- 27/05/2025
Être policier devrait être un noble métier, mais la réalité est autre. C'est cette réalité que Maurice Signolet, qui a vécu en 40 ans la dislocation des forces de l'ordre, rapporte dans ses mémoires "La police ne peut plus rien pour vous". C'est le récit d'un homme passionné qui, de ses débuts d'enquêteur jusqu'au poste de commissaire divisionnaire, a "fait de la police, pensé police, mangé police, dormi police". Mais qui s'est démené, souvent, à contre-courant. Aujourd'hui, il reproche à l'institution policière de s'être trop peu remise en question et l'invite à renouer d'urgence le lien police-population.
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00:00Générique
00:00Être policier devait être un beau, un noble métier,
00:10mais la réalité est malheureusement quelquefois autre.
00:12Et c'est cette réalité que nous allons évoquer aujourd'hui avec Maurice Signalet.
00:16Maurice Signalet, bonjour.
00:17Bonjour.
00:18Merci pour votre présence ici.
00:20Vous avez vécu en 40 ans la dislocation, dites-vous, des forces de l'ordre.
00:24Vous en avez tiré de cette carrière de commissaire, des mémoires.
00:27La police ne peut plus rien pour vous.
00:29Publié aux éditions L'Artilleur.
00:31C'est un livre touchant, je vous le dis sans flatterie.
00:34Vraiment, c'est le récit d'un homme passionné.
00:36Je vous cite.
00:37Un homme qui faisait de la police, pensait police, mangeait police, dormait police.
00:42Vous l'écrivez dans votre essai, mais c'est le récit d'un homme qui se démène souvent à contre-courant.
00:48Nous allons évoquer tout cela dans notre entretien.
00:50Maurice Signalet, vous vous remettez beaucoup en question dans ce livre.
00:54Vous reprochez à l'institution policière, à contrario, de ne pas l'avoir fait, de ne pas l'avoir assez fait.
01:00Vous avez-je bien compris, en fait ?
01:01Oui, c'est un peu ça.
01:03Si vous voulez, habituellement, on a l'habitude quand un commissaire de police prend la plume,
01:09il raconte un fait divers, particulier, extraordinaire, qui très souvent a permis de le mettre un peu en valeur.
01:16J'ai connu des affaires de cet ordre-là, mais je me suis bien gardé de les relater.
01:23J'ai voulu relater le temps long.
01:26Et je me suis dit, en partant du premier jour où je suis en train de rappeler jusqu'au dernier jour,
01:31expliquer comment la sociologie policière avait changé de concert avec la sociologie tout court de la société.
01:40Et en fin de compte, on voit qu'il y avait une similarité d'évolution entre la société et le monde policier.
01:49Moi, si vous voulez, je suis resté constant dans mon engagement, quels que soient mes grades,
01:53puisque j'ai franchi à peu près tous les grades.
01:56Je suis rentré comme inspecteur, j'ai terminé comme commissaire divisionnaire, et j'ai vu cette évolution.
02:01Et donc, le titre est un peu provocateur, la police ne peut plus rien pour vous,
02:06mais c'est à la fois pour dire que l'institution a changé, mais que la société a changé.
02:12Et qu'au lecteur, de décrypter, au fil de la narration, ce qui va et ce qui ne va pas, en fin de compte.
02:19– Alors, vous dites sociologie, il est aussi très psychologique, votre bouquin, nous reviendrons là-dessus.
02:24Vous décrivez, revenons au début de votre narration, vous décrivez dans les années 70,
02:29la proximité policière, et au fil des pages, cette proximité policière, elle disparaît.
02:33– Oui, c'est quelque chose qui m'a choqué, au fil de votre essai.
02:39Et tout cela, en dépit de vérité, de bâtir une police de proximité.
02:42C'est le concept à la mode depuis au moins deux décennies.
02:45Pourquoi cette perte de lien ?
