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  • 09/07/2025
Éric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française, était l'invité de France Inter ce mercredi. Sa mise en scène du "Soulier de Satin" est représentée à Avignon du 19 au 25 juillet. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-09-juillet-2025-5424972

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00:00Une fin de mandat en apothéose. Notre invité ce matin dirigeait la comédie française depuis 11 ans.
00:06Il a marqué l'année théâtrale avec son soulier de satin monumental et mystique,
00:10présenté au Festival d'Avignon dans quelques jours. Bonjour Éric Ruff.
00:14Bonjour.
00:14Merci d'être au micro de France Inter ce matin, chers auditeurs.
00:17Si vous voulez dialoguer, appelez-nous au 01 45 24 7000 ou posez vos questions sur l'appli Radio France.
00:23Merci d'être là, Éric Ruff. Surtout que cette fin de mandat, c'est le 4 août, je crois.
00:27Elle est très chargée. Vous êtes dans les cartons aux Français et en partance dans les valises pour Avignon ?
00:33Alors les cartons sont déjà faits.
00:34C'est vrai ? Oui, oui, oui.
00:35Vous êtes très voyant.
00:36J'avais 32 ans de maison, donc on accumule en 32 ans.
00:39Donc j'ai fait un petit camion pour la Bretagne il y a quelques jours.
00:42Donc là, je travaille avec l'essentiel, le kit de survie.
00:45Et vous partez pour Avignon, donc, pour le soulier de satin, la pièce de Paul Claudel.
00:50Ça a été la sensation de cette année théâtrale.
00:53Franchement, terminez votre mandat avec cette pièce, un monument, 8 heures, on va en parler.
00:58C'était complètement fou comme pari.
01:01Oui, c'est un pari fou, mais qui a, encore une fois, il a déjà été fait.
01:06Barrault l'a fait, évidemment, à la création, en 1943, à la Comédie française.
01:09Et puis il y a une version mythique de...
01:14D'Antonine Vitesse.
01:15D'Antonine Vitesse, absolument.
01:16De 1987.
01:17À la Cordonneur.
01:17Et puis Olivier Fpi, on a fait une très belle version aussi.
01:20Donc, oui, c'est des paris fous.
01:22Et en même temps, sur un texte dont on sait qu'il marche formidablement.
01:25C'est une expérience, le soulier de satin.
01:27À la fois pour le public, qui va donc rester 8 heures dans cette même salle de théâtre.
01:32Ou dans la Cordonneur d'Avignon.
01:35Et pour la troupe aussi.
01:37C'est une épreuve, quand même, ce que vous leur demandez.
01:39Oui, c'est une épreuve physique.
01:41Et puis alors là, surtout, je vais avoir des acteurs qui travaillaient le jour et qui dormaient la nuit.
01:45Et qui, le lendemain, vont se mettre dans un autre rythme.
01:47A savoir dormir le jour et travailler la nuit.
01:49Parce qu'on va jouer de 22h à 6h du matin.
01:52Donc oui, c'est une épreuve.
01:53Et en même temps, pour un acteur, la Cordonneur, c'est quand même une sorte d'Olympe absolue.
01:59Et puis le soulier de satin, c'est le Mont Ventoux pour un cycliste.
02:03Donc voilà, c'est une difficulté.
02:05Mais une difficulté qu'on a envie de toucher et de réussir.
02:08Oui, effectivement, vous allez commencer à 22h à Avignon, la représentation.
02:11Et ça sera jusqu'à 6h du matin.
02:13Pourquoi avoir choisi ces horaires-là ?
02:15Alors, la Cordonneur, c'est toujours à 22h.
02:17Parce que c'est vraiment entre chien et loup.
02:18On attend que le jour tombe pour que l'éclairage de théâtre puisse...
02:22Et puis on ne joue pas à 15h l'après-midi à Avignon.
02:25Mais sur cette pièce-là, ce n'est pas anodin.
