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  • 22/05/2025
Le jour de la signature du Pacte germano-soviétique, Lorenz, un soldat allemand, et Marlena, une interprète russe, se rencontrent à Moscou et tombent amoureux. Séparés par le conflit, ils vont s'écrire et continuer à s'aimer. Par l'intermédiaire de leurs échanges épistolaires, Lorenz et Marlena sont les porte-paroles de milliers d'anonymes ayant participé à la guerre. Lorenz montre qu'ils ont été nombreux, simples soldats, avec comme unique objectif de servir leur pays. Marlena, de son côté, permet d'appréhender la situation de la femme soviétique dans ce milieu de siècle. Etre une femme sous le régime communiste est un statut particulier. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, elle est politiquement, socialement et psychologiquement, plus apte que celles des autres pays à se mobiliser.

Réalisé par : Véronique Lagoarde-Ségot

Categoria

😹
Diversão
Transcrição
00:00:00Ça a débuté comme ça, je cherchais l'inspiration dans une boîte de vieilles cartes postales.
00:00:15J'aime les vieux papiers, les albums de famille.
00:00:20Ce jour-là, je découvre une petite enveloppe froissée par le temps.
00:00:28À l'intérieur, quelques photos jaunies.
00:00:32Un couple, elle me semble soviétique, il me semble allemand.
00:00:41Au dos, une annotation, 23 août 1939, Moscou.
00:00:49Cette date ressuscite en moi un événement d'histoire,
00:00:52la signature du pacte de non-agression entre l'Union soviétique et l'Allemagne.
00:01:00Je regarde ce jeune couple, ses photos provoquent en moi le désir de faire vivre leur histoire.
00:01:06Je les imagine alors, elle, interprète, venue prêter ses connaissances de la langue allemande dans ce grand moment d'histoire.
00:01:15Lui, photographe, venu depuis Berlin immortaliser cette nouvelle union.
00:01:21Témoin du rapprochement des deux grandes dictatures, mais aussi, sans le savoir, du prélude à la seconde guerre mondiale.
00:01:27Ce jour-là, alors que leurs pères font alliance, ils tombent amoureux, sous des étoiles contraires.
00:01:34Ils se promettent de s'écrire, pour effacer la distance qui va bientôt les séparer.
00:01:39J'imagine alors leur amour, comme celui de Roméo et Juliette, impossible, et pourtant.
00:01:52L'Union soviétique et l'Allemagne
00:01:56L'Union soviétique et l'Allemagne
00:02:01L'Union soviétique et l'Allemagne
00:02:06L'Union soviétique et l'Allemagne
00:02:11L'Union soviétique et l'Allemagne
00:02:17L'Union soviétique et l'Allemagne
00:02:23L'Union soviétique et l'Allemagne
00:02:29L'Union soviétique et l'Allemagne
00:02:35Chère Lorenz, je t'écris comme on écrit à un ami lointain.
00:02:41Pourtant, je pense que même dans la séparation, on ressent la présence de l'autre, tout à côté.
00:02:49Depuis notre rencontre, je te vois partout, je te sens partout.
00:02:54Je me sens joyeuse et fébrile, c'est difficile à expliquer.
00:02:59Tu dois me trouver bête, mais cette sensation étrange rend mon corps aussi léger qu'une plume.
00:03:05En marchant dans la rue de Verskaya, je vole.
00:03:16Si l'on se revoit, je parviendrai à voler jusqu'à la Lune.
00:03:20Et alors tu seras le chemin qui me conduit vers mon rêve le plus insensé,
00:03:25marcher un jour sur l'astre de la nuit.
00:03:28Je veux devenir astronome, mon cœur est dans le ciel.
00:03:35Je me sens en parfaite harmonie avec les étoiles.
00:03:38Mon père pense que ma passion est une excentricité juvénile.
00:03:42L'astronomie, dit-il, n'est pas une affaire de femmes.
00:03:46Je vais lui prouver le contraire, je prépare le concours des sciences.
00:03:58Hier, avec mon ami Masha, nous sommes allés voir Roméo et Juliette.
00:04:04Ces amants sont merveilleux.
00:04:07Mais une chose me surprend.
00:04:09Le pouvoir de l'amour est-il si grand
00:04:12qu'il transforme même les hommes les plus courageux en mauviettes ?
00:04:17Masha pense qu'il faut en faire l'expérience pour bien comprendre.
00:04:22Lorenz, écris-moi, raconte-moi tout de toi.
00:04:26La vie n'est qu'amour, n'est-ce pas ?
00:04:31Ton ami Marlena.
00:04:34P.S. T'as-je dit que mon prénom est l'alliance de Marx et de Lénine ?
00:04:40C'est ça.
00:04:57Chère Marlena,
00:04:59votre rencontre avait ce petit rien qui fait que parfois on croit au destin.
00:05:04Depuis mon retour de Moscou,
00:05:06ma mère me regarde avec un sourire en coin, comme si elle savait.
00:05:11Il faut dire que ma vie est bouleversée.
00:05:13Je suis rempli d'une joie simple,
00:05:15une joie qui ne porte pas de nom.
00:05:20Un jour, nous serons rassemblés,
00:05:22mais le chemin est long vers notre grande Allemagne.
00:05:26En attendant, je t'envoie nos photos que j'ai pris grand soin de développer.
00:05:32Je garde précieusement un tirage pour moi.
00:05:34Dans mes moments de solitude, je pourrais te contempler,
00:05:37être sûr que tu n'es pas, comme tout me pousse à le croire,
00:05:41le fruit de mon imagination.
00:05:48Ta passion est donc dans le ciel ?
00:05:51La mienne est derrière un objectif.
00:05:54J'aime imprimer l'instant pour l'éternité,
00:05:57photographier les gens, pour les rendre immortels.
00:06:05Sans doute une blessure de l'enfance.
00:06:08Je ne connaîtrai jamais le visage de mon père,
00:06:12effacé à jamais par la foutue grande guerre.
00:06:18Je suis un enfant du traumatisme,
00:06:20nourri à l'humiliation et à la défaite.
00:06:24Je n'adhère pas en tout point au précepte du parti,
00:06:26mais si Hitler peut rendre sa grandeur à mon pays,
00:06:29alors quoi qu'il en coûte, je le suivrai.
00:06:35D'ailleurs, j'ai reçu un courrier m'informant
00:06:37de mon entrée prochaine à la caserne.
00:06:40Je fais mes valises, embarque mon appareil photo,
00:06:43ma caméra et me tiens prêt.
00:06:48Une nuit commence comme mille autres,
00:06:50mais sous ces étoiles, je me rêve en soldat.
00:06:55Reçois mon affection, Marx et Lénine.
00:06:58Mon Dieu, si j'avais su qu'un jour,
00:07:00j'aurais pu écrire pareille chose.
00:07:02Vraiment, ton ciel m'est tombé sur la tête.
00:07:07Lorenz.
00:07:33Cher Lorenz,
00:07:35quelle joie de découvrir nos photos.
00:07:38Je me suis empressée de les cacher derrière ma table de chevet.
00:07:41Si mon père me découvre aux côtés d'un salopard de fasciste,
00:07:44je finis en morceaux dans le borge du dîner.
00:07:49Seule ma chatte est dans la confidence,
00:07:51même si elle en rage.
00:07:53Elle ne cesse de m'appeler Lois Blanches
00:07:55et m'assure que même si j'en parle,
00:07:57elle ne m'écoute pas.
00:07:59Elle ne cesse de m'appeler Lois Blanches
00:08:01et m'assure que même les palmipèdes
00:08:03ouvraient les yeux un jour.
00:08:05Elle m'a dit aujourd'hui,
00:08:07ta passion pour Goethe va te perdre, Marlena.
00:08:09Comme Faust, tu pactises avec le diable.
00:08:14Sache, cher Mephisto,
00:08:16que je me fiche bien de tout cela.
00:08:19Pour l'heure, je suis heureuse
00:08:21et ce qui marque la journée d'aujourd'hui dans l'histoire de ma vie,
00:08:24je suis reçue au département des sciences et astronomie
00:08:27de l'université de Moscou.
00:08:29J'ai vu mon nom de mes propres yeux dans la liste.
00:08:33Ça y est, je vais compter les météorites,
00:08:35connaître l'inexploré.
00:08:44Depuis quelques temps,
00:08:45nous travaillons avec ma chatte
00:08:47dans un orphelinat d'enfants espagnols.
00:08:49Ces petits sont arrivés en masse,
00:08:51envoyés par leur famille
00:08:53pour les protéger des horreurs de la guerre.
00:08:56Heureusement,
00:08:57ils trouvent ici les bases solides de notre communisme.
00:09:01Le moment venu,
00:09:02ils reprendront le flambeau laissé par leurs aînés.
00:09:09Il est 17h30 à Moscou.
00:09:11La radio diffuse des voeux pour l'extrême-orient.
00:09:14Là-bas, c'est déjà le nouvel an.
00:09:16Dans quelques heures,
00:09:17l'horloge va sonner sur la place rouge.
00:09:201940,
00:09:2123ème année de la grande révolution d'octobre.
00:09:2423ème année de ma vie.
00:09:27Manifestement,
00:09:28je deviens un peu adulte.
00:09:30Je lève mon verre à nous, Lorenz,
00:09:32que cette année nous rapproche,
00:09:34Marlena.
