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L'historien Emmanuel de Waresquiel était l'invité de France Inter, ce mercredi, à l'occasion de la publication de "Jeanne du Barry, Une ambition au féminin" (Tallandier), sa biographie consacrée à la favorite de Louis XV. Il a choisi d'étudier ce personnage pour "mieux comprendre" le 18e siècle. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-30-aout-2023-5850477

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Transcription
00:00 Oui, avec Léa Salamé, nous recevons ce matin dans le Grand Entretien un historien spécialiste
00:04 du 18ème siècle et de la Révolution française.
00:07 Il publie en cette rentrée Jeanne Dubary, une ambition au féminin chez Talendier.
00:13 Le livre sera en librairie demain.
00:15 Vous pourrez dialoguer avec lui dans quelques instants au 01 45 24 7000 et via l'application
00:22 de France Inter.
00:23 Emmanuel de Vareskel, bonjour !
00:25 Bonjour !
00:26 Et bienvenue sur Inter, nous sommes très heureux avec Léa de vous recevoir pour parler
00:32 de ce livre qui est une merveille d'élégance et d'érudition, un travail d'historien qui
00:38 se lit d'une traite comme un roman policier.
00:41 Au cœur de ce roman, une femme dont on parle énormément cette année avec le film de
00:46 Maïwenn et le podcast de notre amie d'Inter, Philippe Collin.
00:50 Cette femme, c'est Jeanne Dubary, à laquelle vous consacrez donc une biographie absolument
00:56 passionnante où vous réhabilitez cette figure de l'histoire de France qui fut traînée
01:02 dans la boue et enfermée, comme vous le dites, dans une légende noire.
01:07 Pourquoi Jeanne Dubary a-t-elle traîné si longtemps cette mauvaise réputation, Emmanuel
01:14 de Vareskel ? Et pourquoi avoir voulu la réhabiliter ?
01:17 Elle m'intéresse parce qu'elle me conduit à la révolution.
01:22 C'est la révolution qui m'a conduit à elle.
01:24 Au fond, je choisis toujours mes personnages comme si c'était des sortes de fils d'Ariane,
01:29 des aimants qui attireraient à eux l'imail de fer des époques dans lesquelles ils ont
01:35 vécu.
01:36 Ce sont des personnages en général qui me donnent mieux à comprendre que d'autres
01:41 les époques qu'ils ont traversées.
01:42 La motivation du biographe est là.
01:45 Le personnage intéresse le biographe en tant que tel, mais aussi par sa faculté à donner
01:51 à comprendre cette époque en particulier, qui est la seconde moitié du XVIIIe.
01:56 La question que je pose à mon personnage, c'est quelles sont les causes profondes de
02:01 la révolution française ? Et en quoi est-ce que ces élites de court et ces élites tout
02:08 court ont participé à la montée en puissance de l'opinion publique qui va conduire à
02:13 la révolution française en 1789 ? C'est en ça qu'elle m'intéresse.
02:17 On va y revenir longuement, parce que vous avez une thèse dans ce livre sur le lien
02:21 entre la Dubarry et la révolution française, sur la place de la femme au XVIIIe et dans
02:26 la monarchie, et ce que les révolutionnaires ont pu vouloir faire exploser.
02:31 Mais pardonnez-moi, on va quand même revenir sur la femme, parce qu'elle est quand même
02:35 sacrément intéressante et elle a eu une vie absolument extraordinaire.
02:38 Comment cette Roturière, cette Jeanne Bécu, c'est son nom, est-elle devenue comtesse
02:43 Dubarry, puis maîtresse du roi de France, Louis XV, et l'une des femmes les plus puissantes
02:48 du royaume ? Comment elle a fait ?
02:50 D'abord, son ascension fulgurante est tout à fait exceptionnelle dans le contexte général
02:56 de ces élites où les pas jugés n'ont jamais été aussi vifs et prégnants qu'à
03:02 la veille de la révolution française.