02:27On va passer la nuit dans la Cordonneur.
02:29La longueur, encore une fois, la longueur suppose que ça soit forcément la nuit.
02:34Et puis, la dernière phrase, c'est « délit France aux âmes captives ».
02:41J'espère que les gens, les 2000 personnes, ne feront pas « ouais, on rentre chez nous ».
02:45Mais on va finir à l'aube.
02:48J'étais déjà extrêmement ému, moi, de voir que des gens à Paris rentraient au théâtre à 15h,
02:54en sachant qu'ils ne ressortiraient que vers 23h30.
02:56Là, il y a 2000 personnes qui vont passer toute une nuit ensemble.
03:00Quand j'étais môme, moi, je faisais les éclaireurs unionistes de France.
03:03Et de temps en temps, on dormait à la belle-être sur les plages.
03:05J'ai un souvenir tellement ému de cette chose-là.
03:08Et là, c'est du théâtre à la belle-être.
03:10Le soulier de Satin retrouve le Palais des Papes à Avignon.
03:13Vous l'avez dit, 40 ans après la mise en scène d'Antoine Vitesse.
03:16C'était intimidant, ça aussi, de passer après ?
03:20Intimidant.
03:21Et puis, oui, évidemment, la Cordonneur est intimidante.
03:24Faire une mise en scène à la Cordonneur, c'est intimidant.
03:26C'est un dieu qui est extrêmement scrupuleusement regardé, etc., symbolique.
03:31On peut être impressionné.
03:33En même temps, s'inscrire dans une mémoire, c'est magnifique.
03:36Moi, j'ai eu la chance de diriger la comédie française 1680.
03:39Donc, c'est une maison de mémoire.
03:42Donc, s'inscrire dans des mémoires, j'en ai l'habitude.
03:45Celle d'Antoine Vitesse.
03:47Et il y a Didier Sandre.
03:48Didier Sandre qui joue dans Pellage, là, dans la version que j'ai eu l'honneur de mettre en scène.
03:53Qui était déjà dans...
03:54Qui était le don Rodrigue de Vitesse.
03:56Donc, voilà, c'est tout ça.
03:57Et puis, si on remonte plus loin, j'ai l'impression, parce que j'avais déjà très peu de décors à la salle Richelieu,
04:04j'en aurais évidemment encore moins, parce qu'il n'y a pas la mécanique du théâtre à la Cordonneur.
04:08Donc, j'ai l'impression de paupériser la représentation, techniquement.
04:12Mais je trouve ça magnifique, parce que j'ai l'impression d'atteindre un peu au rêve initial de Villard, du Théâtre National Populaire.
04:20Celui de se dire, on prend des grands textes et on fait en sorte qu'il soit compris par tout le monde et qu'il soit enthousiasmant pour tout le monde.
04:29Avec très peu de moyens.
04:30Le poète, la nuit, le costume, l'actrice et puis le plateau.
04:34Le Soulier de Satan, effectivement, vous avez dit, c'est un grand roman d'aventure mondiale.
04:38Comment on représente le monde ? Vous, vous avez choisi de ne pas faire de décors.
04:43Ben non, parce qu'un décor, une fois qu'on l'a construit, il faut le déconstruire.
04:46Donc, comme ça se passe sur plein de continents, c'est une pièce monde, la scène et le monde, dit Claudel.
04:53Donc, si on a l'orgueil ou l'ambition de le représenter, on est mort tout de suite scénographiquement.
04:59Donc, je me suis dit, mais souvent, alors je vais me tirer une balle dans le pied scénographique en disant ça,
05:05mais souvent, l'imaginaire des gens est beaucoup plus puissant, beaucoup plus précis, beaucoup plus libre que tout ce qu'on peut mettre en œuvre.
