18La mort de son père, quand il a 4 ans.
04:21Dans des conditions terribles.
04:23Parce qu'il va vivre dans la misère.
04:25Oui, c'est ça.
04:26C'est une vie de misère.
04:27Vous disiez qu'il vit dans les bois.
04:28Mais c'est vrai.
04:29C'est l'enfant sauvage, en fait.
04:30L'enfant sauvage avec une mère pauvre.
04:34Si vous voulez, autant Hugo, la misère dont il a beaucoup parlé.
04:37Il est allé la chercher assez loin.
04:39Duma, il n'a eu qu'à ouvrir la fenêtre.
04:41Il était dedans.
04:43Et c'est toute sa vie aussi.
04:44Parce qu'il a gagné beaucoup d'argent.
04:46Mais à chaque fois, il s'est débrouillé pour le dépenser.
04:48Et pour se retrouver de nouveau dans la misère.
04:50Il est mort pratiquement dans la misère.
04:52Donc, il y a cette espèce de destin qui le colle comme ça.
04:56À ce destin au fond du peuple, finalement.
05:00Dont il ne s'est jamais éloigné.
05:03Et quand il dit qu'il est républicain, c'est ça.
05:05C'est une fraternité avec le peuple, avec les gens qui souffrent.
05:10C'est pour toutes ces raisons que ça vous a parlé.
05:13L'idée d'intégrer cette grande collection maintenant d'Un été avec.
05:17Et surtout de le raconter à la radio.
05:19Quel est votre rapport, vous, un peu à la radio, au son ?
05:23Est-ce que vous vous imaginiez bien raconter Duma comme ça à l'oral à la radio ?
05:28Oui, je trouve que ça va très bien.
05:30Que Duma, c'est d'abord un auteur de théâtre.
05:33C'est-à-dire que c'est d'abord des répliques.
05:35C'est d'abord quelqu'un qui a...
05:37D'ailleurs, lui-même est venu à l'écriture par le théâtre.
05:39Il a été fasciné par le théâtre.
05:41Il vivait dans le monde de la restauration qui était...
05:44Donc, Louis-Philippe, etc.
05:46Qui était...
05:47Enfin, d'abord Louis XVIII, puis Louis-Philippe.
05:48Qui était un monde assez terne, finalement.
05:51Et le théâtre, pour lui, c'était la vie.
05:53Voilà.
05:53Et donc, ça se prête très, très bien.
05:56Et en prenant à la fois sa vie et à travers sa vie son œuvre, si vous voulez,
06:02il y a matière à un conte, quoi.
06:05C'est un conte, la vie de Duma.
06:06Donc, je trouve que la radio, c'est formidable.
06:08C'est qu'on prend les gens sur les genoux et on leur dit, voilà,
06:11on va vous raconter une belle histoire.
06:12Et cette histoire, c'est un roman d'Alexandre Duma.
06:14C'est sa vie.
06:15Et on sent que vous avez pris plaisir à enregistrer tout ça, là.
06:19Ah oui, mais c'est très agréable.
06:20Alors, c'est très contraint, c'est-à-dire qu'il faut faire quatre minutes à la radio.
06:24Ça, je peux vous dire, c'est très contraint.
06:26Voilà.
06:26Ça ne rigole pas.
06:27Si vous avez 15 secondes de trop, on fait couper, etc.
06:30D'ailleurs, ce qui fait que le livre, parce qu'il y a un livre en même temps,
06:33il ne faut pas l'oublier.
06:33Oui, absolument.
06:34Pour la première fois, d'ailleurs, il paraît en même temps.
06:36Il avait paru un petit peu avant.
06:38Et le texte du livre est différent.
06:40Il est plus long.
06:41Parce que le livre, c'est la version non dégraissée, si je puis dire.
06:46Voilà.
06:46Vous avez pu la rallonger un petit peu.
06:47Voilà.
06:48Et donc, il est beaucoup plus complet.
06:50Donc, il reprend les chroniques, bien sûr.
06:51Mais il les reprend un peu dans toute leur ampleur.
06:56Que la radio ne permet pas, mais elle permet d'autres choses.
06:58Mais c'est vrai qu'elle oblige à concentrer le propos.
07:02Et ce n'est pas plus mal.
07:03Ce n'est pas plus mal.
