Dans son édito du 27/05/2025, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
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00:00Vous avez parlé de la révolution religieuse de notre temps.
00:03Qu'est-ce que vous entendez par là, Mathieu?
00:04On me pardonnera de me faire un peu philosophe sur ça,
00:06mais je pense que l'enjeu est philosophique.
00:09Sur le fond des choses, c'est une conception de l'être humain.
00:11L'anthropologie chrétienne, pour l'essentiel,
00:13disait que l'être humain est un être incarné.
00:16C'est un être de filiation.
00:17Il a un père, il a une mère.
00:18D'ailleurs, il devrait les honorer ton père et ta mère.
00:20Il s'inscrit dans une filiation.
00:21Il doit transmettre le monde qu'il reçoit à la naissance.
00:25Il doit l'améliorer.
00:26Il doit quelquefois le réformer.
00:27Il doit laisser des choses de côté, en apporter des nouvelles.
00:30Mais il est responsable d'un monde qui lui le précède
00:33et qui lui survivra.
00:35C'est un individu sous le signe de la finitude.
00:38Et c'est une finitude qui est créatrice pour l'individu.
00:40C'est parce qu'il sait que quelque chose le dépasse
00:42qu'il peut s'inscrire dans ce qu'il dépasse.
00:45La révolution religieuse, je le dis,
00:47c'est le fantasme de l'homme-dieu.
00:48C'est un homme qui décide
00:50« Je me veux absolument tout puissant en ce monde.
00:54Rien ne doit me limiter jamais. »
00:57C'est une anthropologie de la toute-puissance.
01:00Une anthropologie de l'illimité.
01:02C'est la volonté pour l'être humain,
01:04et je reviens sur cette toute-puissance,
01:06c'est la volonté pour l'être humain de dire
01:07« Puisque la mort me dépasse,
01:10ma manière de maîtriser la mort,
01:12pour l'instant,
01:13ça va consister à en décider.
01:15Je serai maître de ma propre mort. »
01:17C'est une forme de prise de pouvoir au dernier moment sur son existence.
01:20Je note, je dis en passant,
01:21que c'est une étape.
01:23Parce que dans le fantasme aujourd'hui techno-progressiste,
01:26le fantasme techno-scientifique,
01:28le fantasme d'un homme qui pourrait un jour ne pas mourir,
01:31c'est le fantasme non plus de l'éternité qui appartient aux chrétiens,
01:34mais le fantasme de l'immortalité qui appartient aux esprits de la science-fiction.
01:37Mais il y a cette idée qu'à défaut d'être immortel,
01:40au moins je déciderai ma propre mort intégralement,
01:42quelque chose ne m'échappera pas.
01:44Et c'est vraiment le propre des temps présents,
01:46cette anthropologie,
01:47cette nouvelle révélation, en quelque sorte.
01:49La nouvelle révélation,
01:50c'est cette idée qu'en ce monde,
01:52tu seras Dieu en toutes circonstances.
01:54Le résultat, c'est que je le dis,
01:56on veut être maître de sa naissance,
01:57s'extraire de ses parents,
01:59de congédier la filiation.
02:02On veut s'extraire de ses déterminations biologiques,
02:04le sexe,
02:04de ses déterminations culturelles,
02:06l'identité, l'histoire, la culture.
02:08On veut s'extraire jusque de la mort pour ce que c'était,
02:10c'est-à-dire ce moment où le monde se dérobe à nous
02:12et peut-être l'homme s'incline devant l'éternité
02:15en se disant qu'est-ce que c'est exactement tout cela.
02:17Plus du tout.
02:17C'est un moment qu'on veut banaliser intégralement,
02:20croyant par là libérer l'homme de l'angoisse.
02:22Je ne suis pas certain qu'on le libère ainsi de l'angoisse.
02:26C'est le rapport au corps aussi
02:27qui est révélateur dans tout cela.
02:30C'est-à-dire le corps avec sa part de souffrance,
02:32je précise que personne ne veut souffrir en ce monde
02:34et moi le premier, je n'ai pas envie du tout.
02:35Mais une fois que c'est dit,
02:37la question du rapport à la souffrance,
02:38le rapport au corps,
02:39on nous explique qu'un corps souffrant n'est plus digne.
02:41On nous explique qu'un corps qui n'est plus en pleine jeunesse
02:44n'est plus digne.
02:44On nous explique qu'un corps incomplet,
02:47un corps insuffisant,
02:48un corps qui ne peut plus jouir à tout moment
02:49est un corps qui n'est plus digne.
02:51Mais cette conception du corps,
02:53cette conception du corps qui consiste à dire
02:54si je ne suis plus une espèce d'hyperjouisseur
02:57de 42 ans,
02:58capable d'avoir une vie de,
02:59comment dire,
03:00enfin une vie de boomer éternelle,
03:02eh bien si je ne suis pas cet hyperjouisseur,
03:04il ne vaut plus la peine de vivre en ce monde.
