À 9h20, l'administrateur général de la Comédie-Française Éric Ruf est l'invité de Léa Salamé. L'occasion d'évoquer son départ de la tête de l'institution, et "Le Soulier de satin" qu'il présente à compter du 21 décembre. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mardi-17-decembre-2024-1337702
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00:00Et Léa, ce matin vous recevez un homme de théâtre.
00:02Bonjour Éric Ruff, merci d'être avec nous ce matin, avant de parler de l'œuvre monumentale
00:08de Paul Claudel que vous montez à la Comédie-Française, mes questions rituelles, si vous étiez, Éric
00:13Ruff, une comédienne, un personnage de méchant, un paysage et une émotion ?
00:18Alors la comédienne, je vais d'une partialité terrible, parce que je travaille avec elle
00:23et elle joue Brouhaha, c'est Marina Hans.
00:25Mais j'ai beaucoup joué avec Marina Claudel notamment, j'ai joué avec Patrice Chéreau,
00:28j'ai tourné avec elle, donc je la connais très bien, donc une partialité relative.
00:32J'ai rarement vu une telle laborieuse avec un instinct aussi grand, donc elle a tout,
00:39elle est immense.
00:40Marina Hans, qu'on va retrouver dans le soulier de Satin.
00:43Un personnage de méchant ?
00:44C'est le seul personnage que j'ai joué à la Comédie-Française depuis que je suis
00:49administrateur, c'est Don Alphonse d'Est, qui est le mari de Lucrèce Borgia dans la
00:52pièce éponyme de Victor Hugo, et j'ai beaucoup joué les jeunes premiers, et c'est très
00:58dur à jouer, parce qu'ils sont lumineux et généralement ils meurent à l'acte 2.
01:02Et je suis arrivé à un âge où on joue les méchants, et les méchants ça va jusqu'au
01:06bout, et c'est une palette de jeux extraordinaire, c'est un méchant formidable.
01:10Vive les méchants ! Un paysage !
01:12Un paysage ! J'ai eu la chance de bricoler une maison à Pinmar, qui est au Sud Finistère,
01:18donc étymologiquement le Finistère c'est la fin de la Terre, et dans un petit port
01:22qui s'appelle Kheriti, il y a un môle marin qui s'avance sur la mer, donc j'adore y aller
01:26parce que j'ai l'impression d'aller au bout du bout de la Terre.
01:29Et une émotion ?
01:30Une émotion, la mélancolie, je crois, j'aime bien, parce que c'est un sentiment profond
01:36qui n'est pas exempt de joie, qui est un peu fataliste, mais je crois l'être un peu,
01:42puis alors c'est les attribuiaires, anciennement c'est les attribuiaires de Molière, donc
01:45j'ai l'impression de rester dans la grande maison.
01:48La mélancolie donc, le bonheur d'être triste.
01:51Éric Ruff, vous êtes metteur en scène, scénographe, acteur, et surtout, depuis près de 11 ans,
01:55le patron du français, vous êtes l'administrateur général de la communauté française, 11
01:59ans, c'est la plus longue administration à ce poste depuis Émile Favre, il y a plus
02:04d'un siècle, en 1915, vous avez fait trois mandats, trois mandats, vous ne pouvez pas
02:09en faire un de plus, c'est comme ça, c'est dans la loi, donc vous allez quitter, cet
02:14été, vous allez quitter la maison de Molière, dans quel état d'esprit vous êtes avant
02:18ce moment important quand même de votre vie, de votre carrière, quitter l'administration
02:24de la communauté française, vous êtes angoissé, vous êtes triste, vous êtes
02:26soulagé ou vous n'y pensez pas ?
02:27Je suis mélancolique, je suis joyeux parce que c'est un grand inconnu, moi je suis rentré
02:32à 23 ans dans cette maison, donc j'en partirai au bout de 33 ans, j'espère pas crucifié,
02:37mais il y a un ratio d'émerveillement qui est toujours resté positif par rapport aux
02:44ennuis qui vont aussi avec ce genre de poste, donc je sais ce que je vais quitter, en fait
02:49je vais quitter une qualité, une expertise, un niveau de participation des uns et des
02:55autres absolument exceptionnel, parce que c'est la comédie française et qu'à tout
02:59service c'est des grands pros, donc ça c'est sûr que je vais le quitter avec un peu de
03:03mélancolie.
