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  • 03/06/2025
Transcription
00:00Bonjour à tous, pas toutes, je vais rester debout.
00:09Écoutez, nous sommes très heureuses, parce que nous ne sommes que des femmes auprès de la cité,
00:16de vous présenter notre nouvelle rentrée littéraire.
00:20Très heureuse à plusieurs titres, parce que c'est une année en fait très particulière pour nous.
00:25Particulière, pourquoi ? Parce que vous allez retrouver Karen Joy Foller en rentrée littéraire étrangère,
00:34autrice américaine que vous connaissez, avec un texte qui n'est pas sans faire penser à l'actualité internationale,
00:43mais ça je laisserai Frédéric Pollet, son éditrice, qui est ici, vous en parler plus en détail.
00:49Très particulière parce que nous avons la joie d'accueillir Chiara Mezzalama,
00:56notre autrice italienne, qui pourtant nous écrit un texte en français.
01:03Vous verrez pourquoi, c'est elle qui vous l'expliquera.
01:06Et puis, Michel Bussi, petit auteur de Polar que vous connaissez peut-être,
01:11qui nous fait cette immense joie de nous donner un texte pour cette rentrée littéraire.
01:21Un texte ambitieux, puissant, et je laisserai Bérangère boucher son éditrice.
01:29Et Michel, vous en parlez là aussi bien mieux que moi.
01:31Donc je laisse la parole à Frédéric.
01:34Bonjour à toutes et à tous.
01:42Je vais vous présenter effectivement le nouveau roman de Karen Joy Foller.
01:46Karen Joy Foller, c'est une grande plume de la littérature américaine.
01:51Vous la connaissez, ce n'est pas le premier roman qu'elle publie en France.
01:56Il y a eu le Club Jane Austen à la table ronde.
01:58Il y a eu surtout Nos années sauvages aux presses de la cité en 2016.
02:03Donc Nos années sauvages, un livre phénomène, vraiment un phénomène d'édition à l'international aussi,
02:10avec 2 millions d'exemplaires vendus en un an, avec une publication dans une vingtaine de pays,
02:18avec un prix pour son auteur, le Man Booker Prize, le Pen Fogner Award, excusez-moi,
02:25et finaliste du Man Booker Prize.
02:27Donc Karen Joy Foller nous revient, dix ans après la publication de Nos années sauvages,
02:34avec Lincoln Tragédie.
02:36Donc Lincoln Tragédie, de quoi s'agit-il ?
02:39Il s'agit, excusez-moi, je vais prendre mes notes pour ne rien oublier.
02:43Lincoln Tragédie, il s'agit avant tout d'un roman familial, d'une saga familiale,
02:47comme son nom ne l'indique pas.
02:49Pourquoi ? Parce que Karen a décidé de s'attaquer à l'anatomie du meurtre du président Lincoln.
02:55Donc pour l'histoire, Lincoln a été le premier président américain assassiné.
03:00Et comment on explique un meurtre ?
03:02Si ce n'est, la meilleure façon, c'est de rentrer dans l'intimité des acteurs de ce meurtre,
03:07et donc de la famille de l'assassin de Lincoln.
03:10Cette famille s'appelait les Bousses.
03:11Bousses, le patriarche Julius Brutus Bousses, était un acteur tragédien anglais, spécialiste de Shakespeare.
03:22Il y avait une notoriété incroyable en Angleterre, mais il a dû fuir l'Angleterre parce qu'accusé de polygamie.
03:28Donc il décide d'aller tenter sa chance aux Etats-Unis en emmenant sa maîtresse, Marianne.
03:34Et là, il s'installe.
03:35Alors il lui promet aventure, liberté, passion.
03:38Il l'installe dans une petite cabane cachée à la lisière des bois à Baltimore.
03:43Donc cachée parce qu'évidemment, il y a une épouse qui est restée en Angleterre avec un enfant,
03:48et qu'il n'est pas question qu'on le retrouve tout de suite.
03:51Et il lui fait dix enfants.
03:54Donc la liberté et l'aventure, elle a été assez déçue.
03:59Mais voilà, il lui fait dix enfants, six survivront.
04:04Et cet homme va avoir un énorme succès aux Etats-Unis.
04:08Ça va devenir un des plus grands acteurs.
04:10Il est charismatique.
04:11Il est aussi alcoolique et violent.
04:12Donc je vous imaginez la vie familiale qui faisait mener à tous ses enfants.
