- aujourd’hui
Après le désengagement militaire de la France au Sénégal, entretien avec Ousmane Ndiaye, journaliste indépendant, ex-rédacteur en chef Afrique à TV5 monde et chef de rubrique Afrique à "Courrier international", et Nicolas Normand, ancien ambassadeur au Mali (2002-2006), Congo (2006-2009) et Sénégal (2010-2013).
Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00La France est-elle hors-jeu en Afrique ?
00:03Elle n'est pas nouvelle cette question de la perte d'influence française sur le continent,
00:06particulièrement dans son ancien précaré, comme on l'appelait, de l'Afrique de l'Ouest.
00:11Mais elle connaît un tournant symbolique au Sénégal,
00:15où l'armée française vient de rendre les clés de ses dernières basses permanentes,
00:18alors même qu'elle l'avait déjà fait ces derniers mois ou ces dernières années,
00:23au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Tchad ou en Côte d'Ivoire.
00:27Deux invités pour en parler, Ousmane Diaye, bonjour.
00:30Journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef Afrique à TV5MONDE
00:33et chef de rubrique Afrique à Courrier International,
00:36vous venez de publier « L'Afrique contre la démocratie, mythe, déni et péril »
00:41aux éditions Rive-Neuve.
00:43Et en ligne avec nous, Nicolas Normand, bonjour.
00:45Bonjour.
00:46Ancien ambassadeur au Mali, au Congo-Brasaville et au Sénégal,
00:50auteur d'un grand livre de l'Afrique paru chez Erol.
00:54Vos questions sur la présence française en Afrique,
00:57vous nous les posez également au 0145 24 7000 et sur l'application de Radio France.
01:02Le 6 janvier dernier, devant les ambassadeurs, le président Emmanuel Macron disait
01:06« La France n'est pas en recul en Afrique, elle se réorganise ».
01:10Est-ce qu'il a raison de le dire ou est-ce qu'il l'euphémise ?
01:13Il se voile la face, Ousmane Diaye ?
01:15Je pense qu'il fait de la communication, se voile la face au passage,
01:19parce que le retrait militaire de la France est totalement subi.
01:24C'est-à-dire, on se rappelle toujours de cette fameuse scène
01:27où le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barraud, est au Tchad,
01:32visite au Tchad et dans l'avion retour,
01:35il apprend que les troupes françaises vont se retirer au Tchad.
01:38Emmanuel Macron a une autre version, dit que tout cela a été négocié,
01:41mais que la France, par bienséance, a laissé aux gouvernements africains
01:45le soin d'annoncer ce retrait militaire.
01:50Enfin, il y a plusieurs cas.
01:51Sur le cas du Sénégal, c'est négocié, ça a été annoncé.
01:55Mais sur le cas du Tchad, ça me paraît difficile de dire que c'est négocié,
01:59parce qu'on voyait à la fois dans le discours de Jean-Marie Bockel,
02:03donc Jean-Marie Bockel, ancien secrétaire d'État...
02:06L'envoyé spécial d'Emmanuel Macron.
02:08Macron, et qui a fait un rapport sur le repositionnement,
02:13en tout cas la nouvelle configuration militaire française.
02:16En fait, on voit clairement depuis l'entrée en guerre au Mali
02:20que la France subit le retrait.
02:23Il le subit doublement parce qu'il y a une mobilisation des opinions publiques.
02:27Et puis on voit que la projection sur l'avenir est très compliquée.
02:31Moi, j'aurais cru, au discours d'Emmanuel Macron sur la...
02:36S'est organisé tout ça, si on savait à quoi va ressembler le dispositif.
02:41On ne le sait pas, en réalité.
02:43Alors, justement, Nicolas Normand, comment vous qualifiez ce qui est en train de se passer ?
02:48Est-ce que c'est un tournant historique, un recul ou bien une suite logique, une nouvelle étape d'un processus ?
02:55Comment vous voyez cela et quelle importance vous donnez à ce nouvel épisode et ce retrait du Sénégal ?
03:01Alors d'abord, plutôt que d'avoir subi, je pense qu'on a été pris de vitesse.