05:12Donc, faire appel, il y a un annoncier et une annoncière dans ma version qui racontent et qui demandent,
05:21qui tend la perche aux gens pour leur dire, imaginez cette chose-là que vous n'allez pas voir,
05:24mais la puissance de l'imaginaire est tellement dingue chez les gens que ça marche quelquefois beaucoup mieux.
05:28Oui, vous mettez beaucoup à contribution, vous interpellez beaucoup le public pour le tenir pendant huit heures.
05:34Oui, je l'interpelle, je fais attention à lui.
05:39J'ai évidemment, Paul Claudel peut faire peur à certains parce qu'il était diplomate, parce qu'il était académicien,
05:45parce qu'on voit des photos de lui en noir et blanc en train de siéger à son bureau d'acajou avec un visage extrêmement austère.
05:51Donc, on se dit, oh là là, c'est un long poème lyrique avec des gens qui savent dire Claudel.
05:55Et moi, je vais devoir accepter cette purge pendant des heures.
05:58Donc, comme je savais ce pressentiment, il me fallait le combattre immédiatement.
06:03Et moi, j'ai eu la chance de jouer pas mal Claudel et j'avais le souvenir en tant qu'interprète que c'est une langue monde,
06:08une langue extrêmement profuse, extrêmement belle, extrêmement paradoxale.
06:14C'est shakespearien.
06:15Donc, il y a du plaisir à ça.
06:17Il fallait juste que je fasse en sorte que ce plaisir passe la rampe et que les gens soient embarqués avec.
06:23Donc, effectivement, il y a toute une partie du spectacle qui se passe aussi dans le public.
06:27Le soulier, c'est une tragédie grecque aussi.
06:30La passion de Rodrigue et Prouès.
06:32Prouès, grande d'Espagne, mariée au juge lugubre d'Ompelage.
06:35On en écoute un extrait.
06:37Tenant mon cœur dans une main et mon soulier dans l'autre, je me remets à vous, Vierge Mère.
06:45Je vous donne mon soulier, Vierge Mère.
06:51Gardez dans votre main mon malheureux petit pied.
06:57Je vous préviens que tout à l'heure, je ne vous verrai plus et que je veux tout mettre en œuvre contre vous.
07:02Mais quand j'essaierai de me lancer vers le mal, que ce soit avec un pied boiteux,
07:07voilà, c'est Marina Hans dans le rôle de Donny.
07:10Après, on va revenir sur la distribution, mais cette langue de Claudel, elle n'est quand même pas simple.
07:14Comment vous vous débrouillez de ça ?
07:15Vous vous avez dit que ça se joue joyeux avec du comique.
07:19Oui, on n'a pas retenu ça de Claudel, mais il est shakespearien.
07:23C'est quoi être shakespearien ?
07:25C'est être capable d'écrire et de faire enchaîner trois scènes qui ont des natures absolument différentes.
07:29Une scène à haute intensité émotionnelle, une scène absolument politique, ensuite une scène de clown.
07:35Donc oui, il y a du rire là-dedans.
07:39De temps en temps, un texte, on peut le rendre grave et lourd parce qu'on a l'impression qu'il y a quelque chose à respecter.
07:45Puis d'autres fois, on lit à l'intérieur un humour.
07:48Il y a au tout début, il y a un père jésuite qui donne les clés du spectacle.
07:53Ce père jésuite, il est cloué à un mât, il est debout sur un tas de nonnes assassinés par des pirates et il est en train de couler.
08:02Vous trouvez ça drôle ?
08:03Et il dit à Dieu, il commence une prière en disant « je crois que je n'ai jamais été aussi près de vous qu'à cet instant ».
08:08Donc on peut le dire d'une manière extrêmement grave et en même temps, il y a de l'humour là-dedans, c'est sûr.
08:14Donc il suffit d'aller le déceler.
08:15Il y a une phrase de Donia Musique qui est magnifique, qui dit « c'est la joie seule et non l'acceptation de la tristesse qui apporte la paix ».
