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  • 13/03/2023
Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion Publique à l'IFOP, est l'invité de 7h50. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-13-mars-2023-6568197

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00:00 - A 7h49, Léa Salamé, votre invitée ce matin est le directeur du département opinion Alifop.
00:05 - Et bonjour Jérôme Fourquet. - Bonjour.
00:07 - Merci d'être avec nous ce matin après deux mois de mobilisation, huit journées de manifestation, des grèves et un texte en passe de passer au Parlement.
00:13 Diriez-vous, pour reprendre le titre d'un de vos ouvrages, que la France en ce début 2023 est plus archipélisée que jamais ?
00:21 - Alors justement, on voit qu'il y a encore des sujets qui font relativement consensus en France,
00:26 et notamment notre modèle social avec ce système de retraite et l'âge de départ à la retraite qui avait été mis en place ou ramené à 60 ans par François Mitterrand il y a plus de 40 ans maintenant.
00:37 Et on voit manifestement qu'il y a un très grand consensus pour conserver ce modèle en France,
00:42 puisque les enquêtes nous disent qu'à peu près deux tiers des Français sont opposés à cette réforme et donc souhaitent conserver ce schéma.
00:50 - Alors l'opinion ne bouge pas, elle reste durablement opposée à ce texte,
00:53 mais le durcissement du mouvement, le blocage des raffineries, la grève, des éboueurs, et on le voit partout dans Paris ce matin, ça peut faire changer l'opinion ou pas vraiment ?
01:01 - Alors on suit deux indicateurs principalement en termes de sondage, c'est comme vous l'avez rappelé, l'adhésion ou le rejet de cette réforme,
01:09 et puis un deuxième indicateur qui est très important également et qui lui a un peu tendance à évoluer,
01:14 c'est le pronostic que les Français posent sur l'issue de cette bataille sociale.
01:20 Et là-dessus, on voit qu'il y a, on s'achemine vers la fin, de plus en plus de Français qui considèrent que le texte va passer,
01:26 on est à plus de 70% aujourd'hui, et cela s'explique notamment par le fait que, justement, sur le front du blocage du pays, des grèves,
01:36 les syndicats, pour plusieurs raisons, n'ont pas été en capacité d'installer un rapport de force suffisant qui ait été en capacité de faire reculer le gouvernement.
01:49 Pour vous, il n'y a pas eu vraiment de blocage, il n'y a pas eu de mise à l'arrêt du pays, et sans mise à l'arrêt, ce que vous nous dites, c'est en fait,
01:58 ils peuvent manifester par millions, les sondages peuvent être massivement opposés à cette réforme, s'il n'y a pas de blocage, le gouvernement reste inflexible, c'est ça que vous dites ?
02:08 C'est ce qu'on constate en tout cas, et on voit bien qu'il y a justement trois fronts, le front de la bataille de l'opinion qui a été gagné dès le début par les syndicats,
02:16 le front de la mobilisation dans la rue, là aussi avec des cortèges très importants, dans de très nombreuses villes, y compris des petites villes, donc la mobilisation en haute rendez-vous,
02:25 et puis il y a le troisième levier classique dans un mouvement social, c'est la grève, et cette grève, même si elle a touché, elle continue de toucher certains secteurs,
02:33 n'a pas du tout eu la même ampleur que ce qu'on avait connu par le passé dans d'autres mouvements, et face à un gouvernement qui apparaît très déterminé,
02:41 tant que ce troisième levier n'est pas actionné puissamment, le rapport de force n'est pas suffisant pour faire changer la trajectoire du gouvernement.
02:51 Et alors pourquoi ? C'est l'inflation la réponse ? C'est la crise économique la réponse ?
02:54 Pourquoi il n'y a pas eu davantage de grèves ? Pour plusieurs raisons. D'abord sans doute que les syndicats ne sont plus aussi implantés qu'ils l'étaient par le passé,
03:02 les grands bastions syndicaux existent encore mais c'est plus difficile à mobiliser. Deuxièmement, vous avez raison, faire grève ça coûte de l'argent,
03:09 et on voit qu'aujourd'hui dans toutes nos enquêtes le pouvoir d'achat c'est la priorité numéro un des français,
03:14 et une part très importante de la population nous déclare qu'elle n'a pas les moyens de mettre de l'argent de côté à la fin du mois.
03:20 Je vous donne juste deux chiffres, en 2010 c'était la précédente grande réforme des retraites, 54% des français disaient "je peux mettre un peu d'argent de côté à la fin du mois,
03:28 et donc quelque part potentiellement je peux me permettre de faire grève". Aujourd'hui on est à 37% seulement de français.
03:35 Ça les directions syndicales l'avaient très bien anticipé, c'est pour ça qu'elles n'ont pas appelé à la grève reconductible,
03:41 parce que ça aurait été pire que tout de se lancer dans un bras de fer et de le perdre dès le départ.
03:46 C'est pour ça aussi que ces syndicats ont espacé les journées d'action et ont opté parfois pour des mobilisations le samedi,
03:52 pour permettre à des salariés modestes de venir se joindre au cortège sans avoir à poser une journée de grève.
03:59 Si le gouvernement ne parvient pas à avoir de majorité, si jamais le texte passait par le 49-3, ça aurait des effets sur l'opinion,
04:06 ça peut attiser les colères ou au fond peu importe la manière dont il passe le texte, à partir du moment où il passe.
04:13 Je pense que l'essentiel c'est qu'il passe ou non pour les français et que ça va rajouter un sentiment de déception et d'amertume si on est obligé de passer par le 49-3.
04:24 Dans le reportage que vous avez réalisé tout à l'heure sur le marché du Mans, on entendait un français qui disait "moi c'est terminé, je n'irai plus jamais voter".