03:06Parce qu'on était quand même engagés depuis 20 ans, pratiquement,
03:11dans un processus de retrait progressif de nos emprises militaires,
03:16en Afrique de l'Ouest en particulier,
03:17également en Afrique centrale, en incluant la République centrafricaine, le Tchad, le Gabon.
03:24Et donc, on a été clairement pris de vitesse.
03:27Alors, c'est évident dans le cas du Sahel central,
03:30les trois pays, Mali, Burkina, Niger,
03:32où là, on a été brutalement mis à la porte après les putschs militaires
03:37et un sentiment anti-français très fort.
03:40C'est moins évident ailleurs, en particulier au Sénégal.
03:43Alors, au Sénégal, ça n'a pas été aussi négocié que le dit Ousmane Diaye,
03:47parce que M. Bockel n'a pas eu le temps d'aller sur place.
03:50Et là aussi, on a été un peu pris de vitesse.
03:52On avait l'intention, effectivement, de retirer notre base,
03:55mais ça a été brutalement annoncé, sans véritable concertation avec Paris,
04:00par les autorités sénégalaises,
04:02qui, à peu de frais, en fait, ont donné satisfaction
04:04à une revendication populaire, en tout cas celle de leur électorat,
04:09ceux qui ont élu le PASTEF, n'est-ce pas,
04:11sur le thème de la souveraineté...
04:12La coalition qui est arrivée au pouvoir l'année dernière au Sénégal.
04:15Et c'était une promesse de campagne.
04:17La souveraineté ?
04:19Le retrait des troups français, c'était marqué noir sur blanc
04:22dans le programme du parti PASTEF, qui a pris le pouvoir au Sénégal.
04:25Campagne placée sous le signe de la souveraineté.
04:28Évidemment, la place de la France en Afrique, ça veut tout et rien dire.
04:32Il y a des réalités différentes selon chacun des pays.
04:36Mais comment faire la part des choses, Ousmane Diaye,
04:38entre cette aspiration légitime des peuples à la souveraineté
04:41et le sentiment anti-français dont on parle beaucoup ?
04:45Moi déjà, j'utilise très peu le sentiment anti-français
04:50parce qu'il me semble que ce qui se passe relève plutôt de quelque chose de plus profond.
04:56L'ambassadeur Normand a rappelé que, par exemple, le retrait,
05:00c'est un processus qui a enclenché depuis de nombreuses années.
05:02Il faut, par exemple, sur le cas du Sénégal.
05:05C'est la deuxième tentative de retrait.
05:06Le Sénégal avait demandé en 2011 le retrait des troupes français.
05:10Ça n'a pas pu se faire, etc., pour de multiples raisons.
05:14Donc, ce qu'il y a, c'est qu'il y a une contestation politique très forte
05:18au sein des opinions publiques, au sein de la nouvelle élite,
05:22au sein de la classe politique.
05:23En fait, la France est devenue un objet politique,
05:26de politique intérieure même, dans les pays africains.
05:29Aujourd'hui, vous prenez, et j'essaie de démontrer ça dans mon livre,
05:33vous prenez les régimes militaires putschistes.
05:36L'axe, le socle de leur légitimité, ce n'est pas l'élection,
05:40ce n'est pas qu'ils ont sorti leur pays du sous-développement, etc.
05:46C'est la volonté de souveraineté.
05:50Ce qui est assez vague, au fond.
05:51Et dans cette volonté de souveraineté,
05:53l'argument politique principal, jusqu'à présent,
05:56c'est le départ de la France.
05:57Quand vous prenez Mali, Niger, Burkina,
06:01la principale, en tout cas, ils s'enorgueillent d'avoir comme bilan
06:06le départ de la France.
06:07Donc, je pense qu'il y a deux choses qui sont très compliquées pour la France.
06:11C'est de concilier et d'inventer une nouvelle relation,
06:14tout en faisant face à une sorte d'héritage et d'historique qu'ils portent.