08:23Alors si on note l'acception catholique, religieuse de cette phrase-là, de dire que j'ai dit à l'ensemble de la troupe « ça va nous servir de viatique ou de mantra ».
08:31Cette phrase-là, c'est la joie seule et non l'acceptation de la tristesse qui apporte le jeu, tout simplement.
08:36Lorsqu'on est acteur et même lorsqu'on joue des tragédies, il faut toujours être en joie.
08:40L'ouverture, c'est Serge Bac d'Axarian qui dit au public « voilà le soutien de satin, drame espagnol en quatre journées, où le pire n'est pas toujours sûr ».
08:49C'est magnifique.
08:51C'est magnifique.
08:52Et puis oui, il a cette…
08:54Ce qui aide aussi, c'est que Claudel, sans doute, dans l'incapacité de se projeter en disant « cette pièce-là, monstre, ne sera jamais jouée, etc. »,
09:02donc il donne des clés en disant que l'ordre est le plaisir de la raison, mais que le désordre est le délice de l'imagination.
09:09Donc ça, pour un metteur en scène, c'est magnifique.
09:11Il dit en gros que l'impréparation, l'improvisation, le fait de percoler les choses, de les faire se rencontrer, il y a une joie pure à cette chose-là.
09:25Encore une fois, le désordre et le délice de l'imagination, on peut considérer dans la vie d'ailleurs,
09:31on peut considérer lorsqu'on a quelqu'un en face de soi, on peut considérer lorsqu'on a des élèves en face de soi,
09:35que le désordre ou l'incapacité à entrer dans une norme et quelquefois une qualité n'est pas un défaut.
09:41Donc c'est ce que Claudel met et on s'est servi de cette chose-là pour essayer de faire un spectacle qui soit effectivement joyeux.
09:47Et comme les gens rentrent en se disant « ça ne va pas être joyeux »,
09:50parce que j'ai coutume de dire que Claudel a été « emburé vivant »,
09:53comme on dit « emburé vivant », le fait de découvrir ce type-là qui a beaucoup écrit sur la Bible,
10:00toute une œuvre exégète, alors qu'on peut lire, mais qui est quand même très très complexe à lire.
10:04En fait, c'était un être très paradoxal, extrêmement croyant, socialement extrêmement représenté,
10:12mais qui avait un tumulte, un remue de l'interne absolument dingue.
10:16Et son théâtre et sa confession, donc on s'y reconnaît dans son théâtre-là,
10:21parce que justement il ne dit pas du tout ce qu'il faut faire, il ne dit pas du tout ce à quoi il faut croire.
10:25Il nous dit « qu'est-ce qu'on est complexe ».
10:28Voilà, et ça fait du bien pendant toute une nuit de se l'entendre rappeler.
10:32Et pour jouer ce soulier, vous avez pris le meilleur de la troupe du français en fait.
10:39Alors si je dis ça, il y a tout le reste de la troupe qui va me parler tout seul.
10:42C'est que vous avez su tirer le meilleur de cette troupe magnifique en fait.
10:48Quand je disais tout à l'heure que oui, ce rêve...
10:50On entendait Marina Hans, incandescente.
10:53Ce rêve, il n'a rien de se dire « c'est juste, voilà, le poète, l'acteur et le plateau, l'actrice et le plateau ».
10:59Bon, ça marche à partir du moment où c'est la troupe de la comédie française.
11:03Effectivement, ce sont des interprètes absolument incroyables.
11:07Vous avez joué sur « Les Générations » aussi, on parlait de Didier Sandre tout à l'heure.
11:11C'est tout l'intérêt de la troupe, je crois que c'est le seul métier où il y a des gens de 20 ans jusqu'à 87 ans
11:18qui se retrouvent ensemble à travailler le même objet et finalement être sur la même ligne de départ à chaque fois qu'on commence une répétition.