03:04 Elle explose tout ce qui relève des catégories sociales, des hiérarchies sociales, des prébendes,
03:12 des privilèges.
03:13 Et c'est en cela d'ailleurs qu'elle a été extrêmement mal reçue après sa première
03:18 rencontre avec le roi à la cour, et qu'elle prouve dans un certain sens une extraordinaire
03:24 volonté et une extraordinaire intelligence par le simple fait qu'elle résiste dans
03:29 ce qu'on pourrait tout de même appeler une sorte de panier de crabe, qui est la
03:33 cour de France à Versailles dans les années 1770-1770, en tenant pendant près de huit
03:39 ans jusqu'à la mort de Louis XV en 1774.
03:42 Ne serait-ce que pour ça.
03:43 Son ascension est d'autant plus vertigineuse qu'elle est de naissance illégitime.
03:49 Et l'illégitimité est un thème qui m'a beaucoup intéressé.
03:52 Qui traverse le livre.
03:53 Exactement, oui.
03:54 Parce qu'au fond, toute la vie de Jeanne Dubary, c'est une tentative de rattrapage
03:57 de cette naissance considérée à l'époque comme infâme, une sorte de bâtardise.
04:02 Alors on a exagéré.
04:03 Ce défaut d'origine.
04:04 Ce défaut d'origine.
04:05 Son père n'est pas connu.
04:08 J'ai retrouvé l'identité de son père, mais il n'empêche qu'on lui a inventé
04:12 des paires de substitutions.
04:14 Et si possible, les plus infâmes possibles.
04:16 On parlait de bâtardise au 18e.
04:18 On ne parlait pas d'illégitimité.
04:20 Donc c'est une tâche.
04:21 Et dans tous les romans du 18e, le personnage qui incarne la bâtardise est en général
04:27 un personnage dont le destin est fracassé.
04:30 En cela, elle avait, et on l'a construit, ou j'ai essayé de la construire psychologiquement,
04:37 par rapport à cette tentative de se retrouver une légitimité du fait de cette illégitimité
04:43 de sa naissance.
04:44 - Pour cette biographie, vous avez fouillé dans des archives qui n'avaient jamais encore
04:49 été lues.
04:50 Paris, Versailles, Nancy.
04:51 Vous dites qu'écrire une vie tient à la fois du jeu de piste et de l'enquête policière.
04:56 C'est vrai qu'en termes de découverte, vous découvrez son lieu de naissance.
05:01 On lit ça quand on lit ses pages.
05:05 On est derrière vous.
05:06 On se dit, il va trouver l'acte de naissance.
05:09 Ça y est, il y est, il y est.
05:11 Enfin, vous découvrez l'identité de son père.
05:14 Ça a été une expérience pour vous comme historien ?
05:17 - C'est un côté ministère de la Chambre jaune.
05:19 - C'est incroyable.
05:20 - Il y a toujours un Nestor Burma qui sommeille dans l'historien.
05:23 On mène l'enquête dans le passé, on part en voyage.
05:26 Dans un certain sens, quand on entreprend un livre d'histoire, mieux vaut se réveiller
05:33 en ayant oublié les cauchemars de la nuit.
05:35 C'est-à-dire en ayant oublié le présent pour éviter de faire des anachronismes.
05:39 On entre dans un monde qui est étrange, sinon étranger.
05:42 J'aime beaucoup cette phrase qui commence le film de Losey, The Go-Between, Le Messager.
05:48 Le passé est un autre pays.
05:50 On y a des habitudes qui sont différentes.
05:53 C'est exactement ça.
05:56 Le XVIIIe est un chèque qui est extrêmement difficile à comprendre si on ne l'explique
06:01 pas et si on ne l'incarne pas aussi.
06:03 C'est très important la notion d'incarnation du point de vue du biographe.