06:20Et c'est un héritage assez difficile à porter,
06:22parce que c'est un héritage d'ingérence,
06:24c'est un héritage de maladresse politique,
06:27c'est un héritage où, à un moment donné,
06:30la France a soutenu des régimes qui n'étaient pas démocrates.
06:33Ça veut dire qu'on est en train de solder une histoire de colonisation,
06:38puis d'ingérence, comme vous l'avez dit, Ousmane Diaye,
06:40la fameuse France-Afrique qui a perduré pendant des décennies
06:44et qui perdure peut-être encore aujourd'hui d'une certaine manière.
06:47C'est l'ultime étape de ce processus de décolonisation
06:51qu'on connaît actuellement, Nicolas Normand ?
06:54– Oui, en effet, on paye ce passif, ce qu'on appelle la France-Afrique.
06:59Alors c'était les bases militaires, le France-CFA,
07:02les opérations militaires extérieures comme Barkhane, Serval,
07:06et c'est aussi les injonctions politiques de conduite
07:10vis-à-vis des régimes en place des pays africains.
07:13Par exemple, François Hollande disant en 2012 ou 2013
07:17qu'il serait intraitable sur la date de l'élection présidentielle,
07:21comme s'il s'adressait à un sous-préfet, n'est-ce pas ?
07:24– Au Mali ?
07:25– Donc cette tutelle, au Mali, ça c'était au Mali.
07:28Donc cette espèce de tutelle très pesante de la part de l'ancienne puissance coloniale
07:35était ressentie de plus en plus difficilement par les autorités
07:40et par la population des pays africains.
07:43Il faut tenir compte de toutes ces erreurs.
07:46Alors on a en plus fait un certain nombre de fautes dans nos interventions militaires.
07:50Par exemple, au début de l'opération Serval contre les djihadistes,
07:55c'était en début 2013, on s'est associé aux séparatistes, n'est-ce pas,
07:59pour lutter contre les djihadistes.
08:01Alors que les séparatistes, c'est encore plus grave que les djihadistes
08:05pour les autorités maliennes puisqu'il s'agit d'une question existentielle pour leur pays.
08:09Alors que les djihadistes, finalement, c'est une querelle en partie religieuse
08:14qui pourrait être réglée peut-être par la négociation,
08:16ce qui n'est pas tellement le cas avec les séparatistes, s'ils restent séparatistes.
08:22Voilà, et donc on a fait une série de maladresses.
08:24Également, nos opérations militaires étaient conduites par un général
08:26sans véritable articulation avec des autorités politiques
08:30qui se sentaient un peu marginalisées.
08:32Les armées africaines, notamment au Mali, se sentaient également marginalisées.
08:36C'était aggravé par le fait que l'on communiquait de façon unilatérale
08:41sans associer les autorités politiques locales.
08:44Donc on se conduisait un petit peu en pays conquis.
08:47Et ceci pendant une dizaine d'années puisqu'on est arrivé en 2023,
08:51en début 2013, je veux dire, en janvier 2013.
08:55Et on est resté jusqu'à ce qu'on nous force à partir en 2022,
08:59donc pendant 9-10 ans.
09:00Mais est-ce qu'Emmanuel Macron, quand il dit,
09:02c'était encore en janvier devant les ambassadeurs,
09:05que les dirigeants de ces pays africains ont oublié de dire merci à la France
09:09pour ses interventions contre les djihadistes au Sahel ?
09:14Est-ce qu'il a raison de le dire ?
09:16Je pense que c'est terrible.
09:18Oui, sur le fond, il n'a pas tort, mais c'est évidemment maladroit.
09:20D'autant plus que les Africains nous l'ont rappelé,
09:23ils nous ont beaucoup aidé lors de la Première Guerre mondiale,
09:25et même la Seconde, avec les tirailleurs sénégalais.
09:28Donc on n'a pas à réclamer des remerciements.
09:31Ousmane Diaye.
09:32Oui, je suis d'accord avec l'ambassadeur normand,
09:34c'était très maladroit, très paternaliste.
09:37D'autant plus que...
09:37C'est aussi ce ton paternaliste que la France paye aujourd'hui.
