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Comment pouvons-nous combattre ces températures extrêmes ? La canicule fait partie de notre mémoire collective. De cette période nous reviennent en mémoire quelques images fortes. Celle d’un médecin-urgentiste en colère, de couloirs d’hôpitaux bondés, et d’un ministre de la santé en polo qui semble totalement déconnecté de la réalité.
Entre le 1er et le 20 août 2003, la canicule a fait 15 000 morts. Une victime sur trois vivait en Ile-de-France, la région la plus touchée par cette vague de chaleur meurtrière. Ce drame a été le révélateur de nombreuses failles de notre société...
Entre le 1er et le 20 août 2003, la canicule a fait 15 000 morts. Une victime sur trois vivait en Ile-de-France, la région la plus touchée par cette vague de chaleur meurtrière. Ce drame a été le révélateur de nombreuses failles de notre société...
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00:00Le thermomètre s'enflamme en Europe et en France, record absolu des températures dans plusieurs villes.
00:11La mauvaise nouvelle, c'est que cette canicule pourrait durer jusqu'au 15 août.
00:16Les médecins urgentistes tirent la sonnette d'alarme. La fréquentation des urgences en région parisienne a doublé en une semaine.
00:22Ce qui a clairement, en 2003, été le problème, c'était la surprise et la néconnaissance du phénomène.
00:34Combien de morts en France à cause de la canicule ? Difficile encore ce soir de répondre précisément à cette question.
00:40Le personnel fait son maximum. Les malades décèdent, c'est une réalité.
00:45On a commencé à compter les morts et là c'est hallucinant.
00:4914 800 personnes ont trouvé la mort entre le 1er et le 28.
01:07Je pense très sincèrement qu'on a vécu des situations qui étaient proches d'une situation de guerre.
01:12Dans Paris, en 2003.
01:14Pendant 8 jours, les autorités ne vont pratiquement rien faire.
01:22C'est une vraie honte. Pardon ?
01:23C'est une vraie honte. C'est un vrai scandale, monsieur le ministre.
01:29Bien sûr que j'ai des regrets.
01:31Mais les températures n'ont jamais été considérées comme un facteur de risque sanitaire.
01:36Demain va être mise en place la commission d'enquête sur la canicule de cet été.
01:44On n'a pas voulu voir la réalité.
01:46Tout le monde a dysfonctionné.
01:48C'est une des crises en France, dans notre histoire.
01:51On a tiré le plus de leçons et mis en place un certain nombre d'outils sociaux et financiers
01:57qui font qu'on n'aura plus cette indifférence qui a été quand même extrêmement meurtrière.
02:05On n'aurait jamais pensé que le soleil pouvait tuer 15 000 personnes en France en deux semaines.
02:11La chaleur s'accentue.
02:35Une nouvelle vague de chaleur va au cours des prochaines 48 heures envelopper toute la France.
02:39ce premier week-end du mois d'août pour Mokou s'annonce caniculaire.
02:44Le SAMU de Paris, bonjour. Dites-moi, qu'est-ce qui vous arrive ?
02:47Vous, vous avez pas mal à respirer ?
02:50Qu'est-ce qui vous arrive, monsieur ?
02:53Je m'appelle Pierre Carly.
03:00En 2003, je suis chef de service du SAMU de Paris depuis 5 ans.
03:04Généralement, la première semaine d'août, c'est, pour les services d'urgence, une semaine où les Parisiens partent.
03:12Et donc, on est dans une période plutôt calme.
03:15C'est un mois d'août qui a l'air presque normal, si ce n'est qu'il fait chaud, quand même.
03:25Le sentiment d'inconfort vient sur la chaleur nocturne, qui est inhabituelle.
03:28J'habite dans un vieil immeuble, et c'est un immeuble tout à fait frais, puis je vois progressivement, il fait chaud la nuit.
03:34Ça, c'est une chose qui est étonnante, ce début du mois d'août.
03:37La deuxième chose, c'est qu'il y a des images qui marquent.
03:39Moi, il y en a une, tout à fait idiote, un matin, je vois arriver un des médecins qui prend son poste au SAMU en short.
03:46Ça, ce n'est pas habituel.
03:51Et puis, nous voyons tout au long de la semaine apparaître un certain nombre de signes.
03:55Des gens incommodés par la chaleur au départ.
03:57Des gens avec des professions exposées.
03:59Par exemple, un boulanger qui travaille au four qui fait un malaise.
04:02Un grutier.
04:11À l'époque, moi, je faisais de la moto, et j'avais une tenue de protection de moto.
04:15Et j'arrive chez moi, je pense que j'avais dû perdre deux litres d'eau.
04:20Et la chaleur avait brûlé ma combinaison de moto qui était devenue brunâtre au lieu de noire.
04:27Je me suis dit, il y a quand même un truc qui ne va pas.
04:34Je suis Patrick Peloux.
04:36En 2003, je suis praticien hospitalier aux urgences de l'Hôpital Saint-Antoine.
04:40Et président de l'Association des médecins urgentistes de France.
04:43Les services d'urgence, c'est le baromètre, le thermomètre de la société.
04:52Et on sent les choses.
04:53Et il y avait un truc qui ne collait pas.
04:55On voyait arriver des flux de malades qui étaient anormaux.
05:00Et des malades qui n'étaient pas bien du tout.
05:04Donc, ce début de mois d'août n'est pas aussi calme qu'il devrait être.
05:07Et on constate, à la régulation du SAMU de Paris, qu'il y a des personnes âgées qui ont de la fièvre.
05:12Et donc, on pense à une épidémie au départ.
05:15Pendant quelques jours, on se dit, c'est bizarre.
05:18Il y aurait une grippe d'été qu'on n'a pas vue ou quelque chose comme ça.
05:21Et en fait, on s'aperçoit qu'il y a des personnes âgées de plus en plus malades.
05:25Et le point commun qu'on trouve à ces personnes, c'est la fièvre.
05:28Et la fièvre est évidemment liée à l'augmentation de température extérieure.
05:32Si vous passez à 40 pendant quelques heures, l'organisme va savoir faire.
