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L'avocate pénaliste Constance Dewavrin, spécialiste de l’accompagnement des victimes et co-fondatrice du cabinet NOVO-avocats, était l'invitée de France Inter lundi 21 juillet pour évoquer le sujet de la santé mentale des professionnels de justice.

Retrouvez « L'invité de 7h50 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00France Inter, le 6-9
00:04Notre invitée est avocate Constance de Vavrin, bonjour.
00:08Bonjour.
00:09Avocate pénaliste spécialisée dans l'accompagnement des victimes,
00:13cofondatrice du cabinet Novo Avocat.
00:16Les professionnels de justice, avocats, magistrats, greffiers,
00:19doivent-ils avoir accès à un soutien psychologique ?
00:22C'est la question qu'on pose ce matin, alors qu'un numéro vert
00:24vient d'être mis en place pour tous ceux qui ont participé au procès.
00:28C'est le squarnec à Vannes, dans lequel cet ancien chirurgien
00:30a été condamné à 20 ans de prison pour viol, agression sexuelle
00:34sur près de 300 enfants pendant 25 ans.
00:37Et je précise que l'un des avocats de Joël Le Squarnec,
00:39maître Maxime Tessier, unanimement salué d'ailleurs,
00:42pour son humanité tout au long de ces débats, s'est donné la mort
00:46il y a 10 jours, sans qu'on connaisse encore précisément
00:48le lien entre son geste et ce procès hors normes.
00:52Est-ce que vous avez vous-même, Constance de Vavrin,
00:55au cours de votre carrière, ressenti le besoin
00:57d'un soutien psychologique ?
01:00Alors oui, je l'ai ressenti et je dirais que je le ressens toujours et encore.
01:07Il faut dire que moi j'ai une activité assez particulière,
01:10effectivement je suis spécialisée dans l'accompagnement des victimes
01:15et pour ma part beaucoup dans l'accompagnement des enfants victimes.
01:19Mais je dirais que la première fois où je l'ai ressenti, ce besoin,
01:24et je ne suis pas du tout la seule, c'est lors du procès des attentats du 13 novembre,
01:27qui a été un peu un laboratoire, je dirais, pour nous tous,
01:31de ce qu'on peut connaître en termes de traumatisme vicariant.
01:34Je crois que ça vaudra peut-être la peine qu'on explique...
01:35On va expliquer ce concept.
01:37...de quoi il s'agit.
01:38Le traumatisme vicariant, c'est notamment d'être exposé de façon répétée
01:43au traumatisme d'autrui.
01:45Et lors du procès des attentats du 13 novembre,
01:47évidemment on a entendu beaucoup, beaucoup de récits de victimes
01:50et on a un peu expérimenté cette souffrance
01:53et la façon peut-être de la gérer.
01:56Alors pour ma part, c'est la première fois que j'ai mis en place,
01:58pour mon cabinet et moi-même, un soutien psychologique
02:01parce que ça semblait absolument nécessaire à ce moment-là.
02:05On avait engagé quand même un travail parmi les avocats aussi,
02:09puisqu'on a travaillé beaucoup collectivement autour de ce procès,
02:12de groupe de parole, déjà avant la préparation du procès.
02:16Voilà, donc ça m'avait un peu familiarisé avec cette pratique.
02:19Le procès s'est passé et puis quelques mois plus tard,
02:23j'y ai à nouveau réfléchi face à un autre besoin
02:26qui serait plus de l'ordre, je dirais, de la fatigue compassionnelle
02:29quand on aide beaucoup.
02:32Et j'ai mis en place des séances d'analyse de la pratique individuelles
02:36pour mes collaborateurs et moi-même.
02:36Dans votre cabinet ?
02:37Pas dans mon cabinet, mais grâce à une psychologue
02:41que j'embauche, avec laquelle je travaille.
02:46Et on a des séances individuelles, les unes les autres séparément
02:49et puis une à deux fois par an, on travaille ensemble.
02:51On commence seulement, vous parliez de ce syndrome vicarien,
02:54alors c'est du jargon, mais c'est, en fait, vous l'avez bien dit,
02:59la manière dont le traumatisme des victimes ruisselle
03:04sur ceux qui sont autour.
03:05On commence seulement à prendre conscience
03:07qu'effectivement, les avocats, je disais, les magistrats,
03:11les greffiers, tous ceux qui assistent et qui participent au procès
03:14sont aussi victimes finalement
03:17et qu'il y a des conséquences aussi sur leur santé mentale
03:20de tout ce qui se dit dans ces affaires.
