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  • 03/06/2025
Transcription
00:00Bonjour à tous, ravie de vous retrouver pour ce rendez-vous annuel.
00:05Nous allons vous présenter les titres de la rentrée littéraire des éditions Récamier,
00:10avec Emma Lormand, notre éditrice, et Régis Geoffrey qui nous fait l'honneur d'être parmi nous aujourd'hui.
00:16Avant de laisser la parole au grand maître,
00:20on va saluer l'arrivée d'une nouvelle voix dans la littérature francophone chez Récamier.
00:25On est très heureux de publier Steve Aganze, publier un premier roman, on se le dit toujours,
00:32c'est toujours un grand moment, c'est très émouvant, important.
00:35Quand en plus il s'agit d'un auteur qui a 25 ans, qui vient du Congo,
00:40qui vit, qui est né là-bas et qui vit toujours et qui parle des femmes de son pays
00:44avec une verve et un engagement incroyable, c'est encore autre chose.
00:49Donc j'ai l'immense plaisir de vous laisser Emma Lormand, son éditrice, vous présenter, Bahari Bora.
00:55Merci, bonjour à tous, je suis vraiment très très honorée de représenter Steve aujourd'hui,
01:02qui pour des raisons évidentes n'a pas pu être là avec nous.
01:07Donc comme l'a dit Céline, c'est son premier roman, il est jeune, il a 25 ans,
01:11mais il a un talent immense, une plume sensible, poétique,
01:15et surtout il apporte son regard d'écrivain pour nous parler de la situation de son pays,
01:21donc en République démocratique du Congo, une situation qui s'aggrave malheureusement de jour en jour,
01:28et c'est une situation qu'il observe depuis qu'il est petit,
01:31et notamment lorsqu'il a 14 ans, c'est la première fois qu'il est confronté
01:35à des vagues d'enlèvements en République démocratique du Congo,
01:39et il se dit, enfin, depuis ce jour-là, il se dit,
01:42un jour, je parlerai de ces femmes qui se sont fait enlever par les rebelles,
01:47j'écrirai sur l'une d'elles.
01:49Et c'est comme ça qu'est née Bahari Bora, donc son héroïne,
01:52qui veut dire « Belle océan tranquille » en Swahili.
01:55Bahari Bora a 13 ans quand elle se fait enlever par les rebelles,
01:58elle reste 5 ans en captivité, et le roman commence,
02:01elle arrive à s'échapper, elle échappe à ses bourreaux,
02:03et elle se fait recueillir par une ONG dans un hôpital.
02:06Et à l'hôpital, on lui apprend qu'elle est enceinte.
02:10Donc déjà, c'est tout un processus pour lui faire comprendre
02:13que l'enfant qu'elle porte est le fruit d'un viol,
02:16et ensuite, c'est aussi la première fois qu'elle peut vraiment disposer de son corps,
02:20qu'on lui demande de faire un choix pour elle et pour son corps,
02:24donc choisir entre sa propre vie ou celle d'un autre,
02:27parce qu'en fait, en plus de lui apprendre qu'elle est enceinte,
02:30on lui dit que sa grossesse est à risque et qu'elle la met en danger.
02:34Donc face à ce choix qu'elle a à faire,
02:37un instinct la pousse à fuir l'hôpital,
02:40donc elle s'enfuit, et sur son chemin,
02:43elle va rencontrer toute une galerie de personnages
02:45qui vont permettre de faire état de la situation au Congo.
02:49Donc ce roman, c'est d'abord le portrait d'une femme,
02:52d'une femme incroyablement courageuse,
02:55c'est une fuite pour sa liberté,
02:57et en même temps, c'est le portrait d'un pays qui est meurtri par les crimes de guerre,
03:02un pays qui souffre énormément,
03:05et surtout, c'est un roman qui permet de montrer ce que c'est véritablement d'être une femme en RDC,
03:13ce que ça représente, à quel point c'est un danger de chaque instant.