07:04Est-ce que vous avez déjà eu des messages, peut-être des questions, que ce soit d'auditeurs
07:10ou de vos amis, qui disent « Ah, grâce à toi, j'ai redécouvert Dumas ? »
07:13Oui, oui.
07:14J'ai beaucoup de messages à propos de ces chroniques et de ce livre.
07:19Ça me fait très plaisir.
07:21Parce que, bon, effectivement, en général, ce sont des amis.
07:24Donc, souvent, ils lisaient déjà mes livres.
07:26Mais là, ils me disent qu'ils vont relire Dumas.
07:28Et ça, ça me plaît.
07:29Parce que je trouve que c'était aussi une sorte de réhabilitation, cette affaire.
07:34Parce que Dumas, il avait disparu dans les bouquins, les livres d'école.
07:40Moi, j'ai fait mes études.
07:43Il y avait dans la gare des Michards, qui était le livre célèbre.
07:47Il n'y avait pas une ligne sur Alexandre Dumas.
07:49Pas une ligne.
07:50Il y avait son fils, oui, Dumas fils, mais il n'y avait pas le père.
07:53Et c'est une injustice qu'il a fallu réparer.
07:56Parce que trop populaire ?
07:57Oui, je pense que c'est quelqu'un qui n'a pas géré, comme on dirait aujourd'hui, sa carrière, si vous voulez.
08:02Il n'avait pas d'agent.
08:05Il n'avait pas d'agent et lui-même faisait n'importe quoi.
08:08Et il s'amusait.
08:09Et en France, on ne vous pardonne pas.
08:11Surtout dans la littérature.
08:12Si vous vous amusez, si vous amusez les autres, par définition, c'est un peu suspect.
08:16Vous n'êtes pas vraiment sérieux.
08:17Non, voilà.
08:18C'est André Moreau qui avait fait la biographie des Trois Dumas, qui disait en France, pour être pris au sérieux, il faut porter sa tête comme le Saint-Sacrement.
08:26C'est vrai que Dumas s'est beaucoup amusé.
08:28Il a beaucoup amusé les autres et il l'a payé.
08:30Il l'a payé.
08:33Vous voyez son fils, par exemple, Alexandre Dumas fils, il a eu un succès, il a eu la dame aux camélias.
08:37Mais du coup, une carrière très installée et le fils a été mieux traité que le père.
08:44Alors, c'est une manière de lui rendre justice.
08:46On va parler un petit peu des succès quand même, évidemment, puisque Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte Cristo, c'est un peu son année à Dumas du fait des adaptations, etc.
08:56Mais quelle œuvre de Dumas gagnerait à être connue, selon vous, Jean-Christophe Ruffin ?
09:00Quelqu'un qui ne sait pas quoi lire, qui a déjà lu les deux que je viens de citer et qui se dit « Ah tiens, je lirai bien un autre Dumas ».
09:07Moi, je conseille beaucoup de se porter vers les impressions de voyage, parce que je trouve que c'est un merveilleux écrivain de voyage.
09:15Alors, il y a bien sûr des romans, il y en a plein qui sont méconnus.
09:19Moi, j'aime beaucoup La Sanfélice, qui est son dernier roman, enfin un de ses derniers, sa dernière grande œuvre, qui évoque à la fois Naples, la ville de Naples où il a vécu pendant plusieurs années,
09:31et son père, qui a été détenu là-bas quand il a quitté l'Égypte, parce que Napoléon l'avait banni.
09:39Et c'est un livre, alors La Sanfélice, comme roman, c'est un roman finalement, à mon avis, très important.
09:46Les impressions de voyage, notamment, par exemple, le voyage au Caucase, ça c'est merveilleux, parce que c'est un observateur incroyable.
09:57Les impressions de voyage, enfin les livres de voyage avant lui, c'était un peu des guides, vous voyez, un peu, voilà, les monuments, les machin, ça, lui, c'est pas ça qui l'intéresse.
10:05Comment il raconte ça, alors ?