05:38Mais si vous passez à 41, 42 pendant longtemps, en fait, l'organisme ne sait plus faire.
05:45Quand vous avez 43 températures, vous êtes en train de cuire.
05:48Et là, ça se joue à quelques heures.
05:50Les dégâts peuvent être irréversibles.
05:52Je m'appelle Emmanuel Becry. Je suis ingénieur prévisionniste à Météo France.
06:04Nous, Météo, en 2003, on n'avait pas cette culture concernant la chaleur.
06:09Pour nous, la calcule, c'était plutôt du beau temps, des vacances.
06:12Faire un petit peu attention.
06:14Quand il fait très chaud, mettez-vous un peu à l'ombre.
06:16Mais sans plus, on ne savait pas du tout que ça allait avoir un tel impact sur la population.
06:22Et la canicule d'août 2003, sa particularité, c'est sa durée.
06:26Extrêmement longue. Plus d'une quinzaine de jours.
06:28Et la deuxième particularité, c'est son intensité.
06:30C'est sa force, entre guillemets.
06:32La température maximale, il a fait extrêmement chaud.
06:34On a battu des records. On a dépassé les 40 degrés.
06:36À Paris, c'est plus de 15 degrés de différence par rapport au normal.
06:40Ce qui est énorme.
06:42La région parisienne a été très touchée pour la simple une raison.
06:45C'est que c'est un milieu extrêmement urbanisé.
06:47Alors, on y retrouve quoi ? Essentiellement de la pierre, du béton et du macadam.
06:51Ces trois matériaux, en cours de journée, absorbent énormément d'énergie.
06:55Et au moment où le soleil se couche la nuit, ça va restituer cette énergie.
07:00Normalement, en cours de nuit, s'il fait suffisamment frais, le corps récupère.
07:03Là, ça n'a pas été le cas. On a dépassé les 25 degrés.
07:06Et donc, on a accumulé, pendant une quinzaine de jours, beaucoup de fatigue.
07:09Et c'est l'accumulation de cette fatigue qui a des conséquences sur le corps en suite.
07:20Les hôpitaux ne sont pas les seules structures fortement exposées aux conséquences de la chaleur.
07:24Dans certaines maisons de retraite, la situation est également devenue très préoccupante.
07:28Je m'appelle Nathalie Frappier. Je suis cadre de santé.
07:35Je travaille dans une maison de retraite à Saint-Mort-des-Fossés, dans le Val-de-Marne.
07:40Et j'étais présente au mois d'août 2003, lors de la canicule.
07:49On a pris la vague de chaleur comme ça, en pleine face.
07:53Ça a été compliqué, parce qu'on n'était pas prêts.
07:56On n'avait pas forcément le matériel nécessaire.
08:00Aussi bien en ventilateur, climatiseur, en 2003, on n'en parlait pas beaucoup.
08:05Bon appétit, mesdames.
08:06Bonjour.
08:08Il faut savoir que les personnes âgées ne ressentent pas la sensation de la soif.
08:12Ils ont un système thermorégulateur qui est modifié,
08:15ce qui fait qu'ils ne ressentent pas du tout la chaleur de la même manière,
08:18sauf qu'ils ont vraiment besoin de s'hydrater.
08:20Donc on a dû aussi se battre avec certains résidents pour qu'ils boivent,
08:24pour qu'ils se découvrent.
08:26Parce que moi, je me suis vue recevoir un coup de calme
08:29par une personne âgée qui ne voulait pas retirer son deuxième pull,
08:33parce qu'elle disait qu'elle avait froid.
08:36C'est avec toi ?
08:38J'ai bu le matin.
08:40Mais le matin, c'est loin.
08:42Les équipes faisaient beaucoup de tournées boissons.
08:44On mettait des gants sur les ventilateurs pour apporter un petit peu d'humidité et de fraîcheur.
08:48Pour les résidents qui en avaient le plus besoin, il y avait beaucoup de perfusion.
08:53Mais on n'avait pas suffisamment et de sérum et de pied à perfusion.
08:56Donc on a essayé d'en commander et de se faire livrer rapidement.
09:00Mais le problème était national.
09:03Il faut savoir que la France, au mois d'août, vit au ralenti.
09:06Les gens sont en vacances.
09:07Trois semaines de vacances pour le gouvernement.
09:12Le dernier conseil des ministres avant le 21 août a eu lieu ce matin.
09:15On avait beaucoup travaillé. On était peut-être un peu fatigués.
09:25Toute l'équipe et d'ailleurs le ministère en général.
09:28Et pourtant, il y avait encore beaucoup de travail à faire.
09:31Jean-François Matéhi, je suis professeur de médecine.
09:34Et en 2003, je suis ministre de la Santé, de la Famille et des personnes handicapées.
09:43Donc je regagne ma maison familiale dans le Var avec l'idée, comme précurseur peut-être, de faire du télétravail.
09:53Le 5 août, c'était un mardi, j'ai mon échange téléphonique avec mon conseiller santé publique.
10:06Et il me dit, il faut quand même peut-être porter attention aux prévisions météo.
10:12Parce que Météo France signale de très fortes chaleurs.
10:16Et nous savons que les fortes chaleurs peuvent avoir des effets sur la santé des gens.
10:24Alors il me demande, est-ce que je contacte la Direction générale de la Santé ?
10:28Est-ce qu'elle fait un communiqué ?
10:29Et je dis, évidemment, naturellement, il faut le faire.
10:39Je suis Marc Payet, en 2003 journaliste aux Parisiens, en charge de la rubrique santé.
10:44Je suis en vacances en juillet et je rentre au journal la première semaine d'août.
10:53Je vois une dépêche AFP où on dit, il y a 20 morts de la canicule en Espagne.
10:59Et on se dit, est-ce qu'il n'y aurait pas des morts en France ?
11:01Rien à filtrer, il y a zéro info là-dessus.
11:03Et puis, une collègue me dit, mais cette nuit, j'ai entendu des ambulances tourner toute la nuit et des pompiers sûrement.
11:11J'habite à côté de l'hôpital Saint-Antoine, ça n'arrêtait pas.