06:07 L'incarnation de son personnage, mais également l'incarnation de l'époque dans laquelle
06:11 son personnage a vécu.
06:12 - Vous avez de la chance à la fois avec le personnage très incarné, Dubarry, et l'époque
06:17 qui est mystérieuse et romanesque aussi.
06:21 - Je crois que de tous les siècles qui nous ont précédés, le XVIIIe siècle est probablement
06:25 le siècle le plus féminin.
06:26 - C'est votre thèse.
06:27 - On ne peut pas le comprendre si on ne travaille pas sur une femme.
06:30 C'est ce que Marc Fumaroli appelait le Mundus Mulibris, le monde de la femme.
06:35 Elle l'a profondément incarné et elle est intéressante de ce point de vue-là face
06:39 à la Révolution.
06:40 - Il y a la femme et il y a l'homme derrière la femme.
06:42 L'homme derrière la femme, c'est notamment Jean Dubarry.
06:45 Un personnage très important dans la construction de la Dubarry.
06:48 Il l'a fait, il l'a éduqué.
06:51 Il voulait faire une maîtresse créée, une maîtresse du roi.
06:55 Il voulait en faire cela.
06:56 - Jean Dubarry est un personnage où, en couleur, un homme, le fripon le plus spirituel de Paris,
07:03 disait le prince de Ligne à propos de lui, qui vient du sud-ouest de la France et qui
07:08 - il faut savoir faire marcher les femmes - disait Talran, et qui va se servir à la
07:13 fois du jeu, parce qu'il va organiser une sorte de maison de jeu, mais très, très
07:18 chic, où il reçoit les premiers gentils hommes du roi, les hommes de la cour, les
07:23 grands financiers parisiens, les fermiers généraux.
07:26 Il a un côté un peu macro, pour dire la chose.
07:31 Je pense que l'association que Jean Dubarry va organiser avec lui est précisément une
07:39 association.
07:40 C'est-à-dire que tous les deux sont extrêmement ambitieux.
07:43 Il y a un côté rastignac, et chez elle et chez lui.
07:46 Et tous les deux vont organiser cette espèce de couple précisément pour des raisons
07:53 d'ambition.
07:54 Et au fond, le but ultime, c'est la rencontre avec le roi.
07:58 Il est probable que ce n'est pas Jean Dubarry qui joue les intermédiaires.
08:02 Ça, c'est la légende entre Jeanne et le roi.
08:07 Il est probable que dans ce milieu-là, Jeanne, qui est un milieu d'esthète, de grand collectionneur
08:15 de peintures et d'objets, qui est un milieu de finance, et il est probable que d'autres
08:21 personnages, je pense en particulier au premier valet de chambre du roi qui s'appelait Jean-Benjamin
08:25 de Laborde, qui était un homme extrêmement intéressant, qui va créer les premiers
08:30 grands livres en souscription de voyages illustrés.
08:33 Il est probable que c'est Jean-Benjamin de Laborde qui va la présenter au roi.
08:38 Et là, on a droit à un coup de foudre.
08:41 - Voilà, on va y venir.
08:43 Mais avant la rencontre avec Louis XV, le roi est veuf, il n'a pas de maîtresse.
08:47 Les coteries de Versailles se battent pour essayer de placer une maîtresse dans le lit
08:51 du roi.
08:52 Qu'est-ce qui se joue là ? Pourquoi le lit du roi est un endroit à ce point stratégique ?
08:57 - Parce qu'à la cour, les choses ne sont pas véritablement définies.
09:04 Les influences… Au fond, le XVIIIe siècle est un monde d'influence, un monde d'usage
09:11 beaucoup plus qu'un monde de normes.
09:12 On n'a plus l'habitude de ça aujourd'hui.
09:15 On est dans la norme et beaucoup moins dans les usages.
09:18 Et dans les usages, la maîtresse du roi, et on l'a vu avec Madame de Pompadour, qui
09:22 a d'ailleurs probablement exercé une influence assez négative sur Louis XV dans les années
09:28 1750-1760, la maîtresse royale est un personnage essentiel.