09:40Oui, je donne un exemple très simple.
09:42Il y a une question sur laquelle se politise
09:46une bonne partie de la jeunesse africaine,
09:48c'est la question du franc CFA.
09:49Donc le franc CFA, c'est cette monnaie
09:51héritée de la France coloniale en Afrique de l'Ouest
09:54qui symbolise avec les bases militaires
09:56le rejet de la France.
09:58Le président Emmanuel Macron, discours de Ouaga,
10:01donc discours fondateur de sa politique africaine,
10:04même s'il dit, alors contradiction d'Emmanuel Macron plus tard,
10:07qu'il n'a pas de politique africaine,
10:09allez comprendre...
10:10Oui, parce que la politique africaine de la France,
10:12c'est connoté, c'est la fameuse France-Afrique.
10:14Oui, mais en même temps, c'est compliqué de dire,
10:17de faire un discours pour dire
10:18voici ma vision politique de la politique africaine de la France,
10:21et en même temps dire que je n'ai pas de politique africaine.
10:23Ça, c'est une contradiction encore parmi tant d'autres.
10:27Et pour revenir à l'exemple du franc CFA,
10:29donc thème majeur,
10:30le président Emmanuel Macron qui dit,
10:31écoute, la France se retire,
10:33africains, faites ce que vous voulez.
10:35Donc il y a une réforme du franc CFA,
10:37et qui annonce la réforme ?
10:39Le président Emmanuel Macron,
10:40on ne peut pas dire d'un côté on se retire,
10:42et en même temps être celui qui annonce,
10:45celui qui guide, celui qui fait le leadership.
10:46Par contre, c'est d'autant plus étonnant,
10:48et cette nuance est importante à apporter,
10:51la France n'a pas renoncé à son influence
10:54et à sa présence militaire en Afrique.
10:57Certes, le Sénégal, c'est un retrait important,
11:00mais sur Djibouti, il y a une base à Djibouti,
11:02et puis surtout sur le Gabon et la Côte d'Ivoire,
11:05il y a deux bases co-gérées.
11:06Une présence partagée.
11:07Oui, donc en fait, ce n'est pas la fin,
11:09ce n'est pas un renoncement à l'ambition militaire,
11:12c'est une sorte de tentative de la redéfinir.
11:15Sauf que pendant ce temps,
11:17la Russie, la Chine sont de plus en plus présentes
11:20au niveau militaire,
11:23évidemment en ouvrant des bases permanentes
11:27sur le continent africain,
11:28mais aussi au niveau commercial.
11:31Ce qui m'amène à cette question,
11:32est-ce qu'on peut, Nicolas Normand,
11:35être puissant au niveau commercial,
11:37continuer à faire du business en Afrique
11:39sans présence sécuritaire, militaire ?
11:42Oui, c'est deux choses qui n'ont aucun rapport,
11:43en fait, puisque notre présence militaire
11:45a été forte, visible, assez massive
11:47à l'époque de Barkhane,
11:48avec pratiquement 5000 soldats sur place,
11:51mais nos rapports commerciaux sont faibles,
11:54puisque les 14 pays de la zone France-CFA
11:56représentent moins de 1% de notre commerce extérieur,
12:00l'ensemble de l'Afrique subsaharienne,
12:0348 pays, n'est-ce pas,
12:05ça fait 3%, ça fait 2%, excusez-moi,
12:083% c'est pour l'ensemble du continent,
12:10et l'Afrique au sud du Sahara,
12:12c'est 2% de notre commerce extérieur.
12:14Donc c'est marginal sur le plan économique.
12:16Nous ne sommes pas, par exemple,
12:18les principales entreprises minières,
12:20nous sommes absents du Sahel de ce point de vue-là,
12:22nous sommes présents effectivement pour le pétrole,
12:26mais nos principaux pays avec lesquels
12:28nous avons des échanges commerciaux
12:30sont l'Afrique du Sud et l'Angola,
12:32et ensuite c'est le Nigeria et la Côte d'Ivoire,
12:35donc les pays francophones ne sont pas tellement
12:37des partenaires économiques importants,
12:40même si nos entreprises, il faut nuancer un peu,
12:42parce qu'en termes d'investissement,
12:44c'est un peu différent,
12:44nos entreprises françaises sont quand même
12:46assez fortement présentes,
12:48surtout en Côte d'Ivoire,
12:49mais aussi dans d'autres pays africains.
