Et si l’avenir de nos sociétés se jouait dans les mots que nous utilisons… ou que nous cessons d’utiliser ? Dans La fin de Babel, Jean-Dominique Séval explore les mutations profondes de nos rapports au langage, à l’heure où l’IA redessine notre rapport au langage.
00:00Je suis en compagnie de Jean-Dominique Séval, bonjour, merci beaucoup de m'accompagner.
00:08Vous êtes prospectiviste, économiste du numérique, vous suivez le développement depuis de nombreuses années de ce secteur en tant qu'analyste.
00:16Moi je vous ai connu à l'époque où vous étiez à la direction adjointe du think tank pionnier, l'IDAT DigiWorld.
00:23Et je vous invite aujourd'hui pour parler de votre ouvrage qui vient de sortir, qui s'appelle La fin de Babel.
00:30C'est publié aux éditions L'Armatan et ça a été un peu pour moi une interrogation première, La fin de Babel.
00:37Pourquoi une référence biblique ? Avant d'ouvrir le livre déjà, commence-t-on par là ?
00:43Oui, c'est vraiment exprès, c'est vraiment intentionnel. C'est l'idée de s'inscrire dans le temps long.
00:48Oui, prospectiviste, c'est aussi regarder loin derrière pour pouvoir mieux regarder loin devant et mieux poser les questions du présent.
00:56C'est la base, on va dire. Et La fin de Babel, c'était, je trouve, un bon titre pour bien cristalliser le fait qu'on allait déjà, quasiment,
01:07maintenant c'est déjà fait, donc je ne me projette pas si loin que ça, on n'avait plus besoin d'apprendre des langues, sauf si on le souhaite bien sûr,
01:15si on a envie de le faire, etc. Mais dans la vie quotidienne, on n'aura plus besoin de le faire.
01:21Nos machines sont déjà capables de le faire et on aura notre petite oreillette qui nous permettra d'aller en Chine et de dialoguer avec nos amis chinois.
01:28Oui, parce que je ne l'ai pas précisé, vous êtes aussi un expert de la Chine, je vous avais invité pour nous parler depuis Pékin,
01:32puisque vous occupiez de la French Tech à Pékin.
01:34Bien, mais vous nous projetez quand même très très loin dans le passé, avec cette référence, et puis c'est une référence aussi au chaos.
01:41Est-ce qu'il vous semble que l'évolution, là, de la civilisation met fin à un chaos ?
01:47Alors, je dirais que les deux sont possibles. Les techno-optimistes ou les techno-pessimistes peuvent avoir raison.
01:53Vous êtes très peu techno-optimiste.
01:54Oui, mais j'essaye d'être neutre dans ce livre. Je pousse le curseur tellement loin pour annoncer un certain nombre d'évolutions qui me semblent inéluctables,
02:02comme le retour de l'oral et la fin de la civilisation de l'écrit, le retour des esclaves, enfin, tout un tas de sujets que je pousse un peu loin,
02:10qui sont déjà en germe aujourd'hui, mais si on regarde assez loin, pas si loin que ça, d'ailleurs, on va dire, pour les 50 prochaines années,
02:18on va avoir une transformation radicale qui est déjà à l'œuvre depuis longtemps, mais qui s'accélère,
02:22et qui, quand on pousse un petit peu les curseurs, nous amène vraiment autre ailleurs.
02:28Alors, vous parlez de ce changement de civilisation. Je trouve quand même que c'est globalement techno-optimiste.
02:34Vous mettez des mets, évidemment, dans ce livre, mais vous parlez notamment de cette harmonie qui va pouvoir peut-être émerger de ce progrès,
02:42une harmonie entre l'homme, son environnement, qui comprend désormais les machines.
02:47Alors, oui, là où le livre joue quand même un rôle d'alerte, malgré tout, parce que je montre les points d'arrivée,
02:55et dans les points d'arrivée, l'homme se sera adapté, quoi qu'il arrive, de toute façon.
03:00Par contre, la transition, pour tous ces sujets que j'aborde dans le livre, c'est des questions pour aujourd'hui,
03:07et des questions sur lesquelles il y a des choix à faire, des choix citoyens, des choix politiques, des choix d'investissement.
03:11Et je pense que c'est important de savoir où on va, en regardant un peu loin, plutôt que d'être dans le brouillard des annonces quotidiennes,
03:20pour pouvoir mesurer l'enjeu des transitions.
03:23Voilà, les transitions, quand on parle de la fin, le retour de l'oral, on pourra passer une année complète sans avoir à écrire,
03:29si on le souhaite, on pourra toujours écrire, faire de...
03:31Écrire des livres, par exemple.