00:09:55Chère Marlena,
00:09:57je te souhaite une merveilleuse année.
00:09:59Oublions Faust et le diable, si tu veux bien.
00:10:03Moi, je commence l'année comme je l'ai fini,
00:10:05à la caserne.
00:10:07Je suis heureux de voir comment notre belle armée
00:10:09est aujourd'hui reconstituée et considérable en nombre.
00:10:13Pourtant,
00:10:14quel enfer si tu savais.
00:10:18Ma vie,
00:10:19c'est comme si je n'avais rien.
00:10:21Quel enfer si tu savais.
00:10:24Ma vie à la cadence d'un métronome effréné.
00:10:32Chaque matin,
00:10:33réveil au sifflet du sous-officier de permanence.
00:10:37Et je sais déjà comment va se dérouler la journée.
00:10:438h20,
00:10:44je mets mon masque à gaz en bandoulière,
00:10:46je boucle mon ceinturon.
00:10:498h30,
00:10:50je suis en bas dans la cour.
00:10:53Passage en revue de la compagnie.
00:10:57L'adjudant dit,
00:10:58« Le troisième, au deuxième rang, rentrez le ventre. »
00:11:01Puis arrive le colonel,
00:11:02« Heil, Landesschutz. »
00:11:04Nous répondons,
00:11:05« Heil, Herr Oberst. »
00:11:07Puis,
00:11:08« Portez armes,
00:11:09en avant, marche,
00:11:10un chant. »
00:11:12Il pourrait dire « le chant »,
00:11:13car c'est toujours le même.
00:11:179h,
00:11:18exercice,
00:11:19courir,
00:11:20sauter,
00:11:21tirer,
00:11:22ramper,
00:11:23saluer.
00:11:2411h,
00:11:25je nettoie mes bottes.
00:11:2711h15,
00:11:28on vérifie mes bottes.
00:11:33Tu sais, Marlena,
00:11:34être en permanence livrée à je ne sais quel galonnet
00:11:37peut vite et facilement transformer un homme sensible en psychopathe.
00:11:44C'est vraiment affreux
00:11:45de voir des gars de près de 40 ans
00:11:47et bégayer devant un sous-officier
00:11:49qui nous enseigne à manier
00:11:50autant le fusil que la pelle,
00:11:52les explosifs que l'épluchage de pommes de terre.
00:11:56Je me demande si le fureur avant des activités de caserne...
00:12:00Je perds mon temps.
00:12:02Alors que nos troupes se déploient déjà sur différents fronts,
00:12:05je suis là,
00:12:06simple mouton parmi les autres,
00:12:08à suivre à la lettre les commandements.
00:12:10Je brûle de partir.
00:12:13Excuse-moi pour ce récit pitoyable,
00:12:16mais cette pantomime est meurtrière.
00:12:18Elle tue l'imagination.
00:12:22Marlena,
00:12:23je t'en prie,
00:12:24divertis-moi de tes mots
00:12:26et du récit de tes activités.
00:12:29Lorenz
00:12:47Cher Lorenz,
00:12:50tu me croiras, si tu veux,
00:12:51mes activités ressemblent un peu aux tiennes.
00:12:54Comme toi, je n'ai pas le temps de côtoyer l'ennui.
00:12:58Chaque jour, lever 6 heures,
00:13:00aspersion d'eau froide sur le visage.
00:13:04Puis je pars à l'université.
00:13:0614 heures, je vais aider à l'orphelinat.
00:13:0916 heures, éducation militaire.
00:13:16Histoire de faire enrager les garçons,
00:13:18nous, les filles, on se met toujours devant.
00:13:24Aujourd'hui, j'ai tiré 25 cartouches.
00:13:2718 ont atteint la cible.
00:13:30Mon ennemi de carton était bien mal au point.
00:13:38Demain,
00:13:39j'utiliserai la mitrailleuse Maxime.
00:13:43On apprend aussi les tactiques des bataillons médicaux.
00:13:46Pensement, injection, évacuation des blessés.
00:13:52Nous n'avons pas réussi à soulever le camarade Popov sur la civière,
00:13:55alors Masha l'a remplacé.
00:14:01Chaque jour, l'instructeur nous dit qu'il faut travailler dur,
00:14:04qu'il faut se préparer au combat.
00:14:07Lorenz, toi aussi, tu dois t'y préparer.
00:14:10Il semble que ton pays soit enclin à la guerre.
00:14:17Je tombe de fatigue alors que je t'écris.
00:14:21Dehors, la Moscova scintille de mille et une lumières
00:14:24qui taquinent l'imaginaire.
00:14:27La lune se reflète en souriant d'un air moqueur dans l'eau.
00:14:31Sans doute qu'elle nous regarde.
00:14:33J'aimerais tant que tu la vois.
00:14:36Marlena.
00:14:40Chère Marlena.
00:14:42Tu me taquines et j'aime ça.
00:14:44Des femmes, mitraillettes à la main.
00:14:46Ton imagination distrait ma monotonie, c'est certain.
00:14:52Moi, j'ai une bonne nouvelle.
00:14:54Je pars enfin pour la France.
00:14:57Comme un homme affamé qui se prépare à une longue période
00:15:00pour se réunir avec ses amis,
00:15:02je m'occupe de la France.
00:15:04Je ne suis pas un soldat,
00:15:06je ne suis pas un soldat.
00:15:08Comme un homme affamé qui se prépare
00:15:10à une longue période sans nourriture,
00:15:12je me précipite sur mes livres.
00:15:14Je me nourris des récits de la guerre de nos pères,
00:15:17à la recherche d'une position.
00:15:19Savoir le rôle que je vais jouer.
00:15:21Comprendre le danger et la mort
00:15:23comme une nouvelle perception du monde.
00:15:26Que peut bien écrire un soldat à sa bien-aimée ?
00:15:29Qu'il se sent indissablement heureux
00:15:31de participer à cette grande entreprise
00:15:33qui donnera à l'Europe un nouveau visage.
00:15:39Depuis le quai, les filles nous saluent.
00:15:42Dans le vent impétueux,
00:15:44des mouchoirs blancs volent en guise d'adieu.
00:15:47C'est extraordinaire.
00:15:49J'aspire avec une impatience juvénile à ce qui m'attend.
00:15:54Je me sens aussi désireux et consumé par le bonheur
00:15:57que si j'étais amoureux.
00:16:01Ton caporal, Lorenz.
00:16:09Lorenz, alors que je lis et relis ta lettre,
00:16:12j'essaie d'imaginer ce qu'il se passe à l'Ouest.
00:16:15Mon cœur se sert de douleur quand je pense à toi.
00:16:19Je me réjouis de ton enthousiasme
00:16:21et pourtant, je crains pour la suite des événements.
00:16:27Nous avons beaucoup de discussions sur cette guerre de l'Occident.
00:16:31Je ne sais pas si je peux t'expliquer.
00:16:34Nous avons beaucoup de discussions sur cette guerre de l'Occident.
00:16:37Ton peuple s'empare des pays les uns après les autres
00:16:40et fait couler du sang.
00:16:42Certains pensent qu'Hitler n'osera jamais s'en prendre à nous.
00:16:45D'autres affirment le contraire.
00:16:47La prise de l'Europe va l'aider à accumuler des forces,
00:16:50puis il se tournera vers l'Est.
00:16:53Je suis un peu mal à l'aise lors de ces débats.
00:16:57Un chat noir s'est glissé et court maintenant entre nous.
00:17:00Mais Lorenz, ce n'est qu'un chat.
00:17:07J'aurais tant aimé que ton train te conduise vers l'Est.
00:17:12Marlena.
00:17:31Marlena.
00:17:33Me voilà en chemin pour la France.
00:17:36On m'installe dans une voiture pour filmer.
00:17:39Dieu me montre la grande route,
00:17:41avec toutes ses horreurs
00:17:43et ses beautés.
00:17:50Sur les bas côtés,
00:17:51des fils les épargnent,
00:17:53et je me dis que c'est l'heure.
00:17:56Sur les bas côtés,
00:17:57des fils les épavent de nos batailles gagnées.
00:18:00Des amas de métal,
00:18:02des charognes putrides.
00:18:08Des ferle-tossis des cortèges de prisonniers,
00:18:10ternes et molasses.
00:18:12Dans un mouvement presque mélancolique,
00:18:14ils nous regardent avec l'air résignés d'un peuple conquis.
00:18:18Parmi eux,
00:18:20c'est étonnant, Marlena.
00:18:22Un nombre incalculable de noirs.
00:18:34Puis, une procession de réfugiés
00:18:36qui trimballent toutes sortes de choses.
00:18:39Des chaises, des seaux, des matelas.
00:18:42Comme des escargots portent leur maison sur leur dos,
00:18:45ces gens portent leur vie sur des chariots.
00:18:48Et même si leur transbahutage a des allures
00:18:50de montagne,
00:18:51leur vie se résume à bien peu de choses.
00:18:53Des choses futiles, matérielles.
00:19:08Nous découvrons la ville de Tournai, après l'orage.
00:19:11Comme un immense chantier de démolition.
00:19:14Je demande à la voiture de stopper.
00:19:17À travers mon objectif,
00:19:19éboulements de gravats,
00:19:21des dalles de pierre,
00:19:22de planches,
00:19:23de tôles,
00:19:24de restes calcinés.
