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00:00Ce soir, dans notre focus politique, nous plongeons dans l'histoire et les zones d'ombre d'un président emblématique.
00:07François Mitterrand, à l'occasion de la sortie d'un livre-événement Le Dernier Empereur, signé Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, publié chez Philippe Ray,
00:16nous revisitons la trajectoire coloniale et post-coloniale d'un homme qui, derrière le mythe du grand décolonisateur, a œuvré sans relâche pour préserver la grandeur de la France,
00:27quitte à sacrifier certaines promesses de gauche. Quel héritage, pour quel successeur, quel poids pour les socialistes d'aujourd'hui ?
00:35C'est avec tout ça que nous analysons ce soir, grâce à Pascal Blanchard, historien spécialiste du fait colonial.
00:41Bonsoir Pascal Blanchard et bienvenue dans le JTA.
00:44Bonsoir, merci.
00:45Alors, c'est une somme, un livre énorme. Ce livre commence déjà, on va rentrer directement dans le sujet,
00:52commence par expliquer dès l'introduction que la trajectoire coloniale de François Mitterrand a été sous-évaluée. Expliquez-nous pourquoi.
01:01D'abord parce que lui-même a parfaitement su réécrire et effacer sa propre histoire.
01:06Il a très vite compris, au sortir des indépendances, que son activisme politique en faveur de l'Empire n'était pas véritablement une belle idée
01:14pour un homme de gauche qui voulait fédérer la gauche et il va en 1965 avoir sa première élection présidentielle.
01:19Donc il va lui-même l'effacer, il va la réécrire. Il va en fait convaincre ses biographes, les journalistes, son entourage,
01:24qu'il avait un autre destin, le visionnaire, celui qui aurait déjà pensé à la décolonisation.
01:28Et puis, les Français ont voulu tourner la page de l'histoire impériale au début des années 60.
01:33Donc ils se sont peut-être moins intéressés qu'à d'autres sujets de son parcours personnel.
01:38Et puis les socialistes n'avaient pas forcément envie d'aller regarder ce qu'il y avait derrière le porteur de la Francisque,
01:43en plus porteur d'idéaux colonialistes. Ça faisait beaucoup pour celui qui a les devoirs et qui a les pouvoirs fédérer les gauches et les emmener à la victoire en 1981.
01:50Ça a rangé tout le monde, lui le premier, d'effacer ce passé.
01:54D'effacer un passé, un passé assez lourd. Revenons à ses débuts.
01:58Vous dites que le colonialisme de l'ancien président a été enraciné dès les années 30.
02:03Oui.
02:04Justement, dites-nous en plus.
02:05C'est une belle découverte dans cet ouvrage. C'est de poser la question, en fait le compte, comme si c'est une biographie d'où il part.
02:11C'est quoi ces livres qu'il lit ? C'est quoi ses premiers engagements politiques ?
02:14Et puis on découvre que sa première manifestation, c'est pour soutenir Mussolini qui veut conquérir l'Ethiopie.
02:19On découvre son engagement dans des milieux nationalistes et d'extrême droite au Parti Social français du colonial de la Roque,
02:24avec une vision de l'Empire totalement installée. C'est même un des piliers de ce parti d'extrême droite à l'époque, dont il est militant.
02:29On voit qu'à l'écho de Paris, il partage le point de vue de ces chroniqueurs qui pensent à la grandeur impériale.
02:34En fait, on découvre que Mitterrand, bien avant le Mitterrand politique, le Mitterrand jeune, le Mitterrand étudiant,
02:39dans ses engagements de prime jeunesse, est déjà attiré quelque part par cet empire qui lui amène le succès.
02:44Et en fait, pour arriver à le comprendre, c'est le choc à 14 ans quand il vient pour la première fois à Paris en famille,
02:49qu'il découvre l'exposition coloniale et qu'il pense, à ce moment-là, que la France ne serait rien sans cette grandeur impériale.
02:54Tout ça est assez cohérent, se retrouve à Vichy, et dans ses premières armes politiques au début des années 40, après la guerre,
03:00tout naturellement, il va aller vers l'Empire, puisqu'il pense que cet empire est une source de pouvoir, de grandeur.
03:06Et quelque part, il pense que cet empire restera ad vitam aeternam dans l'espace politique français.
03:10Et il y a toujours cette dualité, d'ailleurs, que vous montrez dans le livre, entre son nationalisme
03:15et l'idée que l'Empire doit être grande, la France doit être grande, en fait, tout simplement.
03:20Tout à fait.