11:14Je me dis, mais ça se trouve, il y a un gros truc et on ne sait pas.
11:16Donc après, je passe des coups de fil à des acteurs qui vont être des acteurs clés de cette crise.
11:24Et j'ai Patrick Peloux au téléphone, qui me dit, Marc, il se passe des choses de dingue.
11:29Le 6 août, il n'y avait plus aucun lit de disponible.
11:35Plus aucun.
11:36Et les gens arrivaient, il n'y avait aucun moyen d'hospitaliser qui que ce soit.
11:39Mon père était malade depuis quelques temps.
12:00Et il devait être hospitalisé le lundi après le 15 août.
12:04C'était prévu par l'hôpital et vu que son état s'est aggravé, avec cette chaleur,
12:12on a téléphoné à la pitié salpêtrière, mais ils étaient surbookés, ils ne pouvaient pas le recevoir avant.
12:18Donc là, l'infirmière qui nous a répondu au téléphone nous a dit,
12:21trouvez quelqu'un pour lui faire les perfusions et venez les chercher.
12:26Donc, c'est ce qu'on a fait avec ma mère.
12:27Quand on est arrivé à l'hôpital, quand on a poussé cette porte battante,
12:33devant nous, un couloir avec des brancards tout long.
12:37Les infirmières, infirmiers qui couraient dans tous les sens.
12:44Des gens qui étaient à moitié nus, qui n'étaient pas bien du tout, c'était terrible.
12:48Une scène d'apocalypse.
12:55Je suis de gare de soir, et là, on a deux morts, deux ou trois morts,
13:09ce qui n'est pas normal du tout au service des urgences.
13:13Mais on a toujours des morts aux urgences, toujours.
13:16Mais bon, c'est un rythme qui n'est pas énorme.
13:20Mais là, il y a vraiment un truc qui ne va pas.
13:23J'appelle les collègues, et notamment à la régulation du SAMU,
13:27et ils me disent, ah non, non, mais là, on fait un nombre d'arrêts cardiaques incroyable.
13:31Et un des premiers points pour moi qui va mourir complètement l'esprit,
13:34c'est que dans la nuit du jeudi au vendredi,
13:37eh bien, je regarde sur Internet.
13:39À l'époque, alors maintenant, tout le monde regarde sur Internet toutes les cinq minutes.
13:41À l'époque, ce n'est pas aussi évident que ça.
13:43Il y a des banques de données médicales, et je regarde, je dis,
13:45mais j'ai entendu un truc aux États-Unis.
13:47Et là, je tombe sur quelque chose qui, pour moi, va être une révélation de la situation,
13:52qui est l'article qui a été publié par nos collègues de Chicago,
13:55et qui disent qu'en 95, ils ont eu des vagues de chaleur,
13:57des vagues de chaleur, que celle qu'ils ont eue, la première,
14:00elle a été absolument dramatique parce qu'ils ont été surpris.
14:03Et je dis, mais c'est ça qu'on est en train de vivre, probablement.
14:13On a encore avoisiné les 40 ou 41 degrés hier après-midi
14:16en de nombreuses villes, sur le bassin parisien, le centre, le Boitou,
14:19le Midi-Toulousain, l'arrière-pays méditerranéen.
14:21La canicule ne faiblira pas, et dans l'intérieur des terres,
14:24toujours beaucoup de soleil, 35 à 40 degrés de maximum.
14:27Le jeudi, de nouveau en conversation avec mon conseiller,
14:32je lui dis, mais enfin, est-ce que la DGS fait quelque chose ?
14:34Il faut qu'elle fasse un communiqué d'urgence.
14:37Et ce communiqué, il arrive le vendredi.
14:40Et effectivement, le vendredi 8 août, la Direction Générale de la Santé
14:45attire l'attention sur le risque de chaleur, de forte chaleur en France,
14:49de pollution à l'ozone, mais ce communiqué n'est pas spécialement alarmiste.
14:52Il rappelle les conseils, c'est-à-dire qu'il faut boire, il ne faut pas sortir au soleil,
15:00quand on sort, il faut mettre un chapeau, il faut se rafraîchir le visage.
15:03Voilà des conseils, qui sont des conseils habituels.
15:11Il n'alerte pas.
15:13Mais parce que chaque fois que j'interrogeais la Direction Générale de la Santé,
15:18on me disait, mais on n'a aucune remontée, il ne se passe rien, ou presque rien.
15:27On appelle la Direction des hôpitaux pour dire, on ne va pas y arriver.
15:32Il fallait faire quelque chose, il fallait réouvrir des lits, etc.
15:34Le cabinet, pas de son, pas d'image, c'était totalement vain.
15:39J'essaye de joindre le cabinet du ministre Jean-François Matéi,
15:43je laisse un message et on ne me rappelle pas.
15:46En fin d'après-midi, j'aurai une source pompier de Paris,
15:50et donc en recoupant tout ce qu'on a dans la journée,
15:53on calcule ce chiffre, 14 morts en deux jours.
15:5514 morts en deux jours.
16:04J'achète le Parisien, je vois et je comprends qu'il se passe quelque chose vraiment.
16:09Je m'appelle Pascal Chanvert.
16:11En 2003, je suis président de l'association des directeurs d'établissements,
16:15de services des personnes âgées.
16:17Et là, j'ai commencé à contacter mes collègues un peu partout en France.
16:19Et puis, on s'est rendu compte que tout le monde avait un mort, deux morts, trois morts.
16:27Oui, mais quand on travaille avec des gens très âgés, c'est assez banal.
16:31Mais quand dans toutes les maisons de retraite, dans tous les services à domicile,
16:34il y a deux, trois morts, ça finit par faire beaucoup.
16:37Et c'est là qu'on a commencé à prendre conscience qu'il y avait un véritable drame.
16:41Saine devenue quotidienne aux urgences de l'hôpital Saint Antoine.
16:48Cette dame âgée a fait un malaise chez elle à cause de la chaleur.
16:52Son état de santé inquiète les médecins.
16:55Depuis vendredi, le nombre de patients souffrant d'hyperthermie a fortement augmenté.