03:16Et c'est aussi un moyen de dénoncer comment les crimes sexuels sont utilisés comme de vraies armes de guerre,
03:23parce que là-bas, quand les rebelles, ou même les hommes en général,
03:27s'entraînent à des femmes et les violent,
03:29et bien ensuite, elles sont chassées de leur famille,
03:32elles sont répudiées,
03:34et elles n'ont plus de valeur, en fait,
03:37elles perdent toutes leurs valeurs.
03:38Et d'ailleurs, il y a un de ces personnages,
03:41qui est le docteur Farid,
03:42qui est une référence claire et nette au docteur Denis Mukwege,
03:47qui est un docteur congolais,
03:49et qui est celui qui répare les femmes,
03:51un gynécologue qui les répare déjà physiquement,
03:54parce qu'elles sont totalement détruites,
03:56mais aussi qui les aide à retrouver de la lumière,
03:58à retrouver un espoir,
04:00et à leur redonner cette place qu'on leur a enlevée.
04:03Donc, c'est vraiment un roman qui rend hommage aux femmes,
04:07et en fait, on comprend pourquoi Steve a tenu à rendre hommage aux femmes,
04:12c'est parce qu'aussi, il le dit,
04:14lui, s'il en est là aujourd'hui,
04:15c'est grâce aux femmes de sa vie,
04:17parce que sa mère et sa tante se sont sacrifiées pour lui,
04:21pour qu'il ait la vie qu'il a aujourd'hui,
04:23et donc il est infiniment reconnaissant envers les femmes,
04:26il a toujours observé leurs forces,
04:27il a toujours compris leurs forces,
04:30et donc il a toujours voulu leur rendre hommage un jour,
04:33et donc c'est ce moment,
04:34c'est dans ce roman qu'il le fait.
04:37Et d'ailleurs, j'aimerais finir par quelques mots de Steve,
04:41parce que même s'il n'est pas là,
04:42j'aimerais vous faire entendre un petit peu sa voix,
04:45donc je vais vous lire quelques mots.
04:50« Baharibora » est mon premier roman,
04:52mais c'est surtout ma chance de rendre hommage à toutes ces femmes
04:55qui portent le poids du monde sur leurs épaules,
04:58et souvent dans leurs ventres.
05:01« Baharibora », c'est la voix de celle qu'on n'entend jamais,
05:04c'est l'histoire d'une femme, d'un peuple, d'un héritage.
05:09J'écris parce que la souffrance existe,
05:11si le monde était tel que je le rêve,
05:13mon écriture serait vaine,
05:15mais j'écris précisément dans l'attente de ce jour-là.
05:18J'écris pour que l'empathie ne meure jamais.
05:21Et je pense qu'on devrait mettre ce livre dans toutes les mains
05:23pour ces mêmes raisons,
05:25pour que l'empathie ne meure jamais,
05:26et pour ne pas oublier celles et ceux qu'on n'entend jamais.
05:32Merci, Emma.
05:36Merci pour ces mots et pour cette nouvelle voix.
05:39Et effectivement, c'est aussi un livre
05:40qui donne la voix à celles et à ceux qu'on n'entend jamais.
05:44Et effectivement, au Congo,
05:45tous ces gens qui sont poursuivis dans l'indifférence générale
05:50et qui sont victimes des richesses de leur pays.
05:52Donc ça aussi, c'est largement évoqué dans cet ouvrage magnifique.
05:55Il est temps à présent de laisser la parole à Régis Geoffray.
06:01On est très fiers de compter Régis Geoffray
06:03parmi nos auteurs et dans notre catalogue.
06:07Aujourd'hui, Régis va venir vous parler de maman.
06:10Pas la mienne, pas la vôtre, la tienne,
06:14qui est finalement un des personnages majeurs de son existence.
06:20Il nous livre un roman qui est un roman 100%, 200% Geoffray,
06:29mais dans lequel il se livre de manière assez personnelle et inattendue
06:34et aussi sur un sujet grave, mais avec beaucoup d'humour.