12:51Mais quand même, ce n'est pas un poids économique
12:52important pour la France.
12:54Nicolas nous appelle au standard de France Inter,
12:58donc c'est Olivier, pardon.
12:59Bonjour Olivier.
13:01Allô, vous m'entendez ?
13:02Oui, bonjour Olivier, je vous ai appelé Nicolas,
13:03on vous écoute.
13:05Oui, oui, bonjour, c'est bien Olivier.
13:08Écoutez, ma question sera simple,
13:10j'entends parler de rejet de la France par les Africains,
13:14et on a des débats très franco-français
13:16sur la pertinence ou la légitimité de la France en Afrique.
13:22On a longtemps parlé de la France comme gendarme de l'Afrique,
13:26mais est-ce que ce rejet est seulement africain ?
13:30Que pense M. Trump de la présence française en Afrique ?
13:33Que pense Mme von der Leyen de la présence en Afrique ?
13:36On est aujourd'hui dans un environnement mondialisé,
13:44et la question que je me pose,
13:48c'est est-ce que la France a toujours sa légitimité
13:50dans ce nouvel environnement en Afrique,
13:54en tenant compte de ce nouveau cadre ?
13:58Ousmane Diarié.
13:59Merci beaucoup Olivier.
14:01C'est une question de fond, en fait,
14:02je pense que, et c'est un défendement de la crise du multilatéralisme,
14:06c'est-à-dire, pour moi, en tout cas c'est mon point de vue,
14:08la France n'a aucune légitimité à réclamer quoi que ce soit en Afrique,
14:12c'est des pays indépendants, il faut se rappeler toujours.
14:15C'est-à-dire qu'il y a quelque chose d'assez gênant
14:16dans cette compétition des grandes puissances sur l'Afrique.
14:19Certes, la France est en recul sur un certain nombre de positions,
14:23mais il faut voir l'intérêt parfois étonnant et subi de Donald Trump sur l'Afrique,
14:29alors qu'il y a quelques, durant son premier mandat,
14:31il avait traité de l'Afrique, je ne vais pas répéter le terme,
14:35qui était assez insultant, quoi.
14:37Donc, il y a une vraie question,
14:40et ça pour moi c'est une des questions qui fait que le souverainisme
14:43est devenu une tendance politique forte en Afrique,
14:46c'est que les Africains perçoivent très mal
14:49cette compétition sur l'Afrique des grandes puissances.
14:51On dit souvent que l'Afrique est un terrain de jeu pour les puissances,
14:55c'est assez désobligeant.
14:56C'est ça, en fait c'est le rejet,
14:58et ça j'en parle beaucoup,
15:00il y a le rejet de l'Occident global,
15:02parce qu'il faut se dire qu'en Afrique,
15:04moi c'est ce qui me frappe dans les discussions,
15:06ils ne parlent pas de France,
15:07on parle plus d'Occident, rejet de l'Occident,
15:10l'Occident en termes de globalité.
15:12Et dans l'Occident, il y a la France, il y a les Etats-Unis,
15:15et que je pense que,
15:16et ça c'est très intéressant,
15:18c'est que le rejet n'est pas,
15:19en tout cas la contestation de la présence,
15:21c'est pas que la France, au Niger,
15:23ils ont à la fois fermé les bases françaises,
15:26mais ils ont fermé les bases américaines.
15:28Et la base américaine du Niger
15:29était plus importante que la base française.
15:33Mais vous dites, malgré tout,
15:35Ousmane Diaye,
15:35même si vous dites que la France n'a pas de légitimité particulière en Afrique,
15:39les pays et les peuples sont souverains,
15:42que ce qui se joue pour la France en Afrique,
15:44c'est son statut de puissance.