03:20Et alors, continuons, parce qu'il y a énormément de choses à traiter, évidemment, dans ce livre,
03:24qui est extrêmement fouillé, documenté, très précieux, d'ailleurs, je le dis pour notre spectateur.
03:30Parlons à présent du double discours, France-Afrique, réel politique.
03:36Je ne sais pas, on pense, par exemple, au discours de la Baule, où il incite, où il pense, d'ailleurs, qu'il va...
03:43Il est persuadé de lui-même, je pense qu'il le croit, d'ailleurs, que c'est grâce à la lumière qui va venir de France
03:47que la démocratie va d'un seul coup s'éveiller sur le continent africain.
03:50On aurait pu lui souffler à l'oreille.
03:52Et d'ailleurs, Eric Orsona, lui, a soufflé à l'oreille.
03:53Oui, bien sûr, c'est lui qui a écrit...
03:55Et tout à fait, il a écrit... Enfin, il a écrit le premier gène du discours.
03:58Mitterrand a vraiment réécrit le reste.
03:59En fait, Mitterrand pense, et je crois que la Baule est un très bon exemple,
04:02que tout doit venir de l'Hexagone.
04:04Tout doit venir de l'ex-métropole.
04:06Donc, tout doit venir de France, y compris à mener la démocratie.
04:08Et donc, il en est persuadé, y compris dans sa geste,
04:11d'une certaine manière, que la France doit rester protectrice de ce continent.
04:17C'est vrai qu'après la Baule, il a continué à se faire quelques-unes.
04:19Il n'y avait aucune ambiguïté chez lui, puisque c'était une sorte de gestion par le prince,
04:24et non pas par les ministres, non pas par d'autres conseillers.
04:28Et quand il a un conseiller, c'est son propre fils.
04:30C'est exactement les visions impériales qu'on peut avoir de ces princes
04:33qui considèrent qu'il y a des affaires privées,
04:35et qu'elles ne peuvent être gérées qu'en famille.
04:36Et bien, pour lui, l'ex-territoire colonial se gérait en famille.
04:40Il était, d'une certaine manière, à la fois le président de la République française
04:43et le dernier empereur d'un empire perdu,
04:45mais dont il pensait qu'il avait encore besoin d'un guide,
04:48et que ce guide, c'était lui.
04:49Et c'est assez incroyable, et on découvre à travers les affaires,
04:52qu'on connaît bien aujourd'hui, on découvre à travers les interventions militaires.
04:55La France a quand même le record d'Europe des interventions militaires,
04:57en Afrique, je tiens à le rappeler,
04:59et sous Mitterrand, plus que d'autres.
05:01Mais qu'est-ce que ça dit de lui, d'ailleurs, les interventions ?
05:03On pense au Rwanda, par exemple.
05:05Alors, Rwanda, c'est peut-être la dernière de toutes qui arrive au bout d'un système,
05:08parce que le Rwanda en lui-même,
05:10c'est comment Mitterrand a le sentiment d'avoir agrandi l'empire.
05:12Il a mis un pied, une main, sur un territoire
05:15qui ne venait pas de l'empire colonial français originel.
05:18De cette manière, il a été damé le pied aux anglo-saxons.
05:20Et dans son imaginaire, depuis toujours,
05:22fachoda, c'est l'humiliation ultime des Français face aux Anglais.
05:25Donc, laisser les Américains, les Anglais, revenir au Rwanda,
05:27c'est inconcevable.
05:28Au point d'aller jusqu'au bout de sa vision qu'il a de l'Afrique,
05:32où les affaires se gèrent de cette manière-là.
05:34Et d'ailleurs, on le voit bien,
05:35Duclair, qui a fait avec Maria Magdalenaïs
05:36deux très beaux articles dedans,
05:38démontrent que bien au-delà de la responsabilité de la France,
05:40c'est la responsabilité de François Mitterrand, le Rwanda.
05:43Personnel.
05:44Personnel.
05:44Il va jusqu'au bout avec une vision
05:45qui n'est pas une vision de l'instant,
05:47qui n'est pas qu'une vision diplomatique,
05:49qui est une vision sur le temps long.
05:51Et quand on voit dans ses premiers livres
05:52qu'il a écrits en 1953-1957,
05:53le terme de fachoda, d'humiliation,
05:56de fait que l'ennemi est là,
05:58qu'il va falloir défendre l'empire colonial français,
06:00c'est quelque chose qui est totalement incrusté en lui.
06:02– Totalement ancré, mais aussi passé.
06:06Il y a un héritage qui est transmis.
06:07Ça aussi, c'est très très intéressant.
06:10Et vous racontez que cet héritage,
06:11il est à gauche, mais aussi à droite.