11:25Et puis moi, j'ai eu la chance, certains je les connais depuis 30 ans et puis d'autres je les ai engagés.
11:30Donc il y a eu aussi une sorte d'épiphanie comme ça, peut-être parce que c'était ma dernière saison
11:35et mon dernier spectacle à la comédie française en tant qu'administrateur général.
11:39Et je crois que dans les services et dans la troupe et moi-même, on s'est dit « on va en profiter ».
11:44Voilà, on ne va pas s'embêter avec les scories habituelles qui peuvent en peser une production.
11:50Il y a eu beaucoup de bonheur à tel point qu'on est arrivé en temps et un heure parce que ça paraît monstrueux.
11:55Il est vrai, un spectacle aussi long, pourtant mis dans des canons de représentations, de répétitions habituelles,
12:02on se dit « ça ne va pas rentrer ».
12:04Les bredons ne vont pas rentrer dans la valise.
12:06Et finalement, lors des représentations, on est arrivé en temps et en heure.
12:09On a fait des filages, des couturières, absolument tout.
12:12Donc ça a été, oui, miraculeux ou en tout cas facile.
12:17Et applaudi par le public et par la critique, 5 Molières.
12:20On va citer notamment, vous en avez vu vous, Marina, Laurent Stoker, un Molière du second rôle, 5 Molières en tout.
12:28Ça a été vraiment l'événement de l'année, la consécration.
12:31Donc pour terminer votre mandat d'administrateur général, comment on quitte une telle maison ?
12:36Ben comme ça !
12:38S'il y avait un Père Noël qui accompagne...
12:40Avec de l'angoisse, avec de la joie, avec le sentiment du travail accompli ?
12:43Alors déjà, cette saison a été tellement dingue, encore une fois,
12:46pour le maître en scène que je suis, atteindre à cet Olympe et m'y confronter, c'était magnifique.
12:51Les 5 Molières ont été, oui, une sorte de récompense satisfaisside du métier et du public pour ça.
12:59Et puis la cour d'honneur derrière.
13:00Donc vraiment, si je viens ici ce matin pour me plaindre...
13:03Non, vous n'avez pas le droit, je crois.
13:04... de tirer dessus à Boulay Rouge.
13:05C'était intense, 32 ans de maison, et je sais ce que je quitte.
13:11Je sais la beauté des relations, je sais la confiance de la troupe, je sais tout ça en tant qu'interprète.
13:19J'ai eu de tels bonheurs dans cette maison aussi.
13:21Et puis les équations que j'ai à résoudre tous les matins sont incandescentes.
13:25Vous êtes satisfait de votre bilan aujourd'hui ?
13:28On va parler par exemple de la paix que vous avez ramenée aux Français.
13:32Quand vous êtes arrivée en 2014, le climat était un petit peu plus difficile.
13:35Vous avez réussi, on dit, à dégonfler les égaux de la comédie française.
13:40Oui, mais ce n'est pas si compliqué que ça.
13:44Vous avez la formule de la comédie française, c'est simul et singulis.
13:47Donc de l'art d'être ensemble et de rester singulier.
13:50L'intéressant c'est le et, c'est réussir à faire cohabiter deux qualités qui ont l'air contradictoires.
13:56Mais c'est l'ADN de la comédie française, c'est l'ADN de l'ensemble des services, c'est l'ADN de la troupe.
14:01Donc les égaux sont quand même des égaux qui sont singuliers, mais ils sont faits pour être absolument miscibles à l'intérieur d'un groupe.
14:09Donc il suffit de rappeler cette chose-là, ça n'a pas été un grand combat.
14:13Vous avez fait entrer beaucoup de nouveaux pensionnaires.
14:16Ça c'est une fierté pour vous, avec des profils très différents.
14:19Oui, alors chaque administration fait rentrer, on a toujours l'impression que les sociétaires de la comédie française ont la vie.
14:27Ce n'est pas le cas du tout.