06:37Je vais vous laisser entre les mains de Régis.
06:40Je crois que ce sera très bien.
06:50Bonjour.
06:52Ce livre, c'est sur ma mère.
06:54C'est un livre que j'aurais pensé ne jamais écrire.
06:57C'est un peu comme le livre sur mon père.
07:00Je l'ai écrit parce que j'ai vu à la télévision
07:03qu'il avait été arrêté par la Gestapo pendant la guerre.
07:06Et donc là, en fait, j'ai commencé un cahier.
07:11Alors, je peux vous dire un secret.
07:13C'est que ce cahier, je l'ai écrit parce que je voulais faire un toit de genouille,
07:18pas sur l'alcool, mais sur les réseaux sociaux.
07:20Donc, j'ai commencé fin décembre à écrire quel effet ça va me faire.
07:24En fait, aucun, ce n'est pas du tout addictif.
07:26Et donc, le 3 janvier, ma mère décède.
07:30Et donc, c'est à ce moment-là que le cahier s'est transformé en journal
07:36sur la mort de ma mère sans qu'il n'y ait aucune volonté de le faire.
07:41Et donc, au fil des pages, il y avait un texte qui se formait
07:50parce que quand on est écrivain, on est un peu incapable de faire autre chose que de la littérature.
07:55C'est un peu comme demander à un musicien, à un violoniste, de jouer faux.
08:00C'est extrêmement... Alors que ce n'était pas le but.
08:03Je me suis retrouvé avec ce cahier.
08:05Alors, je me suis dit, est-ce que je le laisse à mes enfants ?
08:10Est-ce qu'ils le publieront ? Est-ce qu'ils ne le publieront pas ?
08:12Donc, j'ai décidé de le publier.
08:15Et je m'excuse, je suis très, très brouillon parce que c'est un projet qui a été très brouillon
08:21parce que ce n'était pas un projet.
08:23Le livre a été transformé par une chose, c'est une découverte que j'ai faite.
08:28C'est-à-dire que ma mère, qui était quand même un peu timbrée,
08:31m'a toujours dit qu'il y avait eu un horoscope d'une princesse.
08:35Et on avait dit que les gens nés à la même heure que moi auraient un destin hors série
08:39et auraient une vie sentimentale malheureuse.
08:42Déjà, c'était bizarre de le dire.
08:44Mais après sa mort, elle avait à peu près tout détruit comme document.
08:48Mais elle avait gardé ce petit article.
08:49et simplement, on disait que les gens nés à cette heure auraient une vie sentimentale heureuse.
08:57Donc, c'est une trahison de ma mère.
09:01C'est-à-dire que ça a fait complètement changer le personnage.
09:05Et puis, j'ai appris aussi, par le plus grand des hasards,
09:08qu'elle avait convaincu des gens de la famille que sa soeur, sa soeur à elle,
09:13avait abandonné son fils à l'âge de 14 ans parce qu'il était homosexuel
09:17et qu'elle l'avait élevé elle-même.
09:18C'est-à-dire que c'est un truc complètement fou qu'elle ait arrivé.
09:21Et donc, je me suis dit, c'est un personnage que je ne connais pas.
09:25C'est un personnage que je ne connais pas.
09:27En même temps, ce que je ne voulais à aucun prix,
09:30c'est donner l'idée d'une souffrance et d'une enfance malheureuse.
09:37Parce que je trouve que c'est un peu lamentable.
09:40C'est un peu lamentable parce que finalement,
09:42on est dans des pays qui nous ont tout donné.
09:45Et cette espèce de pleurnicherie, moi, me répune.
09:49Donc, j'ai essayé toujours de ramener ce livre du côté de l'amour
09:53parce qu'il y a des enfants qui ne sont pas aimés.
09:57Moi, j'ai été aimé de façon un peu folle.
10:03Mais j'ai été aimé.
10:05Je veux garder ma mère comme un souvenir d'amour.