15:45Si elle n'a plus d'influence en Afrique,
15:47elle ne peut plus prétendre à être une puissance mondiale.
15:50En fait, pendant longtemps,
15:51la France a eu une puissance au niveau de l'Union européenne
15:56comme une sorte de délégataire de la question africaine.
16:00C'est-à-dire la France qui intervenait militairement.
16:03Et en fait, je pense que la France paye aussi une tradition d'intervention militaire.
16:08Vous prenez le président Nicolas Sarkozy,
16:11il fait campagne, moi je me souviens à l'époque,
16:13sur le désengagement militaire,
16:15la non-ingérence de la France.
16:16Mais qu'est-ce qui se passe ?
16:18Dès qu'il est élu, il engage une guerre.
16:19Il engage l'armée française en guerre en Côte d'Ivoire.
16:21Le président François Hollande fait campagne électorale
16:24sur le désengagement militaire de la France en Afrique.
16:29Mais qu'est-ce qui se passe ?
16:30Dès qu'il arrive, il a investi plus de troupes que Nicolas Sarkozy avec la guerre au Sahel.
16:34Donc la France paye aussi cette implication.
16:38La France a été, et on l'oublie trop souvent ici,
16:41le continent ou l'espace où la France est le plus en guerre,
16:46c'est l'Afrique ces dix dernières années.
16:48Nicolas Normand, de quels atouts la France dispose-t-elle
16:51pour rester puissante en Afrique, si tant est que ce soit encore possible ?
16:56On voit qu'Emmanuel Macron s'est tourné depuis des années
16:58vers des pays non francophones,
17:00donc ils n'ont pas d'histoire coloniale avec la France.
17:03Est-ce que ça a apporté ses fruits ?
17:05Alors d'abord, oui, je suis d'accord avec tout ce qu'a dit Ousmane Dihaï.
17:09Je préciserai que l'Occident s'est décrédibilisé aussi
17:12vis-à-vis du Sud global par ses prises de position régulièrement.
17:18Nos déclarations sur les droits de l'homme sont contredites,
17:21par exemple, par notre position sur la Palestine et Israël.
17:24Le fameux double standard dont on accuse souvent la France
17:27et les Occidentaux en général.
17:28Exactement, ce double standard nous a fait beaucoup de tort.
17:31Et quant à la France elle-même, il faut considérer que le terme
17:35perte d'influence lui-même n'a pas beaucoup de sens
17:37parce que c'est une idée néocoloniale de vouloir conserver
17:41une sorte de pouvoir d'influence sur les régimes africains.
17:45En fait, il faut normaliser notre relation.
17:48Nous avons en plus le handicap d'être l'ancienne puissance coloniale,
17:50donc il y a une susceptibilité particulière sur les ingérences françaises.
17:55Et donc nous devons simplement non pas chercher à avoir de l'influence,
17:58mais chercher à avoir des relations normales.
18:00On ne cherche pas à avoir de l'influence particulière sur l'Allemagne
18:02ou sur les Etats-Unis.
18:04Pourquoi voudrions-nous en avoir davantage sur la Côte d'Ivoire ou le Sénégal ?
18:09Il faut avoir des relations diplomatiques apaisées, normales,
18:14sans être donneur de leçons, ce qui est insupportable.
18:17Et donc voilà.
18:18Alors maintenant, quels sont nos atouts ?
18:20Je l'ai dit tout à l'heure, ce n'est pas une raison économique
18:24qui nous fait nous intéresser à l'Afrique subsaharienne.
18:28Quels sont nos intérêts véritables ?
18:29Nos intérêts, c'est la question migratoire quand même qui est importante,
18:33même si les Africains ne sont pas les principaux migrants en Europe,
18:36en fait, contrairement à ce que l'on pense souvent.
18:38Mais c'est quand même un problème parce qu'il y a une explosion démographique
18:41et une absence de développement et une volonté d'expatriation
18:44de la part de beaucoup de jeunes Africains vers la France,
18:48notamment à cause de la communauté de langue pour les pays francophones.