02:47– Alors, plus on a parlé de police de proximité, de la philosophie de la police de proximité,
02:53plus, en fin de compte, on s'en éloignait.
02:56Alors qu'en réalité, lorsqu'on n'évoquait pas cette police de proximité,
02:59une proximité policière existait, vous voyez ?
03:02– L'orchestration de l'institution était faite de façon à ce qu'il y ait une véritable proximité,
03:10je veux dire, mesurable.
03:14Par exemple, à Paris, il y avait 54 commissaires de quartier.
03:17Il n'y en a plus un aujourd'hui.
03:18Alors qu'on dispose d'une direction de la police de proximité.
03:22Vous voyez, c'est donc absolument incroyable.
03:24En définitive, on a fait, on a été beaucoup dans la communication,
03:30mais au niveau de l'organisationnel, on a tout, en fin de compte, tout détruit.
03:34– Alors, en 2004, vous êtes nommé commissaire dans le 19e arrondissement parisien,
03:40celui d'ailleurs dans lequel vous êtes né, où vous avez grandi.
03:42Et vous dénoncez là un véritable, je cite, « divorce entre la police et la population ».
03:47Donc là, un terme est très fort. La réalité aussi était très forte.
03:49– Oui, si vous voulez, on était en pleine réforme.
03:53On était passé de la direction de la police urbaine de proximité.
03:59Il y avait eu un énorme changement.
04:00Si vous voulez, la police judiciaire qui était compétente avec ses 54 commissaires de quartier
04:04perdait cette compétence.
04:06Et ces commissaires de quartier passaient sous l'autorité de la police urbaine de proximité.
04:12Et en réalité, au lieu de créer une proximité,
04:15on a répondu aux velléités de confort des fonctionnaires.
04:18Et donc, on a fait, on a mis en place des guichets
04:21où vous pouvez être écoutés, mais certainement pas entendus.
04:25Et donc, très vite, je me suis rendu compte que l'organisation même
04:29de ces énormes structures où tout était regroupé,
04:33à la différence de lorsque tout était éclaté dans des petites unités,
04:38eh bien, en fin de compte, le lien avec la population
04:41et le but de la mission disparaissaient.
04:44– Et vous sentiez la population souffrir, d'une certaine manière ?
04:47– Oui, parce que je me rendais compte que ça ne répondait pas
04:49à ce que devait attendre légitimement la population.
04:55Vous vous aperceviez qu'un commissaire, comme le 19e arrondissement,
04:57c'était près de 900 fonctionnaires avec un système de vacations.
05:01– C'est une petite ville, on s'en rend compte,
05:03quand on roule, c'est une…
05:04– On se rend compte que la culture de la vacation
05:07l'avait emportée sur le fait de faire de la police.
05:10Si vous voulez, aujourd'hui, on ne fait plus de la police,
05:13on fait des actes de police.
05:14Et même quand je suis rentré, moi, dans la fonction policière,
05:18on ne parlait pas de fonctionnaire de police.
05:20C'est un mot qui a été inventé au fil des années.
05:23On parlait de gardien de la paix.
05:25Il n'y a pas plus noble comme terme, d'ailleurs,
05:27comme appellation que gardien de la paix.
05:29C'est ça que j'ai voulu dénoncer, si vous voulez.
05:31On a…
05:32Au début, lorsqu'on rentrait dans la police, il y a 40 ans,
05:35on était obligé de se moduler par rapport aux exigences de la mission.
05:40C'était une mission qui exigeait de la disponibilité,
05:42du dévouement, une ablégation même, etc.
05:45Et donc, on modulait sa vie privée par rapport aux impératifs de la mission
05:50qui nous étaient dévolus.
05:51– Vous dites, vous racontez d'ailleurs que la plupart des épouses
05:53ne travaillaient pas parce que les policiers devaient…
05:55– Exactement, exactement.