00:19:29La ville n'est plus qu'encore disloquée.
00:19:34Quelques bâtiments sont debout,
00:19:36mais je me demande à quel fil tendu
00:19:38ils peuvent encore tenir.
00:19:43Comme ressurgit du néant,
00:19:45comme ressurgit du néant,
00:19:47les habitants errent dans les décombres
00:19:49comme des fantômes.
00:19:51Ils marchent,
00:19:52qu'un à un cas,
00:19:53dans la splendeur des chutes.
00:19:58Un enfant surgit.
00:20:00Il ne parle pas.
00:20:02Il nous tend un papier.
00:20:06Est-ce odieux de penser
00:20:08voilà donc un juste retour des choses ?
00:20:12Marlena,
00:20:14penses-tu que la réparation
00:20:16passe forcément par la vengeance ?
00:20:18Que pour ne plus être victime,
00:20:20il faut se fabriquer des victimes ?
00:20:23Peut-être vaut-il mieux
00:20:25que de telles questions restent ouvertes,
00:20:27afin que chacun puisse interroger le passé
00:20:30et en tirer d'éventuelles leçons.
00:20:33Le soleil s'incline de plus en plus devant nous.
00:20:36Et moi,
00:20:37je n'arrive pas à détacher de mon esprit
00:20:39le visage pâle et implorant de l'enfant
00:20:41sourd et muet des ruines
00:20:43et sa feuille de papier.
00:20:46Il va bientôt faire nuit.
00:20:48Endormi dans mon carrosse,
00:20:50nous entrerons en France, dans l'obscurité.
00:20:53Je te raconterai mes premiers pas français.
00:20:55Je veux voir par où.
00:20:57Je veux voir par où.
00:20:59Je te raconterai mes premiers pas français.
00:21:01Je veux voir Paris.
00:21:03Paris. Paris.
00:21:05Lorenz.
00:21:08PS.
00:21:10La France a déposé les armes.
00:21:12La France a déposé les armes.
00:21:37Lorenz,
00:21:38la guerre a éclaté.
00:21:40Mais qu'est-ce qui vous prend ?
00:21:42Après avoir saigné toute l'Europe,
00:21:44ton fureur a décidé de jeter ses hordes
00:21:46sur notre patrie.
00:21:48Mais nous avions un pacte.
00:21:51Papa n'est pas mobilisable.
00:21:53Il a perdu un œil pendant la révolution.
00:21:55Il peste parce qu'il n'a qu'une fille
00:21:57en âge de se battre.
00:21:59Pourquoi mon père pense-t-il toujours
00:22:01que je suis une fille ?
00:22:05À l'université, on s'est tous rassemblés.
00:22:08Masha est montée sur la tribune pour prendre la parole.
00:22:30À la fin, tout le monde l'a applaudie.
00:22:33C'était extraordinaire.
00:22:38Puis on est partis au bureau de recrutement.
00:22:40J'ai passé un interrogatoire.
00:22:44À la question,
00:22:46« Que voulez-vous faire à la guerre, camarade ? »
00:22:48J'ai répondu,
00:22:50« Vaincre l'ennemi, c'est tout. »
00:22:53J'ai passé une visite médicale.
00:22:55Ils ont regardé la forme de mes pieds,
00:22:57m'ont mesuré, pesé,
00:22:59regardé les yeux, écouté mon cœur.
00:23:01Comment te dire, Lorenz ?
00:23:03Il bat, celui-là.
00:23:05Plus que de raison.
00:23:07Il bat pour toi et pour la patrie.
00:23:10Je ne peux pas laisser les soi-disant circonstances
00:23:12étouffer tout mon amour pour toi.
00:23:15Même si je dois me battre contre tes frères.
00:23:18Grâce à l'orphelinat, je peux partir comme infirmière.
00:23:21Masha aussi est prise.
00:23:23Sur le front, c'est sûr,
00:23:25elle va amener de la gaieté.
00:23:27Elle est tellement joyeuse,
00:23:29tellement piquante avec les hommes.
00:23:37Je regarde ma ville comme si c'était la dernière fois.
00:23:40Moscou est si belle.
00:23:43Dans le ciel,
00:23:45on aperçoit les dirigeables qui se balancent
00:23:47comme des créatures fantastiques.
00:23:55Au moment des adieux,
00:23:57les mères se sont mises à pleurer.
00:23:59Une mère, c'est toujours une mère.
00:24:02Mon père m'a glissée.
00:24:04Si tu dois choisir entre tomber aux mains de l'ennemi
00:24:06ou tomber pour la patrie,
00:24:08tu sais ce qu'il te reste à faire.
00:24:12Lorenz, je ne peux plus t'envoyer de courrier,
00:24:14mais je vais continuer à t'écrire.
00:24:18Je garderai mes lettres pour te les remettre en main propre.
00:24:21Cette guerre nous prend aux dépourvues,
00:24:23mais elle ne va pas durer.
00:24:25Ne t'inquiète pas,
00:24:27tout ira bien.
00:24:29Attends-moi, comme le printemps je reviendrai,
00:24:31mais attends-moi vraiment.
00:24:34Marx et Lénine qui brûlent de rage.
00:24:59Marlène,
00:25:01quatre mois déjà sans une lettre de toi.
00:25:04La haine de nos pères nous atteint.
00:25:08Je ne peux plus t'envoyer les miennes,
00:25:10mais je continue à t'écrire pour qu'un jour
00:25:12nos enfants connaissent le récit de nos vies séparées.
00:25:17La France n'a plus de cap.
00:25:19Elle n'a même plus de direction claire vers le déclin.
00:25:22Il faut dire que leur régime politique est peu réjouissant.
00:25:28Je n'ai pas vu Paris.
00:25:30Je suis dans le nord de la France,
00:25:32condamné à ne vivre cette guerre que dans l'ombre.
00:25:37Heureusement,
00:25:39j'ai pu installer mon laboratoire photo.
00:25:41Et je m'adonne à ma passion,
00:25:43dès que je trouve un moment.
00:25:45Mes compagnons me surnomment la taupe,
00:25:47parce que je les guette sans cesse à travers l'objectif,
00:25:49et que je vis la plupart du temps dans le noir.
00:25:57Ici, mon travail est peu réjouissant.
00:26:00J'enregistre les identités des Français
00:26:02qui tentent de franchir la zone interdite,
00:26:04afin de rentrer chez eux,
00:26:06retrouver leur maison,
00:26:08ou toute autre chose bien innocente.
00:26:13Dans mon esprit,
00:26:15cohabite le caporal X,
00:26:17bureaucrate dévoué,
00:26:19qui prend un air menaçant
00:26:21et s'assure que ses gens rebroussent chemin.
00:26:25Et le conscrit Lawrence,
00:26:27un acteur nostalgique et passionné,
00:26:29qui déteste les brahimans militaires,
00:26:31et s'émeut devant cette femme
00:26:33qui l'autre jour demandait simplement
00:26:35à retrouver son amoureux.
00:26:39C'est celui-là, mon ami.
00:26:41Celui qui s'étonne que ses collègues,
00:26:43ce jour-là,
00:26:45soient plus attendris par des chiens.
00:26:49Celui qui doit s'effacer
00:26:51pour que le caporal X existe.
00:26:57Les deux sont là aussi
00:26:59lorsque je dois m'occuper
00:27:01des laissés-passer pour les ouvriers,
00:27:03ceux qui construisent des fortifications
00:27:05pour barrer la route aux Anglais.
00:27:09D'un côté, je les observe
00:27:11noutoiser de haut avec mépris,
00:27:13alors même qu'ils ont un salaire grâce à nous.
00:27:17D'un autre,
00:27:19je trouve l'atmosphère ouvrière
00:27:21chaleureuse et sympathique,
00:27:23leur humour délicieux.
00:27:27J'aime la malice dans leurs regards.
00:27:35Le caporal X trouve les Français
00:27:37totalement indisciplinés
00:27:39et très énervants.
00:27:41Leur indolence agace et rend jaloux.
00:27:45Le conscrit Lawrence les envie,
00:27:47en les voyant le soir s'asseoir dans un bistrot,
00:27:49jouer aux cartes,
00:27:51s'enivrer de gestes et de paroles,
00:27:53rire avec la patronne
00:27:55et se moquer ouvertement de nous.
00:27:59Il serait à deux doigts de crier
00:28:01« Vive la France ! »
00:28:19Le soir, nous logeons dans une maison désertée.
00:28:25Dans ma chambre,
00:28:27une corbeille à ouvrages,
00:28:29quelques lettres adressées à une mademoiselle
00:28:31et un corset rose ont été oubliés.
00:28:35Assis sur le lit,
00:28:37je regarde la poussière danser dans la lumière.
00:28:39J'imagine que le soleil
00:28:41balaye le ciel.
00:28:43La porte de l'armoire est ouverte.
00:28:45Je vois mon autre
00:28:47dans la glace.
00:28:49Je le salue le bras levé
00:28:51d'un Heil Hitler.
00:28:55Mais pour toi, douce Marlena,
00:28:57c'est Lorenz
00:28:59qui prend le pas.
00:29:01Mon cher Lorenz,
00:29:25on grandit trop vite
00:29:27sous l'uniforme.
00:29:29Ma vie
00:29:31a pris un tout autre tournant.
00:29:35Je suis à l'arrière du front.