04:36 Donc c'est à mon avis une des conséquences à terme de cette adoption d'un tel projet de loi.
04:43 On rappelle que 52% des français ne sont pas allés voter lors des législatives pour élire les députés.
04:49 Donc vous pensez qu'à la prochaine élection l'abstention va être encore plus grande ?
04:53 Sans doute, puisque une partie large des français constate empiriquement qu'en dépit d'une opposition massive, le texte est quand même adopté.
05:01 Donc il y a un espèce d'aquabonisme en disant "en fait tout ça ne sert à rien".
05:05 Et peut-être autre élément à tirer comme conclusion, tout ça va nous renforcer encore dans l'idée que la seule élection qui compte vraiment en France, c'est l'élection présidentielle, puisque c'est de là que tout découle.
05:19 Il y aura un ressentiment durable, une amertume, une tristesse même, pendant des mois, où les français vont finir par accepter et oublier.
05:27 Après tout, ce n'est pas la première réforme qui passe dans la douleur.
05:30 Oui, mais ces réformes successives ont sans doute leur part de responsabilité dans l'espèce de pessimisme, de morosité, d'amertume que vous soulignez, et qui va encore être renforcée par ce phénomène.
05:42 Quand on avait interrogé, on travaillait qualitativement lors de la réforme de 2010, les français nous disaient "bon, si vraiment il faut aller jusqu'à 62 ans, c'est un énorme sacrifice que vous demandez, mais acceptons-le.
05:55 Mais il ne faudra surtout pas revenir nous voir quelques années plus tard pour remettre le couvert, si vous me permettez l'expression, et redemander davantage d'années de...
06:03 Et 12 ans après, on est revenus les voir.
06:05 On est là-dessus, et donc manifestement, oui, on aura cette abstention qui risque de s'ancrer davantage, et cette idée que le peuple n'est pas entendu.
06:16 Je vous lis dans la presse, Jérôme Fourquet, ces derniers jours, vous semblez plus pessimiste que jamais sur l'état de notre pays.
06:21 "Jusqu'où ira le grand affaissement de la France ?" vous demandiez vous ce week-end dans le Figaro Magazine.
06:25 "Le délitement des services publics signe notre déclin collectif dans Libération il y a quelques jours."
06:31 Déclin, affaissement, déclassement, c'est des mots qui reviennent en permanence dans votre bouche.
06:35 La France va-t-elle si mal ? Elle est si pessimiste, elle est si dépressive que ça ?
06:39 Alors, dépressive, je ne le sais pas. En tout cas, ce qu'on constate, c'est qu'il y a un véritable affaissement.
06:45 Vous parlez régulièrement des services publics, on a parlé des enseignants, on peut regarder ce qui se passe à l'hôpital.
06:50 Vous voyez aussi ce qui se passe du côté d'EDF, avec un signe qui a été très puissamment entendu dans l'opinion en fin d'année dernière,
06:57 quand le gouvernement veut, de manière préventive, préparer les Français à la perspective de coupure de courant.
07:03 Et donc, pour un pays comme la France, c'est quand même pas du tout anodin.
07:07 Et donc, ces multiples signaux nourrissent l'idée que nous sommes en voie de déclassement, même si, encore une fois, on part de très haut.
07:16 Et donc, on reste un pays riche, on a un modèle social qui est puissant.
07:20 Derrière toutes les colères, derrière tout le ressentiment, derrière toutes les tristesses, derrière toutes les abstentions, il y a cette idée, à la fin, du déclassement de notre pays.
07:27 Alors, du déclassement collectif, et puis aussi, pour beaucoup, dans certaines régions, du déclassement individuel ou familial.
07:33 En disant, on regarde où en étaient nos parents et nos grands-parents, et on a le sentiment que nous avons plutôt descendu des marches.
07:41 Pour l'instant, Emmanuel Macron se tait, il ne veut pas recevoir les syndicats, il le dit.
07:46 Vous dites, il applique la dage "les chiens à bois à la caravane passent".
07:49 Comment il pourra retisser le lien après, regagner la confiance ? Il reste quatre ans, quand même.
07:54 Comment il peut reprendre la main à une grande loi sociétale, une loi sur les services publics, où c'est fini, en fait ?
07:59 Il y a un truc cassé.
08:01 En tout cas, avec les syndicats, ça va être très compliqué.
08:03 Le juge de paix, c'est quelqu'un comme Laurent Berger.
08:09 On rappelle qu'en 2017, lors de la victoire initiale d'Emmanuel Macron, plus de 45% des sympathisants de la CFDT avaient voté pour lui.
08:19 On voit aujourd'hui que le lien est rompu, et donc, comme vous l'indiquiez, il faudra retisser des rapports ensuite,
08:27 et notamment avec les organisations syndicales, et même avec les organisations réformistes.
08:31 On peut penser que le climat est très glacial, et que ça va être très compliqué de repartir.
08:37 On entend déjà qu'il y a des projets de loi sur la réforme des institutions, sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution.
08:45 Ça peut réparer ça ?
08:47 Ça fait partie de l'agenda du président, mais on n'est pas du tout à la hauteur de ce qu'il faudrait faire.
08:54 Et en même temps, le prochain texte, je le rappelle, c'est l'immigration. Encore un texte bien rassembleur.
08:58 Merci à vous.
09:00 Merci beaucoup, Jérôme Fourquet, pour ce petit point sur l'état de l'opinion après deux mois,
09:04 et alors qu'on rentre dans une semaine décisive pour cette réforme des retraites. Merci et bonne journée.
09:08 Merci à vous.

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