05:55– Moi, j'avais très vite compris que j'avais trois enfants,
05:58il ne serait pas… avoir une vie de famille équilibrée,
06:01ça serait impossible.
06:02Aujourd'hui, on en est arrivé à l'inverse, si vous voulez.
06:04On va moduler la mission par rapport aux velléités des fonctionnaires
06:09qui peuvent être diverses, variées et multiples.
06:12Et donc, on en arrive, je veux dire, on ne fait pas de la police à VTT
06:17ou à vélo ou en roller ou à cheval,
06:20mais on fait du cheval, du VTT dans la police.
06:24La nuance est importante.
06:25– Alors, il y a évidemment tout le problème, comment dire,
06:27du laxisme qui se pose quand on essaie de comprendre
06:30ce à quoi la police est confrontée aujourd'hui.
06:33Alors, vous, vous n'êtes pas laxiste, Maurice Sinonet,
06:35ça, on le comprend bien, c'est le moins qu'on puisse dire.
06:37Vous parlez de répression, par exemple, très tôt dans votre bouquin.
06:39Ces années-là, la répression voulait dire quelque chose, écrivez-vous.
06:43Personne n'échappait à la prison.
06:44Un simple voleur d'autoradio écopait d'un an de prison
06:46et nous n'entendions jamais parler de surpopulation carcérale.
06:50C'est ce qui manque aujourd'hui à la police, selon vous ?
06:52– Oui, tout à fait.
06:53Parce qu'il ne faut pas incriminer exclusivement l'institution policière.
06:58C'est une dérive sociétale majeure
07:01qu'on a connue dans ces 40 dernières années.
07:04On est passé, la procédure pénale a énormément évolué.
07:07Le code pénal a énormément évolué.
07:10On est passé d'une procédure inquisitoriale à une procédure contradictoire,
07:14avec la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue,
07:17maintenant en perquisition, etc.
07:20Donc, tout ça a bouleversé le canevas répréhensif qui existait auparavant.
07:26Si vous voulez, on est passé d'une justice de l'acte à une justice de l'auteur,
07:31c'est-à-dire la prise en compte de l'individualité, etc.
07:34Et donc, partant de là, je ne veux pas dire que l'invocation de l'excuse systématique,
07:46on n'ira pas jusque-là, mais disons de la compréhension.
07:49C'est très certainement ce qui explique l'explosion de la délinquance.
07:52Il faut savoir que quand je suis rentré dans la police,
07:54il y avait 500 000 crimes et délits.
07:56Aujourd'hui, on est à 5 millions comptabilisés
07:59et 10 millions si on fait des enquêtes de victimation.
08:02Donc, si vous voulez, il n'y a pas que la police à incriminer,
08:06mais toute une évolution sociétale qui a admis quelque part une sociopathie,
08:12qui a amené une anomie généralisée, qui fait qu'aujourd'hui…
08:17– Fois 10.
08:18– Il y a une désinhibition totale.
08:20Par exemple, on n'arrête pas d'invoquer ces rodéos urbains
08:24ou ces refus d'obtempérer qui n'existaient pas à mon époque.
08:27Quelqu'un qui refusait d'obtempérer,
08:29c'est quelqu'un qui venait de commettre un vol à un armé,
08:31un meurtre ou quelque chose comme ça.
08:33Et donc, il prenait des risques.
08:35Aujourd'hui, les gens sont tellement désinhibits
08:37que s'arrêter devant un policier, ce n'est pas la peine.
08:40Donc, c'est plus la société qu'il faudra mettre en cause
08:43et non pas l'institution qui n'a fait que glisser tout doucement
08:47pour ressembler quelque part à la société qu'on lui proposait.
08:51– Quelque chose d'intéressant.
08:53Vous ne voulez pas que la police se défausse sur la justice ?
08:56On entend souvent, aujourd'hui, parler, pour dire tout simplement,
08:59d'un conflit entre la police et la justice.
09:02Vous dites que la police ne devrait pas se défausser sur la justice.
