Elisabeth Lévy : "Décerner la Légion d’honneur à la surveillante tuée à Nogent n’a pas de sens"

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Transcript

00:00Je te souviens de Mélanie, évidemment, poignardée à mort par un élève de 14 ans.

00:07On s'en souvient, un augeant.

00:10Eh bien, Mélanie va recevoir la Légion d'honneur à titre posthume.

00:14Oui, alors c'est une information, je crois, BFM et TF1 à César.

00:19Et on sait simplement qu'Elisabeth Borne présidera la cérémonie.

00:24Alors, attention, je ne veux choquer personne, évidemment.

00:27Et Mélanie, d'après tous les témoignages que tout le monde en donnait,

00:32non, mais qui avait l'air vraiment sincère.

00:34Ça avait l'air d'être une jeune femme vraiment formidable, généreuse.

00:39Ça ne fait pas de doute.

00:42Elle mérite évidemment les hommages, la compassion de la nation.

00:45Et sa famille mérite notre solidarité.

00:47Et puisqu'elle a été tuée dans l'exercice d'une mission de service public,

00:51eh bien, je trouve ça très bien que son petit garçon de 3 ans,

00:55je crois qu'elle laisse un petit garçon de 3 ans,

00:56ou 4 ans, enfin bon, c'est horrible un peu.

01:00Soit pupille de la nation, ça doit pouvoir se faire par décret.

01:04Parce que si elle a la Légion d'honneur, c'est aussi automatique.

01:09Mais la Légion d'honneur, je vous l'avoue,

01:11et je ne voudrais vraiment pas être mal compris,

01:13ça me gêne un peu parce que ça brouille tout en réalité.

01:18La Légion d'honneur, ça récompense les services éminents rendus à la nation.

01:21Pour être chevalier, par exemple, il faut justifier de 20 ans de service public

01:25ou d'activité professionnelle, donc avec des mérites éminents.

01:29Et pendant longtemps, elle était décernée à titre posthume seulement aux morts au champ d'honneur.

01:36Alors, tout de même, tout ça a un sens, c'est une histoire.

01:40Et la décerner, la Mélanie, ça n'a pas de sens.

01:42À moins, évidemment, qu'on considère que la France est un champ de bataille.

01:46Oui, mais elle rend des services à la nation, Mélanie.

01:48Alors, bien sûr, vous avez absolument raison.

01:50Mais dans ces cas-là, donnons la Légion d'honneur à tous les professeurs,

01:54les policiers, les pompiers, les juges, et pourquoi pas les pêcheurs,

01:56les infirmières, les agriculteurs et les marchands de chaussures

02:00qui rendent aussi d'éminents services à la nation.

02:04Si on la décerne, et c'est ça qui me gêne maintenant, en fait,

02:06c'est que si on la décerne à Mélanie, ce n'est pas pour ses mérites,

02:10qui sont tout à fait réels, mais parce qu'elle a été victime d'un crime odieux

02:14dans l'enceinte de l'école.

02:16Comme si être victime faisait de vous, ipso facto, un héros.

02:20Eh bien, alors, je vais vous dire quelque chose qui va vous choquer.

02:23Certainement que les attentats de 2015 ont tué, parmi tous ces dénigots,

02:28des salauds, des pleutres, paix à leur âme, évidemment.

02:31Le pogrom du 7 octobre aussi, si vous voulez.

02:35Et voilà, évidemment, on doit le respect à leur mémoire.

02:38Mais ne soyons pas un peu, comment dire, un peu bébêtes.

02:43On peut être victime, évidemment, parce qu'on a refusé de se laisser intimider

02:46comme Samuel Paty, un peu comme une forme de résistance.

02:50Mais généralement, très souvent, on est victime parce qu'on n'appartient pas au bangorou,

02:53parce qu'on est au mauvais endroit.

02:55Au mauvais moment, ça ne prouve pas qu'on est courageux.

02:58Les participants de la Nova, là, en Israël, ne voulaient pas être le symbole

03:03de la barbarie djihadiste, si vous voulez, danser.

03:06Mélanie, bien sûr, semblait attirer l'amour.

03:08Juste quelqu'un de bien, comme dit la chanson, et ce n'est pas rien.

03:12Alors, cette Légion d'honneur, attention, ce n'est pas un scandale.

03:14C'est juste une incongruité, si vous voulez, qui est révélatrice d'un état d'esprit.

03:19En réalité, elle est révélatrice du sacre de la victime.

03:24La victime, c'est de devenir un statut auquel tout le monde aspire,

03:27sauf quand on est vraiment, évidemment, personne ne veut être tué.

03:32des chiffres qu'on cite triomphalement.

03:35On ne les explique que 50% des femmes ont subi ceci ou cela.

03:38Et, finalement, un totem d'immunité contre la critique.

03:42Dans la vie publique, quand on vous dit que vous êtes victime,

03:45ça y est, c'est un joker, on ne peut plus rien dire.

03:47Mélanie ne voulait pas être une victime.

03:50Elle voulait vivre.

03:51Au lieu de nous donner bonne conscience avec une médaille posthume,

03:54je pense qu'on devrait plutôt essayer de comprendre

03:57comment nous avons collectivement échoué à la protéger.

04:00Qu'est-ce que vous en pensez ?

04:02Félicité, Elisabeth, parce que c'est un sujet...

04:05C'est la conduite sur verglas, ce qu'elle a fait ce matin, Elisabeth.

04:08Parce que c'est comment arriver à dissocier l'émotion,

04:11le respect que l'on doit, Mélanie,

04:12et ce que je trouve tout à fait juste.