16:59Chez les médecins, l'effet de surprise des premiers jours a laissé place à l'inquiétude.
17:03Là, vous avez presque 40 à l'extérieur.
17:07En quatre jours, il y a eu pratiquement sur la région parisienne une cinquantaine de morts dues à la chaleur.
17:14Au niveau de la Direction Générale de la Santé, il ne se passe strictement rien.
17:17Ils osent parler que c'est des morts naturelles. Je ne suis absolument pas d'accord pour dire cela.
17:22Ce jour-là, il y avait des malades partout, ça débordait de partout.
17:28Et le système était complètement saturé.
17:30Patrick Pelou, il a la réputation de quelqu'un, mais c'est normal parce qu'il est président des urgentistes.
17:41De temps en temps, de dire mais ça, ça ne va pas, mais ça, ça ne va pas.
17:46Enfin, assez fréquemment.
17:48Et ce n'est pas toujours absolument justifié.
17:52Et donc, c'est un peu l'histoire de Guillaume qui criait au loup et puis il n'y avait jamais le loup.
17:56Et le jour où il y a le loup qui est là, personne n'a cru que...
18:01Donc, il n'est pas cru totalement par l'administration du ministère, mais le premier ministre Jean-Pierre Raffarin voit et il entend.
18:13Et donc, il me téléphone.
18:14J'ai demandé au ministre de la Santé de répondre à Patrick Pelou parce que Patrick Pelou a été extraordinairement acquisateur à la télévision.
18:22Et là, je voyais que cette intervention était une intervention avec un certain contenu.
18:27Donc, je lui ai dit, c'est à toi de monter en première ligne.
18:29Donc, exprime-toi et fais le point de la situation.
18:32Donc, j'appelle mon attaché de presse pour lui dire, préparez-moi le TF1 de demain à Paris et un billet d'avion, je le ferai le 20 heures.
18:47Et le lundi matin, elle m'appelle en disant « TF1 me dit qu'il ne faut pas vous déplacer car il y a des incendies dans le Var et ils ont un camion sur les incendies et donc ils seront chez vous en fin d'après-midi ».
19:01J'ai fait une erreur d'appréciation car j'étais prêt à aller à Paris.
19:09Et donc, je dis « Bon, bien, ils viennent ».
19:12Et à partir de ce moment-là, toutes les deux heures, j'appelais mon cabinet en disant « Est-ce que vous avez des choses nouvelles ? »
19:19Jusqu'à 19h.
19:20Et à 19h, on me dit « On a eu la DGS. Ils pensent qu'il ne faut pas non plus exagérer. La situation est maîtrisée. Elle est sous contrôle. »
19:30Donc, le camion arrive. J'étais en costume-cravate pour faire l'entretien à l'intérieur. Et ils me disent « On va faire ça dehors ».
19:41Alors, je fais ma deuxième erreur. C'est que je dis « Bon, bien d'accord, on va dehors ».
19:46Il me dit « Mais alors, en costume-cravate, ça va ». Donc, je mets le fameux poloma.
19:51Jean-François Matilly, bonsoir. Au ministère de la Santé, avez-vous sous-estimé les conséquences sanitaires de cette canicule,
19:59notamment pour les personnes âgées ?
20:01Je ne pense pas du tout qu'il y ait eu de sous-estimation. Pour sous-estimer, il faut être averti.
20:08Or, cette canicule n'était pas prévisible.
20:10On voit apparaître Jean-François Matilly comme un vacancier aisé qui vous parle de la crise.
20:15Déjà, au niveau de l'image, c'est terrible pour lui. Et après, sur le fond, il tient un discours qui apparaît en complet décalage avec la situation.
20:22Est-ce que vous, vous avez des chiffres ? Combien de morts à cause de la canicule depuis 10 jours, par exemple ?
20:28Non, je ne peux pas, honnêtement, vous répondre. J'entends des estimations 50 par-ci, 300 par-là.
20:35Mais vous savez, il y a souvent une intrication des phénomènes. Ce sont souvent des malades qui ont une maladie chronique.
20:42Ce sont des gens qui sont fragilisés en fin de vie. Et naturellement, la part des choses est difficile à faire.
20:48Par ailleurs, ce qui est beaucoup plus important encore, c'est de rappeler la prévention nécessaire.
20:55Soyons un peu plus solidaires dans ce pays. Faisons attention aux personnes qui nous entourent.
21:01Là, c'est assez surréaliste parce que moi, ça fait quatre jours que je suis avec les équipes dans les hôpitaux,
21:06qu'on est avec des brancards de partout et des types qui nous disent qu'il y a des morts dont ils ne savent pas quoi faire.
21:11Donc, il est totalement déconnecté.
21:13L'erreur de Jean-François Matilly, c'est de dire que c'est sous contrôle alors qu'au fond, il n'est pas en mesure de le savoir.
21:18Quand on est surpris par une situation de ce genre, il ne faut pas la sous-estimer ni la surestimer.
21:25Mais il faut parler à partir de ce qu'on sait.
21:28C'est vrai que si j'étais allé à Paris, j'aurais été à la paix, à l'assistance publique, j'aurais vu les choses.
21:35Mais bon, les choses ne se sont pas faites comme ça. Je m'en veux, évidemment.
21:40La situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Ce soir, la direction des hôpitaux de Paris n'hésite plus à parler d'épidémie et revoit son dispositif d'accueil à la hausse.
21:55Nous avons à faire face à un flux continu. Donc la priorité, on a commencé de le dire vendredi, je le redis aujourd'hui avec force, c'est de libérer le maximum de lits dans nos hôpitaux.
22:07Parmi les mesures, reporter les opérations non urgentes. Si la canicule persiste, le personnel hospitalier en congé sera rappelé en renfort.
22:16Le lendemain, quand je sens que la situation monte, je vais à Paris séance tenante. Et quand j'arrive, je vais immédiatement visiter deux ou trois hôpitaux et je vois une situation qui, effectivement, est impressionnante.
22:30Pour rien me cacher, il ne faut pas me montrer que ce qui marche, mais il comprend que ce qui marche pas.
22:34Non, non, non, mais je montre le circuit tel qu'il est...