00:29:37On installe notre matériel médical
00:29:39dans des cabanes, des maisons abandonnées,
00:29:41parfois même des églises.
00:29:43Aujourd'hui, dans une tente.
00:29:45Drôle de petit
00:29:47hôpital fragile.
00:29:49J'ai l'impression qu'il suffirait d'un coup
00:29:51de vent pour qu'il s'envole.
00:29:53Je ne vois pas la guerre,
00:29:55mais je l'entends.
00:29:57Au bout, je vois le désastre qu'est l'enfante.
00:30:01Quand les blessés arrivent,
00:30:03tout se met en branle.
00:30:05Tu fais le bandage d'un homme,
00:30:07arrêtes comme tu peux les fusions de sang d'un second,
00:30:09assistes une opération,
00:30:11recoups, tu te retournes,
00:30:13tu te rends compte que d'autres arrivent encore.
00:30:17On a tout un tas de blessures horribles.
00:30:19Les éclats d'obus
00:30:21atteignent toutes les parties du corps.
00:30:23Le plus insupportable,
00:30:25c'est les amputations.
00:30:27Chaque fois, je pense,
00:30:29est-ce la jambe d'un sportif ?
00:30:31Le bras d'un musicien ?
00:30:33Alors je prends discrètement
00:30:35le morceau du corps pour que le soldat
00:30:37ne se rende compte de rien.
00:30:39Et je l'emporte, comme un bébé.
00:30:41Dans mes cauchemars, la nuit,
00:30:43je trimballe des jambes.
00:30:47Certains soldats te demandent,
00:30:49petite sœur, fais-moi une carte
00:30:51d'évacuation. Je ne veux plus
00:30:53combattre. Mais on connaît
00:30:55les consignes, alors on fait
00:30:57la sourde oreille.
00:30:59Tu sais, Laurence,
00:31:01les scrupules font mal au ventre.
00:31:05L'autre jour,
00:31:07un camarade avait besoin d'une transfusion.
00:31:09Pas de sang. Ma chambre
00:31:11a tendu le bras. Prends mon sang,
00:31:13Marlena. Il est vif et rouge,
00:31:15comme la patrie.
00:31:17Quand le soldat s'est réveillé,
00:31:19il l'a regardé et lui a dit,
00:31:21« Tu m'as sauvé la vie, petite sœur.
00:31:23Je vais vivre pour te protéger. »
00:31:27À ça, ils sont nombreux, ceux qui veulent nous protéger.
00:31:31De toutes les manières, même les plus honteuses.
00:31:35Ici, il faut jouer
00:31:37des bras et des cris quand on nous tourne autour.
00:31:41Les plus gradés séduisent les oisillons.
00:31:43Quand ils ont fait leur chose,
00:31:45ils les traitent avec mépris
00:31:47ou en font des épouses de terrain.
00:31:51Quand la guerre sera finie,
00:31:53ils oublieront les promesses qu'ils leur ont faites.
00:31:57Juste pour soulager leur sexe.
00:32:03Irina est tombée dans le piège.
00:32:07Je sors prendre l'air
00:32:09pour respirer un peu.
00:32:15Je pense au commissaire Pavlov, le dégoûtant.
00:32:17Il se prend pour un donjon
00:32:19dans ces temps modernes.
00:32:21Pauvre Irina, elle est enceinte.
00:32:23Et ce salaud se tient à l'écart
00:32:25comme si c'était pas son affaire.
00:32:27Il est à l'affût d'une autre petite proie.
00:32:29Salaud.
00:32:33J'attends que la nuit tombe
00:32:35pour regarder mes étoiles.
00:32:37Ne plus penser qu'à ça.
00:32:39Là-haut, dans le firmament,
00:32:41je sais que toi et moi,
00:32:43on se regarde.
00:32:45Au bord de la vie,
00:32:47au bord de la mort,
00:32:49je pense à toi.
00:32:51Ne m'oublie pas,
00:32:53ta Marlena.
00:33:07Ma chère Marlena,
00:33:11aujourd'hui je suis allé de ferme en ferme.
00:33:13Mission,
00:33:15manger des oeufs, de la farine et du beurre
00:33:17en prévision d'un gâteau pour dimanche.
00:33:21Cette balade m'a rappelé le lycée.
00:33:23Il faisait un temps idéal pour sécher les cours.
00:33:27Les français ont une expression merveilleuse
00:33:29pour dire sécher l'école.
00:33:31Ils disent faire l'école buissonnière.
00:33:35Il m'a pris une envie folle
00:33:37de jeter mon uniforme et de courir dans les prairies.
00:33:45Je suis entré dans une ferme
00:33:47pour débiter pour la énième fois mon baratin.
00:33:53Le paysan était un vieil homme
00:33:55au visage noir comme du cirage,
00:33:57une voix rugueuse
00:33:59et la tête noble d'un cheval.
00:34:01Il parlait peu,
00:34:03portait sa souffrance comme un animal muet.
00:34:07Comme la plupart des paysans
00:34:09à qui on vole poules et canards,
00:34:11cochons ou vaches,
00:34:13à qui on prend les chevaux pour le front de l'Est,
00:34:15le pauvre père de famille
00:34:17a partagé avec moi sa soupe et son vin.
00:34:23Sur le buffet,
00:34:25une photo de son fils en uniforme.
00:34:27J'ai compris qu'il était prisonnier en Allemagne.
00:34:29C'était vraiment émouvant.
00:34:35Sa femme,
00:34:37un peu désordonnée,
00:34:39courait comme une poule
00:34:41dans la ferme.
00:34:43Étourdie et inquiète,
00:34:45elle m'a donné des oeufs.
00:34:53J'ai regardé un long moment
00:34:55des enfants crasseux jouer dans la cour.
00:35:11Je suis parti.
00:35:13Ils sont tout un peu honteux
00:35:15d'avoir volé une part de leur intimité.
00:35:21En France,
00:35:23on a beaucoup de savoir-vivre
00:35:25mais peu de morale.
00:35:27Je crois que la fidélité
00:35:29est bien la dernière des vertus françaises.
00:35:31Les filles se maquillent
00:35:33comme pour attirer les papillons.
00:35:35Du rouge, du bleu,
00:35:37de l'or,
00:35:39et nos gars tombent dans leur filet.
00:35:41Ils flirtent avec elles.
00:35:43Leurs échanges sont peut-être innocents,
00:35:45pourtant ces femmes
00:35:47semblent peu vertueuses dans leur compagnie.
00:35:49Je rougis rien qu'à l'écrire.
00:35:53Il existe aussi parmi elles
00:35:55quelques figures tristes et tragiques.
00:35:57Mais toujours,
00:35:59dans leur visage,
00:36:01on peut lire la soif de la jouissance.
00:36:03Celle d'un plaisir léger,
00:36:05printanier,
00:36:07qui au fond est bien naturelle.
00:36:09Il est difficile
00:36:11de juger de telles personnes.
00:36:13Ces filles sont perdues
00:36:15à cause de la guerre.
00:36:17Bien que l'infidélité
00:36:19me fasse horreur,
00:36:21je peux comprendre le désarroi
00:36:23qui fait qu'un soldat,
00:36:25loin de sa femme,
00:36:27largue les amarres.
00:36:29Mais pour parvenir à leur fin,
00:36:31ils usent de stratagèmes
00:36:33tous plus ridicules les uns que les autres.
00:36:35Je suis triste à cause de leur faiblesse
00:36:37qui leur permet de jouir,
00:36:39les yeux fermés, des gestes tendres
00:36:41d'une étrangère.
00:36:45Comme si l'éloignement
00:36:47nous transformait en mendiant du désir.
00:36:51Moi, c'est de ton corps que je rêve.
00:36:55Pardon, c'est absurde.
00:36:57J'ai encore tant de choses à te raconter.
00:37:01Laurence.
00:37:05Laurence.
00:37:31Chère Laurence,
00:37:33je suis en train sanitaire.
00:37:35Tout le matériel médical est embarqué.
00:37:39Sur le quai,
00:37:41le médecin-chef me dit
00:37:43« Marlena, savez-vous faire
00:37:45les trachéotomies ? »
00:37:47Je reste bête.
00:37:49Je n'ose pas dire non,
00:37:51mais il comprend.
00:37:53Bien, tu as trois jours pour apprendre.
00:37:55Trois jours.
00:37:57C'est le temps que va mettre notre convoi
00:37:59pour arriver à Kharkov.
00:38:03Avant le départ,
00:38:05des hommes nous ont apporté de la peinture.
00:38:07Ordre donné de peindre
00:38:09d'immenses croix rouges sur le toit des wagons.
00:38:11Pour que l'ennemi nous voie de loin.
00:38:13Qu'il sache
00:38:15que nous ne transportons pas de munitions
00:38:17ni de soldats aguerris,
00:38:19mais des corps en faiblesse.
00:38:21Avec les filles,
00:38:23c'est avec enthousiasme que nous peignons.
00:38:25Ma chatte s'est mise à fredonner
00:38:27une chanson d'écolière.
00:38:33Puis le train a filé
00:38:35comme un brancard géant
00:38:37rempli de nos blessés.
00:38:49Je suis restée des heures,
00:38:51le nez collé à la vitre,
00:38:53observant de loin en loin
00:38:55nos terres dévastées.
00:38:57La campagne est parfois vierge
00:38:59de toute terreur,
00:39:01emplie de désolation.