09:34 - Mais quel est son impact réel ? Parce qu'on comprend bien qu'il y a, vous parlez de
09:40 coup de foudre initial, il y a de l'amour entre elle et Louis XV, une attraction physique.
09:45 Mais il y a aussi l'influence, effectivement.
09:47 Quel a été son véritable impact, Jeanne Dubary, dans la politique de la France, la
09:51 politique intérieure, la politique extérieure de la France ? Y a-t-il eu une influence de
09:55 la Dubary ?
09:56 - Elle arrive à la cour, et c'est tout le paradoxe du XVIIIe siècle, où on est quelque
10:00 part entre ce que Talran appelait la douceur de vivre, de ces dernières années qui ont
10:04 précédé la Révolution française, et en même temps, en pleine crise de l'absolutisme
10:09 monarchique.
10:10 Voilà des années et des années que le roi se bat contre ses parlements.
10:13 Au fond, la question est de savoir comment est-ce qu'on va mener les réformes, et en
10:16 particulier les réformes fiscales en France, par le haut ou par la Révolution ? Et au
10:22 fond, la dernière tentative de réforme, elle advient au moment où Jeanne Dubary arrive
10:26 à la cour, et ce sera ce qu'on va appeler le coup de majesté mené par le chancelier
10:32 de France de l'époque qui s'appelle Maupou, qui consiste dans le renvoi des parlements,
10:38 qui sont la cause essentielle du blocage des tentatives de réforme et de modernisation
10:44 de la monarchie.
10:45 - Et là, elle a un rôle.
10:46 Elle réassure le roi dans un certain sens.
10:48 Elle lui donne, je dirais, la force mentale et psychologique d'opérer cette Révolution,
10:54 le renvoi du Parlement, l'abolition des charges héréditaires parlementaires, ce qui n'était
10:59 pas rien.
11:00 C'est la plus grande réforme.
11:01 - Oui, c'est considérable.
11:02 - C'est considérable.
11:03 Et elle joue donc un rôle, je dirais, évidemment, elle n'a pas de statut officiel.
11:09 C'est d'ailleurs la première maîtresse royale qui n'a pas de charge de cour, et
11:15 à qui le roi n'a pas donné ni un titre, ni des domaines.
11:19 Mais elle joue un rôle d'influence considérable, et sur le roi, et sur les ministres, dans
11:24 le sens de cette réforme antiparlementaire.
11:28 Et ça explique en grande partie la légende noire qui va la transformer.
11:33 Elle s'est elle-même réinventée, et on l'a réinventée pour des raisons politiques.
11:38 Et c'est là où ça devient intéressant, parce qu'elle est la preuve vivante de la
11:42 montée en puissance de l'opinion, de toute cette littérature clandestine de pamphlets,
11:48 les vies, les anecdotes, qui pullulent, et dont j'ai retrouvé beaucoup d'exemples
11:52 dans les archives, et qui littéralement vont la réorganiser comme une fille de rien, et
12:00 comme une fille ayant exercé une influence extrêmement néfaste sur le roi.
12:04 - Et pendant longtemps, on a fait d'elle le portrait d'une femme vulgaire, d'une
12:07 femme facile, qui faisait des fautes d'orthographe, qui manquait de culture.
12:11 On va encore vous montrer, en vous appuyant sur sa correspondance, qu'elle était très
12:15 éduquée, et aussi qu'elle a eu un rôle majeur dans la vie artistique du royaume.
12:20 - Oui, elle est une sorte de ministre de la culture, culte ou une partibus, comme on voudra,
12:27 de la monarchie.
12:28 Elle joue un rôle.
12:29 C'est d'abord une extrêmement grande collectionneuse.