04:17Le roman a une structure intéressante.
04:20C'est que, comme dans un fait divers, Karen Joy Fuller nous raconte cette histoire par trois voix.
04:27La voix de trois, des témoins de ce drame.
04:30Donc trois enfants.
04:31Rosalie, l'aînée, l'a sacrifiée, je dirais.
04:35Sacrifiée pourquoi ? Parce qu'elle est l'aînée.
04:37Parce qu'elle a vu les drames se succéder dans la famille avec la mort des premiers enfants.
04:42Sacrifiée parce qu'elle va servir de petite maman à toute la fratrie.
04:45Et ensuite, on a la voix d'Asia, la cadette, qui elle est volontaire, un peu comme son père.
04:53Qui est ambitieuse aussi, qui a envie de réussir.
04:56Et qui elle a un rôle particulier dans cette tragédie.
04:58Parce qu'elle savait, elle a vu son frère sombrer dans le fanatisme.
05:04Elle savait qu'il était espion pour les confédérés.
05:06Donc aurait-elle pu arrêter le drame ?
05:07Enfin, Edwin.
05:09Edwin qui est un peu l'alter ego du père.
05:12Très très bon comédien.
05:13Qui aura un succès aussi.
05:15Qui va suivre son père un peu partout aux Etats-Unis.
05:18Le suivre aussi pour qu'il arrive sur scène à l'heure.
05:21Parce qu'alcoolique, il était imprévisible.
05:23Et qui sera responsable de la mort du père.
05:26Autre culpabilité.
05:27Donc maintenant, je vous laisse découvrir cette saga familiale.
05:30Parce que Karen, en alternant ces trois voix, ménage son suspense.
05:36Et nous amène, petit à petit, vers le drame qui va faire rentrer la famille Bouss dans la postérité.
05:44Donc il est question de John, le meurtrier.
05:46John Wilkes.
05:47Qui n'est pas forcément le plus mal aimé.
05:52Qui n'est pas forcément...
05:53C'est l'un des derniers enfants.
05:55Mais qui va sombrer dans le fanatisme.
05:57Qui va, on ne sait pas trop pourquoi.
05:59Qui était un acteur aussi.
06:00Un bon acteur.
06:02Et qui va un peu prendre une autre direction.
06:06Karen Joy Foller ne donne pas la voix à John.
06:09Parce qu'elle ne veut pas qu'on ait de l'empathie pour ce meurtrier.
06:12Parce qu'elle ne veut pas le privilégier.
06:14Et comme ça, elle tise son drame.
06:16Telle une tragédie, taine une pièce de Shakespeare.
06:18Donc, pourquoi a-t-elle écrit ce livre ?
06:21Elle avait déjà envie de s'attaquer à l'histoire de cette famille Bouss.
06:25On est en 2018.
06:27Il y a une recrudescence des meurtres de masse.
06:30Et puis, il y a aussi un certain M. Trump qui arrive au pouvoir.
06:35Et donc, en faisant sa recherche sur cette histoire, sur ce roman,
06:41elle se rend compte que c'est presque un effet miroir.
06:43C'est presque comme un miroir, en fait.
06:45Que l'Amérique de l'époque était au bord de la guerre civile.
06:50Donc, la guerre de sécession.
06:51Et puis, aujourd'hui, quelque part, l'histoire se répète.
06:55Donc, c'est aussi la leçon de cet ouvrage.
06:57Et c'est en tissant l'intimité de ces êtres individuels,
07:02de la petite histoire de cette famille, qu'on raconte la grande histoire.
07:06Voilà.
07:07Je vais maintenant vous parler, vous introduire,
07:09Chiara Médzalama.
07:10Donc, comme Laurence l'a dit, une autrice italienne
07:13qui a déjà publié en France, au Mercure de France,
07:17un roman qui s'appelait « Après la pluie ».
07:21Elle publie aussi en littérature jeunesse, en France.
07:25Mais elle écrit ce livre pour la première fois en français.
07:28Ce roman, elle a eu une envie, un besoin de l'écrire en français.
07:33Elle va vous l'expliquer pourquoi.
07:34Donc, en un mot, je lui laisse la parole.
07:37Dans la chambre forêt est un texte bouleversant
07:39qui nous raconte l'histoire d'un amour absolu et d'un deuil impossible.
07:43Chiara, pourquoi l'as-tu écrite en français ?
07:46Bonjour.
07:47Merci de cette occasion de présenter mon travail.