00:39:03Tu me croiras si tu veux,
00:39:05Lorenz.
00:39:07Mon pays est comme je l'avais imaginé.
00:39:09Grand et beau à la fois.
00:39:15Un bourdonnement lointain
00:39:17me sort de ma mélancolie.
00:39:19Un bruit, comme un essaim d'abeilles
00:39:21qui approche.
00:39:25Et puis la mitraille, les cris,
00:39:27les explosions, tout s'agit autour de moi.
00:39:29Les avions ennemis au-dessus de nos têtes
00:39:31s'en donnent à cœur joie.
00:39:33Nos croix rouges rutilantes,
00:39:35au lieu de nous épargner, nous désignent.
00:39:37Nous sommes comme une traînée de confiture
00:39:39sur la table, et eux,
00:39:41comme des guêpes. Ils foncent,
00:39:43tirent, foncent à nouveau.
00:39:49Malgré les cris,
00:39:51j'entends leurs allées et venues.
00:39:53Ils me semblent innombrables.
00:39:59Et puis le silence est tombé.
00:40:03Nous nous sommes arrêtés pour compter nos morts.
00:40:07Récupérer ce qu'il restait à sauver.
00:40:23Nous avons détaché le dernier wagon détruit.
00:40:25Comme l'autre jour,
00:40:27j'ai amputé un homme.
00:40:31Et nous sommes repartis.
00:40:33Notre long cercueil à vapeur,
00:40:35laissé derrière lui,
00:40:37comme un sillage rouge sang.
00:40:41Quand nous sommes arrivés,
00:40:43des camarades nous ont donné de la peinture
00:40:45vert foncé, et nous avons repeint
00:40:47le toit des wagons.
00:40:49Je ne peux pas écrire de manière
00:40:51vivante et colonne,
00:40:53je ne peux pas écrire de manière vivante
00:40:55et colorée, Lorenz.
00:40:57Ma lettre s'achève
00:40:59comme le chant de certaines tombes.
00:41:23Douce Marlena,
00:41:25je profite de mes derniers instants
00:41:27dans le pays de Madame Bovary
00:41:29pour photographier mes camarades.
00:41:33Nous sommes appelés en renfort
00:41:35sur le front de l'Est.
00:41:37Je prends ça comme une punition.
00:41:39Mes supérieurs me reprochent
00:41:41d'avoir trop d'indulgence,
00:41:43trop d'empathie.
00:41:45Marlena,
00:41:47je ne peux pas écrire
00:41:49de manière vivante
00:41:51Marlena,
00:41:53je sais que là-bas, sur tes terres,
00:41:55ma vie dépend de celle de tes frères.
00:41:57C'est la victoire ou la mort.
00:41:59Toi ou moi.
00:42:01Que faire ?
00:42:21...
00:42:31...
00:42:33...
00:42:35...
00:42:37...
00:42:39...
00:42:41...
00:42:43...
00:42:45...
00:42:47A peine étions-nous partis,
00:42:49nous avions roulé une demi-heure
00:42:51qu'un attentat a visé notre convoi.
00:42:57Comme par miracle,
00:42:59on m'a tiré d'entre trois wagons
00:43:01complètement disloqués.
00:43:03J'ai juste une contusion à l'épaule.
00:43:07Nous avons dégagé les morts
00:43:09et les blessés,
00:43:11sorti nos affaires des voitures fracassées.
00:43:13J'ai pu sauver mes photos.
00:43:15Imagine-toi.
00:43:17Je les ai retrouvées.
00:43:21Nous sommes restés assis,
00:43:23ébahis et silencieux dans une prairie,
00:43:25en attendant notre transfert.
00:43:37Nous avons à nouveau embarqué,
00:43:39nous,
00:43:41les candidats à la mort.
00:43:43Le train s'est ébranlé,
00:43:45nous avons été obligés de quelques héros.
00:43:47Les Français se réveillent.
00:43:51C'est difficile de t'écrire, Marlène.
00:43:53Je suis encore sous le choc.
00:43:59Le train a traversé l'Allemagne
00:44:01pendant que je dormais.
00:44:03Personne ne m'a réveillé
00:44:05pour que je puisse voir, une fois encore,
00:44:07un morceau de la nuit de mon cher pays.
00:44:15Je regarde maintenant
00:44:17défiler les paysages de Pologne.
00:44:19Dans un champ,
00:44:21des femmes,
00:44:23un fichu sur la tête
00:44:25transportent un corps.
00:44:27Je me penche par la fenêtre.
00:44:29Je me laisse frapper au visage
00:44:31par le vent et je pense,
00:44:33je vais me saouler,
00:44:35siffler toute une bouteille.
00:44:37Je ne me rendrai plus compte de rien.
00:44:39On fait une halte
00:44:41pour se dégourdir un peu les jambes.
00:44:45Des enfants, vannus pieds,
00:44:47tendent leurs petites mains pour du pain
00:44:49ou autre chose.
00:44:55Un train à bestiaux arrive.
00:44:57Le train s'ébranle,
00:44:59le train s'ébranle,
00:45:01le train s'ébranle,
00:45:03le train s'ébranle,
00:45:05le train s'ébranle,
00:45:07un train à bestiaux arrive.
00:45:09Des chiffres sont inscrits à l'acrée
00:45:11sur les portes.
00:45:13soixante, soixante-dix,
00:45:15quatre-vingt-dix.
00:45:21Puis je vois un déferlement
00:45:23de gens poussés jusqu'au wagon.
00:45:27Par réflexe, je me cache
00:45:29derrière mon objectif.
00:45:33Un gars me glisse.
00:45:35Il paraît qu'on voit le camp depuis le train.
00:45:42Marlena, te dire ce que j'ai sous les yeux, est-ce pour cela que je suis parti me battre ?
00:45:52Notre train démarre, ça tombe bien.
00:45:59En face de moi, un gars tient un harmonica à l'envers, en rêvant de la mélodie.
00:46:06Nous roulons un certain temps à travers des forêts de pin, puis j'aperçois des sentinelles,
00:46:12de la fumée montée jusqu'au bord du ciel, une odeur âcre emplie mes narines.
00:46:18Je me mets à prier, toutes les prières, le credo, le pater, l'Ave Maria, les prières du Vendredi Saint,
00:46:25si amples qu'elles englobent jusqu'aux juifs de Pologne, ceux d'Allemagne ou d'ailleurs.
00:46:31Je prie jusqu'à ce que l'horreur s'évanouisse.
00:46:34Il est si bon de prier près de cet homme silencieux, qui joue de toute son âme et sans bruit sur son harmonica à l'envers.
00:46:43Si mes camarades savaient que je prie pour les juifs, ils m'arrêteraient tout de suite, m'exécuteraient d'une balle dans la tête.
00:46:51Je ferme les yeux, les images des convois funéraires des gens à étoiles restent collées sous mes paupières.
00:46:58Marlena, pardonne-moi de partager avec toi ces visions cauchemardesques.
00:47:03On écrit pour ne pas oublier, ici c'est tout le contraire.
00:47:07En couchant sur le papier ce que j'ai vu, je m'en défais un peu.
00:47:12Dans Lorenz.
00:47:28Mon tendre Lorenz.
00:47:32Mes nuits sont blanches.
00:47:35Mes journées folles.
00:47:38Le ciel est noir à cause des corbeaux qui transportent la mort.
00:47:48Je suis maintenant sur le front.
00:47:49Au cœur du chaos.
00:47:51Sous des puits de balles.
00:47:53Entre les bombes et les obus.
00:47:57On attend que les tirs se calment pour courir et récupérer les corps mutilés.
00:48:02La viande, comme dit ma chatte.
00:48:05Tu rampes de soldat en soldat.
00:48:08Tu choisis celui qui t'aidera.
00:48:11Et c'est toi qui décide.
00:48:12La viande, comme dit ma chatte.
00:48:15Tu rampes de soldat en soldat.
00:48:18Tu choisis celui qui peut vivre.
00:48:20Et tu le traînes comme tu peux, en esquivant les balles.
00:48:26C'est lourd un corps meurtri.
00:48:28Tu ne peux pas imaginer.
00:48:33Parfois, on les soigne sur place, sous le feu.
00:48:37Si ça tire trop de part et d'autre, le premier réflexe est de se protéger le visage.
00:48:43C'est stupide.
00:48:45Je ne sais pas pourquoi, nous les filles, à chaque fois, c'est notre visage que nous protégeons.
00:48:51Puis tu oublies qu'autour de toi, c'est la guerre.
00:48:54Tu ne penses qu'à ramener ton soldat.
00:48:58Crois-moi, Lorenz.
00:49:00Soigner est aussi un combat.
00:49:01On lit dans les journaux qu'au combat, tout le monde se lève en criant,
00:49:05« Vive Staline ! »
00:49:07Ce n'est pas vrai.
00:49:09Les soldats crient, c'est tout.
00:49:11Un cri pour se donner du courage.
00:49:13Rempli de peur.
00:49:15Rempli de haine.
00:49:17Mais je ne sais pas si cette haine est contre l'ennemi ou contre cette foutue guerre.
00:49:21En tout cas, ce cri permet au corps d'y aller.
00:49:26Quand le soldat tombe, il crie encore.
00:49:29Toujours pas pour Staline.
