Thierry Breton, ancien commissaire européen au Marché intérieur, est l'invité du 7h50, jeudi 17 juillet. Il livre son analyse du budget 2026 présenté par François Bayrou. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-17-juillet-2025-2813495
00:04Et notre invité porte un regard acéré sur la guerre commerciale avec les Etats-Unis de Donald Trump.
00:10Thierry Breton, bonjour.
00:11Bonjour.
00:12Commissaire européen au marché intérieur pendant 5 ans jusqu'à l'année dernière.
00:15Ministre de l'économie sous Jacques Chirac, c'était dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
00:18Ancien PDG aussi de France Télécom et d'Atos.
00:21Guerre commerciale qui entre dans une phase critique pour l'Europe.
00:24Puisque le président américain promet d'imposer à partir du 1er août 30% de droits de douane sur les produits de l'Union Européenne expédiés aux Etats-Unis.
00:3215 jours pour éviter la catastrophe, c'est encore possible ?
00:36Bien sûr que c'est possible.
00:37Pour peu qu'on se donne les moyens effectivement de mener une négociation qui, je le pense, désormais est une négociation politique.
00:46Au fond, je crois même que ça a toujours été une négociation politique.
00:49Sauf qu'elle dure depuis 100 jours.
00:50Qu'est-ce qui s'est passé ?
00:51Effectivement qu'elle dure depuis 100 jours et peut-être du reste que nous, Européens.
00:56Et je rappelle que nous avons confié, nous les 27, l'exclusivité de la négociation à la Commission Européenne.
01:04Et c'est une bonne chose parce qu'évidemment on pèse plus à 27 que tout seul.
01:08Donc c'est la raison pour laquelle nous avons confié cette responsabilité ensemble.
01:13450 millions de concitoyens européens à la Commission pour peser davantage.
01:17Mais voyez-vous, Donald Trump, Donald Trump il fait de la politique.
01:21Il fait de la politique.
01:22Alors c'est pas toujours facile à suivre la politique de Donald Trump.
01:25Mais ça veut dire qu'il faut faire de la politique aussi en face.
01:27Mais bien entendu, regardez ce qu'ont fait les Anglais, qui ont été très critiqués.
01:30Les Anglais, eh bien, ils ont envoyé une équipe que politique à Washington.
01:38Et le Premier Ministre britannique leur a dit, écoutez, vous allez là-bas, c'était que des politiques.
01:44Conduites par Peter Mandelson, qui est l'ancien, un ancien commissaire britannique européen,
01:50qui est, qu'on connaît bien, nous en Europe, sans doute l'un des plus fins politiques que les Britanniques aient aujourd'hui.
01:59Une équipe de trois personnes, essentiellement politiques, ils ont eu un accord.
02:04Alors cet accord a été très critiqué, je le rappelle pour nos auditeurs.
02:0710% de droits de douane sans contrepartie, ce qui par parenthèse est contraire aux règles internationales de l'OMC.
02:14Des taxations sur les véhicules avec une exemption pour les 100 000 premiers envoyés, ça a été critiqué, mais ils ont eu leur accord.
02:19Et vous dites, si l'Europe fait moins bien à 27, si l'Union Européenne obtient un moins bon accord que le Royaume-Uni,
02:27c'est un danger mortel, c'est le boulevard pour les anti-européens ?
02:29En tout cas, ça voudrait dire, donc, je ne dis pas que c'est notre credo, c'est la réalité dans le monde brutal dans lequel nous sommes,
02:39c'est que si on n'arrive pas à démontrer précisément que nous pesons ce que nous pesons,
02:44parce que je rappelle quand même qu'entre les Etats-Unis et l'Europe, c'est 1 500 milliards de produits qui sont échangés chaque année.
02:53Donc c'est quand même un marché essentiel pour les Etats-Unis.
02:55Mais nous sommes le premier marché, le premier partenaire commercial.
02:58Ça marche dans les deux sens.
03:00Donc ne pas être capable de faire comprendre, y compris à Donald Trump, ce que sont les bases même d'un rapport de force,
03:08ça pose une question de négociation.
03:09Donc pour répondre à votre question initiale, bien sûr qu'il faut envoyer désormais une équipe politique,
03:14toute affaire cessante, à Washington et discuter politique avec Donald Trump.
03:18Avec quelles armes ?
03:19Eh bien les armes, on vient d'en parler.
03:21Nous sommes le deuxième plus gros marché du monde.
03:24Des mesures coercitives ?
03:25Mais on a effectivement toute une panoplie, effectivement, qui ont été mises en place,
03:30parce que précisément, on ne peut pas tolérer que pour nos entreprises, pour protéger nos emplois,
03:35certains exercent des pressions indues, parce qu'il faut appeler un chat un chat,
03:40lorsqu'on vous dit de façon unilatérale, sans aucune justificative,
03:45qu'on va vous mettre 10% de droits douanes et puis 20% et puis maintenant c'est 30%,
03:49et c'est quoi ? C'est quoi l'origination de ça ?