07:52Comme disait Frédéric, je suis une écrivaine italienne,
07:54mais ce texte s'est imposé à moi en français.
07:58En fait, c'est une histoire personnelle.
08:01La protagoniste s'appelle Chiara.
08:04Elle tombe amoureuse d'un écrivain français.
08:07C'est un grand amour.
08:09Un de ces amours qui n'arrivent pas souvent dans la vie.
08:13Et c'est aussi un amour qui naît clandestin
08:16parce qu'il est marié, il a des enfants.
08:19Donc, cette chambre forêt du titre,
08:23c'est à la fois une chambre réelle.
08:24C'est le lieu où ils se sont rencontrés
08:27pour leur première nuit d'amour.
08:29Et c'est une chambre symbolique.
08:31C'est le lieu où ils peuvent se livrer l'une à l'autre.
08:37Ils sont habités par le désir.
08:39C'est un amour passionnel, charnel, intellectuel.
08:42Et en fait, entre une chambre forêt et l'autre,
08:46qui sont un peu éparpillées dans toute la France,
08:48ils vont s'écrire beaucoup.
08:49Donc, il y a une correspondance.
08:52Il y a donc l'écriture et ils s'écrivent en français.
08:56Et survient la pandémie.
08:58Donc, les amants sont séparés encore plus.
09:01Donc, c'est des mois difficiles parce que c'est difficile de ne pas être ensemble
09:06quand on est habité par le désir.
09:09Et quelques jours avant leur retrouvaille, à la fin de la pandémie,
09:13l'amant meurt soudainement.
09:15Donc, Chiara se retrouve face à ce deuil impossible parce que le désir est encore là.
09:24Son cœur et son corps sont ouverts.
09:27Et en fait, elle doit affronter la mort qui est le contraire.
09:31C'est plus jamais.
09:33Et donc, en fait, cette chambre forêt va devenir une sorte de chambre mortuaire.
09:39Et à travers l'écriture, dans cette chambre mortuaire,
09:43Chiara va essayer de...
09:45Bon, elle va d'abord pleurer, se désespérer, se révolter,
09:49se poser des questions qui n'ont pas vraiment de réponse.
09:53Essayer à la fois de retenir son amant et de le laisser partir
09:57en fabriquant une sorte de mausolée de mots, quelque part.
10:02Je pense que la littérature sert à ça, parfois,
10:05mettre des mots sur quelque chose qui est irracontable, impensable.
10:12Et c'est aussi un moyen de faire revenir les morts
10:16depuis le début de l'histoire de la littérature.
10:18Si vous pensez, par exemple, à l'épopée de Gilgamesh,
10:22en fait, Gilgamesh, après la mort de son ami Enkido,
10:26va essayer de le faire revivre et il n'y arrive pas.
10:28Et c'est comme ça que la littérature est née, quelque part.
10:32Donc, dans cette chambre mortuaire, qui est aussi une chambre à soi, disons,
10:38Chiara va essayer de retisser les liens avec la vie.
10:42Donc, c'est ses enfants qui ont besoin d'elle,
10:45c'est ses amis qui prennent soin d'elle.
10:48Et donc, c'est un peu un voyage inouï entre Paris, Rome,
10:53une maison à la campagne, au Piémont,
10:55où elle va essayer de survivre de quelque manière.
10:59Donc, le texte est aussi un peu mélangé dans le temps, quelque part,
11:05et ça reflète un peu son état d'esprit.
11:08Et je voulais aussi raconter ça parce que les personnes qui sont dans un amour clandestin
11:15et qui se trouvent face à une expérience pareille,
11:18dans la solitude de la mort, elles sont encore plus radicalement seules, en fait,
11:24parce qu'elles n'existent pas, il n'y a pas de lieu pour pleurer,
11:27il n'y a pas de lieu pour rencontrer les autres.
11:30Et en plus, je voulais aussi réfléchir un peu sur la place de la mort dans notre société.
11:38La pandémie nous a bien fait voir ça, quelque part,
11:42la mort qui est complètement refoulée
11:44et qui, en fait, ça fait juste partie de la vie.
11:48Donc, ça me paraissait important de raconter cette histoire
11:53et, en fait, de comprendre qu'on apprend à vivre à travers la mort
11:59et aussi que l'écriture, c'est un geste d'amour.
12:05Merci.
12:12Alors, moi, je vais vous présenter Les Ombres du Monde
12:14et avant de le faire, je voudrais dire un mot ou deux
12:18sur leur auteur ici présent, avant de lui laisser la parole.