14:28Il y a toujours des gens qui sortent et des gens qui rentrent.
14:30Donc finalement, aux ordres d'administration, forcément, mécaniquement, il y a pas mal de gens qui rentrent.
14:34Peut-être que j'ai fait une preuve d'ouverture sur les origines sociales, sur les origines géographiques aussi.
14:43J'ai diversifié la troupe, ça me paraissait important.
14:47Moi, il me semble très important que cette maison soit accessible.
14:50Qu'elle ressemble plus à la société, on pense à Diranba, à Sephora Pondi.
14:54Oui, à Sephora, à Yaubert, à Gael Camilin, il y en a eu plein.
15:00On reçoit, sur les trois salles de la comédie française, cinq classes par jour.
15:05Et j'ai évidemment remarqué, comme tout un chacun et tout un chacune,
15:08qu'il y a plus de diversité dans les classes, chez les jeunes gens, que dans nos milieux socioprofessionnels.
15:14C'était votre grande mission, justement, de changer aussi le public,
15:17de faire venir un autre public, plus jeune, plus diversifié.
15:20Oui, alors quand je dis un autre public, on a toujours l'impression qu'il ne faut pas garder.
15:25Je reçois des courriers de gens qui revendiquent 70 années de compagnonnage
15:29en tant que spectatrice ou spectateur avec la comédie française.
15:32Ça, il faut le garder, évidemment.
15:34Mais il faut faire en sorte, moi j'adore la diversité, évidemment.
15:36La diversité d'âge, c'est très important dans une salle.
15:40Donc ça veut dire qu'il faut aussi garder les gens qui sont là depuis longtemps,
15:43mais faire en sorte que les gens qui ont envie d'essayer la comédie française
15:48aient les moyens, les simples moyens de le faire.
15:52Et il est sûr que pour un jeune adolescent,
15:57voir sur le plateau des gens qui lui ressemblent, c'est immédiat.
16:02C'est-à-dire, ça veut juste dire que le répertoire qui est en train de travailler,
16:05et donc le sien aussi, et qu'il peut y prétendre,
16:07et qu'il peut se voir un jour sur le plateau aussi.
16:10Vous avez fait entrer également la scène émergente de la mise en scène, justement.
16:14De nouvelles metteuses en scène, notamment,
16:16parce que beaucoup de femmes dans cette nouvelle scène.
16:20Oui, oui, oui, beaucoup de femmes.
16:21Elles sont tellement talentueuses, simplement talentueuses.
16:25Julie Deliquet, Marie Raymond, Maëlle Poésie.
16:28Plein, plein, plein, oui, effectivement.
16:29Les femmes n'avaient pas trop leur place aux Français avant ?
16:32Si, elles l'avaient, peut-être.
16:35Encore une fois, je peux revendiquer d'avoir fait un travail là-dessus,
16:38mais le travail a été facilité sur le fait qu'elles sont incroyablement talentueuses.
16:43Donc, c'est assez simple de choisir un projet magnifique porté par une jeune femme
16:47qui est tout à fait, et qui se sent tout à fait légitime à y prétendre.
16:51Le travail des écoles a été fait, doit continuer à se faire.
16:55Mais oui, c'était important.
16:57Et puis, moi, je suis allé beaucoup au théâtre.
16:59Je n'ai pas délégué le fait d'aller au théâtre.
17:01Donc, il y a peut-être une chose qui a bien marqué.
17:03Pour découvrir ses talents ?
17:04Pour découvrir ses talents et pour faire en sorte que,
17:07quand c'est le patron d'une maison qui vient voir votre spectacle
17:10et qui rentre en contact avec vous,
17:12vous êtes dans une confiance jusqu'à la première représentation qui est plus grande.
17:16Dans votre bilan, également, il y a le tournoi écologique pris par le Français.
17:19Rénovation énergétique, la salle Richelieu, elle sera en travaux, par exemple, l'année prochaine.