12:33 C'est elle qui invente au fond ce qu'on va appeler le style Louis XVI, qu'on appelait
12:37 le goût grec à l'époque, c'est-à-dire ce néoclassicisme qui commence à la fin
12:41 des années 1760 et au début des années 1770.
12:44 Vous savez, s'agissant des arts décoratifs, les formes droites.
12:47 C'est elle qui propulse littéralement les très grands architectes de la fin du XVIIIe.
12:53 Je pense à Ledoux, qui va construire pour elle l'un des bâtiments les plus étonnants
12:57 qui existaient à Louvcienne.
12:58 Je pense à Peyres et Devailly, qui sont les architectes de l'Odéon, qui existe encore
13:03 aujourd'hui.
13:04 L'Odéon n'aurait pas existé sans son influence.
13:06 Elle partage en cela un goût avec le roi qui est le goût de l'architecture et des
13:10 bâtiments.
13:11 Parce que c'est très difficile de comprendre au fond ce qui s'est passé entre ces deux-là.
13:17 C'est totalement improbable.
13:20 Jamais le roi n'est tombé amoureux d'une fille dont la mère est lingère et dont on
13:24 ne connaît pas l'identité de son père.
13:26 Sauf probablement elle et lui.
13:28 Car en réalité, son père était un grand financier parisien.
13:31 Ça je l'ai également connu.
13:32 - Ça c'est un des scoops du livre.
13:33 - C'est assez intéressant de ce point de vue-là.
13:35 - Parce qu'on disait que c'était un évêque défroqué ou un moine défroqué son père.
13:38 - On disait que c'était un moine défroqué qui s'appelait le frère Lange.
13:41 D'où le fait qu'on l'aurait appelé alors qu'elle exerçait ses charmes de péripatéticienne
13:47 dans un bordel parisien.
13:48 D'où son surnom de Mademoiselle Lange.
13:50 Tout ça est une invention qui existe pour des raisons politiques à cause de cette guerre
13:56 anti-parlementaire que conduit Louis XV.
13:58 - Et à cause de la haine que cette femme suscite et qui est très importante dans le
14:01 livre.
14:02 La haine absolue.
14:03 On voit que la Jeanne du Barry suscite à la cour.
14:06 Vous dites même que Madame de Pompadour n'a pas été attaquée comme elle a été.
14:10 Comme Jeanne du Barry l'a été.
14:11 Pourquoi tant de haine ? Et de haine salace, vicieuse, lubrique ?
14:15 - Il y a une sorte de montée en puissance de la méfiance qui s'exerce à l'égard
14:19 des femmes et qu'on va retrouver sous la Révolution française à partir de 1789.
14:23 La Révolution française ce sont des assemblées d'hommes.
14:26 Même si les femmes gagnent des droits, notamment le divorce, il est certain que dans un certain
14:31 sens, à partir de 1792-73, on les renvoie à leur foyer, à leur casserole et à leurs
14:36 enfants.
14:37 Et ce qu'on reproche à la monarchie, c'est une forme de féminisation du pouvoir.
14:45 Au fond, comme s'il y avait eu un renversement des rapports de force entre les hommes et
14:49 les femmes.
14:50 Et comme si l'exercice de l'influence et de la politique par les femmes était un exercice
14:54 néfaste.
14:55 - On va vous citer.
14:56 Les femmes occupent trop de place.
14:59 On est là tout près de la Révolution dont ce sera l'une des accusations.
15:02 La monarchie est coupable de tout et surtout d'avoir contribué au renversement des hommes,
15:08 de les avoir dépouillés de leur puissance au profit des femmes.
15:12 Jeanne Joura assédé pend un rôle de premier plan dans ce procès en féminisation du pouvoir
15:18 royal.
15:19 La Révolution française va se venger sur elle ?
15:22 - Oui, bien entendu.
15:24 Le plus extraordinaire, c'est qu'elle passe à travers les gouttes de l'orage, quasiment
15:30 jusqu'en 1793, puisqu'elle est mise en accusation en septembre 1793 et qu'elle monte sur l'échafaud
15:36 le 8 décembre 1793.