12:21Donc, si je me trompe, surtout, tu me corriges.
12:24Michel Bussy, vous le savez déjà, mais il est bon et utile de le rappeler.
12:27C'est un auteur qui aime par-dessus tout surprendre ses lecteurs
12:33en les manipulant grâce à un art consommé du suspense dont il a le secret
12:38et dans des histoires où toujours, sans cesse, se mêlent, se côtoient
12:43le mystère et l'émotion.
12:45Mais l'effet de surprise, peut-être, réside encore davantage,
12:50ou en tout cas, de la même manière, dans le regard que le romancier
12:55qu'est Michel porte sur l'humanité.
12:58Les invisibles, les laissés pour compte, les figures de l'ombre
13:02et surtout des femmes courageuses dans ces romans
13:05prennent sous ton pinceau enfin toute la lumière.
13:09Sans oublier, bien sûr, les lieux qui, chez cet écrivain géographe,
13:15deviennent véritablement des personnages à part entière.
13:19Donc, les ombres du monde s'inscrivent résolument dans cette veine
13:23mais franchissent un pas de plus.
13:26Il s'agit vraiment d'un livre, je dois dire, d'une ampleur,
13:32d'une amplitude romanesque tout à fait exceptionnelle.
13:35Il s'agit d'un livre, tu l'as dit, Laurence, ambitieux, fort, courageux,
13:41qui revient sur un événement de l'histoire du XXe siècle terrible,
13:46le génocide des Tutsis au Rwanda et la responsabilité de la France.
13:51Donc, quelques mots avant de te passer la parole sur l'histoire.
13:55Nous suivons, Yorick, un ancien militaire à la retraite,
13:59sa fille et sa petite-fille qui partent en 2024,
14:02tous les trois, au Rwanda, au moment de Noël, pour les fêtes,
14:06à la découverte des gorilles, des montagnes, des virungas.
14:11Bien sûr, ce voyage est l'objet d'une quête toute personnelle
14:15pour chacun de ses protagonistes,
14:17et a fortiori pour Yorick,
14:19qui, en partant, en retournant au Rwanda,
14:23est confronté très douloureusement à son passé,
14:27un passé qui a été marqué par la rencontre de la jeune Espérance,
14:30trente ans auparavant, plus de trente ans auparavant, en 1990,
14:34alors qu'il était envoyé par l'État français en mission à Kigali.
14:39À travers ce roman, Les Ombres du Monde, Michel,
14:42tu interroges la transmission de la mémoire,
14:45tu interroges la responsabilité de la France,
14:48dont ce livre révèle, je tiens aussi à le souligner,
14:50c'est important pour la première fois,
14:52sous la forme d'une fiction romanesque,
14:54la responsabilité de notre pays
14:57et son soutien décisif
15:00au gouvernement génocidaire rwandais
15:03du point de vue diplomatique, politique, militaire.
15:06Alors, une question pour te passer la parole, Michel.
15:09Ce sujet, tu le portes depuis longtemps,
15:12depuis très longtemps.
15:14Depuis quand exactement ?
15:15Et pourquoi t'habites-t-il si fortement ?
15:17Eh bien, merci Bérangère.
15:19C'est très impressionnant d'être là devant autant de monde
15:22et pour la rentrée littéraire en plus.
15:26Alors, effectivement, moi, j'ai été recruté
15:28comme maître de conférence à l'université de Rouen en 1994
15:31pour enseigner la géographie politique.
15:34Et 1994, c'est l'année du génocide des Tutsis-Rwanda.
15:39Et donc, tout de suite, évidemment,
15:40j'ai travaillé sur cette question
15:42dans le cadre de mes cours et de mes recherches
15:44pour notamment le transmettre à mes étudiants.
15:47Et ce qui me marquait tout de suite,
15:49c'est la différence de traitement de ce génocide
15:51par les informations françaises,
15:53par les médias français, voire les chercheurs français,
15:55par rapport à ce qui se disait dans le monde anglo-américain,
15:58mais aussi ce qui se disait de l'autre côté en Belgique,
16:01et notamment la thèse du double génocide
16:03qui était encore largement courante en France.
16:07Pour aller vite, je vais enseigner la géographie politique
16:10pendant à peu près 25 ans.