03:51Ça sort d'où ?
03:52Et on va continuer pendant longtemps comme ça ?
03:54Donc il faut évidemment dire, attendez, à un moment il faut arrêter,
03:59voilà les mesures que nous avons.
04:01Alors il y a des paquets, comme on dit dans notre jargon, qui ont été préparés.
04:03D'abord pour contrecarrer l'augmentation des droits de douane sur l'acier à l'aluminium,
04:09alors c'est un paquet à 24 milliards d'euros pour très bien,
04:12ensuite pour contrecarrer cette augmentation à 10%,
04:16et puis on a des mesures qu'on appelle anti-coercition,
04:21c'est-à-dire qu'on avait mis en place, lorsque la Chine se comportait,
04:24un peu, il faut dire les choses comme elles sont,
04:26comme Donald Trump contre nous.
04:28Et donc on avait dit, bah écoutez, quand un pays, une puissance étrangère,
04:32fait de la pression indue en utilisant des armes économiques pour obtenir un objectif politique,
04:36on se défend, ces armes, elles sont là.
04:39Ça peut être par exemple la taxation, l'interdiction sur les services,
04:42ça veut dire interdiction des entreprises de participer aux appels d'offres publiques.
04:47On a toute une gamme, bah oui, il faut dire qu'aujourd'hui elle est là,
04:50et il ne faut pas avoir peur désormais de l'utiliser,
04:52si jamais c'est nécessaire, et ça risque d'être nécessaire.
04:54Et puisque vous parlez des emplois, est-ce qu'on peut chiffrer,
04:57aujourd'hui on sera avec Marie-Lise Léon de la CFDT tout à l'heure,
04:59est-ce qu'on peut chiffrer combien d'emplois en France, en Europe, sont en assez ?
05:01C'est des centaines de milliers d'emplois,
05:03on peut chiffrer déjà l'impact évidemment sur la croissance,
05:06alors les pays, pour nos auditeurs qui vont être les plus impactés,
05:09évidemment c'est l'Allemagne en premier,
05:10parce que l'Allemagne fait 23% de ses exportations aux Etats-Unis,
05:14donc l'impact sur la croissance en Allemagne,
05:17ça peut être, tenez-vous bien, entre 0,9 et 1,1% sur la croissance,
05:22c'est énorme, l'impact sur l'Italie,
05:25ça peut aller, qui est aussi un grand exportateur,
05:27jusqu'à 1,2%, pour nous, ce serait un peu moins, 0,6, 0,7,
05:31je parle si jamais nous maintenons les droits de douane à 30%,
05:34voilà, donc on voit qu'effectivement, on est tous en récession, si c'est ça.
05:38Mais les Etats-Unis aussi, il ne faut jamais oublier
05:41que derrière ceux qui vont payer, c'est évidemment les consommateurs américains,
05:45donc ces mesures sont des mesures qui finalement sur le moyen terme,
05:49sur le court terme, il va être très content parce qu'il engrange des droits de douane,
05:52je parle du gouvernement américain et de Donald Trump,
05:54sur le moyen terme, c'est évidemment un impact qui est un impact déflationniste aux Etats-Unis,
05:59mais aussi qui va faire augmenter, bien entendu, on le sait, les prix et donc l'inflation.
06:06Risque de récession, vous l'avez dit, en Europe,
06:09parce que cette guerre commerciale intervient dans un contexte économique évidemment très tendu,
06:14on le sait, deux jours après la présentation par François Bayrou de ces mesures d'économie,
06:19est-ce que ce plan vous paraît d'abord équilibré et à même de répondre au défi ?
06:23Ou est-ce que vous pensez comme un Édouard Philippe que quasiment rien là-dedans ne règle vraiment le problème ?
06:28Mais vous savez, je crois qu'il faut qu'on remette bien l'exercice qu'elles nous faisaient d'assister dans la perspective et pour ce qu'il est.
06:35C'est un moment très important pour la nation que la présentation d'un budget,
06:39c'est un rendez-vous effectivement avec nos dirigeants,
06:42ceux qui ont reçu mandat effectivement de gérer pour nous et la représentation nationale et nos concitoyens.
06:48C'est un moment donc politique.
06:49Ce à quoi nous avons assisté, et je le redis à nos auditeurs,
06:53ce n'est pas un budget qui est déjà finalisé, c'est un moment politique.
06:57Et donc il faut toujours regarder le message qui est envoyé
07:00et ensuite évidemment analyser les réactions qui ne manquent pas.
07:03Je vous accorde des uns et des autres, sans surprise du reste,
07:07peut-on du reste leur reprocher ?
07:08Ils défendent évidemment leur mandant.
07:10Ce message politique, je crois qu'il faut le prendre pour ce qu'il est.
07:13C'est, et vous savez que c'est aussi celui que je dis depuis longtemps,
07:16on ne peut plus continuer comme ça.
07:18Il y a deux choses principales qu'il faut, je crois, entendre dans ce message.