15:37 Il y a une histoire, qui est encore une fois une histoire policière, qui est celle du
15:44 vol de ses diamants.
15:45 Elle était endettée, mais en même temps, du fait de la munificence royale, elle a pu
15:50 exercer ses dons et ses goûts de collectionneur et Louvcienne est une sorte de tébaïde absolument
15:57 extraordinaire qui regorge à la première moment la collection la plus privée, la plus
16:02 étonnante de la fin du 18e siècle.
16:04 Et au fond, si elle décide de rester en France, alors que la plupart de ses amis émigrent,
16:13 dans un certain sens et pour des raisons politiques, mais aussi pour sauver leur peau, c'est qu'elle
16:17 est attachée profondément à ses collections et qu'elle veut les sauver.
16:21 Au fond, elle me fait assez souvent penser à Mazarin, qui quelques jours avant sa mort,
16:27 dit dans son palais Mazarin dire qu'il me faudra abandonner tout cela.
16:30 Et au fond, elle va aller à Londres pour essayer de récupérer des diamants qu'on
16:35 lui a volés et elle décide de rentrer en France en mars 1793, en pleine terreur, pour
16:41 sauver ses collections.
16:42 Et ce qu'il en adviendra, c'est qu'elle sera décrétée d'accusation et qu'on
16:48 la fera mourir sur l'échafaud en décembre.
16:50 Elle incarne tout ce que la Révolution déteste.
16:52 Elle est une femme, elle est riche, elle a appartenu au milieu de cour, même si la
16:57 cour la détestait.
16:58 Mais ça, la Révolution l'a oublié et elle mérite de mourir.
17:01 On lui prête la fameuse phrase « Encore une minute, Monsieur le bourreau », c'est
17:04 elle ?
17:05 Oui, qui est une invention, bien entendu, qui participe de cette légende noire qui
17:08 se construit autour d'elle.
17:09 Je retrouve cette expression pour la première fois en 1801, c'est-à-dire plusieurs années
17:13 après sa mort, dans une espèce de pseudo-biographie inventée sur elle.
17:19 Ça fait partie des légendes ?
17:21 Ça fait partie des légendes.
17:22 Elle a probablement crié.
17:23 Je développe quelques pages sur cette question de l'héroïsation des victimes de la Révolution
17:33 pour des raisons de légende familiale.
17:35 On a prêté des mots extraordinaires aux victimes de la Révolution.
17:39 Je pense au duc de Lauzun à qui on fait dire au bourreau « Aide-moi à monter, mon brave,
17:45 pour descendre, je me débrouillerai tout seul ».
17:46 Tout ça, ce sont des inventions qui datent du 19e et qui, au fond, sont une forme de
17:51 rattrapage.
17:52 On redonne de la dignité aux condamnés de la Révolution en les faisant se comporter
17:59 de façon incroyablement courageuse.
18:01 Il est probable que beaucoup ont crié.
18:04 Personne n'a envie de se faire couper en deux.
18:05 Frédéric est au Standard Inter.
18:10 Bonjour Frédéric, bienvenue.
18:11 Bonjour Inter, bonjour à tous.
18:14 Monsieur Devarais, bonjour.
18:15 Est-ce que vous pourriez me parler des rapports entre la Dubarry et Marie-Antoinette, puisque
18:20 la Roturière et la Princesse se sont côtoyées à la cour et que les deux ont eu, comme vous
18:24 l'avez rappelé, le même destin tragique ?
18:26 Merci Frédéric pour cette question.
18:28 Emmanuel Devarais, ce qu'elle vous répond.
18:30 Merci.
18:31 Marie-Antoinette a entretenu qu'il y avait des qualités mais également des défauts
18:35 qui étaient l'obstination.