18:52Et d'autre part, il y a aussi le risque sécuritaire
18:54parce que le Sahel est devenu aujourd'hui la principale zone de terrorisme dans le monde
18:59devant le Moyen-Orient depuis deux ou trois ans,
19:02en nombre d'attentats, en nombre de victimes s'est passé devant l'Afghanistan,
19:07devant la Syrie, l'Irak et d'autres régions du Proche et du Moyen-Orient
19:12ou de l'Asie centrale.
19:14Et donc, il y a un risque quand même d'exportation, d'attentats,
19:17même si ça n'est pas encore le cas.
19:19Et il faut espérer évidemment que ça ne sera jamais le cas.
19:22Mais il faut veiller à ce risque.
19:23C'était la raison d'être de Barkhane, n'est-ce pas ?
19:26De pouvoir essayer, même si ça n'a pas fonctionné,
19:30de contrôler cette déstabilisation.
19:33Et ce risque de victoire des radicaux islamistes,
19:36des révolutionnaires djihadistes,
19:38qui pouvaient instaurer un régime menaçant les intérêts occidentaux
19:42et les intérêts français notamment.
19:44Donc, c'est notre double souci.
19:46Mais nos atouts, c'est la langue française quand même,
19:49dans une vingtaine de pays qui continuent de parler français.
19:53Donc, il faut, au lieu de couper les liens diplomatiques
19:57et de rêver de sanctions contre les jeunes militaires,
20:00il faut, je crois, encourager les échanges d'étudiants, les bourses, etc.
20:06Je termine votre phrase parce que la liaison manifestement a coupé.
20:10Un dernier mot, Ousmane Ndiaye, sur ce que vous développez dans votre livre.
20:13C'est-à-dire que cette aspiration à la souveraineté des peuples africains
20:17s'accompagne aussi souvent d'un rejet de valeurs considérées comme occidentales,
20:22notamment sur la démocratie, parce que peut-être aussi, disait Nicolas Normand,
20:27les pays occidentaux ont été trop souvent perçus comme des donneurs de leçons.
20:32Oui, en fait, ce qui est inquiétant dans cette aspiration légitime à la souveraineté,
20:38ça se fait au détriment de la démocratie, des droits de l'homme et des libertés.
20:42C'est-à-dire qu'il y a un soupçon en Afrique que la démocratie est une valeur occidentale.
20:47Ce que j'essaie de démontrer dans le livre, c'est que c'est faux, en fait.
20:51La démocratie à l'africaine, que certains parfois appellent de leur vœu, ça ne veut rien dire.
20:55Ça ne veut rien dire.
20:56Pour la raison simple, on retrouve des formes démocratiques dans l'Afrique précoloniale.
21:02Et au contraire même, la colonisation a été une sorte de rupture
21:05dans la démocratisation des sociétés africaines.
21:08Parce qu'il ne faut pas oublier que la colonisation, par définition, est antidémocratique.
21:13C'est un racisme, c'est un apartheid.
21:15Et donc la colonisation, contrairement à ce que dit beaucoup de souverainistes,
21:18n'a pas essayé d'exporter l'État français en tant que tel.
21:24Mais la France a inventé un État colonial, discriminatoire et non démocratique en Afrique,
21:29qui était différent de l'État en métropole.
21:31Pendant que les Français votés avaient des droits, etc.,
21:34en Afrique, les colonisés n'avaient pas de droits.
21:37Donc c'est une confusion, malheureusement, qui rend le débat flou,
21:41qui permet de mélanger tout, de mélanger dans l'Occident,
21:44on met des valeurs qui sont universelles.
21:47Et que c'est un des plus grands périls qui guettent aujourd'hui l'Afrique.
21:50Et que vous abordez donc dans ce livre,
21:52« L'Afrique contre la démocratie » aux éditions Rive-Neuve.
21:55Ousmane Diaye, merci beaucoup.
21:56Merci.
21:57Grand livre, le grand livre de l'Afrique aux éditions Erol.
21:59Ça, c'était votre publication.
22:02Nicolas Normand, ancien ambassadeur au Mali, au Congo-Bazaville et au Sénégal.
22:06Merci à tous les deux là.
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