Passer au playerPasser au contenu principalPasser au pied de page
  • hier
Championne olympique d’escrime, Ysaora Thibus partage son expérience intime de la santé mentale dans le sport. Pression, performance, vulnérabilité… Un témoignage fort et engagé sur les coulisses du haut niveau et l’importance d’une parole libre dans le milieu sportif.

Une intervention filmée lors de la session "Santé des Femmes & Femmes dans la Santé" du Think & Do Tank Marie Claire le 24 juin 2025 à la Maison de la Chimie.

🔗 Ysaora Thibus : la santé mentale dans le sport : https://www.marieclaire.fr/ysaora-thibus-la-sante-mentale-dans-le-sport,1497290.asp

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Isao Ratibus, merci infiniment d'être avec nous ce matin sur scène.
00:12Je rappelle que vous êtes escrimeuse.
00:14En 2022, vous devenez championne du monde de fleuret.
00:18Une victoire symbolique puisque c'est la première fois qu'une escrimeuse française se hisse sur la première marche du podium depuis 1971.
00:25On a compris depuis le début de cette matinée que la gestion de la santé mentale était corrélée à toute trajectoire de femmes.
00:33En quoi est-ce que cette gestion est encore plus accrue pour une sportive de haut niveau comme vous ?
00:40Bonjour, déjà merci pour cette invitation.
00:44Je pense que le sport c'est un milieu très exigeant mais aussi un milieu très égoïste.
00:49Et en tant que femme, c'est très lié à notre identité parce qu'on commence le sport très jeune.
00:55Moi j'ai commencé l'escrime à l'âge de 7 ans en Guadeloupe.
00:59Et tout d'un coup, quand on commence à être performant et qu'on rentre dans le système de performance,
01:05je dirais que c'est ce qui prend la place au-dessus de tout.
01:07Au-dessus de la femme, au-dessus de nos orientations sexuelles, de notre famille.
01:15On fait beaucoup de sacrifices pour être performant.
01:21Et tant qu'on donne, ce milieu il prend parce qu'on nous apprend qu'il faut être prêt à tout pour gagner.
01:31Que si on n'y arrive pas, c'est qu'on est trop faible.
01:34Donc on intègre, je pense, très jeune ce genre de mécanisme.
01:38Et on fait passer l'athlète avant toutes les décisions qu'on peut avoir.
01:42Et je pense qu'en tant que femme, on en a parlé, on a différents cycles dans nos vies.
01:46Mais on arrive dans le système de haut niveau très jeune, à 15, 16 ans.
01:51Du coup, on est à l'adolescence.
01:54Et on s'investit complètement corps et âme dans ça.
01:58Et puis plus tard, la maternité, par exemple, c'est un sujet dans le sport de haut niveau qu'on commence un peu à aborder.
02:05Mais pareil, on fait beaucoup de sacrifices.
02:07Par exemple, le choix de quand on va devenir mère pour pouvoir s'entraîner et avoir des objectifs.
02:14Et voilà, la recherche de médailles passe, je dirais, avant tout.
02:18Vous venez de prononcer un mot important, mécanisme.
02:20Est-ce qu'on doit parler de mécanisme ou d'engrenage au service de la performance sportive ?
02:26Oui, certainement, je pense que ça commence à se déconstruire.
02:31Mais on parle d'accompagnement psy.
02:35Moi, j'ai commencé mon accompagnement psy il y a à peu près 9 ans, 8, 9 ans, avec Myriam Salmi,
02:41qui a instauré un peu ce système d'accompagnement psy pour les athlètes en France,
02:47qui n'existait pas trop il y a quelques années et qui n'était pas du tout valorisé.
02:52En fait, même qu'un athlète aille voir un psy, c'était vu comme un aveu de faiblesse.
02:58Et bien, nous, on voit les athlètes comme des gens forts, des héros qui sont capables de tout traverser pour avoir des médailles.
03:05Donc, aller voir un psy, c'était à l'époque pas très bien vu.
03:07Maintenant, on l'a dit, il y a une grande évolution.
03:10Il y a des psys qui sont intégrés dans nos staffs.
03:12Les fédérations prennent un peu plus en compte ça, mais comme outil de performance,
03:17mais pas encore comme moyen d'être bien dans nos vies.
03:21Et je dirais que Myriam, c'est la première personne qui m'a dit qu'une femme athlète,
03:25enfin, être performante, c'est être aussi heureux dans sa vie
03:28et que j'avais le droit de penser à mon bien-être pour performer aussi, également.
03:34Alors, Myriam Salmi est aussi connue comme la psychologue des champions.