10:11Je pense que c'est très difficile de ne pas aimer.
10:15Je pense que c'est plus difficile que détester.
10:18Je pense que je ne peux pas ne pas, j'allais dire, sauver ma mère.
10:24Parce qu'autrement, c'est toute une vie qui s'écroule.
10:27C'est toute une vie qui a été finalement une escroquerie.
10:34Donc, c'est un livre où j'essaie d'être gai.
10:43J'essaie d'être gai parce que la tristesse est une douleur.
10:47Et cette tristesse-là serait un désespoir.
10:50Et donc, c'est un livre sur ma mère.
10:54Et c'est aussi un livre sur ma petite-fille.
10:58Je suis grand-père depuis.
10:59Tout le monde le sait parce que je n'aurai pas d'en parler.
11:01Et donc, je me dis que dans cette petite-fille, il y a ma mère.
11:04Ma mère est en elle.
11:07Elle a une partie d'elle qui est ma mère.
11:11Alors, c'est biologique, mais ça ne serait pas biologique.
11:15Ce serait l'adoption, ce serait la même chose.
11:17Donc, je me dis comment donner à cette petite-fille une ancêtre qui ne soit pas digne d'être aimée.
11:27Alors, je me suis dit, mais finalement, les parents, ils pardonnent tout.
11:33Et pourquoi les enfants, à partir d'un certain temps, ne pardonneraient plus ?
11:38Parce que je pense qu'il faut oublier, dans une certaine mesure, qu'on est un ancien enfant.
11:45À un moment, il faut admettre qu'on est adulte.
11:48Il faut admettre qu'à un moment, sa mère a fait son travail et que c'est terminé.
11:52Il faut assumer ses parents.
11:56Tiens, je n'ai pas écrit ça.
11:58Comme si c'était ses enfants.
11:59C'est une fiction, de dire ça.
12:04Mais on vit dans des fictions.
12:06L'amour, c'est une fiction aussi.
12:08Et en même temps, ce livre est une fiction.
12:11C'est-à-dire que c'est pleinement un roman,
12:15parce qu'il y a pleinement des mensonges dans le livre.
12:19Alors, certains, je dis que ce sont des mensonges.
12:23Et d'autres, je ne sais pas.
12:25Par exemple, tout le début, c'est la guerre.
12:29Par la période de la guerre qu'ont vécu ma mère et mon père,
12:34c'est complètement fictionnel, parce que j'ai très peu de choses.
12:38C'est-à-dire le fait que je dis qu'elle cachait des juifs,
12:43des réfugiés, d'ailleurs.
12:45Elle m'a toujours dit des réfugiés.
12:46C'est un petit pitch qu'elle m'a dit,
12:49parce qu'elle ne s'en vantait pas.
12:50Donc, elle m'a dit ça une fois ou deux.
12:53Une fois ou deux.
12:54Parce que quand les gens répètent une fois ou deux, en principe, c'est vrai.
12:58Et puis, il y a d'autres éléments, entre autres,
13:01mais je ne vais pas...
13:02J'ai déjà dépassé.
13:03J'avais dit que je ne dépasserais pas.
13:05Entre autres, le fait que ma mère a dit
13:06« Quand je mourrai, j'irai en enfer ».
13:09Et là, ça fait pour moi quelque chose de bouleversant,
13:12parce qu'en tant que catholique de l'ancien temps,
13:15peu importe,
13:16c'est une phrase que je n'aurais pu prononcer moi-même,
13:19que je n'aurais pu écrire,
13:20parce que la religion catholique, c'est quand même la blanchisserie.
13:23C'est-à-dire que vous pouvez vous confesser,
13:25et si vous vous confessez sincèrement,
13:28vous êtes absous.
13:29Donc, elle ne pouvait pas se confesser.
13:31Je suis désolé d'être un peu brouillon.
13:40Bonne continuation.
13:41Très bonne lecture.
13:41Merci.
13:42Merci.

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