09:04– Non, je trouve au contraire que la justice
09:08est certainement le dernier garant de la démocratie.
09:12C'est ce que Montesquieu voulait,
09:14avec la séparation de ces trois pouvoirs qui se répondent en écho.
09:18Et encore, la justice n'est pas un pouvoir, mais une autorité.
09:21Ce que je veux dire par là, c'est que c'est le politique
09:24qui a une responsabilité, de droite ou de gauche d'ailleurs,
09:28qui a une responsabilité énorme dans la situation actuelle.
09:31C'est, comme disait Montesquieu, la justice n'est que la bouche de la loi.
09:35C'est la loi qui a organisé, qui a fait en sorte que le code de procédure pénale
09:40est devenu tellement complexe qu'on a énormément de difficultés
09:43à appliquer le code pénal.
09:45Et je pense que ça n'était pas dans un but d'évolution sociétale majeure,
09:50mais plus pour préserver une caste politique qui sentait,
09:53dans les années 80-90, que ça sentait un peu le roussi.
09:57Mais je pense que la justice, quelque part,
10:00a commis une énorme erreur au milieu des années 80.
10:03Elle a commencé à s'intéresser aux politiques,
10:05aux malversations dans le monde de la finance,
10:08dans le monde économique, dans le monde industriel,
10:11et surtout dans le monde politique,
10:12en disant qu'il y a quand même quelques abus,
10:14avec des faux emplois, des détournements d'argent, etc.
10:19Et je crois que la justice a commis là une énorme erreur,
10:22entre guillemets, parce que le politique s'est dit
10:24mais avant, on était préservé de tout ça,
10:27là, il va nous arriver des bricoles.
10:29Un jour, on va se retrouver en garde à vue,
10:31on va nous dire de retirer les lacets et la ceinture.
10:35Donc, ils ont, si vous voulez, manipulé le code de procédure pénale,
10:39multiplié à l'extrême les voies de recours,
10:42le juge d'application des peines,
10:44le juge de la liberté des détentions.
10:46Ils ont multiplié les vecteurs de vices de procédure
10:51pour non pas éclairer la justice, mais l'égarer.
10:55Le problème, c'est que par ruissellement,
10:57ça a bénéficié au monde délinquant.
10:59Et le monde délinquant bénéficie de toutes ces avancées-là.
11:02Et ça devient extrêmement difficile aujourd'hui,
11:05à la fois pour la police judiciaire et pour la justice,
11:08de faire son travail.
11:09Vous évoquez les années 90.
11:11Si l'on remonte un tout petit peu avant,
11:12dans votre essai, vous évoquez aussi les années 80.
11:15Vous avez assisté, dites-vous,
11:16commencé à assister au renversement des valeurs.
11:19Vous livrez beaucoup d'anecdotes,
11:20dont l'une, par exemple, d'une femme de gauche
11:22qui arrive au commissariat,
11:23après avoir passé une nuit avec un homme,
11:26avant de réaliser qu'il était de droite,
11:27et donc vient vous voir en lui reprochant un viol.
11:30C'est une anecdote qui peut prêter à sourire.
11:34Vous avez vu aussi, à peu près en même temps,
11:36émerger la haine antiflique.
11:38Comment avez-vous assisté à ces deux phénomènes depuis 30 ans ?
11:44– Il faut faire la généalogie des choses.
11:47Vous savez, le policier, c'est un peu comme le ramasseur de péchés
11:52dans l'arrache-cœur de Boris Vian.
11:54On est là, en fin de compte,
11:56pour ramasser tout ce qui déborde un petit peu.
11:58Mais par contre, on est un vecteur d'appréciation
12:01de la société très réelle.
12:04Il faut faire la généalogie des choses.
12:06D'où vient ce courant qui nous vient du fond des années 68,
12:11ce courant un peu existentialiste, surréaliste,
12:15d'André Breton, de Kierkegaard, etc.,
12:17qui a fait que l'individu, jusque dans ses pulsions,
12:21ça devait être l'aboutissement d'une vie.