22:36Et le ministre va être servi. Par moment, l'ambiance est tendue.
22:39C'est une vraie honte. Pardon ?
22:41C'est une vraie honte. Non, je ne sais pas.
22:43C'est une vraie honte. Il n'y a pas de glace pour glacer les patients, il n'y a rien du tout.
22:47Et vous venez quels jours après ? C'est un vrai scandale, monsieur le ministre.
22:51Nous sommes dans une société où dès qu'il y a des dommages, il faut qu'il y ait un responsable.
23:01Et je peux comprendre cette virulence. Elle est à la fois en colère et désappointée, désespérée.
23:11On ne peut pas oublier que je suis aussi médecin. Et qu'un médecin, un ministre de la Santé qui est plongé dans cette situation-là,
23:21ça le plonge lui aussi dans le désespoir, surtout qu'il s'est inquiété depuis une semaine de ce qui se passait.
23:28Et qu'on me disait, un, il ne se passe rien. Deux, il se passe un peu. Trois, ça commence à devenir, mais c'est maîtrisé.
23:36Donc voilà. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?
23:46Combien de morts en France à cause de la canicule ? Difficile encore ce soir de répondre précisément à cette question.
23:53On est face à un phénomène où on comprend qu'il y a quelque chose de très grave dans le pays,
23:58mais où les autorités sont infichues de nous dire combien il y a de morts.
24:02Donc on se dit, on va appeler des hôpitaux, des mairies, des maisons de retraite,
24:08et demander à chacun de ces interlocuteurs de dire à peu près, vous aviez combien de morts en août 2002 à cette époque,
24:15et vous avez combien de morts en août 2003, et on va faire le solde et on verra l'augmentation des morts.
24:21Et on arrive à ce chiffre dingo qu'on a un excès de 2 000 morts.
24:29Jeudi 14 août, Manchette du Parisien, canicule, 2 000 morts en Ile-de-France.
24:34On est dans une situation qui en une semaine est absolument invraisemblable,
24:41et compte tenu de ce qui m'est remonté, j'ai pas pu faire autrement, mais je suis responsable.
24:46Donc je propose ma démission au Premier ministre.
24:50Il me répond assez clairement et nettement, personne ne te l'a demandé.
24:55Je refuse cette démission parce que nous sommes en période de crise, il y a déjà très peu de monde au travail en ce mois d'août,
25:04et que c'est pas le moment de me priver de quelqu'un qui a beaucoup de connaissances et de l'organisation de la santé en France.
25:13La situation est donc suffisamment grave pour que Jean-Pierre Raffarin quitte cet après-midi son lieu de vacances
25:18pour présider une réunion sur la canicule à Matignon.
25:21Je suis assez inquiet à ce moment-là, parce que je ne trouve pas les réponses que j'attends.
25:27Je ne peux pas avoir des statistiques tous les soirs, je ne peux pas avoir les informations.
25:32Donc je décide de rentrer et de convoquer un comité interministériel pour le 14 août.
25:38Donc il y a là, à l'intérieur, il y a les affaires sociales, il y a la santé,
25:43et il y a tous ceux qui sont directement dans cette mobilisation.
25:48Je reçois, vous êtes convoqué à Matignon, moi je pensais que j'allais voir un conseiller technique.
25:54Voilà. Et en fait, j'arrive à Matignon et je rentre, et là il y avait une table ovale et tout le monde était là.
26:03Et en fait, on me fait m'asseoir en face de Jean-Pierre Raffarin.
26:10Il a quand même une expression qui touche la fibre humaine, et il parle avec quand même ses tripes,
26:17et donc j'écoute quand même ce qu'il dit, parce qu'on m'avait dit au départ que ce qu'il disait, c'était des fariboles,
26:23et en fait, il y avait une grande partie de vérité.
26:25Et Raffarin, il confirme le plan blanc, la mobilisation et tout, il tape du poing sur la table, il débloque des moyens.
26:32Je me dis, ah ça y est, il y a enfin quelqu'un à bord et qui pilote.
26:37Après plusieurs jours de tergiversation, le gouvernement semble avoir pris la mesure de la catastrophe.
26:43Cet après-midi, le ministre de la Santé a donc décidé d'étendre le plan blanc de la région parisienne à toute la France.
26:49Cela permet au préfet de réquisitionner tous les personnels disponibles.
26:53Le plan blanc, on s'en est servi dans les attentats de 95.
26:56Les blocs opératoires arrêtent la chirurgie programmée et prennent en charge uniquement les victimes de l'événement.
27:02C'est la mobilisation générale, toute la puissance de l'Etat se déchaîne.
27:05La machine, boum, s'enclenche.
27:07Et ce qui va se passer, c'est assez extraordinaire, c'est qu'on réagit de manière très violente,
27:12mais en fait, la température va tomber et les coups de chaleur vont disparaître en même temps.
27:17Le drame de cette crise, c'est quoi ?
27:19C'est qu'en fait, la riposte majeure de ces gens, elle se passe surtout à partir du 14 août, pour l'Etat.
27:26Mais en fait, les gens, ils sont déjà pratiquement tous morts.
27:35La température frôle les 35 degrés et l'air est presque redevenu frais.
27:46Nous sommes le dimanche 17 août.
27:48Le pic de chaleur de la canicule est passé depuis près d'une semaine.
27:53À cet instant, on n'a pas encore trouvé de nom pour ce qu'on appellera plus tard les trois nuits tueuses des 10, 11 et 12 août.
28:02À l'habitude, au mois d'août, il y a 38 décès par jour.
28:05Là, pendant ces trois jours, on va avoir plus de 700 décès.
28:08Enfin, c'est une situation qui est totalement anormale et totalement disproportionnée par rapport aux moyens que peuvent avoir l'ensemble des opérateurs funéraires sur Paris,
28:18alors qu'on est en vacances, alors que normalement, on est dans un creux d'activité.
28:23À l'étage, le directeur François Michaud-Nerard et ses collaborateurs organisent un conseil de crise.
28:30Les morts s'accumulent et on manque de personnel pour l'enlèvement des corps.