03:22Je ne pense pas qu'on commence seulement à le constater,
03:25je pense qu'on le savait tous,
03:26mais qu'en revanche, on était victime de certains tabous
03:28et que ces tabous sont en train de tomber petit à petit.
03:31Et c'est pour ça que je reparlais de ce procès du 13 novembre
03:33qui a aidé à ça, parce qu'il y a eu des exemples donnés.
03:36Je pense aussi à François Mollins,
03:38qui à l'époque avait beaucoup parlé de ça,
03:40même au moment...
03:41Le procureur, oui, au moment des...
03:43Que les Français connaissent bien et connaissaient particulièrement à l'époque, oui.
03:46Et bien lui, le premier, il a mis en place une cellule d'aide psychologique
03:49pour son équipe au moment des attentats
03:51et il a dit « moi, je suis premier à y être allé »
03:53pour montrer l'exemple.
03:55Et moi, j'avais trouvé ça symboliquement très très fort.
03:57Vous parlez de tabous, ça veut dire qu'il n'est pas admis
04:00ou jusqu'à il y a peu, il n'était pas admis dans vos métiers
04:03d'avoir des émotions, finalement, personnelles.
04:07Oui, disons que ce sont des métiers où on est censé être fort, solide.
04:13On est des repères aussi pour les personnes avec qui on travaille.
04:17Les professionnels de la justice, les magistrats,
04:19se doivent d'être d'une force de bloc.
04:23Et je pense que d'avouer une forme de vulnérabilité,
04:25qui est une vulnérabilité normale et professionnelle,
04:28c'était peu admis et peut-être quelque part une honte
04:32de dire « là, c'est compliqué »
04:35et de penser qu'on va le juger comme quelque chose de très personnel.
04:38Ce qui explique aussi cette solitude
04:39à laquelle sont confrontés les magistrats, les avocats.
04:42Quand ils rentrent chez eux, ils sont seuls, finalement,
04:45avec toute la souffrance qu'ils ont brassée dans la journée.
04:49Ah ça, c'est certain.
04:50On ne peut pas non plus l'imposer au domicile.
04:54Et puis c'est pareil, je dirais, pour les enquêteurs de police,
04:56pour les travailleurs sociaux, pour tous ces métiers d'aidant.
04:59Mais c'est vrai qu'on voit, on entend des choses
05:02particulièrement lourdes tous les jours.
05:05Et qu'il faut quand même, je pense, un canal d'évacuation.
05:08Il y a les journalistes aussi, mais c'est un autre sujet.
05:11Mais pour lesquels ce numéro vert dont je parlais dans le procès,
05:15le Square Neck, a été ouvert.
05:16Au départ, c'était un numéro vert pour permettre aux victimes
05:19et à leur famille de parler.
05:20Et puis, il a été décidé de l'élargir aux journalistes,
05:23mais aussi aux policiers, aux avocats, aux magistrats.
05:27Vous parliez de ces cellules d'écoute que vous avez mises en place
05:30pour les personnels de votre cabinet.
05:34Vous voyez des dispositifs comme ceux-là se mettre en place
05:37de plus en plus dans le monde de la justice.
05:39Est-ce qu'il faut généraliser, aller plus loin,
05:42mettre en place des choses, finalement, au niveau institutionnel ?
05:47Alors, moi, je dirais que je suis plutôt pour, en tout cas,
05:50être en capacité d'avoir les bons professionnels au bon moment.
05:53Et je pense que ça, ce n'est pas si simple.
05:56Trouver le bon professionnel qui saura vous écouter,
05:59parler votre jargon, à qui vous ne serez pas obligé d'expliquer
06:02d'abord pendant une demi-heure ce que vous faites comme travail
06:05et qui vous comprendrez immédiatement.
06:06Je pense que c'est ça qu'il faut d'abord trouver et pouvoir l'offrir.
06:09Je sais que ça se met en place, là, petit à petit,
06:11dans certaines cours d'appel.
06:13Moi, je crois que oui, il faut le généraliser.
06:15Durant un procès, c'était un peu l'objet de l'article
06:21qui est sorti de Libération, de mettre en place une tribune
06:24de Guillaume Lachapelle qui plaide pour un accompagnement psychologique
06:28pendant les procès.
06:29Je n'ai pas d'avis particulier.
06:31Je pense que ça se teste, que tous ces outils-là se testent.