00:49:31Il crie, « Oi, Mama ! »
00:49:34Et quand il meurt, c'est encore à sa mère qu'il adresse son dernier souffle.
00:49:41C'est la guerre.
00:49:43C'est la guerre.
00:49:45C'est la guerre.
00:49:47C'est la guerre.
00:49:48C'est son dernier souffle.
00:49:52On pourrait faire un dictionnaire des cris dans la guerre.
00:50:01Aujourd'hui, j'ai jeté mon dévolu sur un soldat.
00:50:04Je vois qu'il est terriblement amoché.
00:50:06Mais il est si jeune.
00:50:10Une fois à l'abri, il se met à délirer.
00:50:13La guerre l'habite encore.
00:50:15Le brûle.
00:50:18Il a des yeux gris tendres.
00:50:20Des cheveux blonds tous.
00:50:22Il me dit, « Tu l'as déjà fait, toi ? »
00:50:27Comme je le regarde perplexe, il ajoute, « L'amour, tu y as déjà goûté.
00:50:34Je vais mourir sans en avoir rien connu.
00:50:38Oh, Marlena, s'il te plaît, montre-moi tes seins. »
00:50:43Son regard était suppliant, débordant de tristesse.
00:50:48J'ai baissé les yeux pour dégraffer ma veste.
00:50:51« Ne m'en veux pas, Lorenz. » Il était si candide.
00:50:55Quand je les ai relevés, il était déjà mort.
00:51:00J'avais dans les bras un enfant.
00:51:03La faucheuse n'épargne pas les innocents.
00:51:10Quelqu'un a crié.
00:51:12Ma chatte a été touchée.
00:51:13Sans réfléchir, j'ai couru, ignorant les tirs qui tombaient.
00:51:20Je l'ai vue, étendue.
00:51:23Sa main dansait doucement avec grâce, comme pour me dire, « Marlena, je suis en vie. »
00:51:30Sa cuisse était déchiquetée.
00:51:32Elle m'a dit, « Marlena, coupe-moi la jambe.
00:51:35Ne t'inquiète pas, elle va repousser.
00:51:37Vas-y. »
00:51:39Même dans les pires moments, ma chatte a le coeur.
00:51:41Même dans les pires moments, ma chatte a le mot pour rire.
00:51:46J'ai entendu les avions s'éloigner.
00:51:49Alors je les traînais jusqu'à l'arrière.
00:51:51Le médecin l'a prise en charge.
00:51:56Machinalement, je suis entrée dans une grange.
00:51:59J'ai trouvé de l'eau.
00:52:01Je me suis lavée.
00:52:03Lavée.
00:52:05Lavée.
00:52:07Lorenz ?
00:52:09Combien de morts ?
00:52:12Combien de morts ?
00:52:16Je sais que dehors,
00:52:18les étoiles scintillent dans les branches,
00:52:21tournent lentement au-dessus des arbres.
00:52:24J'entends le vent murmurer.
00:52:26Je sens la terre exhaler l'humidité.
00:52:29Inconsciemment, je chante.
00:52:33Ne plane pas, corbeau noir.
00:52:36Au-dessus de ma tête.
00:53:06Le vent s'éloigne.
00:53:08Le vent s'éloigne.
00:53:10Le vent s'éloigne.
00:53:12Le vent s'éloigne.
00:53:14Le vent s'éloigne.
00:53:16Le vent s'éloigne.
00:53:18Le vent s'éloigne.
00:53:20Le vent s'éloigne.
00:53:22Le vent s'éloigne.
00:53:24Le vent s'éloigne.
00:53:26Le vent s'éloigne.
00:53:28Le vent s'éloigne.
00:53:30Le vent s'éloigne.
00:53:32Le vent s'éloigne.
00:53:34Le vent s'éloigne.
00:53:37Le vent s'éloigne.
00:53:41Le vent s'éloigne.
00:53:56Marlena.
00:53:58J'ai brûlé mes précédents courriers.
00:54:01J'ai eu peur des ramasseurs de traîtres.
00:54:03Mais je t'en supplie, pour l'amour de ton ciel, sauf ta peau, que je puisse un jour la toucher.
00:54:12Marlena, que te dire ? Ici, il y a eu d'abord la rencontre avec ton peuple, beau, noble, des
00:54:24gestes d'une sensualité sauvage, des visages comme on n'en voit nulle part ailleurs, bruts et tendres
00:54:30à la fois. Puis j'ai admiré les tournesols, et j'ai compris Van Gogh. Je les ai vus faire
00:54:45semblant de regarder le soleil pour ne pas voir les meurtres et les viols. J'en ai vu un, étourdi,
00:54:53qui regardait la lune. J'ai regardé les prisonniers russes, leurs yeux vides et leurs
00:55:01uniformes déchirés. J'ai vu dans leurs traits toutes les souffrances, celles sous le tsar,
00:55:07sous le knout du propriétaire terrien, celles de la ferme collective, et puis celles qu'on
00:55:13leur inflige. La souffrance se poursuit jusque dans l'éternité. J'ai reçu mon baptême du feu,
00:55:26j'ai respiré l'odeur des chairs brûlées, senti la cendre qui tombe sur nos épaules et nos visages,
00:55:32tremblé au son des canons. Il s'est passé tant de choses autour de moi que tout ce qui me restait
00:55:40de léger est définitivement enterré. On accepte tout avec indifférence. Peut-être as-tu entendu
00:55:50parler de ces soldats qui subissent l'absurdité sans maudire. N'oublie jamais, Marlena, que moi
00:55:57aussi j'ai fait partie de cela. Ce système est bâti sur trop d'obéissance, sur trop de lâcheté.
00:56:05Cette guerre sans fin s'empare totalement de nous. Nous sommes incroyablement fatigués,
00:56:13si terriblement sales, affamés comme des chiens. Nos gars tuent et dépècent chaque animal qui
00:56:21passe. Notre troupeau sombre dans la folie passe son temps à se saouler. Des grimaces
00:56:29diaboliques s'accrochent à nos visages. Nous devenons cyniques, rigolons de la potence des
00:56:34obscénités, des cadavres, des cerveaux giclés, des poux, du pu et de la merde. Cette guerre insensée
00:56:42tue la poésie. Dieu n'habite pas les champs de bataille. L'esprit autant que le corps meurt
00:56:48dans l'étranger. Nous imaginons nos vies inachevées, les nuits pleines de danses, de baisers. Elles ne
00:57:03seront plus jamais nôtres. Je me regarde dans un miroir et j'ai peur. Mes yeux sont si infiniment
00:57:12tristes que je pourrais pleurer. J'étais finalement si tranquille en France, au bord de la Manche.
00:57:20Lentement, mais irrésistiblement, nous avançons vers la mort. Et moi, je ne sais même pas si tu
00:57:28es encore vivante. Je t'aime, Marlena, à en mourir.
00:57:58Oh, Lawrence, y a-t-il au bout du chagrin une fenêtre ouverte ? Ma chatte est morte alors que le soleil se
00:58:20levait. Elle a fermé les yeux comme on s'endort, mais sa nuit à elle est éternelle.
00:58:29Avec les filles, on rêvait d'aller cueillir des fleurs, foutre une neige. Et alors on a fermé les
00:58:35yeux et on a imaginé. On s'est mis à chanter, parce que ma chatte chantait toujours. On a fait un trou,
00:58:45on l'a déposé comme on pose un trésor. Je ne voulais pas qu'on la recouvre de terre,
00:58:51alors j'ai pris un drame malgré les consignes. Au moment de lui faire mise à dieu, je lui ai
00:58:59coupé une mèche de cheveux. Ils ont tous crié « Arrête, tu vas porter la mort avec toi ». Je
00:59:06m'en fiche. J'amènerai ce petit bout de ma chatte avec moi, pour la faire exister jusqu'à la victoire.
00:59:12Et alors je reviendrai, je lui trouverai une vraie tombe, un bel endroit. Je ne peux pas me résoudre
00:59:19à l'oubli dans ce trou de guerre. Au loin, un coup de feu, un autre, une bombe, des soldats
00:59:29manifestement en train de sauter, de se précipiter quelque part. C'est la guerre, il n'y a rien à
00:59:36faire. On n'entend plus un seul oiseau chanter, il n'existe plus d'heureux signal. Pour nous,
00:59:46l'oisiveté a cessé. Chaque jour, nous ramassons nos morts, les nôtres seulement. Les autres,
00:59:53on les laisse par terre. Nos camions roulent dessus, ça fait du bien d'entendre leurs
00:59:58os craquer sous les roues. Si Dante a imaginé des cercles pour représenter les enfers,
01:00:07je sais à quoi ressemble l'un d'entre eux. Stalingrad, les maisons éventrées, les vies
01:00:15sauvagement fauchées, les tremblements devant l'horreur. Plus rien ne ressemble à rien,
01:00:23même respirer est difficile. Le lieutenant Bouchac s'est suicidé, Valentina s'est jetée sous les
01:00:31tirs pour sauver son amant. Résultat, ils sont morts tous les deux. À ma droite, le corps gisant
01:00:40d'un camarade qui s'en soucie. Machinalement, je prends son arme, je me mets à courir. Je suis
01:00:48habituée au sifflement des balles, au gémissement des mines. Je ne tourne même plus la tête, le
01:00:54fusil ne tremble pas dans mes mains. Je tire encore et encore qu'ils crèvent, qu'ils crèvent tous ces
01:01:00salopards de fascistes. Je me faufile dans un immeuble en ruine. Par la fenêtre, j'ai une vue
01:01:06dégagée. J'épaule mon fusil, je vois dans mon viseur un allemand. J'arme. Je reste figée, mon doigt sur la détente.