03:04Et on se demandait avec Nicolas, vous avez connu combien de miss de la culture en 11
03:08ans ?
03:09Alors j'en ai connu 8.
03:10Ah vous les avez comptées ?
03:11Oui.
03:128 ?
03:13Oui, au bout d'un moment il me reste deux doigts.
03:14Vous êtes souvent présenté comme l'homme qui a dépoussiéré, qui a modernisé, qui
03:23a décoincé la comédie française, qui a ouvert les fenêtres, qui a fait venir une
03:27génération de jeunes metteurs en scène, Thiago Rodrigues, Ivo Vanhoef, vous avez ouvert
03:31à des profils diversifiés, à des jeunes, à des femmes, vous avez remis la comédie
03:34française dans la course des festivals internationaux, mais à la fin des fins, votre plus grande
03:39fierté, Eric Ruff, ça a été quoi ? Dans ces 11 ans, comme patron ?
03:43Alors peut-être, oui, ça fait deux fois qu'on va au Festival d'Avignon, la première
03:50fois c'était en 2016, je crois, Ivo Vanhoef, les Danais, qui a été vraiment une ouverture
03:54pour moi, il m'a permis de resituer le français dans un cercle vertueux, et puis de faire
04:00venir surtout plein de metteuses et de metteurs en scène de renom qui se sont réaperçus
04:05que c'était un point d'atterrissage à Paris, pour eux, tout à fait possible, que
04:08la comédie française.
04:09Ce qui me rend le plus fier, je crois, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui viennent dans
04:12cette maison, de temps en temps, la façade est un peu austère, c'est entre le conseil
04:15de consulat, le conseil d'Etat, le ministère de la Culture, c'est un peu le même bâtiment,
04:19on a quelquefois peur d'y entrer, dès qu'on y met les pieds, on s'aperçoit que c'est
04:22une maison de labeur absolument extraordinaire, où ça chariote toute la journée, et c'est
04:26joyeux.
04:27Et il y a des gens qui viennent aux français, des journalistes ou des stagiaires qui viennent
04:31et qui repartent en disant « c'est joyeux », ça, c'est ma fierté la plus grande.
04:35La joie, donc.
04:36Et puis, c'est vrai que quand vous êtes arrivé, il n'y avait qu'une minorité
04:38de sociétaires qui tournaient des films, aujourd'hui, presque tous sont des acteurs
04:41aussi de cinéma.
04:42Il y en a plein, en tout cas.
04:43Denis Poddaniès, Guillaume Gallienne, Pierre Ninet, Laurent Laffitte, Benjamin Lavergne,
04:46Rebecca Marder, Marina Hans, il y en a plein, vous disiez au Nouvel Obs, ajouter de la comédie
04:51française à un générique de film avait un côté ORTF, maintenant c'est bankable.
04:56Oui, absolument.
04:57Quand je suis rentré dans la maison, il y avait trois personnes qui faisaient du cinéma,
05:01maintenant, je crois qu'il y en a trois qui n'en font pas.
05:03C'est super pour la maison, parce que c'est du renom, et puis tous les gamins qui vont
05:07voir ça.
05:08Mais c'est vrai que c'est chic sur les génériques, alors qu'avant, c'était
05:09un peu ringard.
05:10Oui, c'est à peu près tous les dix ans, je crois que ça change un petit peu.
05:14Là, pour le coup, c'est plutôt excitant, alors moi, je suis très heureux de ça et
05:18en même temps, au niveau de l'organisation, je me tire des balles dans le pied tout le
05:21temps.
05:22Oui, parce qu'il faut prévoir les congés, les tournages, etc.
05:24C'est votre problème.
05:25Et pour marquer votre départ, vous vous offrez un bouquet final spectaculaire en adaptant
05:29une des oeuvres mythiques du théâtre français, une oeuvre monumentale, aussi désirée qu'intimidante
05:34pour un metteur en scène, car elle a été rarement montée, « Le soulier de satin »
05:38de Paul Clodel, une histoire d'amour adultère entre un jeune homme et une femme mariée
05:43dans l'Espagne du XVe siècle.
05:44Elle dure plus de onze heures, alors vous l'avez raccourci, ramassé, dégraissé.
05:48Votre version ne va durer que sept heures.
05:51Ça commence à partir du 21 décembre jusqu'au mois d'avril.