03:40Donc, votre chance, finalement, c'est de l'avoir rencontrée très jeune.
03:44Dans quelles conditions est-ce que ça s'est fait ?
03:46J'avais déjà performé.
03:49J'étais déjà rentrée.
03:50Alors moi, je suis partie de la Guadeloupe à l'âge de 17 ans.
03:54J'ai fait une année à Aix-en-Provence dans un peu l'espoir.
03:58Et après, je suis rentrée en équipe de France.
03:59À l'époque, j'étais un peu la plus jeune.
04:01Maintenant, on peut rentrer de plus en plus jeune.
04:04Mais les premières années étaient très difficiles
04:06parce qu'il y avait peut-être, par exemple, des incohérences.
04:10Moi, je ne me retrouvais pas, je dirais, dans le schéma classique
04:15de ce qu'on est censé être quand on est champion.
04:19Par exemple, quelque chose de tout bête,
04:21je voulais faire des études à côté.
04:23Et on m'a expliqué que...
04:25J'ai fait une licence d'économie et une école de commerce.
04:29On m'a expliqué que faire ce choix-là,
04:30ce n'était pas être une athlète de haut niveau.
04:32Ce n'était pas une démarche d'athlète de haut niveau
04:35et que je n'y arriverais jamais
04:36parce que je voulais faire des études à côté.
04:38Donc, je pense qu'à ce moment-là,
04:39dès le début, je ne me sentais pas à ma place nécessairement
04:42et je n'avais pas d'accompagnement psy.
04:44Donc, ça a été ce qu'on a dit un peu,
04:46s'affirmer, mais être un peu contre le système
04:48pour pouvoir avancer
04:51et donc croire en soi malgré tout.
04:54et je pense que j'ai fait souvent des choix
04:56qui étaient un peu incompris
05:00parce que, pour moi, par exemple,
05:03il y a des inégalités dans le sport.
05:05C'était quelque chose dans lequel j'avais vraiment envie
05:07de prendre la parole et on me disait
05:08« Non, c'est bon, il y a déjà l'égalité
05:10parce que vous avez le droit de faire du sport ».
05:12Et non, il y a vraiment toujours
05:15des dynamiques très sexistes dans le sport.
05:21Enfin, je pense que tout le monde serait sensible à ça.
05:24Mais quand on est à l'intérieur,
05:26les gens ne sont pas capables de le voir
05:28et c'est difficile d'évoluer dans un milieu
05:31qui ne le voit pas forcément.
05:32Qu'est-ce qu'elle vous apprend, Myriam, encore aujourd'hui ?
05:35Comment est-ce que son travail avec vous à ses côtés
05:38a évolué entre l'âge de 9 ans et aujourd'hui ?
05:42Je pense que principalement,
05:43c'est de dissocier mon estime de moi des résultats
05:46parce que j'ai eu énormément de mal à le faire
05:50et que j'étais vraiment...
05:51On parle de...
05:54Quand j'avais des médailles,
05:57j'étais insatisfaite
05:58parce que c'était normal d'avoir des médailles.
06:00C'était ce que je devais faire.
06:02Et je me suis rendue compte que je...
06:05Aujourd'hui, j'ai 33 ans,
06:06j'ai eu énormément de médailles,
06:07mais je ne les ai pas du tout célébrées
06:09à un certain moment.
06:10J'étais vraiment dans cette course aux médailles.
06:12Donc quand j'en avais, c'était normal.
06:13Et quand je n'en avais pas, j'étais effondrée.
06:15Donc en fait, à un moment donné,
06:17cette gestion des émotions,
06:19elle n'est pas viable sur le long terme,
06:20elle m'a aidée un peu à comprendre ça
06:22et à me dissocier, je pense, des résultats.
06:26J'ai fait une dépression un peu après
06:27les Jeux de Tokyo
06:30puisque j'ai fait 4 Jeux olympiques.
06:32Le Tokyo, c'était mes 3e Jeux olympiques.
06:34Et pour moi, ça y est, j'en avais déjà fait 2.
06:36Le 3e, c'est bon, j'allais avoir la médaille individuelle.
06:39Et donc immense déception à ce moment-là.
06:41Oui, voilà, exactement.
06:42Je n'ai pas eu la médaille individuelle,
06:44mais j'ai eu la médaille par équipe.
06:45Donc tout le monde autour de moi
06:46était très heureux pour moi.
06:47Mais moi, à l'intérieur,
06:49je ressentais vraiment quelque chose
06:50comme un échec, vraiment.
06:54Mais je l'ai ressenti très personnellement.
06:56Et je pense que c'est vrai
06:56qu'on ne se rend pas compte
06:57à quel point c'est très personnel
07:00et très identitaire pour les athlètes.