06:33En tout cas, ce qui est certain, c'est que dans les procès comme ça,
06:37on sent que cette souffrance qui ruisselle, comme vous avez pu dire,
06:41peut impacter nos compétences professionnelles.
06:44Et à partir de là, je pense qu'il y a une responsabilité pour tous,
06:47tant les avocats que les magistrats, tous les acteurs de la justice,
06:50d'être au maximum de leur capacité pour ça, d'utiliser les bons outils.
06:53Parce que cette distance que vous, vous devez d'avoir entre empathie
06:59et finalement un certain détachement, c'est aussi une condition du bon exercice
07:04de votre métier.
07:05Tout à fait.
07:06Il faut savoir placer le curseur au bon endroit,
07:09ou en tout cas à son bon endroit pour être compétent.
07:12Et si le curseur n'est pas au bon endroit,
07:14les dommages collatéraux peuvent être conséquents,
07:17et à titre personnel, et aussi, surtout, pour les gens qu'on accompagne.
07:20Est-ce que ce sujet de la santé mentale, il est révélateur plus généralement
07:23d'une institution qui va mal, qui fonctionne mal ?
07:27Comme l'hôpital, par exemple.
07:29On parle beaucoup de la santé mentale aussi, des personnels dans les hôpitaux.
07:32Ce qui est certain, c'est que ça surajoute de la souffrance,
07:35et c'est peut-être pour ça qu'on en parle de plus en plus.
07:37C'est-à-dire, quand on fait ce métier dans des conditions dégradées,
07:39il devient encore trois fois plus difficile.
07:41Et c'est vrai qu'aujourd'hui, on assiste à un manque de moyens
07:43patent, quotidien, et qui rajoute l'impression,
07:49pour le professionnel de ne pas pouvoir faire autant
07:52qu'il aimerait pouvoir le faire.
07:54Et là, ça génère des frustrations immenses, source de souffrance.
07:57Il y a un baromètre qui a été publié en avril
08:01par la Mutuelle des métiers de la justice et de la sécurité,
08:03qui avait interrogé des milliers d'agents pendant un an, en 2024,
08:07et qui montre effectivement ce baromètre,
08:09que le mal-être d'une grande majorité des juges,
08:12des procureurs, des greffiers, des gardiens de prison,
08:14est bien réel, qu'ils se sentent de moins en moins utiles,
08:17de plus en plus fragiles psychologiquement.
08:19Ça, c'est la réalité du monde de la justice aujourd'hui ?
08:21Oui, c'est une réalité absolument certaine.
08:26Moi, je travaille beaucoup dans un territoire qui est la Seine-Saint-Denis.
08:30Et je peux vous dire qu'on fait face à des professionnels
08:32qui ont une énergie incroyable, un engagement incroyable,
08:36mais qui s'essorent, qui s'usent,
08:38et qui, au bout d'un certain temps, vont partir parce qu'ils n'y arrivent plus.
08:40Malgré les crédits supplémentaires accordés au ministère de la Justice ces dernières années ?
08:44Alors, malgré cela, je pense qu'il y a quand même un grand chemin
08:48à parcourir pour rattraper tout ce retard.
08:51Est-ce que les discours politiques qui remettent en cause,
08:54de manière régulière, les décisions de justice et leur légitimité,
08:58ils sont pour quelque chose également ?
08:59Je pense que ça, c'est extrêmement violent pour le monde de la justice.
09:03Moi, en tant qu'avocate, évidemment, de toute façon, je suis une source critique,
09:06mais je pense que pour les magistrats, c'est très difficile d'entendre ça au quotidien.
09:09Et c'est déstabilisant.
09:12Donc, c'est un défi à venir dont on parle.
09:15On parle de cette prise de conscience.
09:18Est-ce qu'il faut mettre en place des outils pérennes, institutionnalisés ?
09:21Ça, c'est une question, mais un défi, en tout cas,
09:23pour le monde de la justice et son bon fonctionnement.
09:25Ça, c'est certain.
09:26Pour les justiciables, c'est un vrai défi,
09:29parce qu'une justice dégradée, à mon avis, est signe d'une mauvaise démocratie.
09:32Constance de Vavrin, merci beaucoup.
09:33Merci à vous.
09:34Je rappelle que vous êtes avocate pénaliste spécialisée de l'accompagnement des victimes
09:38et cofondatrice d'un cabinet qui s'appelle Novo Avocat.

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