10:06Ben les gens, les gens, ce qui va rendre... Voilà, et toutes les anecdotes idiotes, par exemple, dans une autre impression de voyage, là c'est plutôt sur le long du Rhin,
10:17il raconte les lits à l'Allemande, alors il y a la couette, alors elle tombe d'un qui n'est pas habitué, en France on n'a pas de couette,
10:24lui il passe son temps à avoir froid d'un côté, parce que la couette est tombée, ou il a trop chaud de l'autre côté, enfin bon, des trucs tout bêtes,
10:30mais qui le rendent humain, et qui nous rendent tout ça extrêmement proche et vivant.
10:35Toujours la vie, en fait, chez Dumas.
10:38Lire Les Trois Mousquetaires n'exige rien d'autre que de s'abandonner au plaisir du récit, écrivez-vous.
10:44Parce que Dumas, il a inventé, sans le savoir, les séries qu'on connaît aujourd'hui ?
10:49Oui, c'est-à-dire que c'est un auteur de théâtre au départ, ensuite il y a eu les impressions de voyage,
10:53après quand il s'est mis au roman, très tard, parce que finalement il a commencé à la quarantaine, finalement, les romans,
10:59il a mis les qualités de tout ça, c'est-à-dire à la fois la vivacité des répliques, etc.,
11:03du théâtre, et puis ce talent d'observation et de description.
11:11Les Trois Mousquetaires, c'est un petit peu, en effet, c'est un peu un miracle,
11:15c'est-à-dire qu'il est tombé par hasard sur un livre, qu'il avait volé d'ailleurs, à Marseille,
11:21il s'était fait prêter un livre de Courtille de Sandrasse qui racontait l'histoire du vrai d'Artagnan.
11:25C'est vrai, on apprend que tout ça commence par un vol.
11:27Voilà, ça commence par un vol, il pique ce truc, il le lit, et il y a tout dedans.
11:32Il y a tout, mais il y a tout plat, dans le désordre, sans intérêt.
11:37Et lui, il va faire de ça une machine de guerre, on peut dire,
11:42parce que les trois frères, Atos, Portos, Aramis, dans le livre original, c'est trois frères.
11:47Lui, il va dire, non, ce ne sont pas des frères, ce sont des frères d'armes, des frères de sang.
11:52Il va créer ces quatre personnages qui sont une espèce de figure universelle.
11:56C'est les quatre saisons, c'est les quatre couleurs du jeu de cartes, c'est les quatre points cardinaux.
12:02Voilà, il les crée, et à partir de là, il crée une mécanique, c'est-à-dire qu'il peut décliner tout ça.
12:07C'est exactement ce que font les scénaristes aujourd'hui pour les séries.
12:10Ils font une bible, mettent les trucs dedans, les principaux personnages, les lignes narratives.
12:15Et après, on en fait des épisodes.
12:16Et après, vous pourrez en faire dix saisons, si ça marche, etc.
12:20Dumas, c'est exactement ce qu'il invente avec les trois mousquetaires.
12:23C'est pour ça que les trois mousquetaires, c'est à la fois très, très simple.
12:25D'ailleurs, il faut que ça soit simple, parce que le lecteur n'a pas besoin de savoir tout ça.
12:28Il entre directement dedans.
12:29Mais la mécanique que j'essaie de démontrer,
12:33de décarcasser un petit peu, de mettre un jour,
12:41elle est très complexe, très subtile et très actuelle.
12:43Le père d'Alexandre Dumas est né à Saint-Domingue, en actuel Haïti, d'une mère esclave.
12:50Alexandre Dumas, vous l'avez dit, avait quatre ans quand il est mort.
12:53Il était donc créole.
12:55Il écrit, Alexandre Dumas, mon père était créole,
12:58c'est-à-dire plein de nonchalance, d'impétuosité et d'inconstance.
13:01Il n'était pas spécialement tendre avec ses origines.
13:04Je me suis demandé, est-ce qu'il y a quand même quelque chose de créole dans la langue d'Alexandre Dumas,
13:09où il est pleinement français de France, si j'allais dire, dans son écriture ?
13:14Dans la langue, c'est difficile à dire.
13:16Dans son caractère, certainement.
13:17C'est-à-dire qu'il y a quelque chose auquel probablement il s'est toujours un peu référé.
13:24Son père, il admirait ça.
13:25Son père, c'était Portos.
13:26C'était un personnage extrêmement puissant, très fort.
13:29On disait qu'il soulevait un cheval entre ses deux jambes,
13:33s'accrochant à une poutre.
13:34C'était vraiment un gaillard.