03:33Écrire des livres, ou je pense qu'on les racontera plutôt.
03:35Les hauts maires, les prix Nobel seront des hauts maires du futur, qui créeront des œuvres, en plus, illustrées,
03:42avec des univers graphiques, immersifs, passionnants.
03:47J'attends ça avec impatience.
03:48Mais la transition, c'est un vrai sujet, puisque nos enfants sont déjà très, très concernés par cette transition.
03:53On a vu déjà la casse que ça a pu faire, de ne pas s'en occuper.
03:56Et donc, quand on sait qu'on va, en plus, que c'est qu'une étape, les écrans ne sont qu'une étape,
04:02ils disparaîtront bientôt et on va passer à l'oral.
04:05Comment on les accompagne ?
04:06Comment l'éducation ?
04:07J'ai un chapitre consacré à la fusion des méthodes éducatives et du numérique.
04:11Comment on apprend à l'ère de l'oralité, quoi ?
04:14C'est comme on apprend.
04:16L'IA génératif, pour ça, est une étape intéressante, parce qu'elle bouleverse beaucoup de choses.
04:20On voit bien, c'est un tsunami, 80% des élèves au lycée sont déjà confrontés à ça,
04:26ils l'utilisent quotidiennement.
04:28À la fac, la fac s'y met un peu plus, c'est un peu plus décortiqué, un peu plus préparé, mais pour des adultes.
04:34Donc, on s'y prépare en faisant la révolution des méthodes aussi.
04:38Alors, les méthodes, on les a déjà, en gros, ça fait un siècle qu'on a des méthodes extraordinaires éducatives,
04:44depuis Freinet et Montessori, ou l'école inversée.
04:47Mais simplement, le numérique va permettre d'en tirer vraiment le potentiel du fait de faire un peu le rêve du précepteur pour tous,
04:54qui permettra d'aider chacun à superviser son IA ou reprendre contrôle d'un oral qui ne s'affranchira pas complètement de l'écrit.
05:02On aura toujours besoin de l'écrit pour certains aspects, pas pour la vie quotidienne,
05:06mais pour pousser les réflexions un peu plus loin ou pour certains actes de la vie quotidienne, malgré tout.
05:12Mais le cœur, c'est vraiment l'éducation, effectivement.
05:16Donc, c'est un peu mon cri d'alerte.
05:18Et le point de vue que vous avez choisi est vraiment très original,
05:21puisque vous nous dites finalement, on entre peut-être dans une ère post-industrielle,
05:24qui nous fait retourner dans un passé,
05:27alors notamment via le retour à l'oral et la fin de l'écrit,
05:30il y a aussi le travail des micro-tâches, enfin vous décrivez ça très bien.
05:34L'ouvrage, il se termine par un entretien avec Pascal Pic,
05:36qui est un paléontologue, paléo-anthropologue, voilà, ce matin,
05:44que vous interrogez d'ailleurs et qui vous challenge un petit peu aussi sur votre perception de l'avenir.
05:50Oui, je souhaitais que je suis économiste, économiste du numérique, je ne suis pas historien,
05:54passionné d'histoire bien sûr, mais j'avais besoin d'avoir le regard justement sur le temps long,
05:59voire très long, d'un paléontologue, d'un spécialiste des grands singes également,
06:03et des primates et de la fusion de ces cultures,
06:06enfin de la façon dont ces cultures ont évolué, culture humaine et culture animale,
06:10et qui s'intéressent en plus au numérique, voilà, il y a beaucoup écrit sur ces sujets.
06:14Et c'est assez rare pour le signaler tout à fait.
06:16Voilà, et du coup la rencontre était presque, enfin pour moi c'était presque une évidence,
06:20et j'avais besoin de lui, mais il l'a utilisé, il l'utilise de façon,
06:24moi là où je n'aurais pas forcément allé aussi loin,
06:27il parle vraiment du changeant de civilisation.
06:29On est en train de changer de civilisation.
06:31Voilà, donc c'est vraiment, on est dans l'anthropologie,
06:33mais c'est très facile à lire, il y a des choses très intéressantes,
06:36par exemple on se retrouve tout de suite sur la place publique aujourd'hui,
06:39dans les modes virtuels, bon, je ne vais pas tout raconter de toute façon.
06:41Ça, on y est déjà.
06:43Je vous invite à le lire, en tout cas,
06:45la fin de Babel par Jean-Dominique Séval, paru aux éditions L'Armatan.
06:51Allez, c'est l'heure de continuer notre perspective à nous,
06:55on va passer à notre série sur le futur,
06:58on va s'intéresser à ce qui se passe dans l'espace.