17:23Oui, absolument.
17:24Et on a eu des ateliers de construction qui ont été en travaux longtemps,
17:27mais qui sont maintenant à la pointe, justement, du sourçage,
17:30de l'éco-responsabilité, de l'éco-conception.
17:34La recyclerie est presque naturelle à l'économie française, elle est historique.
17:38Mais oui, on commence à faire de la résine végétale,
17:40on commence à peindre avec de la peinture à l'algue.
17:43À l'algue ?
17:44Oui, absolument.
17:45Ça me rappelle la Bretagne, ça me fait du bien.
17:47C'est Clément Hervieux-Léger qui prend votre suite.
17:51C'est un pilier de la troupe, la passation va se faire sans rupture, on imagine.
17:55Elle se fait sans rupture, bien sûr.
17:57Dans la continuité.
17:57Dans le sens où nous arrivons excellemment bien à travailler ensemble.
18:02J'ai fait les décors pour Clément, il m'a mis en scène, on se connaît depuis des années.
18:06J'ai toute confiance dans son administration.
18:08Ensuite, il va changer, j'imagine, plein de choses, mais c'est absolument légitime.
18:12Ce sera sa manière de guider cette maison dans l'écosystème un peu complexe qui est le nôtre.
18:18Il arrive à la tête de l'institution, justement au moment où l'État veut faire beaucoup d'économies.
18:23Vous, ces derniers mois, il y a eu une enveloppe budgétaire qui a été amputée de 5 millions d'euros.
18:28Ça ne va pas être simple.
18:30Comment vous voyez l'avenir du français, d'un point de vue budgétaire ?
18:34Avec angoisse.
18:35Je sais que la maison est extrêmement solide et forte.
18:39Mais oui, j'aurais préféré confier à Clément une maison dans une santé budgétaire et financière plus grande.
18:44Ce n'est pas vraiment de ma faute, tout ça.
18:47Mais oui, je le regrette.
18:49Il va devoir naviguer avec plus de difficultés que moi, c'est sûr.
18:53Et au-delà de la comédie française, le spectacle vivant est en danger aujourd'hui en France,
18:58avec toutes ces coupes budgétaires.
18:59On en voit aussi dans les régions.
19:01C'est évidemment extrêmement difficile de défendre son carré de jardin lorsqu'on entend parler de coupes de 40 milliards, etc.
19:08Donc on a l'impression qu'on va être écrasé dans une solidarité victimaire comme ça.
19:14Ce n'est pas simple de dire à quel point on est important.
19:16Et puis le défaut de notre métier, mais c'est sa qualité aussi.
19:19C'est qu'il ne rentre pas dans un cadre.
19:22C'est extrêmement difficile.
19:23On ne peut pas parler de retour sur investissement.
19:25C'est très dur de faire des graphiques, des schémas, des camemberts, des schémas cigarettes, etc.
19:30Pour dire oui, on a progressé là-dessus et là-dessus.
19:33L'intérêt du théâtre, il est lent.
19:34C'est presque un choix de société.
19:36Et c'est en ça que dans la tachycardie contemporaine et politique,
19:40c'est très dur d'être là et de pouvoir prouver ce qu'on fait.
19:43Parce que c'est plus long que ça.
19:44C'est des épiphanies.
19:46J'ai une bête image, mais il fut un temps où des gens plantaient des arbres
19:49pour une ombre dont ils ne bénéficieraient pas eux-mêmes,
19:52mais ils le plantaient pour que d'autres gens soient à l'ombre un jour.
19:55Et pour moi, la culture, c'est cette oeuvre lente.
19:58Elle est extrêmement importante.
20:00Donc ça veut dire que les politiques doivent faire ce choix-là.
20:03Et c'est un choix, pas indifférent, mais indifférent pour eux-mêmes.
20:08C'est une lenteur, c'est une longueur.