07:22D'abord, nous sommes tous attachés à ce qui a fondé, je dirais, notre vivre ensemble.
07:28Et depuis, n'ayons pas peur de le dire, le Conseil National de la Résistance, 1943,
07:33où on a basé, jeté les fonds bâtissimaux, on a construit ce vivre ensemble
07:37et quelque part un état-providence.
07:40On était à l'époque, on était à l'époque dans une dynamique
07:43où on avait entre 4 et 5% de croissance après-guerre,
07:454 ou 5% de démographie.
07:48Et donc, le système, il a fonctionné.
07:49Mais ce plan permet de protéger, de sauvegarder ce modèle social ?
07:53Bien sûr que non, ce plan ne permet pas, mais ce plan envoie des messages.
07:57Quels sont ces messages ?
07:58Dans les 1 700 milliards d'euros que coûte le fonctionnement de l'État,
08:03à nous seuls, juste pour nos auditeurs, 1 700 milliards d'euros,
08:06le budget de l'État, c'est-à-dire pour faire fonctionner toutes les administrations,
08:10les policiers, les juges, les professeurs,
08:12c'est 350 milliards à 380 milliards.
08:15Ça veut dire que le reste, le reste c'est quoi ?
08:18C'est 1 000 milliards pour de la protection sociale et les retraites.
08:22Dans ce paquet gigantesque, qui est encore une fois très important,
08:25qui est par parenthèse près de 3 fois plus important que le simple budget de l'État.
08:30Eh bien, il faut trouver 40 milliards, voilà.
08:32Et est-ce que c'est impossible ? Je ne pense pas.
08:36Est-ce que c'est nécessaire ? Oui.
08:37Et pourquoi c'est nécessaire ? Parce que cette année, tout le monde a entendu parler de la dette.
08:43La dette devient intenable.
08:44On va bientôt être le premier poste budgétaire,
08:48donc sur uniquement le remboursement des intérêts de la dette.
08:51Eh bien, cette année, là, en 2025,
08:54on génère encore 150 milliards à 180 milliards de dettes supplémentaires.
08:58L'année prochaine, avec le projet de budget qui est proposé,
09:02on va générer 135 milliards de dettes encore supplémentaires.
09:06Et qu'est-ce que nous dit, finalement ?
09:08Ce plan, il répond à l'urgence.
09:09Ce plan, il répond, encore une fois, il met sur la table les principaux éléments
09:14qu'il va falloir que, sur la durée, sur la durée, je dis,
09:18nous commencions à prendre, nous tous, conscience et réformer.
09:21J'en cite quelques-uns.
09:22Il y en a un qui fait, évidemment, polémique.
09:24C'est, évidemment, la réduction, la suppression de ces deux jours, donc, fériés.
09:30Évidemment, on peut en discuter.
09:31Mais c'est quoi, le message qui est derrière ?
09:32Parce qu'évidemment, ça rapporte, en gros, 4 milliards d'euros.
09:35C'est, par parenthèse, un peu de l'impôt supplémentaire.
09:38Mais ça rapporte à l'État, à l'État et à la sphère sociale, 4 milliards d'euros.
09:43Mais le message qui est derrière, c'est évidemment un message qu'il faut commencer à partager avec nos concitoyens.
09:48La France, dans son ensemble, travaille moins, travaille moins.
09:51Et je sais que c'est un sujet qui est discuté, mais c'est la réalité que ses principaux partenaires et concurrents.
09:58Il faut qu'évidemment, en bénéficiant de l'allongement de la durée de vie, il faut qu'on recommence à travailler plus.
10:03Plus, ça veut dire plus d'actifs au travail.
10:06Rentrer plus tôt sur le marché du travail.
10:08Peut-être en sortir aussi pour ceux qui le souhaitent et le peuvent un peu plus tard.
10:11Peut-être revoir aussi les modalités de notre fonctionnement.
10:14C'est ça le message qui est envoyé.
10:16Alors, est-ce qu'à la fin, on va troquer un jour ou deux contre autre chose ?
10:20Mais voilà un message, un autre message.
10:22Nous avons une fonction publique, qui est une fonction publique qui est évidemment très performante.
10:26Ou performante, dans le secteur, il y en a peut-être un peu trop, on le sait.
10:302,5 millions de fonctionnaires, 5,8 millions au total lorsqu'on a les trois fonctions publiques.
10:34Ben voilà, part de remplacement à partir de 2027 d'un fonctionnaire sur trois qui part à la retraite.
10:40On a le message.
10:41Et donc, il faut lire tous ces messages, les mettre ensemble sur la table et en discuter.
10:45Parce que finalement, je crois que c'est ça ce que veut François Béroux.
10:48C'est envoyer un message et faire en sorte qu'autour de la table, on commence à en discuter.
10:53Si on ne le fait pas, alors vous savez ce que disent tous nos partenaires.
10:58Un pays qui ne compte pas, c'est un pays qui ne compte plus.
11:00Merci Thierry Breton, ancien commissaire européen au marché intérieur.