12:24Donc, petit à petit, on en est arrivé
12:26à rejeter la norme dans son ensemble.
12:30Et puis, toujours pareil, j'aime bien ce terme,
12:33par huissellement, comme l'a dit le philosophe Claudie Povetsky,
12:37on en est arrivé, en fin de compte,
12:41à dicter le procès de personnalisation.
12:44Claudie Povetsky appelle ça le procès de personnalisation.
12:47C'est-à-dire qu'on va personnaliser,
12:49à l'aune de son appréciation,
12:51les lois, les normes, les mœurs, etc.
12:54Petit à petit, ça arrive jusque dans nos bons lieux.
12:57Il y a une démocratisation extrême.
12:59Par exemple, c'est ce qui s'est passé
13:01avec le monde de la toxicomanie,
13:04qui était à l'origine réservée à l'élite
13:08et qui, aujourd'hui, touche des millions de personnes.
13:10– Vous avez été chez les stups de mémoire dans les années 90 ?
13:12– Oui, j'étais 5 ans.
13:14– C'était un épisode marquant.
13:17– Oui, c'est un épisode marquant,
13:18parce que j'ai vu où la toxicomanie
13:23pouvait mener à la déchéance morale, physique, etc.
13:28Et vous voyez, j'en veux un peu à ce monde
13:31un peu des saltimbanques,
13:34qui, à une époque, a fait l'apologie
13:36des atypismes, des particularismes,
13:39des étrangetés comportementales.
13:40Et toujours pareil, au bout d'un moment,
13:44ça se démocratise.
13:45Et aujourd'hui, on a à peu près 2 millions de personnes
13:48qui fument du shit tous les jours.
13:49Voilà, on en est arrivé, quoi.
13:51Donc, la police, la société,
13:55est submergée, quelque part.
13:56On est quelque part submergé.
13:58Alors, moi, j'aurais quand même un peu d'optimisme,
14:02parce que je crois que...
14:03Je pense qu'il n'y a pas de linéarité évolutive.
14:07Vous voyez ?
14:08On pense, selon la pensée marxiste,
14:11qu'on part d'un point A pour aller à un point B, etc.
14:14Je n'y crois pas beaucoup.
14:15Je crois à ces philosophes du XVIIIe siècle,
14:18je crois que c'est Joseph de Maistre,
14:20qui parlait d'époque et de période,
14:24et qu'on va en compte,
14:25parfois, des époques brillées encore,
14:28un peu comme une étoile morte de longue date,
14:30mais dont on voit encore arriver sur Terre la lumière.
14:33Je crois que c'est un peu ce qui se passe,
14:35parce qu'on est tellement submergé aujourd'hui,
14:37qu'on se rend compte qu'on a cru beaucoup au progrès,
14:41et que le progrès peut parfois être le développement d'une erreur.
14:44Et qu'aujourd'hui, invoquer sans arrêt un vivre-ensemble,
14:48qui devient absolument impossible,
14:50ça met en lumière les erreurs passées.
14:54C'est-à-dire qu'on s'est complètement trompés.
14:56Alors, pour en revenir à la police et à la justice,
15:00ce courant existentialiste, surréaliste,
15:02en se répandant, en essaiement,
15:04a créé une véritable catastrophe.
15:08Et aujourd'hui, police et justice,
15:10on a un mal de chien à endiguer tout ça.
15:13Mais c'est vrai que moi, personnellement,
15:14quand j'entends souvent les politiques,
15:18ou même parfois les syndicats policiers,
15:21mettent en cause la police en la traitant de laxiste,
15:26je n'y crois pas.
15:27Elle ne fait qu'appliquer la loi, c'est tout.
15:29On n'avait qu'à pas mettre en place ces lois,
15:32il n'en serait pas arrivé là.