05:54Pourquoi cette oeuvre fait-elle peur ? Et pourquoi elle vous a attiré ?
05:59Elle fait peur parce que c'est un peu la recherche du temps perdu théâtral.
06:02C'est un Vendée Globe du théâtre, pour le coup.
06:05C'est une grande traversée, donc ça fait peur parce qu'il y a beaucoup d'actrices, d'acteurs.
06:09Clodel, malheureusement, fait peur.
06:11Il a une réputation, il s'est fait emburer malgré lui, j'ai l'impression, alors que
06:14son théâtre est le paradoxe absolu de sa vie.
06:18C'est un livre picaresque.
06:20Les grands amours de Clodel, c'était Shakespeare, c'était le siècle d'or espagnol.
06:25C'est une fresque absolument dingue.
06:27Vous dites, il est shakespearien.
06:29Absolument, il fait alterner des grandes scènes de clown, des scènes politiques.
06:33Il était en plus consul et ambassadeur, Clodel, donc il connaît bien ça.
06:38Des scènes de haute intensité absolument magnifiques.
06:41Il est shakespearien dans ce sens-là.
06:43Oui, c'est du théâtre complet.
06:45C'est un sandwich club absolument extraordinaire.
06:47Oui, parce qu'il y est question d'amour, de la tension entre l'amour charnel.
06:51C'est le désir de transcendance.
06:53Clodel était quelqu'un, on le sait, de très croyant.
06:55Il y a une révélation à 18 ans, je crois, à un second grand poteau de Notre-Dame,
06:59qu'on a revu il n'y a pas longtemps.
07:01Et puis, il a eu dans sa vie une passion pour une jeune Polonaise qui s'appelait Rosalie Wetsch,
07:06dont il a eu un enfant, ça a duré des années.
07:08Qui était une femme mariée.
07:09Qui était une femme mariée.
07:10Qui a inspiré le soulier de Satan.
07:12Et lui-même était marié, donc ça a inspiré toute son œuvre.
07:15Mais en gros, entre ses convictions religieuses et la réalité de sa vie,
07:19il a mis en exergue de son œuvre, celui de Satan, une citation de Saint-Augustin qui dit
07:26« Etiam peccata », qui veut dire « même le péché sert ».
07:29C'est comme s'il avait écrit 12 heures de théâtre pour justifier du fait que
07:33ces amours adultérins, finalement, étaient peut-être une manière de rencontrer Dieu
07:38d'une façon plus frontale.
07:39Oui, mais c'est ça.
07:40C'est l'amour.
07:41C'est l'amour absolu.
07:42L'amour adultérin.
07:43C'est l'amour charnel.
07:44C'est la transcendance avec Dieu.
07:45Est-ce que j'ai le droit de pécher ?
07:47Et aussi, une pièce sur l'exercice du pouvoir.
07:51C'est-à-dire que c'est aussi le Claudel, comme vous dites, qui a été consul,
07:54qui a été diplomate, qu'on voit dans la pièce.
07:57Il y a tout ça dans le soulier de Satan.
07:59Tout ça qui en fait.
08:00Et puis 70 personnages.
08:02Et puis ça se passe sur 30 ans.
08:04Enfin, je veux dire, sur 3 continents.
08:06C'est du théâtre monstre, comme vous dites.
08:08Première fois mise en scène par Jean-Luc Barraud, c'était pendant l'occupation,
08:12Salerie-Cholure, à la Comédie-Française, en 1943.
08:16Et il avait à l'époque dû composer avec les restrictions en décors et en électricité.
08:20Il fallait réduire la pièce pour que ça se termine avant le couvre-feu.
08:23Et la pièce avait été plébiscitée.
08:25Parce que pendant la guerre, on pensait que c'était une œuvre de résistance.
08:28Oui, je crois que le succès a inquiété les Allemands.
08:32La dernière phrase est « délivrance aux âmes captives ».
08:36Claudel parle d'autre chose évidemment que l'occupation.
08:40Mais je crois que les Allemands ont soupçonné un message subliminal.
08:44On va l'écouter, Jean-Luc Barraud, dans une archive qui date de 1980.
08:47Il parle de son amour pour cette pièce, pour le soulier de satin.
08:50Le soulier de satin, c'est quelque chose de planétaire.
08:53C'est énorme.
08:55Ce n'est plus du tout de la poésie ou de la littérature.