13:37Mais en même temps, c'était comme ça qu'il le décrivait.
13:39Il faisait des siestes interminables pendant la campagne d'Égypte.
13:44Il pionçait, il était tranquille.
13:46Et puis tout d'un coup, il y avait le clairon qui sonnait.
13:48Alors là, il prenait son sabre et il se levait et tirait dans le tasse.
13:52C'était devenu vraiment un guerrier.
13:54Et Dumas, il y a un petit côté comme ça.
13:56C'est-à-dire que c'est à la fois un bourreau de travail.
13:58Il a cette espèce de puissance quand il est...
14:01Imaginez-vous que les grands romans,
14:03« Trois mousquetaires », « Montecriso 20 ans après », etc.,
14:05« Anne-Margaux », c'est trois ans de sa vie.
14:08Il écrit ça en trois ans.
14:10C'est des masses de travail inimaginables.
14:13Et en même temps, le reste du temps, la cuisine, le plaisir, les aventures féminines.
14:21Il y a cette vie un peu nonchalante quand même.
14:26Est-ce qu'Alexandre Dumas parle au-delà de nos frontières,
14:30notamment dans la francophonie, vous qui avez été ambassadeur au Sénégal.
14:34Est-ce que vous avez constaté, et dans vos voyages aussi, qu'Alexandre Dumas est élu ?
14:38Oui, il est élu. Et puis, on le voit avec le succès des adaptations aussi.
14:43C'est-à-dire qu'il y a des adaptations américaines,
14:47il y a des adaptations un peu partout.
14:49Et quand la dernière adaptation de Montecriso,
14:52qui a fait évidemment un immense succès en France,
14:54est aussi évidemment rayonnée dans le monde.
14:58C'est ça qui est très particulier.
14:59C'est qu'il a, en tout cas, ces deux chefs-d'œuvre-là,
15:02« Les Trois mousquetaires » et « Le Comte de Montecriso »,
15:04sont des œuvres universelles, vraiment universelles.
15:07Et ça va au-delà de la francophonie, parce qu'elles sont traduites.
15:10Elles ne fonctionnent pas uniquement sur la langue.
15:12C'est l'histoire qui fonctionne.
15:15Et deux sont vivants déjà.
15:17Par exemple, il est élu en Russie.
15:19C'est comme ça qu'il est allé en Russie, d'ailleurs.
15:21Parce qu'il a trouvé dans un hôtel à Paris
15:23des aristocrates russes qui faisaient une tournée, etc.,
15:26qui le connaissaient et qui l'ont amené avec eux.
15:29Il avait déjà ce rayonnement universel, et il l'a toujours.
15:32Un tout autre sujet, une minute, Jean-Christophe Ruffin,
15:36pour parler de Boilem Sansal.
15:37Vous faites partie de son comité de soutien.
15:39L'écrivain franco-algérien, je le rappelle,
15:41en prison en Algérie depuis novembre dernier,
15:43condamné à cinq ans de prison
15:45pour des propos sur le Sahara occidental
15:48qui n'ont pas plu au pouvoir algérien.
15:50Il y a eu cette semaine des lectures
15:51au Festival d'Avignon pour Boilem Sansal.
15:54Ce genre d'initiative, ça vous rassure ?
15:57Si j'ose dire, vous disiez à ce micro,
15:59il y a quelques mois, ce qu'il menace le plus,
16:01aujourd'hui, c'est l'oubli.
16:02Oui, il ne faut pas s'exagérer.
16:06L'efficacité de ce genre d'événements, bien sûr.
16:10C'est symbolique.
16:12Oui, les murailles de Géricault ne vont pas tomber
16:14parce qu'on joue de la trompette autour.
16:16Ce n'est pas comme ça que ça marche.
16:17Mais il y a cette présence,
16:19et surtout cette présence culturelle,
16:22cette présence dans le monde
16:24qui est celui de Boilem,
16:25qui n'est pas un monde de la politique.
16:27Ce n'est pas un homme politique,
16:28c'est un créateur, c'est un romancier,
16:31c'est un intellectuel.
16:32Et c'est ce monde des intellectuels,
16:34c'est-à-dire le nôtre,
16:35qui doit vraiment persister à penser à lui
16:41et à faire penser à lui.