15:34– Alors, la police laxiste,
15:36vous critiquez aussi le besoin spectaculaire, en fait,
15:40de la police à l'heure actuelle,
15:42où on a besoin d'opérations, encore une fois, spectaculaires,
15:45pour pouvoir rassurer les médias, les politiques, l'opinion, etc.
15:48Et vous dites, vous racontez encore une fois des anecdotes
15:50que, quelquefois, les solutions les plus simples,
15:52les moins visibles, les moins médiatiques, sont les meilleures.
15:54– Parce que je crois aux talents.
15:56Je crois que la police est un lieu privilégié
16:00pour révéler des talents.
16:02Mais les talents, ça ne s'apprend pas à l'école.
16:04Là, vous pouvez avoir un gardien de la paix
16:06qui fait preuve d'un talent fou
16:09et un directeur qui est d'une médiocrité monumentale.
16:12Mais ce que je pense, c'est que l'État a décidé de se désengager
16:19de sa mission régalienne de sécurité.
16:22Et pour ce faire, surtout depuis l'événement des Gilets jaunes,
16:25il s'est rendu compte qu'il avait besoin, en quelque sorte,
16:27d'une carte prétorienne pour être là en cas d'insurrection.
16:32Et que la police au quotidien, mon Dieu, quelque part,
16:35ce n'était pas si grave que ça.
16:36Pour preuve…
16:37– Vous pensez que l'épisode des Gilets jaunes a traumatisé
16:40la société française ?
16:41– Oui, je pense.
16:42J'aurais bien aimé que la police se comporte comme l'armée
16:45au moment de la révolution des œillets au Portugal.
16:49Vous voyez qu'ils poussent des casques par terre en disant
16:51écoutez, c'est un problème politique, réglez-le,
16:54mais ne nous demandez pas de faire le sale boulot.
16:56Ça n'a pas été fait.
16:57J'étais en retraite, donc j'ai regardé ça de loin.
17:01Mais je crois que là, il y a un véritable glissement.
17:05Qui aurait pensé, il y a 20 ans,
17:06qu'on aurait une telle prolifération des polices municipales
17:09qui, en fin de compte, aujourd'hui,
17:10sont les seules à occuper l'espace public,
17:12si on y réfléchit bien.
17:13Aujourd'hui, la police nationale n'occupe plus l'espace public.
17:17Elle l'emprunte, vous voyez ?
17:19Elle prend des voitures, elle passe, elle est dans le réactif.
17:22Il y a eu un appel secours.
17:24Toute sirène hurlante, on se rend sur les lieux
17:26d'une réquisition de quelqu'un qui a bien voulu appeler police secours.
17:29Mais c'est tout.
17:30Sinon, la proximité a totalement disparu.
17:33Et en plus, je crois qu'il y a une volonté,
17:37une vraie volonté d'aller vers ce qu'on appelle la technopolis,
17:40avec la multiplication de ces radars autour,
17:44routiers, partout, qui retirent l'humain absolument partout.
17:47Peut-être qu'un jour, on arrivera, d'ailleurs,
17:49à la reconnaissance faciale.
17:51Je crois qu'il faut être très attentif à tout ça,
17:54très attentif au fait que l'humain disparaît,
17:58que l'État se préserve avec une garde prétorienne,
18:01avec beaucoup d'uniformes péremptoires,
18:06beaucoup de militarisation des gardiens de la paix.
18:09On le sent, on voit bien la multiplication des forces de l'ordre,
18:14des unités constituées, etc.,
18:16au détriment des petits commissariats de quartier
18:18qui permettaient d'avoir un contact immédiat avec la population.
18:22Je vous dis, c'est l'un.
18:23C'est que le lecteur décrypte.
18:26Il faut lire d'un bout à l'autre et à chaque fois se dire,
18:30ah oui, mais tiens, cette petite anecdote-là n'a l'air de rien,
18:33mais elle révèle quelque chose de beaucoup plus profond.