07:01Comme on le dit,
07:02ils commencent tout jeunes
07:03et ils se forgent
07:04et ils grandissent dans ça.
07:05Et on se cale tellement sur nos résultats,
07:08ça devient notre identité.
07:09et on a du mal à prendre du recul
07:12à certains moments.
07:13Et je pense que si on a parlé
07:15un peu de statistiques,
07:16après les Jeux de Paris,
07:17j'ai commencé à faire partie
07:18d'un projet
07:20avec le comité national olympique
07:22où on parle de santé mentale.
07:24Et il y avait un athlète sur cinq
07:26qui se sentait déprimé
07:28après les Jeux de Paris.
07:29C'est quand même beaucoup, je trouve.
07:31Et parce qu'on ressent toujours
07:32un grand vide.
07:33Il y a ces quatre ans,
07:35les Jeux olympiques,
07:35en tout cas pour les sports olympiques,
07:37c'est vraiment s'entraîner pendant quatre ans
07:39pour ce jour-là,
07:40pour peut-être cette course-là
07:42qui dure quelques secondes.
07:44Et après, qu'on l'ait eue ou pas,
07:46on en a parlé,
07:47il y a des médaillés
07:48qui tombent en dépression.
07:51Ce n'est pas que l'échec,
07:52c'est vraiment toutes ces émotions
07:53qu'on doit gérer
07:54et tout ce vide qu'on ressent après.
07:57Et c'est le moment
07:57où on est les plus seuls
07:58parce que les fédérations
08:01ne font pas le taf,
08:03les accompagnements psy
08:06qui ne sont plus pris en charge.
08:08Donc, c'est toutes ces choses-là
08:09sur lesquelles on se bat
08:10parce qu'on accompagne les athlètes
08:12pour un objectif,
08:13mais en dehors de ça,
08:14ils sont un peu laissés à l'abandon.
08:15Où est-ce que vous avez trouvé
08:16l'énergie du rebond, au final ?
08:18C'est une bonne question.
08:22Je pense que, comme on l'a dit,
08:23ça prend énormément de temps
08:24et ça a été de me reconstruire
08:26en dehors du fait d'être athlète,
08:28de créer des projets à côté,
08:30de trouver du sens
08:31dans autre chose
08:32que le fait d'être sportive
08:35et de me reposer la question
08:38est-ce que j'ai encore
08:39la motivation de continuer le sport
08:42à chaque fois,
08:42à chaque Olympiade,
08:43à chaque moment difficile,
08:44est-ce que je suis prête
08:46à remettre autant d'énergie
08:47en sachant que je peux être déçue à nouveau
08:49parce que dans le sport,
08:50il n'y a aucune certitude.
08:52On évolue dans l'incertitude totale.
08:54Ce n'est pas la meilleure personne
08:54qui gagne.
08:55Ce n'est pas celle
08:56qui a le plus travaillé,
08:58qui s'est le plus entraîné.
08:59Il y a énormément de facteurs
09:00qui rentrent en jeu
09:01et à ce moment-là,
09:02c'est être OK
09:03avec cette incertitude
09:05et du coup,
09:08c'est retrouver l'énergie.
09:09Il y a eu certains moments
09:10où pour moi,
09:11ça a été de m'entraîner
09:11avec des enfants
09:12tout simplement
09:13pour retrouver la passion
09:14de pourquoi j'ai commencé
09:15l'escrime.
09:17Le goût de l'autre.
09:18Le goût de refaire les choses
09:20pour le plaisir.
09:21Il y a eu d'autres moments
09:22où c'était de trouver du sens
09:23vraiment dans qui j'allais mettre
09:26autour de moi,
09:27dans mon équipe,
09:28comment j'allais être accompagnée,
09:29parce que je pense
09:30que ce qui est le plus important,
09:31c'est l'environnement,
09:33c'est les gens
09:33qui sont autour de nous
09:34et c'était vraiment
09:36travailler avec des personnes
09:37compétentes
09:37mais aussi des personnes
09:38bienveillantes
09:39parce que dans le sport,
09:41ce qui est intéressant,
09:42c'est que quand on gagne,
09:43il y a beaucoup de personnes
09:44sur la photo
09:45mais quand on perd,
09:46il y a beaucoup moins
09:47de gens autour de nous.
09:48Dernière question,
09:49Isaura,
09:50comment est-ce que vous voyez
09:50l'évolution de notre société
09:52sur ces sujets
09:53de santé mentale
09:55mais aussi de force mentale ?
09:57Est-ce qu'on va dans le bon sens ?