16:12Et donc, pendant ces 25 ans,
16:13je vais continuer de m'intéresser de près au génocide,
16:16d'autant plus que je vais devenir professeur de géographie
16:19et me spécialiser dans ce qu'on appelle
16:21la géographie de la démocratie.
16:22Je deviens un peu le spécialiste de ça,
16:25et notamment l'approche comparative
16:26des démocraties dans le monde
16:27en encadrant pas mal de thèses en Afrique,
16:30notamment au Sénégal, au Mali.
16:32Et le Rwanda reste ce traumatisme
16:34d'un processus de démocratisation
16:36voulu, entre autres, par la France
16:38et la communauté internationale
16:39qui va aboutir au plus grand génocide,
16:41au plus dramatique génocide
16:43sur tout le continent africain.
16:46Alors, quand j'enseignais
16:47et que je cherchais sur ce génocide,
16:50je mettais l'évidence sur deux points,
16:52deux points qui me semblent essentiels.
16:54D'abord, la complexité,
16:55c'est-à-dire que c'est un génocide
16:56qui est extrêmement compliqué à comprendre.
16:58Sous son apparence simplicité,
17:00on a des causes lointaines et locales,
17:02on a des causes internationales ou proches,
17:05on a des causes économiques.
17:06Donc, une grande complexité
17:08pour arriver à comprendre l'innommable.
17:11Et puis, évidemment, la question de l'identité.
17:14Là encore, on pourrait l'étayer,
17:16mais rappelons que les Tutsis et les Hutus
17:18priaient le même dieu,
17:20parlaient la même langue,
17:21habitaient les mêmes villages,
17:22et même, contrairement à ce qu'on croit souvent,
17:24ne pouvaient pas être distingués physiquement.
17:26C'est-à-dire qu'il était,
17:27dans l'essentiel des cas,
17:29impossible de distinguer
17:30qui était Hutu ou Tutsi.
17:31Donc, on est dans une construction complète
17:33d'une identité qui va aboutir
17:35à l'un des deux ou trois plus grands génocides
17:37de l'histoire de l'humanité.
17:39Alors, évidemment, entre deux,
17:41ces années de cours,
17:43je deviens écrivain
17:43et pendant très longtemps,
17:45je m'interroge sur comment je pourrais mêler
17:47ce qui est un de mes thèmes de recherche
17:50ou d'études importants et la fiction.
17:54Et assez vite,
17:55il y a au moins une vingtaine d'années,
17:57j'imagine effectivement ce couple
17:59d'une jeune Rwandaise démocrate
18:02qui rencontrerait un parachutiste français
18:05arrivé à Kigali en 90,
18:07d'une histoire d'amour impossible,
18:08complexe,
18:10et je tisse progressivement mon fil
18:13pendant des années
18:13avec cette histoire.
18:15Et puis, je saute le pas
18:17il y a trois ans, on va dire,
18:20et je contacte Patrick de Saint-Exupéry,
18:22qui est journaliste,
18:23un grand reporter
18:24et qui est le premier à avoir écrit
18:25sur le Rwanda,
18:26en particulier sur l'implication de la France
18:28lors de l'opération turquoise.
18:30Et Patrick me répond rapidement,
18:32me disant,
18:33je dois retourner au Rwanda,
18:35si vous voulez,
18:36vous prenez le même avion,
18:37et puis, si on s'entend bien,
18:38on continuera un bout de route ensemble,
18:40sinon, voilà,
18:41on se sépare à Kigali.
18:42On s'est plutôt, bien entendu,
18:44et effectivement,
18:45j'ai eu la chance inouïe
18:46de parcourir le Rwanda,
18:48il y a deux ans,
18:49avec Patrick de Saint-Exupéry.
18:51Il m'a fait rencontrer,
18:52évidemment,
18:53les lieux de mémoire,
18:54des survivants,
18:55des chercheurs
18:57sur le Rwanda.
18:59Et voilà,
18:59et donc,
19:00c'était parti,
19:01je ne pouvais plus reculer,
19:02et il fallait que j'écrive
19:02ce roman
19:04sur le Rwanda,
19:06après avoir lu,
19:07évidemment,
19:07énormément de récits,
19:09de récits à la fois autobiographiques,
19:11mais évidemment,
19:11de récits,
19:12évidemment,
19:13tels ceux de Guelfaille,
19:14ou de récits d'analyse géopolitique.