28:34En 2003, je suis le directeur général des services funéraires Ville de Paris.
28:39On fait appel à des renforts, on a des chauffeurs qui viennent nous aider et puis on fait appel à des confrères de province.
28:47À l'époque de la canicule 2003, je venais tout juste de rentrer dans les ponts funèbres.
29:05J'avais à peine deux ans d'ancienneté.
29:08Et j'ai ma directrice qui vient me voir, me dit, Muriel, je vous envoie sur Paris parce qu'ils ont besoin de renforts.
29:28J'appréhende un petit peu, c'est vrai, ce qu'on va voir là. Apparemment, c'est quelque chose de pire qui nous attend.
29:36Et ma première image, c'est quand la porte du véhicule s'ouvre et que je vois effectivement tous ces corps superposés les uns sur les autres.
29:46Et là, ça a été un choc pour moi.
29:48Il y a une petite place dans le creux là-haut.
29:51D'habitude, les voitures funéraires ne transportent qu'un corps à la fois.
29:56Mais là, il a fallu sortir le camion, grande catastrophe.
30:00On a 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, 10 équipes qui sont opérationnelles.
30:08Et on suit les équipes de Paris.
30:10Donc, on va chercher les corps dans les appartements jusqu'à pas d'heure puisqu'il y en a tellement toute la journée, le soir, jusqu'à épuisement en fait.
30:20Après, on s'arrête parce qu'on n'en peut plus.
30:23Il fallait aller à toute vitesse. Il fallait vraiment débarrasser les immeubles de ces corps qui étaient insupportables pour le voisinage.
30:34Pas de répit. Chaque marche d'escalier les rapproche un peu plus d'une odeur insoutenable.
30:41Cet homme est tombé net dans sa cuisine, foudroyé par la chaleur.
31:01Ça va ?
31:03Oui, ça va. On voit plus de corps abîmés que ça.
31:08Les gens qui se suicident, qui passent sous les trains.
31:11Je préfère encore un gars qui a passé sous un métro ou un truc comme ça.
31:15Que ça ?
31:16Ouais.
31:17Pourquoi ?
31:18Déjà, il n'y a pas d'odeur.
31:19Ouais.
31:20Tu ramasses un morceau, mais c'est pas pareil.
31:23Ouais.
31:24Comment je fais pour tenir ?
31:26Ben, je ne me pose pas la question en fait.
31:29On m'a envoyé pour aider.
31:32Ben, je fonce.
31:34Il fallait le faire.
31:35Pas réfléchir.
31:36Puis le soir, ben, vous pleurez un bon coup et vous vous dites,
31:40Oula, qu'est-ce que j'ai fait ?
31:41Et puis le lendemain, vous repartez.
31:43Donc, on amène tous les corps que l'on trouve à l'Institut Médico-Légal.
31:58Et là, le 13 août sans préavis, sans prévenir, l'Institut Médico-Légal ferme ses portes.
32:06Du jamais vu, même les 650 places de l'Institut Médico-Légal,
32:10conçues pour abriter des victimes en cas de guerre ou de catastrophe naturelle,
32:14sont saturées.
32:19À l'Amnou, on se retrouve avec 34 corps dans une dizaine de véhicules
32:24qui sont bloqués complètement.
32:29Alors, direction Ivry, sur un parking appartenant à la mairie de Paris.
32:40Aligner les semi-remorques d'une société de transport alimentaire.
32:46La préfecture va réquisitionner pour nous 5 véhicules gros porteurs frigorifiques
32:51qui vont être transformés par nos soins en chambres froides, en chambres mortuaires
32:55pour pouvoir mettre les corps.
32:57Des parpaings et quelques planches.
33:03C'est la seule chose qu'il a été possible de faire pour réaménager ce camion
33:07avec un minimum d'humanité.
33:09Des corps entreposés dans les housses noires, blanches, sur plusieurs niveaux.
33:16J'avais pris quelques photos à l'époque
33:18puisque je savais que je vivais quelque chose d'exceptionnel.
33:21Donc là, c'est l'équipe en tenue.
33:27Alors, ce qui vient d'arriver,
33:30qu'on va mettre dans le véhicule réfrigéré.
33:33Bonjour.
33:36Ça, si vous voulez me finir l'étagère du dessus, là...
33:39Je vais les mettre côte à côte, arrête, lui.
33:40Ah non, non, non, non, non, non.
33:42Pour me les mettre...
33:43Alors là, alors.
33:44Que moi, je les retrouve bien.
33:45Je ne veux pas essayer de souiller.
33:48Prenez par le fermot et vous le basculez dessus.
33:50Très de haut.
33:51Très de haut.
33:52Très de haut.
33:53Très de haut.
33:54Très de haut.
33:55Très de haut.
33:56Très de haut.
33:57Très de haut.
33:58Très de haut.
33:59Très de haut.
34:00Très de haut.
34:01Et là, vous avez l'épisode totalement surréaliste aussi,
34:05où ils décident de réquisitionner des entrepôts à Rungis
34:09pour stocker dans des caisses logistiques de froid,
34:12en fait, des corps.
34:22Dans la nuit du 15 au 16 août,
34:24mon papa est décédé de la canicule,
34:27de cette chaleur étouffante.
34:31Après son décès, ils sont venus chercher mon père.
34:38Et quand ma mère leur a demandé où ils partaient,
34:44ben là, ça a été...
34:48On ne sait pas.
34:50Et on nous a rappelé, en fin de journée,
34:54pour nous dire que mon père, n'ayant pas de place dans les funérariums,
34:59serait emmené à Rungis.
35:02Moi, à Rungis,
35:04c'est là où tous les grossistes
35:07vont chercher leur viande, leurs légumes, leur...
35:12Avec ma mère, on s'est dit, c'est pas possible.
35:15C'est une mauvaise blague.
35:20Entre les abattoirs et le marché aux légumes,
35:22un immense funérarium improvisé dans un entrepôt frigorifique,
35:26réquisitionné par le préfet.
35:28Les familles, avant les obsèques, ont besoin de dire au revoir à leurs défunts.
35:38Et ils ont besoin de le voir.