20:11Il faut croire à cette chose-là.
20:12Et tous les maux que nous traversons,
20:15je ne dis pas que le théâtre est le seul baume et le seul médicament,
20:18mais ça fait partie, la culture fait partie de ce qui...
20:23Ça me fait penser à...
20:24Les gens vous disent, mais si tu vas voir le médecin seulement quand t'as mal,
20:28c'est que t'as déjà perdu une bataille.
20:30C'est-à-dire qu'il faut te soigner avant.
20:32Il faut faire attention à toi avant.
20:34Et la culture, c'est faire attention à soi, à l'ensemble de la société avant.
20:38C'est extrêmement important, sauf que ça ne roule pas des mécaniques
20:42et ça n'a pas d'élément dans le langage.
20:45Je ne peux pas vous pitcher ici à quoi ça sert immédiatement.
20:47Je vais immédiatement rentrer dans un...
20:49Je commence déjà à le faire dans un truc qui va durer une demi-heure et vous allez me couper.
20:52C'est un petit peu ça l'autre défaut,
20:54mais la grande qualité, c'est que c'est d'une importance de civilisation extrêmement importante.
20:58Vous quittez la Comédie française à deux ans de l'élection présidentielle
21:01avec la possibilité d'une arrivée au pouvoir de l'extrême droite.
21:04Vous avez dit votre inquiétude de cela.
21:06Vous qui avez eu un père au Front National.
21:09Oui, oui, bien sûr.
21:10C'est extrêmement difficile.
21:13Ce sera extrêmement difficile d'ailleurs pour les gens qui seront à la tête des maisons de culture
21:18si jamais ça arrive, parce que c'est quoi la bonne attitude ?
21:22La bonne attitude sera dénoncée par tout le monde.
21:25Je dois dire aussi que je fais partie d'un métier qui devrait être un petit peu plus doux les uns avec les autres.
21:30De temps en temps, entre nous, on devrait être un peu plus acceptant de la diversité de ce que nous faisons au théâtre et un petit peu moins clivant.
21:40Mais ça va être difficile parce que partir avec panache, oui, c'est magnifique.
21:45Sauf que vous laissez la place et vous laissez plein de gens seuls.
21:49Et rester, ça veut dire collaborer d'une certaine manière et ça va être dénoncé immédiatement.
21:53Donc trouver la bonne attitude là-dessus, elle est extrêmement délicate.
21:56Éric Ruff, vous allez faire quoi ? Vous ne quittez pas tout à fait la comédie française ?
22:00Je crois que vous restez sociétaire honoraire, vous allez signer des scénographies, c'est ça ?
22:04Oui, j'ai des scénographies à faire et puis ma qualité d'honoraire fait que je suis un vieux greniard avec des belles médailles.
22:12Mais je peux être amené à venir rejouer à la comédie française.
22:15J'ai une question de Christelle, là, pour terminer.
22:17Est-ce qu'il y aura une captation prévue du soulier de satin ?
22:20Oui !
22:20C'est vrai ?
22:21Oui, Christelle !
22:228 heures, c'est vrai ?
22:23Oui, oui, absolument.
22:24La captation a été faite à la salle Richelieu et c'est Arnaud Desplechin qui, en plus, en a fait la réalisation.
22:30Et je crois que France Télévisions va très bientôt le diffuser, me semble-t-il, dans quelques jours pendant le festival.
22:35Donc ça va exister.
22:36J'espère que nous ferons un DVD ou autre support plus moderne dans quelques temps.
22:42Merci beaucoup.
22:43Merci infiniment.
22:43Vous êtes venu sur France Inter juste avant de quitter la comédie française.
22:47Juste avant aussi de partir donc à Avignon.
22:49Le soulier de satin s'y joue dans la cour d'honneur du samedi 19 au vendredi 25 juillet.
22:54A très bientôt donc.
22:55Au revoir.

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