18:35– De plus profond, il faut dire que cet aspect revient très tôt
18:39dans votre SS, cette désertion de cette capacité à comprendre l'humain.
18:44– Oui.
18:45– Mais je vais passer à une autre question importante,
18:47parce que les pages les plus dures de votre livre visent,
18:50en tout cas selon ma lecture, le syndicalisme policier.
18:52Ça, c'est une facette que peut-être on connaît assez peu dans l'opinion.
18:57De quoi les syndicats policiers sont-ils, selon vous, coupables ?
18:59– Alors, coupables, non.
19:01Mais d'abord, il faut que les gens sachent que dans la police,
19:06il y a à peu près 80% des policiers qui sont syndiqués.
19:08Quand on compare à ce qui se passe en France,
19:11on doit tourner à 5 ou 6% de taux de syndicalisation.
19:15Chez nous, c'est extrêmement important.
19:17Alors, un peu moins maintenant, d'après ce que j'ai cru comprendre
19:19depuis que je suis parti en retraite,
19:20mais pendant très longtemps, les syndicats étaient extraordinairement puissants,
19:24dans le sens où ils participaient au CAP d'avancement,
19:27au CAP de mutation, au CAP disciplinaire, etc.
19:30Donc, si vous voulez, il y avait une espèce de co-gestion avec l'administration,
19:34c'était mis en place.
19:35– De hiérarchie parallèle.
19:36– Une hiérarchie parallèle, ou disons un mélange des gens.
19:43Parce que la haute hiérarchie policière, voulant tout le temps apaiser,
19:52a cédé énormément de terrain aux syndicats.
19:56Et nombre de réformes ont été faites pour satisfaire des velléités des gardiens de la paix
20:02et au détriment de la réelle efficacité du service public.
20:08Pour preuve, il y avait à mon époque un système de vacations dans les commissariats
20:13en cas de, vous travaillez 4 jours, 2 jours de repos, 4 jours, etc.
20:17Effectivement, si vous regardez de plus près,
20:20ça fait qu'on travaille assez souvent le samedi, le dimanche, etc.
20:23Sous les pressions, si vous voulez, à force d'invoquer la difficulté du travail,
20:29à force d'invoquer la dangereusité du travail, on obtient énormément d'avantages.
20:34Aujourd'hui, il y a ce qu'on appelle des vacations binaires.
20:37C'est-à-dire que vous travaillez une semaine, le lundi, mardi, vendredi, samedi, dimanche,
20:44de 6h à 18h, ou de 18h à 6h, et la semaine d'après que le mercredi et jeudi.
20:51Si vous comptez bien, dans l'année, vous travaillez 130 jours.
20:56Ce qui fait que, maintenant, d'une culture de l'investissement,
20:59il y a presque une culture du temps libre qui s'installe.
21:03Et donc ça, oui, on a donné satisfaction aux policiers,
21:06oui, la police c'est dur, oui, ça nécessite un engagement, c'est vrai,
21:11oui, mais si tout le monde se désengage au nom, justement, de cette dangerosité,
21:16on ne va pas s'en sortir.
21:17Et donc oui, la police, dans ce cas, ne peut plus rien pour vous.
21:19Voilà, c'est exactement ça.
21:21– Alors, tout est très psychologique, à vous écouter, on le comprend aussi,
21:24mais tout est très psychologique dans votre essai.
21:26Peut-être auriez-vous pu être psy si vous n'avez pas été flic, Maurice Sinolé.
21:30Quelque chose, un argument qui revient souvent dans votre essai,
21:34c'est que 25% de personnages hors du commun composent la police,
21:37mais il y a aussi 50% de gens moyens et 25% de combinards.
21:41Vous dénoncez cette médiocrité peu à peu grandissante
21:44au fil des décennies dans la police.