08:58C'est de l'évidence, c'est de la chair, c'est de l'humanité.
09:03Il y a toujours deux êtres sur Terre qui sont voués l'un à l'autre.
09:07Ces deux êtres peuvent se rencontrer, c'est la grâce.
09:11Ils peuvent ne pas se rencontrer, c'est triste.
09:13Mais ils peuvent aussi se rencontrer et ne pas avoir la permission de s'aimer.
09:17C'est-à-dire qu'ils rencontrent l'interdiction.
09:19C'est le cas du soulier de satin.
09:23Vous dites que si Paul Claudel vivait aujourd'hui, il serait scénariste pour Netflix.
09:27Oui, c'est Suliane Brahim qui m'a dit ça.
09:30On avait fait une préfiguration et elle découvrait l'œuvre.
09:33Après l'avoir traversée, elle m'a dit qu'on dirait une série de Netflix.
09:36Effectivement, Paul Claudel est un vrai écrivain de théâtre.
09:39Ce n'est pas du tout un grand poème lyrique.
09:41Je n'ai jamais parlé aux acteurs de musique intérieure, de grand souffle,
09:45parce que ça tétanise tout le monde.
09:47Ça angoisse le spectateur que nous sommes.
09:49Je sais que les gens qui vont s'asseoir à 15h vont se dire
09:51« Mais pourquoi j'ai accepté cette purge ? »
09:54« Pourquoi j'ai acheté ce billet il y a 6 mois alors que ça dure 7 heures ? »
09:57« Pourquoi j'ai accepté ce cadeau de Noël ? »
09:59Parce que 7 heures, ça impressionne.
10:01J'essaie de faire en sorte que c'est un théâtre joyeux.
10:05Claudel était un dialoguiste absolument incroyable.
10:08Il met des situations de théâtre absolument dingues.
10:11J'ai essayé de faire en sorte de raconter cette histoire
10:14pour qu'on ait toujours envie de savoir ce qui se passe après.
10:16Vous leur dites à vos acteurs qu'il faut jouer concret et respirer la joie
10:21si on ne veut pas emmerder le spectateur.
10:23Oui, absolument.
10:24Mais il faut rendre grâce à la richesse, à la profusion de cette écriture.
10:28Est-ce que vous comprenez pourquoi ces pièces intégrales
10:31ont tellement de succès aujourd'hui ?
10:33Alors qu'elles semblent totalement anachroniques.
10:35On peut s'enfermer dans un théâtre, que ce soit pour voir le soulier de satin d'Eric Ruff
10:38ou pour Wajdi Mahawad ou pour Thomas Joly
10:41pendant 5, 6, 7, parfois 12 heures.
10:44Dans notre monde où on est complètement branché,
10:47on est dans l'immédiateté, on est là avec notre téléphone portable.
10:50Ça permet quoi ?
10:51Et ça cartonne, ça cartonne.
10:53C'est plein, partout, à chaque fois.
10:55Et moi, je suis toujours très étonnée quand on me dit
10:57« J'ai vu une pièce, elle a duré 7 heures, je me suis enfermée
10:59et j'ai coupé mon portable. »
11:01Je pense que ça permet de fuir.
11:03Oui, pour nous, c'est un grand avantage.
11:05C'est qu'à la fin, les gens s'applaudissent autant eux-mêmes que la pièce.
11:08On a tenu !
11:12Il y a des entractes ou pas ?
11:14Oui, il y a deux entractes et une pause repas.
11:18C'est bon, Nicolas peut venir.
11:20Une pause repas.
11:22De combien de temps ?
11:23Dans ce monde tellement fractionné,
11:25je crois que les gens ont un vrai goût à se dire
11:27« Tiens, je vais me concentrer sur une seule chose. »
11:29Pouvoir ne pas choisir les gens qui sont autour de soi,
11:32éteindre son portable,
11:34être sûr qu'on ne va pas vous demander un commentaire immédiatement
11:36et réussir à dormir sur une émotion.
11:38Finalement, c'est un caviar assez rare
11:40et je pense que c'est pour ça que les gens viennent.
11:42Mais vous avez raison, c'est un luxe aujourd'hui.
11:44C'est qu'on permet de se transcender,
11:46de s'éloigner, de fuir.