16:42C'est malheureusement tout ce qu'on peut faire pour le moment.
16:45Et en attendant, peut-être la grâce présidentielle
16:48qui ne peut être décidée que par le président algérien.
16:49Oui, mais là-dessus,
16:51ça a été quand même une douche froide récemment.
16:54Lors de la fête nationale algérienne,
16:56effectivement,
16:57où tout le monde attendait une éventuelle libération.
17:00Je reviens rapidement,
17:01il nous reste deux minutes,
17:02à la lecture et à Alexandre Dumas.
17:05J'allais vous demander
17:06quel lecteur estival vous étiez,
17:08Jean-Christophe Ruffin,
17:10vous qui vivez à la montagne
17:11et qui allez marcher,
17:13parfois, souvent, je crois.
17:14Est-ce que vous avez toujours un livre dans la poche ?
17:16Est-ce que vous lisez l'été ?
17:17Et qu'est-ce que vous lisez ?
17:18Non, alors je lisez l'été,
17:19mais pas en marchant.
17:21Pas en marchant.
17:22Parce que je regarde où je marche,
17:23c'est mieux.
17:26Non, non, c'est...
17:28Moi, je suis un lecteur très, très éclectique.
17:30Malheureusement, aujourd'hui,
17:32je fais partie de jury, etc.
17:34Donc, j'ai des lectures contraintes.
17:35Alors ça, c'est quelque chose de terrible,
17:38parce que parfois, c'est de grands plaisirs.
17:40Vous allez dire,
17:40vous y trouvez du plaisir parfois, quand même.
17:41Oui, oui, mais pas toujours.
17:43Vous voyez ce que je veux dire.
17:45Voilà, il faut...
17:46Voilà, et c'est vrai que j'ai moins de temps
17:48pour lire, j'allais dire,
17:50de mon propre chef.
17:51En plus, quand ça ajoute, évidemment,
17:53un travail comme la préparation de Dumas,
17:55je peux vous dire que...
17:57Là, j'en ai lu du Dumas ces derniers temps.
18:01Je l'imagine.
18:02Mais ça, c'était un plaisir aussi.
18:04Et j'allais dire, ça se lit bien en été,
18:06Alexandre Dumas,
18:07parce que vous allez me gronder,
18:08Jean-Christophe Ruffin,
18:09je n'ai jamais lu une ligne d'Alexandre Dumas,
18:11au-delà des textes que j'ai étudiés au lycée.
18:14Est-ce que c'est l'été ?
18:15Je vais vous encourager.
18:17Ça va s'arranger.
18:18Ne vous inquiétez pas.
18:18Il faut que je prenne les trois mousquetaires
18:19avec moi en vacances.
18:20C'est une bonne idée.
18:21Oui, ou le conte de Montecristo.
18:22Et vous allez vous rendre compte,
18:23si vous avez vu le film,
18:24que le livre est très différent.
18:26Et on peut voir le film,
18:27ils trouvaient beaucoup de plaisir,
18:28parce que le scénario est très bon,
18:29et se rendre compte qu'il n'a
18:30presque rien à voir avec le livre.
18:32Parce qu'ils ont gardé vraiment
18:34le centre de l'intrigue.
18:36Mais pour tout le reste,
18:37ils ont pris de grandes libertés.
18:38Tant mieux.
18:39Mais justement,
18:40ça donne encore plus de plaisir
18:41de revenir vers le livre.
18:42Bon, je vous promets d'essayer cet été,
18:44en tout cas.
18:44Un été avec Dumas.
18:45C'est donc du lundi au vendredi
18:46sur Inter.
18:47Tout l'été, 8h moins 5.
18:48A écouter, bien sûr,
18:49quand vous voulez,
18:50sur franceinter.fr.
18:51C'est aussi à lire
18:52avec ce petit livre,
18:54le recueil des chroniques
18:54un peu augmenté,
18:56vous le disiez.
18:56C'est aux éditions des Équateurs.
18:57Je signale également
18:58le revenant d'Albanie.
19:00Dernier opus des énigmes
19:02d'Orel le consul
19:03aux éditions Kalman-Lévy.
19:05Merci, Jean-Christophe Ruffin.
19:06On passe l'été
19:07avec vous et Dumas.
19:08A bientôt.
19:09Merci.

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