21:45– Oui, et puis surtout, je ne sais pas si vous l'avez remarqué,
21:49mais je mets beaucoup en cause la hiérarchie.
21:52Les commissaires de police, en l'occurrence,
21:54on est passé, à mon époque, d'une hiérarchie de compétences
21:58et à une hiérarchie d'obéissance.
22:00Vous voyez, la nuance est importante.
22:01Et c'est pareil, j'aime bien ce terme,
22:03par ruissellement, ça descend jusqu'à la base,
22:05qui est parfaitement consciente de ça.
22:07C'est-à-dire que l'unique...
22:10Alors, pas tous, il y en a certainement quelques-uns qui sont bien,
22:14mais la dynamique de construction d'une carrière
22:17l'emporte sur la construction de compétences.
22:20Vous voyez ?
22:21Et donc, il en découle un mal-être
22:26qu'on va retrouver jusque chez les gardiens de la paix,
22:28puisqu'ils sont conscients de ça.
22:29Vous voyez ?
22:30Donc, il ne faut pas forcément incriminer la base.
22:33C'est tout un ensemble qui a fait que tout a glissé.
22:35Tout a vraiment glissé.
22:37Mais alors, question simple,
22:39peut-on encore changer quelque chose de l'intérieur ?
22:42Quelquefois, vous avez réussi.
22:43Quelquefois, vous vous êtes cassé les dents.
22:45Maurice Yonalet.
22:46De quel côté penchez-vous ?
22:47Alors, moi, je pense...
22:49Comme je vous l'ai dit tout à l'heure,
22:50la police est un vecteur d'appréciation de la société.
22:53Ce qu'il faut, c'est se dire qu'aujourd'hui,
22:55on a été...
22:57Je vous citais les époques, etc. tout à l'heure.
23:00Peut-être qu'il faut être optimiste et se dire
23:01qu'on est dans un tel désastre
23:04qu'il va bien falloir, à un moment donné,
23:05taper du poing, du pied au fond de la piscine
23:08pour remonter et se dire
23:10qu'il faut revenir à l'expiation de la peine,
23:14à l'exemplarité de la peine.
23:16On n'arrête pas de nous parler de redonner l'autorité, etc.
23:20Déjà, si vous remettez tout ça en place,
23:22vous allez voir que par ruissellement,
23:25tous ceux qui seront chargés de mission d'autorité,
23:28l'autorité reviendra.
23:29– Revenir aux fondamentaux.
23:31– Exactement, au bon sens.
23:33Vous voyez, je ne crois pas aux hommes providentiels.
23:39La politique a tendance à nous faire croire
23:41qu'on est tous dans l'attente d'un messie providentiel, etc.
23:45Je crois au peuple providentiel.
23:47Je crois aux gens ordinaires.
23:49Je crois que les gens ordinaires, c'est la vraie noblesse,
23:53c'est celle du cœur, celle du travail, celle de l'abnégation.
23:56Ceux qui ne représentent rien et qui pourtant représentent
23:59ce qu'il y a de meilleur.
24:01Et je crois que si un peuple providentiel,
24:03un peu comme il l'avait montré au moment des Gilets jaunes,
24:06disait il y en a marre de tout ça,
24:08il faut que tout ça cesse, peut-être que les choses reviendront.
24:11Peut-être qu'on retrouvera le lien qui aujourd'hui est très distendu
24:15entre Demus et Kratos, le peuple et le gouvernement du peuple,
24:20et qu'on deviendra enfin une véritable démocratie.
24:23– Je croise aux gens ordinaires, ce sera le mot de la fin.
24:25– Maurice Signolet, merci beaucoup.
24:27Je rappelle que vous êtes l'auteur de l'essai
24:29« La police ne peut plus rien pour vous »,
24:31publié aux éditions L'Intérieur.
24:33Merci beaucoup de votre entrée ici.
24:34– Sous-titrage Société Radio-Canada
24:40– Sous-titrage Société Radio-Canada
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