06:14– Tout à fait.
06:15Il a parfaitement hérité de la vision gaulliste
06:17et de Focard de gérer l'Afrique avec la France-Afrique.
06:20On le dit d'ailleurs dans le livre
06:20que si Focard n'avait pas été inventé,
06:22imaginé par le Gaulle,
06:23il l'aurait lui-même inventé.
06:25Et surtout, la gauche a hérité de cette histoire.
06:2714 ans de présence de Mitterrand au pouvoir,
06:29c'est pas neutre.
06:30Ça a construit une certaine relation avec l'Afrique.
06:32Ça, dont héritera à la suite Jacques Chirac,
06:35Nicolas Sarkozy, François Hollande,
06:37et un peu aussi Emmanuel Macron.
06:39Ça a induit aussi une vision à la mémoire coloniale très particulière.
06:41Mitterrand considérait qu'il fallait une mémoire nostalgique.
06:44Il l'avait même promis à l'Association des rapatriés recours
06:46de construire un mémorial à l'œuvre coloniale française à Marseille
06:51avec son ami Defer, maire de Marseille.
06:53Donc quand vous regardez ces éléments-là,
06:55qui pèsent quelque part sur la gauche française,
06:57de ne pas avoir été capable de regarder
06:59cette relation de Mitterrand avec cette histoire,
07:01de ne pas avoir été capable de regarder en face l'histoire coloniale,
07:03d'avoir une relation ambigüe avec l'Afrique et les Outre-mer.
07:06On traite aussi de la bombe en Polynésie,
07:08on traite d'Ouvera dans ce livre,
07:09pour démontrer que chez Mitterrand,
07:11tout ça continuait à constituer un empire.
07:13Dans sa manière de gérer les choses,
07:14on comprend que la gauche a eu un gros problème,
07:15parce qu'elle n'a jamais, en fin de compte,
07:17ouvert l'album de famille.
07:18Et les conséquences sont terribles aujourd'hui.
07:20Et en un mot, parce qu'on arrive au terme de cet entretien,
07:26Emmanuel Macron avait promu une rupture,
07:28mais on voit dans le livre que ce n'est pas tout à fait net,
07:31en fait, cette rupture.
07:32Il a récupéré, je pense, un poids du passé que porte Mitterrand,
07:36pas le seul, d'autres que lui le porte.
07:37François Hollande a fait aussi ses premières erreurs,
07:39Nicolas Sarkozy, la France gaulliste.
07:42Et il a cru qu'il arriverait à dépasser tout ça,
07:44peut-être qu'il n'a pas assez mesuré
07:45ce que représentait comme poids foncier et fondamental
07:49ce passé mitterrandien.
07:50Je rappelle aujourd'hui, on ouvre le livre sur cette petite phrase,
07:53qu'encore sur le site de l'Elysée,
07:54il y a une petite phrase qui dit,
07:56dans la biographie officielle de François Mitterrand,
07:58qu'il a été un grand décolonisateur.
07:59C'est fantastique.
08:01Il a écrit lui-même.
08:03Et personne, surtout après lui, n'a osé le réécrire.
08:06Et si Emmanuel Macron avait regardé, peut-être avec ce spectre,
08:09à 360 degrés, tout cet héritage,
08:11peut-être qu'au-delà des discours,
08:13dans les actes, dans les faits,
08:14il aurait pu certainement avoir un autre chemin
08:16dans sa relation avec l'Afrique.
08:17Merci, merci infiniment.
08:20C'est plus de 900 pages, donc allez-y,
08:22vous allez voir, il y a énormément de choses.
08:24Voilà, merci Pascal Blanchard
08:26d'être venu pour cet ouvrage
08:28qui dresse, je précise, un portrait
08:30nuancé et critique.
08:31C'est ni pour, ni contre
08:32Mitterrand, du début de sa carrière
08:34jusqu'aux responsabilités, évidemment,
08:37dans le génocide des Tutsis et Oranda,
08:39mais bien au-delà, on en a parlé.
08:41François Mitterrand, le dernier empereur,
08:42c'est, voilà, chez Philippe Ray.
08:45Allez-y, c'est toujours, toujours
08:47extrêmement instructif.
08:49Voilà, merci beaucoup.
08:50Merci beaucoup, Pascal Blanchard.
08:51Merci.
08:52C'est la fin de ce journal.
08:53Merci à tous ceux qui nous ont suivis
08:54partout dans le monde
08:54et ce soir, forcément,
08:55de Dakar à Paris,
08:56en passant par Alger.
08:58Restez avec nous,
08:58car l'actualité continue
08:59sur France 24.
09:00Merci.