11:48La foi, Paul Claudel, vous l'avez dit,
11:50il y a cette phrase incroyable,
11:52il raconte, il a souvent raconté,
11:54comment il a été touché alors qu'il était athée par la grâce divine.
11:56C'était le jour de Noël 1886,
11:59à Notre-Dame de Paris.
12:01Il écrit « J'étais moi-même debout dans la foule,
12:04près du second pilier, à l'entrée du chœur,
12:06à droite, à côté de la sacristie,
12:08et c'est alors que se produisit l'événement
12:10qui domine toute ma vie.
12:12En un instant, mon chœur fut touché et je crus.
12:14Je crus d'une telle force d'adhésion,
12:16d'un tel soulèvement de tout mon être,
12:18d'une conviction si pure,
12:20d'une telle certitude ne laissant place
12:22à aucune espèce de doute que depuis,
12:24tous les livres, tous les raisonnements,
12:26tous les hasards d'une vie agitée
12:28n'ont pu ébranler ma foi,
12:30à vrai dire, la toucher.
12:32C'est magnifique ça !
12:34Le théâtre est l'expression de son ébranlement justement.
12:37Il a beau dire qu'il n'a pas été ébranlé,
12:39que sa foi n'a jamais été ébranlée,
12:41elle l'a été pour le coup.
12:43Son théâtre n'est que cette expression-là.
12:45Il y a toute une œuvre dite « exégète »
12:47de Claudel, écrivant, expliquant la Bible, etc.
12:49Mais son théâtre est vraiment l'expression
12:51de ces contradictions, de son paradoxe.
12:53Ce qui est magnifiquement intéressant chez Claudel,
12:55c'est que ce n'est pas un illuminé.
12:57Ces personnages ne sont pas des gens un peu perchés
12:59et qui sont tout d'un coup touchés par le doigt de Dieu.
13:02Ce sont des personnages qui sont arrachés à leur destin.
13:04Ce sont des personnages qui sont bien là où ils sont,
13:06dans leur caste, dans leur destin,
13:09et qui sont arrachés, qui se font appeler.
13:11C'est un arrachement qui est douloureux
13:13et qui se deal.
13:15Il y a chez Claudel une volonté
13:17d'être horizontal avec Dieu,
13:19de lui demander des comptes.
13:21Donc c'est très musclé.
13:23Vous-même, vous avez lu un texte d'Aragon,
13:25Le Paysan de Paris, il y a une semaine,
13:27au moment de la cérémonie de réouverture.
13:29Qu'est-ce que ça vous a fait de lire ce texte
13:31à Notre-Dame ?
13:33La veille, j'étais dans un temple
13:35protestant.
13:37J'attendais
13:39de lire une sourate à la grande mosquée,
13:41mais ils ne m'ont pas envoyé ce truc-là.
13:43C'était
13:45forcément très
13:47impressionnant
13:49de participer à ce genre
13:51de grands événements.
13:53En tant qu'administrateur de la Comédie française,
13:55je suis quelquefois appelé à faire ça
13:57et c'est absolument mon travail.
13:59Vous avez grandi à Belfort, dans une famille protestante,
14:01donc de quatre enfants, père cardiologue,
14:03mère professeur d'anglais. Vous dites « Mon enfant, c'est une chanson
14:05de Brel, heureuse et interminable ».
14:07C'est cette chanson-là qui n'est pas très connue.
14:09« Je suis un soir d'été ».
14:11« Je suis un soir d'été ».
14:13« Je suis un soir d'été ».
14:15« Je suis un soir d'été ».
14:17« Je suis un soir d'été ».
14:19« Je suis un soir d'été ».
14:21« Je suis un soir d'été ».
14:23« Quelques buveurs humides
14:25parlent de
14:27Aridel et de vieilles
14:29périphides.
14:31C'est l'heure où les bretelles
14:33soutiennent le présent
14:35des passants
14:37répandus et
14:39des alcoolisants. »
14:41Ça, c'était votre enfance
14:43à Belfort, « Un soir d'été ».
14:45C'est cette chanson.
14:47Oui, c'est la lenteur d'une ville,
14:49d'une région,
14:51d'une enfance qui a été douce,
14:53mais douce amère. Il y a une rivière
14:55qui passe à Belfort qui s'appelle la Savoureuse
14:57et qui est très souvent un petit peu à sec l'été.
14:59Et qui a une odeur douce amère
15:01de mi-pourriture, mi-beauté.