03:07Parce qu'évidemment,
03:07on nous prend le cas d'abord
03:08des handicapés dans les formes les plus graves,
03:12mais ne nous trompons pas,
03:13les éligibles seront plus nombreux.
03:15Il y a quelque chose,
03:15cette formule,
03:16les éligibles,
03:16c'est terrible.
03:17Vous noterez,
03:18il y a quelque chose là-dedans
03:18qui relève du darwinisme.
03:20Il faut dire les choses telles qu'elles sont.
03:21Il y a une part de l'humanité
03:22qui mérite de vivre
03:23parce qu'elle a une vie digne.
03:24Et si vous êtes à l'extérieur
03:25de la toute-puissance,
03:26d'une maîtrise du corps et de la jeunesse,
03:28pour l'instant,
03:29ce sont les plus abîmés de l'existence.
03:31Ne doutons pas demain
03:32que la catégorie des abîmés
03:33risque de s'étendre.
03:35Donc oui,
03:35révolution religieuse,
03:37je crois.
03:38Et François Bayrou a dit
03:39qu'il n'aurait pas, lui,
03:40voté le texte.
03:41Il se serait abstenu.
03:42Là, Emmanuel Macron,
03:44il a salué une étape importante.
03:46Il insiste sur le respect des sensibilités,
03:48dans le respect des sensibilités,
03:50des doutes et espoirs.
03:51Le chemin de la fraternité
03:53que je souhaitais s'ouvre
03:54peu à peu avec dignité et humanité.
03:57Oui, au Québec,
03:58on a connu ça,
03:58si je peux me permettre,
03:59on avait eu ce débat
03:59où il y avait deux options possibles.
04:01pour et pas encore pour.
04:04Pour et je respecte
04:05ceux qui ne sont pas encore pour.
04:07Mais si vous êtes vraiment contre,
04:08là, vous êtes hors débat.
04:09Probablement anti-républicain.
04:13Dernière question, Mathieu.
04:14Alors, s'il s'agit d'une loi révolutionnaire,
04:17comme vous l'expliquez,
04:18d'une révolution religieuse,
04:20est-ce qu'il n'est pas vain,
04:21finalement, de s'y opposer?
04:22J'ai l'impression
04:23que c'est le sentiment
04:23de tant de Français
04:24et plus largement
04:25de tant d'Occidentaux
04:26qui, devant ces lois-là,
04:27se disent qu'on n'y peut rien.
04:28C'est tellement fort,
04:29la puissance,
04:29on a l'impression
04:30que le progrès
04:31nous tombe dessus,
04:32que l'histoire nous emporte avec elle.
04:33On n'y peut rien
04:34devant la puissance
04:35qu'en fait cette religion
04:36de l'individu absolu.
04:38Mais ça pose la question
04:39du rapport à la loi
04:40et le rapport au législateur.
04:42La loi, dans une société,
04:43n'est pas la simple traduction
04:44de l'humeur
04:45et du désir du moment.
04:46La fonction du politique,
04:48ne l'oublions pas,
04:49c'est aussi de protéger
04:50l'homme de lui-même.
04:51J'entends par là
04:52la tentation de l'homme,
04:53c'est l'espèce de régression
04:54permanente dans l'adolescence.
04:56Je voudrais que tous mes désirs
04:57deviennent des droits.
04:58Ce que j'appelle
04:59la conversion des désirs en besoins,
05:01les besoins en droits
05:02et les droits en droits fondamentaux.
05:03Le désir absolu,
05:05que rien n'entrave mon désir,
05:07que rien n'entrave
05:07ma pulsion du moment.
05:09Ça, c'est l'être humain
05:09tel qu'il est.
05:10On pourrait dire,
05:10c'est notre part adolescente.
05:12Le politique,
05:13dans sa meilleure part,
05:14consiste à poser les digues,
05:16protéger les digues,
05:17faire en sorte
05:18que l'homme ne s'abîme pas
05:19lui-même,
05:20que l'homme ne se transforme,
05:21que ce croyant
05:22se prendre pour Dieu
05:23et faire le paradis sur Terre,
05:25il fait l'enfer sur Terre.
05:26On est dans une société,
05:27hélas,
05:28où le politique
05:29détruit les digues,
05:30détruit les murs porteurs,
05:32détruit les fondements
05:33de la société
05:33croyant libérer l'individu.
05:35Mais je l'ai dit,
05:36je ne suis pas certain
05:36que cette société
05:37soit celle de l'émancipation,
05:38de la liberté,
05:39peut-être un peu
05:39de temps en temps
05:40d'en faire sur Terre.
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