18:37 Elle était assez têtue et elle a certainement entretenu des rapports de méfiance voire
18:43 de haine vis-à-vis de cette… pour des questions morales.
18:46 Elle sort de la cour des Habsbourg à Vienne et on sait que Marie-Thérèse, sa mère,
18:51 est extrêmement morale.
18:53 Mais aussi pour des questions de classe.
18:55 Elle est une archiduchesse d'Autriche et elle a à faire, sa concurrente principale
19:00 est tout de même une Roturière dont l'ascension est tout à fait étonnante.
19:06 Donc elle lui a fait la misère Marie-Antoinette, ce que vous racontez.
19:10 Oui, on va les réunir par la Révolution et par une légende noire conjointe.
19:16 On a des textes absolument étonnants qui datent de l'année de la mort et de Marie-Antoinette
19:22 en octobre 1993 et de Jeanne du Barry où on les fait dialoguer aux enfers.
19:26 Et vous savez, il ne faut pas exclure et sous-estimer l'importance des fantasmes sexuels à l'égard
19:35 de Jeanne du Barry.
19:36 Fantasmes sexuels portés par les hommes vis-à-vis de cette femme.
19:40 Et qui étaient lesquels ?
19:41 Qui étaient qu'on va aller jusqu'à la considérer comme androgyne, comme exerçant
19:48 ses charmes à la fois sur les hommes et les femmes.
19:50 Lorsqu'elle arrive à la cour au salon de peinture qui se déroule à Paris en 1769,
19:58 Drouet, qui est l'un de ses peintres favoris, la représente à la fois en costume d'homme
20:04 et en costume de femme.
20:05 Et ça va faire fantasmer énormément.
20:07 Au fond, elle est une sorte d'apparition un peu hâtive de ce qu'on appelle le genderfluide.
20:17 Elle implique quelque chose comme ça, en tout cas dans les fantasmes qui sont exercés
20:22 sur elle.
20:23 Et puis Nicolas disait en prélude que ce livre d'histoire se lit comme un roman policier
20:27 parce que c'est vrai, vous avez fait une enquête, Néstor Burma-Vareskel.
20:30 Et on découvre des choses.
20:32 Vous découvrez ce qu'on disait, l'identité du père, que c'était un riche notable et
20:38 pas un moine défroqué.
20:39 Le lieu de sa naissance, elle était floue.
20:41 En Italie, vous le racontez.
20:43 Et puis alors, le lachmé de vos découvertes, de vos révélations dans ce livre, le climax
20:49 comme on dit aujourd'hui, c'est qu'elle aurait eu une fille.
20:53 Betsy.
20:54 Alors, le fait qu'elle ait eu une fille…
20:56 Alors qu'on disait qu'elle n'avait pas eu d'enfant.
20:57 Oui, c'est ça.
20:58 Et peut-être considéré comme anecdotique, si ce n'est que ça révèle sa personnalité.
21:05 Elle va cacher cette fille.
21:06 Et au fond, elle ne va jamais la reconnaître comme elle-même n'a jamais été reconnue
21:10 par son père.
21:11 Je pense que sa fille lui en voudra, même si elle va l'élever et l'aimer profondément.
21:16 Elle a adoré, comme Marie-Antoinette d'ailleurs, elle a adoré les enfants.
21:19 Elle a eu de nombreux pupilles, très souvent des enfants de son entourage.
21:23 Et elle a eu cette petite Betsy.
21:26 Et il est probable que le moment le plus étonnant de mes recherches, c'est puisque j'ai réussi
21:31 à retrouver les descendants de cette petite Betsy qui portait un nom qui n'était pas
21:38 le sien.
21:39 Et j'ai réussi à téléphoner, à voir au téléphone le descendant de cette fille.
21:44 C'est un moment très fort.
21:45 À un moment, les quelques secondes de silence que j'ai eues avec lui ont été probablement
21:51 les plus vertigineuses de ces trois années de recherche que j'ai pu conduire sur cette
21:55 femme.