01:01:17Je pense à toi. Je me dis, et si cet homme en face de moi était mon seul amour ? Mes pensées reviennent
01:01:29vers le passé, quand mon cœur chantait et que ma vie était pleine de joie. Je me souviens de notre
01:01:35rencontre, de tous les mots que nous avons prononcés. Je n'ai pas la force de retenir mes larmes.
01:01:45Laissons le destin décider pour nous.
01:01:47Mon amour, sais-tu qu'à Stalingrad même les femmes nous tirent dessus ? J'ai échappé de
01:02:00justesse à l'une d'elles. Oh Marlena, toi dont la douceur habite l'être tout entier, sais-tu cela ?
01:02:06Sais-tu que la mort se déchaîne sur la terre ? Nous la voyons danser au loin au son des canons.
01:02:13La souffrance et la peur jaillissent des graines qu'elles sèment au vent. La conversation des anges
01:02:19s'arrête sur nos tombes. Pauvres morceaux de bois rangés en croix, avec le casque des inconnus,
01:02:25des solitaires, des amoureux, des sages et des fous, des riches et des pauvres, tous fauchés
01:02:32dans l'enfer des tempêtes d'acier. Au loin, la mort continue à danser. Je me demande qui
01:02:42sera le prochain. Je ne vais pas sortir vivant de cette merde. Je me vois déjà étendu quelque part,
01:02:49perdant mon sang, la tête penchée sur mon fusil. Je vois déjà la lettre envoyée à ma mère avec la
01:02:55mention « mort pour la grande Allemagne ». Alors, il n'y aura plus rien. Plus de musique, plus de
01:03:05fleurs, plus de joie humaine, plus rien. Je ne verrai plus les mouches, je ne verrai plus le soleil
01:03:11se lever, ni même se coucher. Je ne verrai plus les femmes qui se mettent en soutien-gorge l'été.
01:03:19Je ne te verrai plus dans le parc avec ta robe blanche.
01:03:24Que faire si c'est ce que les étoiles ont en tête pour moi ?
01:03:28Des larmes coulent sur mes joues, laissant des traces blanches dans les couches de crasse.
01:03:34J'ai vainement recours à une cigarette pour me calmer.
01:03:36Nous sommes vaincus.
01:03:48Ils avancent tout doucement. Au milieu de l'immensité blanche, un ruban noir s'effaufile,
01:03:54clopin-clopin. Difficile d'associer l'image que l'on a des soldats allemands avec cette
01:03:59colonne de prisonniers lamentables. J'éprouve instinctivement de la pitié,
01:04:05puis un autre sentiment prend le dessus. Ils sont en vie, même s'ils sont captifs,
01:04:11même s'ils souffrent, alors que sur nos terres, des milliers des nôtres pourrissent.
01:04:18Nous, rien ne va plus nous arrêter. Nous avançons vers l'ouest.
01:04:35Marlena, il restera toujours aux survivants le sentiment qu'ils sont coupables.
01:04:43Mais ma soif de vivre est comme une fringale douloureuse et sauvage.
01:04:48Cette soif fait si mal, pour peu que je pense à toi.
01:04:54Tu serais là, en face. Tu traverserais les lignes ennemies,
01:04:59tu serais là, en face. Tu traverserais les lignes ennemies, moi aussi.
01:05:06Alors on se retrouverait, on s'enlasserait, on ferait l'amour et on oublierait.
01:05:15J'aurais voulu avoir le temps de connaître ta bouche, tes mains, tes seins.
01:05:23Mais je ne suis qu'un jouet de l'histoire. Mon existence se déroule sans moi.
01:05:28Je préfère déserter.
01:05:32Je n'en peux plus des hommes qui s'habillent pour partir à la guerre.
01:05:35Partout, des hommes qui souffrent, qui rient.
01:05:38Des hommes qui mangent, boivent,
01:05:41et qui engendrent de nouveaux hommes, prêts à mourir demain.
01:05:45Je n'en peux plus de tous ces pays où des femmes mélancoliques rêvent d'adultère
01:05:49parce que la crasse de leur mari et le sang sur leurs mains les répugnent.
01:05:54Marlena, vois ce que je m'apprête à faire,
01:05:58non comme de la lâcheté, mais un courage certain.
01:06:02Je reprends en main mon destin.
01:06:05Alors que notre armée recule, brûlant tout sur son passage,
01:06:09je regarde cet échappé sauvage.
01:06:11Je me dis qu'il suffirait d'un rien pour que je me jette sous les roues.
01:06:17Mourir ou devenir fou.
01:06:20Mourir ou devenir fou.
01:06:23Je me cache dans un trou.
01:06:26J'attends que la colonne passe.
01:06:28Quand ma troupe se transforme en poing minuscule au loin,
01:06:32je me mets à courir.
01:06:33Je sème au vent tout mon amour pour toi.
01:06:36Qu'il m'attrape, me colle au mur, me fusille,
01:06:39me fasse crever dans un camp.
01:06:41Je suis libre, déserteur, mais libre.
01:06:46Je respire l'air frais comme un présage d'une vie.
01:06:49Certes inconnue, mais forcément meilleure.
01:07:19La chasse d'un ennemi
01:07:21La chasse d'un ennemi
01:07:23La chasse d'un ennemi
01:07:25La chasse d'un ennemi
01:07:27La chasse d'un ennemi
01:07:30La chasse d'un ennemi
01:07:32La chasse d'un ennemi
01:07:34Là où l'ennemi est passé,
01:07:36nous découvrons sous chaque buisson des cadavres.
01:07:39Personne n'y prête plus attention.
01:07:42Seulement les mouches.
01:07:44La chasse d'un ennemi
01:07:46La chasse d'un ennemi
01:07:48La chasse d'un ennemi
01:07:51La chasse d'un ennemi
01:07:53La chasse d'un ennemi
01:07:55La chasse d'un ennemi
01:07:57La chasse d'un ennemi
01:07:59La chasse d'un ennemi
01:08:01La chasse d'un ennemi
01:08:03La chasse d'un ennemi
01:08:06La chasse d'un ennemi
01:08:08La chasse d'un ennemi
01:08:10La chasse d'un ennemi
01:08:12La chasse d'un ennemi
01:08:14La chasse d'un ennemi
01:08:16À chacun de nos passages, pourtant, de la terre encore fumante, surgissent des vivants.
01:08:23La vie est clos, un chien à bois, eux, comme nous, semblons des créatures irréelles.
01:08:30Parmi eux, un petit garçon me harcèle de questions.
01:08:34Des milliers de pourquoi, comment, pourquoi ? Que lui répondre ?
01:08:42Oh, toi, petit enfant de la guerre, tes yeux vont devenir graves et sérieux.
01:08:47Tu vas garder dans le cœur un résidu amer, du mal que les hommes t'ont infligé,
01:08:52les Allemands, qui croient en Hitler.
01:08:59Plus rien ne compte que notre avancée triomphante.
01:09:03Je vois défiler, comme dans un kaleidoscope, les villes et villages que nous délivrons.
01:09:09Chaque combat se termine par une victoire, et quelle victoire !
01:09:14Les Allemands se carapatent comme des cafards ébouillantés.
01:09:17Les jours de fête sont à nos portes, le printemps amène avec lui les baisers et les fleurs des gens que nous libérons.
01:09:24La vodka, et encore la vodka, tout le monde est ivre jusqu'à la moelle.
01:09:29Les vieillards se relèvent, je vois du romantisme partout, dans les danses, les chants, les rires, les larmes, les pommes de terre.
01:09:38Mais d'où peuvent bien sortir ces pommes de terre ?
01:09:47On continue la route, délivre un à un les sentiers, les forêts.
01:09:51Notre armée rouge occupe tous les terrains.
01:09:59En Pologne, le vent mauvais amène à nos oreilles des récits d'épouvante,
01:10:05d'une catastrophe indicible.
01:10:11Nous franchissons la frontière allemande.
01:10:17Soudain, la portière du camion qui nous précède s'ouvre, et quelqu'un crie à tue-tête.
01:10:23Camarades, Berlin est pris ! Berlin est pris !
01:10:27Hourra Russie ! Vos filles ont tenu bon !
01:10:35Hurra Russie !
01:11:06Marlène a ma victorieuse. Force est de constater que l'histoire se répète.
01:11:14Dans mon maigre pactage, je rapporte la honte à ma mère. Me voilà prisonnier.
01:11:21J'ai passé une année de liberté sauvage à vivre comme un animal traqué.
01:11:27La liberté a quelque chose de si sublime et de si simple.
01:11:32J'ai d'abord trouvé une maison qui avait résisté aux flammes.
01:11:37Je suis resté là des jours, ébêté, épuisé, à manger des croûtes de pain.
01:11:43Puis j'ai volé ses vêtements à un mort, en écartant la femme qu'il tenait dans ses bras.
01:11:49J'ai enterré mon uniforme et mes papiers militaires comme une délivrance.
01:11:53Caché le jour, j'ai marché à travers les nuits, tant de nuits à rebours.