19:17Et donc,
19:17ce récit,
19:18comme l'a dit Bérangère,
19:18en deux grosses temporalités,
19:21à la fois,
19:21l'arrivée des Français
19:24en 90 au Rwanda,
19:26à peu près 40 mois
19:27jusqu'aux 100 jours du génocide,
19:30et un retour au Rwanda
19:31une trentaine d'années plus tard.
19:32Alors,
19:33j'en profite pour te poser
19:33une dernière question,
19:34je me lève.
19:35Ce roman totalise,
19:37de fait,
19:37tout un tas d'ambitions
19:38qui font que
19:40ce roman est à la fois
19:41un roman historique,
19:43géographique,
19:43un roman d'amour formidable,
19:45un roman d'espionnage,
19:46un roman politique.
19:47Comment as-tu concilié
19:48toutes ces ambitions
19:49par l'écriture,
19:50dans l'écriture ?
19:51C'est vrai que moi,
19:52j'écris à peu près 25 romans,
19:54et ce roman est très,
19:55très particulier.
19:56Je m'en suis très vite aperçu
19:57quand je suis rentré,
19:59effectivement,
19:59dans cette immense masse
20:01d'informations sur le Rwanda.
20:02Alors,
20:03je dirais que c'est un roman
20:03à la fois intime,
20:05puisqu'il raconte
20:05une histoire d'amour,
20:06et c'est une quête identitaire.
20:08Ce sont des secrets de famille
20:09très lourds
20:09dans ce contexte de génocide.
20:11Donc,
20:11je dirais que ça,
20:12c'est quelque chose
20:12qu'on pourrait retrouver
20:13dans d'autres romans.
20:15C'est aussi,
20:15évidemment,
20:16un roman historique
20:17avec énormément
20:19de documentation
20:20on est au plus près des faits,
20:22et je crois que c'est
20:23la première fois
20:23qu'une fiction
20:24traite aussi précisément
20:26de tout ce qui s'est déroulé
20:27au Rwanda,
20:28notamment avant le génocide.
20:30C'est un roman,
20:31je l'espère,
20:32engagé.
20:33En tout cas,
20:33c'est un roman
20:33que j'écris moi
20:34en tant que citoyen français,
20:35qui avait une trentaine d'années
20:37au moment du génocide,
20:40et qui, là,
20:41clairement,
20:41prend partie,
20:43développe une thèse,
20:44à la fois sur l'implication
20:45des Français au Rwanda,
20:46mais aussi sur le fameux attentat
20:49qui a causé ce génocide,
20:50enfin,
20:50qui a provoqué ce génocide
20:51par l'assassinat
20:52du président rwandais,
20:54et les causes de cet attentat
20:56ne sont toujours pas
20:56complètement connues,
20:57et l'implication française
20:58reste un grand non-dit,
21:00et donc ce roman
21:01affronte frontalement
21:03fait tellement cette question-là,
21:04notamment celle
21:05de la boîte noire
21:06jamais retrouvée
21:07de l'avion
21:08qui a explosé.
21:10Et puis,
21:10pour finir,
21:11je l'assume,
21:12même si,
21:13effectivement,
21:14c'est peut-être,
21:15là,
21:15une forme d'originalité
21:16dans une rentrée littéraire,
21:18c'est que je n'avais pas
21:19envie de me renier,
21:20et donc je suis connu
21:20pour mes twists,
21:21je suis connu
21:21pour mes rebondissements,
21:23et j'ai voulu
21:23construire un roman
21:25qui garde
21:26cette dimension d'aventure,
21:28cette dimension haletante,
21:29cette dimension
21:29des faux-semblants,
21:31et donc,
21:31je l'espère,
21:32en lisant ce roman,
21:33très réaliste,
21:35on va de rebondissement
21:36en rebondissement
21:36avec un lot
21:37de twists importants,
21:39et j'aurais même
21:40tendance à dire
21:40que peut-être
21:41que je n'ai jamais
21:42construit
21:42de faux-semblants
21:44aussi,
21:44comment dire,
21:45aussi inattendus
21:46que dans ce roman,
21:47mais sans doute
21:48parce que le poids
21:49de l'histoire
21:49me le permettait.
21:50Et donc,
21:51surtout,
21:52ce qui m'a marqué
21:52dans cette écriture,
21:53c'est que chaque mot
21:54que j'écrivais
21:55était extrêmement
21:56lourd de sens,
21:57et j'aurais même
21:58tendance à dire
21:59aujourd'hui,
21:59lourd de double sens.
22:00Je vous remercie.
22:08Merci.

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