15:03Ça représente
15:05un petit peu, oui, j'ai passé 18 ans
15:07à Belfort. 18 ans
15:09dans les murs de ma maison, les murs parentaux,
15:11les murs familiaux.
15:13Les murs de ce père dont vous avez parlé. Vous aviez écrit une tribune
15:15sur qui est-ce que c'était d'être le fils
15:17de ce père qui était cardiologue, homme de culture
15:19et adhérent au Front National.
15:21À l'époque, dans les années 80,
15:23vous dites « le théâtre, ça m'a permis
15:25de m'opposer, moi timide,
15:27vous étiez timide, à ce père autoritaire.
15:29J'avais du mal à me faire entendre.
15:31Le théâtre vous a permis de vous faire entendre
15:33face à ce père qu'on imagine
15:35charismatique, autoritaire.
15:37Oui, ça m'a permis
15:39de m'échapper.
15:41Le théâtre m'a surtout permis d'essayer
15:43d'inscrire ma force quelque part. Je sentais que j'avais de la force
15:45mais je ne savais pas où la mettre.
15:47Ça ne m'aidait pas beaucoup à ça.
15:49La sienne, je la prenais directement,
15:51sa force.
15:53Mais le théâtre m'a ouvert
15:55quelque chose. Mon père voulait que je sois, évidemment,
15:57il était cardiologue, il voulait que je sois chef de clinique.
15:59J'ai essayé d'échapper en faisant du théâtre, sauf que j'ai dirigé
16:01la comédie française.
16:03On n'échappe pas tant que ça à son destin.
16:05On n'échappe pas à son enfance.
16:09Les impromptus pour terminer,
16:11Molière ou Shakespeare ?
16:13Euh...
16:15Je vais dire Molière.
16:17Encore six mois,
16:19après vous pourrez dire Shakespeare.
16:21On ne le pense pas, mais Molière est tout aussi riche que Shakespeare.
16:23Cyrano ou Don Juan ?
16:25Euh...
16:27Cyrano.
16:28Les Trois Mousquetaires ou Le Comte de Monte Cristo ?
16:30Les Trois Mousquetaires.
16:32Parce que vous avez joué dans la version qui a cartonné au cinéma.
16:34J'ai joué Richelieu.
16:36Le cinéma, ça vous tente de plus en plus ?
16:38On vous verra de plus en plus quand vous serez à la retraite,
16:40dans six mois ?
16:41Oui, j'espère.
16:43Je suis vraiment, pour le coup, ce qu'on appelle un homme de théâtre.
16:45Ça a été ma préférence pendant très longtemps.
16:47On est responsable de ce qu'on fait au théâtre.
16:49Pendant l'heure de la présentation,
16:51si on vous écoute, si on vous écoute pas,
16:53c'est vous qui gérez la chose.
16:55Au cinéma, ça dépend un petit peu de la bonne prise.
16:57Quand un pensionnaire quitte la comédie française, vous lui en voulez ?
16:59Quand il part de lui-même ?
17:01Pas du tout, c'est exemplaire.
17:03Et à chaque fois, ça met un grand coup de santé dans tout ça.
17:07Alcool, sexe, drogue ?
17:09Vous dévissez ?
17:11Alcool.
17:13Les yeux bleus ou les yeux noirs ?
17:15Les yeux bleus.
17:17Parce que tous les portraits reviennent sur vos yeux.
17:19Je le dis en tout bien tout honneur,
17:21mais vous avez des yeux quand même incroyables !
17:23Des yeux de félins !
17:25Charline ne trouve pas !
17:29Pour terminer, quartier préféré de Paris ?
17:33Le dixième.
17:35Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
17:39Liberté.
17:41Éric Ruff était notre invité.
17:43Merci à vous.
17:45On a très envie d'aller voir Le Soulier de Satin,
17:47même pendant 7h, surtout pendant 7h.
17:49Ça commence le 21 décembre à la Comédie-Française,
17:51ça dure jusqu'en avril.
17:53Oui Nicolas, allez-y !
17:55Les auditeurs d'Inter vous retrouveront.
17:57Éric Ruff, tout à l'heure en répétition
17:59dans le 13-14 de Jérôme Cadet,
18:01vous figurez au générique du feuilleton
18:03« Une semaine dans leur vie »
18:05consacré aux coulisses du Soulier de Satin.
18:07Merci et belle journée.