01:11:58J'ai quitté la Russie sans tambour ni trompette.
01:12:01Avancé vers l'ouest jusqu'à épuisement.
01:12:04Poils drus, barbires sutes, mains noires, consumés par la faim plus que par la crainte.
01:12:11Dans cet état de locteux fuyard, je ressassais.
01:12:14Si je vis, j'aurai des livres, un lit, j'aurai des cigarettes.
01:12:21J'aurai la poésie et je t'aurai toi.
01:12:28Parfois, l'envie d'une balle perdue prenait le dessus sur mes rêves.
01:12:33Le destin, ou un miracle, m'a ramené au pays.
01:12:38Comment, je ne sais plus.
01:12:41Mais alors que j'allais franchir les portes de Berlin, sans doute le vertige m'a fait baisser la garde.
01:12:47Contrôle, papiers.
01:12:51J'avais tout jeté.
01:12:53Mais, Marlena, les photos dans ma poche ont eu raison de mon identité.
01:13:00Me voilà donc entrant dans ma ville, prisonnier miteux de mes ennemis jurés.
01:13:24En entrant dans Berlin, une pensée me frappe l'esprit.
01:13:28La guerre est revenue hanter le pays d'où elle est partie.
01:13:38Je me sens triste d'être heureuse.
01:13:41Sur ces terres fumantes d'Allemagne, il n'y a plus d'amour.
01:13:45Pas un ventre de femme qui ne soit à douleur.
01:13:48Nos propres soldats, ceux à qui j'ai lu Pushkin le soir,
01:13:52enhardis par la victoire, se comportent comme des bêtes sauvages.
01:13:57Les filles, les mères, les vieilles, aucune n'est épargnée.
01:14:05Rien n'étanche la soif de sang et de chair de notre glorieuse armée.
01:14:11Mais je suis fatiguée des chagrins. Je me laisse griser par la joie.
01:14:15J'éprouve pour la première fois depuis longtemps une terrible envie de vivre.
01:14:23Nous célébrons notre troisième armée, celle-là même qui a pris le Reichstag.
01:14:30Je me souviens de la première fois que j'ai eu envie de mourir.
01:14:35Nous célébrons notre troisième armée, celle-là même qui a pris le Reichstag.
01:14:41Notre drapeau sur la coupole renseigne le monde entier de notre incroyable victoire.
01:14:50Je me sens aussi légère que ce symbole qui flotte au vent.
01:15:06Mais quelque chose d'irrésolu bouillonne encore sous la surface de la ville.
01:15:12Où est Hitler ?
01:15:17Le 8 mai, alors que je m'apprête à repartir vers Moscou,
01:15:20le colonel Gorbouchil me tend une boîte.
01:15:23Il me dit qu'il en va de ma vie pour que cette boîte parvienne jusqu'au Kremlin.
01:15:29C'est une petite boîte rouge,
01:15:31le genre d'objet destiné à contenir des bijoux bon marché.
01:15:39À ce moment-là, une colonne de prisonniers allemands passe.
01:15:46Je les regarde, je veux les voir, tous,
01:15:51un par un, dans les yeux, pour la dernière fois.
01:16:02En traversant Berlin, au milieu de ma colonne de miséreux,
01:16:07je vois tant de haine, tant de haine,
01:16:10mélange de détestation et de fierté sur le visage des soldats soviétiques.
01:16:19Au milieu des ruines, mon peuple se débat comme des nécessiteux.
01:16:24Loin des belles paroles que nous avons bues avec délectation,
01:16:27il semble qu'aujourd'hui, ce soit nous, la vermine.
01:16:43Je pense, je n'ai pas vu Paris, je suis allé à la mer.
01:16:49J'ai bu du saut de la mer,
01:16:51j'ai bu du sauterne dans un bistrot du Tréport.
01:16:54J'ai senti l'odeur des sous-bois, ivres d'été et de jeunesse.
01:16:58Je me suis allongé dans les prairies.
01:17:00J'ai rêvé au son des oiseaux.
01:17:03J'ai traversé l'Europe, traversé plus d'un danger.
01:17:06Je me suis battu.
01:17:08J'ai souffert chaque minute sous cet affreux uniforme.
01:17:11Ils m'ont tué, bourré le crâne.
01:17:14Ne reste que le sang et son odeur âcre,
01:17:17mêlée à celle de notre misère.
01:17:29Au milieu de l'horreur pourtant,
01:17:31un amour égaré aux yeux couleurs de mer
01:17:34s'est posé comme un papillon et il m'a fait tenir.
01:17:38Un amour véritable d'un dixième de seconde
01:17:41pour surmonter six ans de guerre.
01:17:43Avec toi, l'amour m'a appris à identifier la beauté dans le déclin,
01:17:47la dignité et l'espoir dans la souffrance,
01:17:50la miséricorde dans la mort.
01:17:54Mais Marlena,
01:17:56vivre maintenant
01:17:58est une toute autre affaire.
01:18:02Il ne faudra pas croire les bavardages idiots et criminels
01:18:05imprimés dans les journaux et les livres d'histoire.
01:18:08Il ne faudra pas croire
01:18:10les bavardages idiots et criminels imprimés dans les journaux et les livres d'histoire.
01:18:14Car nous,
01:18:15enfants d'Hitler, de Staline ou d'ailleurs,
01:18:18nous sommes finalement tous les mêmes.
01:18:26Tout à coup,
01:18:27une image incongrue me sort de ma torpeur.
01:18:32Au loin,
01:18:33une femme se tient là,
01:18:35une petite boîte rouge serrée entre ses mains.
01:18:40Proche,
01:18:42je n'arriverai pas à soutenir le regard de cette femme en uniforme.
01:18:45Non,
01:18:46j'y n'y arriverai pas.
01:18:48Je baisse les yeux,
01:18:50fais le choix de l'incertitude pour continuer à vivre.
01:18:54Pensez à cette petite boîte rouge
01:18:56comme un morceau de couleur
01:18:58dans ce monde devenu gris.
01:19:11Ma chère maman,
01:19:13voilà,
01:19:14la guerre est finie et je rentre.
01:19:17C'est à la fois joyeux et triste.
01:19:20Quatre ans d'errance sur les terres brûlantes de notre patrie.
01:19:24Moi qui n'ai pas eu peur de la mort,
01:19:26j'ai peur des souvenirs.
01:19:29Comment regarder le ciel à présent
01:19:31sans imaginer ce qu'il peut en tomber ?
01:19:33Dans mon train décoré du portrait de Staline,
01:19:35les camarades chantent et rient,
01:19:37boivent jusqu'à l'ivresse.
01:19:39Certains racontent que les temps du fureur ont été retrouvés.
01:19:44Maman,
01:19:45on pourrait croire que ce retour est celui de l'enfant héroïque.
01:19:49Il n'en est rien.
01:19:51Je suis partie en fille
01:19:53et te reviens en fille.
01:19:55Avec toi,
01:19:56je n'ai plus rien.
01:19:58Je suis partie en fille
01:20:00et te reviens en fille.
01:20:02Avec désormais dans la bouche
01:20:04un âcre dégoût des hommes.
01:20:07Nous retournons à mer.
01:20:09Tant de haine a cumulé.
01:20:11Tant de désordre a démêlé.
01:20:14Nous qui portons la vie,
01:20:16nous voilà habités par la mort.
01:20:20Que va-t-il advenir de nous ?
01:20:23Accepteront-ils les hommes qu'on les ait vus pleurer ?
01:20:27Accepteront-elles les femmes
01:20:29que nous ayons eues dans nos bras leur fils ou leur mari ?
01:20:33Sans doute va-t-on nous regarder avec défiance.
01:20:36Sans doute aussi qu'on ne nous laissera pas raconter.
01:20:39Les récits de guerre sont toujours masculins.
01:20:41Il faut de la virilité pour raconter l'exploit,
01:20:44la bravoure,
01:20:45la victoire.
01:20:46Nos mots à nous
01:20:48sont simplement histoire de vie et de chagrin.
01:20:51Pourtant,
01:20:52j'aimerais que la grande histoire se souvienne.
01:20:55Que pour que les hommes gagnent,
01:20:57il a fallu des femmes.
01:21:06Je serre les mains dans mes poches.
01:21:09Dans celle de droite,
01:21:10se trouvent les cheveux de ma chatte.
01:21:14Dans celle de gauche,
01:21:15la petite boîte.
01:21:17Percevez que c'est moi qui rapporte
01:21:19les restes calcinés d'Hitler.
01:21:48Dans la vie,
01:21:49il n'y a pas d'histoire.
01:21:51Il n'y a pas d'histoire.
01:21:52Il n'y a pas d'histoire.
01:21:53Il n'y a pas d'histoire.
01:21:54Il n'y a pas d'histoire.
01:21:55Il n'y a pas d'histoire.
01:21:56Il n'y a pas d'histoire.
01:21:57Il n'y a pas d'histoire.
01:21:58Il n'y a pas d'histoire.
01:21:59Il n'y a pas d'histoire.
01:22:00Il n'y a pas d'histoire.
01:22:01Il n'y a pas d'histoire.
01:22:02Il n'y a pas d'histoire.
01:22:03Il n'y a pas d'histoire.
01:22:04Il n'y a pas d'histoire.
01:22:05Il n'y a pas d'histoire.
01:22:06Il n'y a pas d'histoire.
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