04:14Je suis un peu...

04:15Je suis très touchée, presque les larmes aux yeux,

04:17parce que je trouve que vous avez parfaitement dit les choses

04:20avec votre sensibilité habituelle.

04:22Ça me touche beaucoup.

04:23C'est assez rare que je sois d'accord avec vos éditos de HKZ.

04:26Il y a deux points.

04:28Sur la Légion d'honneur, je pense qu'il y a une épidémie de Légion d'honneur

04:31dans le sens que j'ai vu que les deux pompiers qui sont morts

04:33auront aussi la Légion d'honneur.

04:35Donc c'est encore autre chose.

04:36Mais l'impression quand même que la Légion d'honneur

04:38devient une forme de réparation

04:39de ce que nous ne savons plus faire, en fait.

04:42Et ça, ça me...

04:44Je ne pense pas que ça enlève...

04:46Des pompiers morts au feu, si vous voulez, par exemple.

04:48Non, mais j'ai compris ça.

04:49Mais ce que vous comprenez, ce que je veux dire,

04:50c'est que la Légion d'honneur ne peut pas réparer les maux de la société.

04:53Ça n'est pas possible.

04:54Et deuxième point, moi j'ai encore dans l'exemple

04:56ma copine Marie-Ève Malouine,

04:58qui a fait partie de ces journalistes

04:59qui ont refusé de recevoir la Légion d'honneur.

05:02Pourtant, elles étaient proposées.

05:03Parce qu'elle disait, nous sommes journalistes.

05:05En quoi ?

05:06Il y avait Françoise Fressoz aussi.

05:07Je crois que Jean-Jacques aussi, elle nous a dit la même chose.

05:09Moi j'ai la Légion d'honneur.

05:10En tout cas, Marie-Ève Malouine et je me souviens très bien

05:14et Françoise Fressoz ont refusé la Légion d'honneur

05:16parce qu'elle disait, en tant que journaliste,

05:18nous nous considérons que...

05:19Pourquoi est-ce qu'on a honoré la Légion d'honneur ?

05:21Moi je trouve très fort.

05:24C'est un vrai sujet.

05:24C'est un peu comme les...

05:25Par exemple, je voudrais vous donner un autre exemple.

05:29L'enterrement de Jean-Paul Belmondo aux Invalides.

05:32Pardonnez-moi.

05:33Je pense même que Jean-Paul Belmondo

05:35n'aurait peut-être pas été très content d'être enterré aux Invalides.

05:38Enfin, l'histoire des Invalides, c'est autre chose.

05:43Et confondre en permanence le privé ou le festif,

05:49les institutions, etc.

05:52Je trouve ça un peu...

05:53Il y a des moments où ça fait sens.

05:55Par exemple, je trouve que Emmanuel Macron,

05:58sur 8 ans de quinquennat, pour moi,

05:59a fait un seul grand discours.

06:01C'est l'hommage à Samuel Paty,

06:03à Dieu Monsieur le Professeur,

06:05qui était un discours absolument magnifique.

06:06et je trouve que ça avait un sens dans la Sorbonne,

06:09dans cette merveilleuse université.

06:13Je voudrais revenir sur un point

06:15que j'ai beaucoup aimé dans la chronique d'Elisabeth,

06:18c'est la victimisation.

06:19J'en ai assez de cette société de la victimisation

06:22qui casse tout sens de la responsabilité,

06:26qui détruit la responsabilité individuelle et collective.

06:29Je ne suis pas sûr...

06:31Mais non, mais arrêtez de me taper sur la table

06:33en me disant « Mais si ! »

06:33Non, pas moi, me tapez !

06:35Je sais, j'entends votre...

06:37Je n'ai pas de l'avis, je sais,

06:38je vous ai trop pour toi pour ça.

06:40Mais moi, je ne suis pas d'accord.

06:41Alors là, on va avoir un désaccord.

06:44Je ne crois pas du tout qu'on soit

06:46dans une société de la victimisation

06:48qui déresponsabilise.

06:50Je ne crois pas.

06:50Je pense que les victimes...

06:52Parce que...

06:53De quelle victime parle-t-on ?

06:55Par exemple, est-ce que mon camarade

06:57du Parti Socialiste, Jérôme Gage,

06:58qui est victime,

06:59ou ma camarade Emara Fovic,

07:01ou mon camarade Raphaël Guixman,

07:03qui sont victimes...

07:04Qui sont victimes

07:06de torrents de bouts d'antisémitisme

07:08pendant les européennes pour...

07:10Et Jérôme Gage,

07:11est-ce qu'ils se complaisent dans ce rôle-là ?

07:13Moi, je ne crois pas.

07:14Non, mais moi, je voudrais répondre.

07:15Évidemment, ça n'est pas...

07:17Il y a des gens qui sont...

07:18Nous sommes tous victimes de quelque chose.

07:20Quelqu'un m'a marché sur le pied dans le métro.

07:22Bon, je suis venu en taxi.

07:23Mais, si vous voulez,

07:24on est tous victimes de quelque chose.

07:26Ce que je veux dire,

07:26c'est que maintenant,

07:28c'est devenu un statut

07:29qu'on brandit.

07:31Et je dis juste une chose.

07:34Si vous voulez,

07:35entre Athènes et Sparte,

07:36on n'est pas obligé d'aimer que Sparte.

07:38Je suis d'accord avec vous, bien sûr.

07:39Mais là, on est devenu complètement moudi, nous.

07:40Oui, oui, oui.

07:41Et il faudrait créer

07:42un peu plus de générations

07:45un peu plus dures au mal.

07:46Après, oui.

07:488h24.

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