21:56 Et que retrouvez-vous dans sa correspondance, les rares lettres qu'on a d'elle avec son
22:01 amant, Henry Semour ?
22:03 Alors, elle a eu plusieurs, elle a eu un certain nombre d'amants.
22:07 La seule correspondance un peu complète qui subsiste, j'en ai retrouvé quelques-unes
22:11 dans les archives, c'est cette histoire de 1778-1779 avec un lord anglais qui s'installe
22:20 à Paris, dans la région parisienne, et avec lequel elle entretient un amour bref mais
22:25 intense.
22:26 Et là, à travers ces lettres, on a la délicatesse de sentiment de cette femme.
22:31 Et dans l'une des lettres ?
22:32 Et dans l'une des lettres ?
22:33 C'est pas la maîtresse, c'est la femme qu'on retrouve là.
22:35 Et dans l'une des lettres ?
22:36 Et dans l'une des lettres, je retrouve, à la bibliothèque historique de la ville
22:40 de Paris, pour ne pas la nommer, je retrouve une mèche de ses cheveux dans une faveur
22:44 bleue.
22:45 Et ça, je dois dire que ce genre de rencontre, où tout d'un coup on touche du doigt le
22:48 passé, est extrêmement émouvant.
22:50 On a imaginé ça.
22:52 Pour vous, question sur la Pied-d'Inter, Jacques, pour vous, qui est la Dubarry du
22:57 XXIe siècle ?
22:58 On l'a beaucoup comparé à Brigitte Bardot, mais dans ce qu'elle a, sans penser d'ailleurs
23:04 à ce qui les réunit aussi, c'est cette espèce de liberté qui a été la leur à
23:12 l'une et à l'autre.
23:13 Mais je pense qu'elle est infiniment plus politique et que la façon dont elle s'est
23:18 maintenue à la cour et l'influence qu'elle a exercée à la cour fait de cette femme
23:24 une femme de tête, une femme de pouvoir.
23:26 Elle ressemble à une première dame aujourd'hui ou ça n'a pas de sens de faire la comparaison ?
23:30 Non, la comparaison n'a aucun sens.
23:32 Je pense qu'elle exerce une influence infiniment plus considérable que celle de la première
23:38 dame aujourd'hui sous la Vème République.
23:39 Vous écrivez aussi, pauvre Jeanne, elle serait martyr aujourd'hui pour le mouvement
23:44 #MeToo ?
23:45 Oui, probablement, parce qu'au fond, elle a été sacrifiée pour un certain nombre de
23:50 raisons, mais aussi parce qu'elle était une femme et que les femmes étaient coupables
23:55 d'avoir exercé la politique avant la Révolution.
23:59 Et il y a Paul qui met, à juste titre, tiens, je n'ai pas fait attention mais il est attentif,
24:04 Léa Salamé, vous êtes la seule de vous trois à employer systématiquement l'expression
24:08 "la Dubarry".
24:09 L'expression est-elle courante ou est-elle péjorative ?
24:11 Elle est péjorative et elle est inventée, elle est contemporaine de la vie de Jeanne
24:16 Dubarry.
24:17 La Dubarry, ça veut dire, ça comporte une forme de mépris bien entendu.
24:21 Donc il l'appelait comme ça ceux qui ne l'aimaient pas ?
24:23 Bien sûr.
24:24 Bon, je vais arrêter d'arrêter.
24:25 Immédiatement.
24:26 Merci en tout cas infiniment Emmanuel Demarestiel d'avoir été à notre micro pour parler
24:33 de ce livre passionnant.
24:34 Quel livre ! Jeanne Dubarry, une ambition au féminin chez Talendier.
24:38 Je rappelle à nos auditeurs que le podcast de Philippe Collin est toujours disponible
24:42 bien sûr sur l'application de France Inter et celle de Radio France.
24:46 8h48.

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