35:41Ils ont besoin de le voir tout simplement pour matérialiser le fait que leur défunt est vraiment mort.
35:46Il faut aussi déterminer si les cadavres sont visibles ou non par les familles.
35:54Sur les 32 corps conservés ici, seuls deux seront présentables.
36:00On a été envoyés sur Paris pour faire des soins et pour faire des toilettes.
36:17Mais quand on a vu l'état des corps, c'était pas possible.
36:23Là, on a des corps qui étaient souvent très dégradés
36:27et qui n'étaient tout simplement pas montrables pour une famille.
36:32Donc on essayait de montrer au moins une main,
36:35une partie du corps qui permettait de faire cet adieu.
36:41Avant l'enterrement, c'était coulé 12 jours.
36:53On n'a pas pu voir mon père du tout.
36:56Un jour, on nous a appelés pour dire que, à cause du nombre de décès,
37:02de la chaleur, il y avait restriction d'eau
37:07et qu'on ne pourrait pas faire la toilette de mon père.
37:10La toilette de mon père, on ne peut pas la faire.
37:14On ne le prépare pas pour être enterré, rien.
37:19Je ne sais pas dans quelles conditions il est parti,
37:21dans quel état il est parti.
37:23J'en sais rien. On n'en sait rien.
37:28Et c'est terrible de ne pas savoir, de ne pas l'avoir vu.
37:32Non, rien du tout.
37:40Mais il reste encore des corps que personne n'est venu identifier.
37:47La liste des noms a été rendue publique ce matin.
37:49Ils auraient encore 63.
37:51Non pas anonymes, mais non réclamés.
37:53La plus âgée avait 98 ans.
37:55Une des choses qui m'a beaucoup frappé,
37:59c'est effectivement cette accumulation de personnes
38:02dont aucune famille ne réclamait le corps pour organiser les obsèques.
38:06Et ce qu'il y avait de flagrant, c'est que la solitude,
38:09elle ne concerne pas uniquement les SDF,
38:13elle ne concerne pas uniquement les gens pauvres,
38:16c'était tout le monde.
38:21Enterrés sans famille,
38:23les 57 victimes de la canicule dont les corps n'ont pas été réclamés
38:27ont été inhumés ce matin au cimetière de Thiers, près de Paris.
38:30Ça a été une cérémonie qui avait du sens.
38:50Pendant toute la crise, on a été obligés de gérer l'urgence.
38:53Et là, c'était l'occasion de redonner dignité à la société
39:00et à ces personnes qui étaient décédées.
39:03C'est moi-même qui ai lu le nom de la cinquantaine de personnes
39:06qu'on a inhumées ce jour-là.
39:12J'en avais besoin aussi.
39:17On ne sort pas indemne d'une crise comme ça.
39:23Demain va être mise en place la commission d'enquête sur la canicule de cet été,
39:37dont une commission dont vous réclamez la présidence.
39:39Je crois qu'il est absolument nécessaire que nous comprenions ce qui s'est passé.
39:43Je m'appelle Claude Hévin.
39:45En 2003, je suis député de la Loire-Atlantique.
39:48Je suis président de la commission d'enquête parlementaire.
39:51Ce que souhaitent les Français, je crois,
39:54c'est d'éviter que face à une situation du même type,
39:56qui était quand même effectivement une situation assez exceptionnelle,
39:59eh bien, cette vacance du pouvoir, cette vacance de responsabilité,
40:03cette vacance de décision ne se reproduisent pas.
40:06Le but, c'est de pouvoir revenir sur les faits, d'enquêter,
40:09comme son nom l'indique, qu'est-ce qui s'est passé,
40:11quelles sont les raisons qui ont conduit à ce dysfonctionnement.
40:15Et donc, on entend tous les acteurs que nous estimons être concernés par cette situation.
40:20Un témoignage essentiel.
40:22De tous les services de secours intervenus au moment de la canicule,
40:25les sapeurs-pompiers ont été, avec les médecins urgentistes,
40:28les plus fréquemment en contact avec les victimes d'hyperthermie.
40:32Je me nomme Jacques Cardoncuff.
40:34En 2003, je suis commandant à l'état-major des pompiers de Paris,
40:39porte-parole de la brigade au moment de cette malheureuse canicule.
40:43Ça n'arrive pas tous les jours dans une carrière d'être en commission d'enquête parlementaire.
40:49C'est assez déstabilisant parce que c'est une des plus hautes autorités juridiques
40:55et je suis sous serment, donc je ne conçois pas de mentir dans cette situation.
41:03Le commandant Cardoncuff nous raconte au moment de l'audition
41:06qu'il avait des éléments qui montraient qu'il y avait une situation particulièrement difficile,
41:10mais qu'il a reçu des ordres selon lesquels il fallait minimiser.
41:14Les journalistes étaient insistants et essayaient d'obtenir ce fameux chiffre du nombre de personnes décédées.
41:23Et là, il est demandé par la préfecture de police de ne pas communiquer le nombre de morts
41:30en fin de compte parce que ce serait anxiogène et qu'il ne fallait pas créer de panique.
41:35Une consigne est donnée de ne pas diffuser de messages alarmistes
41:38et de ne pas donner le nombre de morts,
41:41plutôt d'orienter vers des conseils et donc de s'orienter vers un message rassurant au public.
41:51Bon, moi je trouve ça assez effarant quand même.
41:53Il y avait tout intérêt, si on voulait sauver plus de gens, au contraire,
41:56à expliquer que franchement, ça devenait grave.
42:00On peut naturellement porter une appréciation critique sur ce comportement.
42:04Mais en fait, d'une manière générale, on voit bien que non seulement on n'a pas bien apprécié la gravité,
42:10mais qu'en plus, il y avait le refus de l'avoir.
42:14Personne ne pouvait imaginer la gravité de la situation.
42:17Donc dans l'armée, on dit souvent qu'il est facile de refaire la bataille ou une guerre quand on a tous les éléments.
42:23Là, il en était de même.
42:26Comment est-ce que vous abordez cette audition ?
42:29Sereinement.