09:59Est-ce qu'on accélère suffisamment
10:01sur ces sujets ?
10:03C'est une question,
10:05je pense qu'on est peut-être
10:06tous là pour y répondre
10:08mais en tout cas,
10:10moi d'un point de vue sportif,
10:12je pense qu'il y a
10:13de plus en plus
10:14de psychologues,
10:17de préparateurs mentaux.
10:18On voit que vous avez été
10:19pris en charge à 9 ans
10:20alors que Yannick Noah
10:21ne l'a pas été.
10:22finalement c'était
10:23une trajectoire un peu similaire
10:26et vous avez été prise
10:27en charge très tôt.
10:28Oui, en tout cas,
10:28moi je suis très contente
10:30d'avoir été accompagnée,
10:31ça m'a sauvée,
10:32en tout cas,
10:32ça m'a permis de continuer
10:34beaucoup plus longtemps
10:35dans ce milieu
10:35et peut-être d'être moins
10:37endommagée
10:40que je l'aurais été
10:41parce que c'est quand même
10:43très touché.
10:45Mais les jeunes,
10:46oui,
10:47les jeunes en tout cas,
10:48ça fait plus maintenant
10:49systématiquement partie
10:50de leur staff d'entraînement
10:52parce qu'encore une fois,
10:54il y a quelques années,
10:55l'entraîneur devait être
10:56tout pour nous.
10:57L'entraîneur spécifique,
10:58par exemple,
10:59dans l'escrime,
10:59c'était aussi le préparateur physique,
11:01c'était aussi le préparateur mental,
11:03c'était aussi le parent
11:04parce qu'on part de nos familles
11:05très jeunes
11:05et là,
11:06à un moment donné,
11:06on n'a pas les compétences,
11:08on ne le fait pas,
11:09c'est des experts
11:09qui le font.
11:12On comprend que ça peut
11:13faire partie de la performance
11:14mais encore,
11:15je pense qu'on a
11:15des progrès à faire
11:18sur,
11:19vous parlez de forcement
11:20mental,
11:20je pense,
11:21de redéfinir un peu ça
11:22parce qu'on a encore du mal
11:24en tant qu'athlète
11:25à montrer nos vulnérabilités
11:27parce que,
11:28voilà,
11:28c'est montrer qu'on est faible,
11:30les échecs,
11:31il ne faut pas les montrer
11:32alors que ça fait partie
11:32de la vie.
11:33Je pense qu'on parle
11:34des réseaux sociaux,
11:35on parle de la société,
11:36il y a redéfinir
11:37ce que c'est le succès.
11:39Moi,
11:39ce qui est intéressant pour moi,
11:40c'est de redéfinir
11:40qu'est-ce que c'est un champion.
11:43Je crois qu'un champion,
11:45ce n'est pas du tout
11:45quelqu'un qui gagne tout le temps,
11:47c'est la façon
11:47dont il se relève
11:48qui est le plus important,
11:51c'est les échecs
11:52et c'est comment
11:52on en apprend
11:53de ces échecs
11:54et qui sont un peu,
11:56comment dire,
11:58on passe tous
11:59par des moments difficiles.
12:00Ça peut être
12:01des moments professionnels
12:02et des échecs pro,
12:03mais ça peut aussi être
12:04des événements personnels
12:05qui impactent
12:06notre carrière.
12:09Et dans le sport
12:09de haut niveau,
12:10on laisse nos problèmes
12:11dehors,
12:12on ne peut pas du tout
12:13en parler
12:13et alors qu'on ne peut pas
12:16être performant
12:17de la même manière
12:17si on n'est pas heureux
12:19à côté.
12:20Donc voilà,
12:20c'est toutes ces choses-là,
12:21je pense,
12:22à redéfinir
12:22et à continuer
12:23à travailler dessus
12:24et bien sûr,
12:24à faire des choses concrètes
12:25comme on le fait aujourd'hui.
12:26C'est-à-dire que nous,
12:28en tout cas,
12:28au CNOSF,
12:29on se bat pour qu'il y ait
12:31des moyens mis en oeuvre
12:32pour que les athlètes
12:32soient accompagnés
12:33parce que c'est des coûts
12:35pour eux,
12:36c'est l'accessibilité aux soins
12:37qui n'existe pas
12:38de façon systématique encore.
12:40Merci beaucoup
12:41pour la force
12:42de votre témoignage,
12:43Isaura.
12:44Merci infiniment.
12:45Applaudissements
12:46...
12:47...
12:48...
12:49...
12:50...
12:52...
12:54...
12:56...
12:58...
13:00...
13:02...
13:04...
13:06...

Recommandations