42:31Alors l'audition de Jean-François Maté est naturellement, dans ce moment-là, une des auditions les plus importantes.
42:37Et donc il est fortement interrogé sur les dysfonctionnements du ministère de la Santé.
42:42Ce que je peux dire, c'est que rien n'est venu d'en haut en termes de santé publique.
42:47Mais, monsieur le président, monsieur le rapporteur, rien n'est venu d'en bas non plus.
42:51Notre système centralisé, cloisonné, est resté inopérant.
42:58Une partie de la mauvaise gestion de cette canicule s'explique par le fait que les titulaires ne sont pas au poste.
43:05Et que, en fait, ce sont les équipes B qui se retrouvent à gérer une crise de dingue.
43:09Et donc, dans ce cas-là, ils ont le réflexe d'ouvrir le parapluie en disant, on verra quand le patron rentre.
43:15Et c'est ça, le truc.
43:17On voit effectivement qu'il y a une succession de cloisonnements aussi entre les différents acteurs
43:22qui expliquent le fait qu'il n'y a pas une bonne identification de la gravité de cette situation.
43:31On n'avait pas, à ce moment-là, la perception qu'une canicule, ça pouvait produire des situations comme celles que nous avons connues.
43:44Je pense que c'est une des crises en France, dans notre histoire.
43:47On a tiré le plus de leçons et mis en place un certain nombre d'outils sociaux et financiers pour essayer de corriger ces phénomènes-là.
43:56La canicule 2003, ça a été un moment clé par rapport à la perception des personnes âgées dans la société française.
44:02On en parlait un peu avant, oui, mais pas avec ce focus un peu sur l'isolement potentiel.
44:09Tout le monde le sait, ce plan que vient de présenter le Premier ministre résulte du drame de la canicule pour financer l'aide aux personnes dépendantes.
44:16Jean-Pierre Affarin demande ainsi aux Français de travailler un jour de plus.
44:21Le lundi de Pentecôte ne sera plus férié.
44:24Je ne voulais ni prendre sur la dette parce qu'on était dans une période où on voulait faire diminuer la dette et on a fait diminuer la dette.
44:31Et puis, je ne voulais pas créer un impôt non plus parce qu'on baissait les impôts.
44:34Et donc, l'idée a été de supprimer un jour férié.
44:38Cette journée de travail gratuite pour les salariés devrait permettre de financer un plan dépendance qui coûtera 1,7 milliard d'euros par an sur 4 ans.
44:46C'est un effort considérable, jusqu'à maintenant jamais accompli, que nous proposons de réaliser.
44:52Jean-Pierre Affarin veut donner des moyens pour l'aide aux personnes âgées parce qu'il a bien conscience qu'il y a un problème.
45:00Ça, tant mieux.
45:01Par contre, ce qu'on a dit dès le départ, c'est que c'était un pas en avant, mais qu'il était très limité.
45:07Je me souviens à l'époque avoir dit que c'est pas un jour qu'il fallait supprimer, c'est la cinquième semaine de congés payés, voire plus.
45:15Et ça n'avait pas de sens, évidemment.
45:17Ce qu'on mesure aujourd'hui, c'est que le manque de personnel en établissement, mais aussi dans le secteur de l'aide à domicile, tue.
45:24Aujourd'hui, des personnes âgées sont mortes parce qu'il n'y a pas suffisamment de gens pour les accompagner, parce que notre société n'est pas suffisamment solidaire.
45:33Journée de passation de pouvoir dans les ministères.
45:51Le drame de l'été 2003 ne doit plus jamais se reproduire. C'est l'objectif du plan Canicule rendu public ce matin. Un plan en trois grands axes.
46:06Les services de l'Etat seront organisés pour réagir aux alertes efficacement et sans délai.
46:16Parmi les mesures préventives, l'accent émis sur l'information et notamment au sein des communes, le recensement des personnes âgées isolées.
46:23Aujourd'hui, de très nombreuses communes identifient les personnes isolées, identifient les personnes âgées, passent des coups de fil réguliers, veillent à la distribution de l'eau quand il est nécessaire.
46:33Il y a un certain nombre de sujets. Dès qu'on est en plan Canicule, il y a une mobilisation des territoires qui fait qu'on n'aura plus cette indifférence qui a été quand même extrêmement difficile et meurtrière dans cette crise.
46:46L'été dernier, on s'est également aperçu que les maisons de retraite ne disposaient pas en général de climatisation ou de systèmes d'aération suffisants.
46:57Aujourd'hui, grâce à ce plan, il y a une salle réfrigérée dans l'ensemble des maisons de retraite et donc cette dynamique-là est très importante.
47:05Et puis les bulletins météo deviennent un peu des alertes santé. C'est tout à fait nouveau.
47:10Les Français adorent les bulletins météo, ils les regardent beaucoup et là ils verront qu'il y a un risque santé donc ça change la donne.
47:15Du jamais vu, Météo France a décidé de placer quatre départements en alerte rouge à la canicule à température exceptionnelle, prudence et mobilisation exceptionnelle, écoles facultatives, annulation des activités sportives, accueil gratuit dans les musées, dans les piscines.
47:32La canicule d'août 2003 a été un peu un clash pour Météo France donc ça a été une révolution. Il a été décidé d'intégrer la canicule dans la vigilance météorologique.
47:42On a rajouté ce paramètre très important pour signaler aux gens, attention, nous allons avoir un épisode de canicule qui va être de niveau orange ou rouge et donc les gens comprennent ce phénomène et en tiennent compte.
47:54On peut raisonnablement penser que l'épisode de canicule de 2003 sera certainement une canicule classique ou la norme entre guillemets pour les années 2050.
48:14Ça veut dire que vous aurez des canicules un peu plus faibles mais vous aurez aussi des canicules nettement au-dessus. Et si ça dure comme août 2003 une quinzaine de jours ou plus, là ça sera très catastrophique.
48:27On n'a pas 50 solutions. Un, il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre parce qu'on emballe la machine et deux, il faut s'adapter.
48:39Et vis-à-vis des canicules, on n'a pas le choix, il faut s'adapter parce qu'on ne peut pas les empêcher.
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