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  • il y a 4 jours
Dans son édito du 03/07/2025, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]

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Transcription
00:00Aujourd'hui, il n'y a plus vraiment d'angoisse, Mathieu Bocoté, puisque la réussite pour tous est à peu près assurée et c'est dans un contexte où, paradoxalement, le niveau s'est généralement affaissé.
00:11Comment expliquer, Mathieu, ce paradoxe?
00:13Alors, c'est tout à fait passionnant, en effet. D'un côté, réussite pour tous, donc c'est distribué à la manière d'un certificat d'assiduité le bac.
00:21Et de l'autre côté, on constate, effectivement, que le niveau, j'y reviendrai, le niveau des évaluations, en fait, ce qui est attendu, le savoir évalué, c'est toujours de plus en plus à la baisse.
00:32Alors, qu'est-ce qu'on voit à travers ça? D'abord, c'est donné par le Figaro ce matin, on a deux points de comparaison dans l'histoire.
00:381995, c'est il y a 30 ans. En 1995, le taux de réussite au bac était de 74,9 %, donc 3 sur 4 pour l'essentiel.
00:47En 2024, il était de 91,2 %. Autrement dit, plus de 9 personnes sur 10 obtiennent le bac.
00:56Et dans la filière générale, c'est encore plus. C'est compensé un peu par la filière professionnelle, où on l'obtient un peu moins facilement,
01:02parce que quelquefois, peut-être, devrait savoir à évaluer.
01:05Alors, qu'est-ce qu'on voit? En 30 ans, autrement dit, on a une forme de généraliser, non seulement la possibilité de s'éduquer, d'aller dans le système scolaire jusqu'au bout de soi-même,
01:16mais c'est une forme de distribution automatique du baccalauréat, à la manière, vous l'avez dit, d'une forme de rituel de passage dans l'âge adulte.
01:24Le bac, on l'obtient presque automatiquement.
01:26Donc, de ce point de vue, le bac ne marque plus une forme de réussite, on le distribue à la manière d'un présent, une forme d'un prix de présence.
01:36Vous avez été à l'école, vous avez bien travaillé, mal travaillé.
01:39Mais l'essentiel n'est pas là, parce que sinon, ce serait une discrimination, une exclusion, si vous ne l'obteniez pas.
01:45D'ailleurs, c'est assez intéressant, qui n'a pas le bac aujourd'hui, est considéré globalement, sauf exception, comme un taré.
01:51C'est-à-dire, celui qui n'a pas le bac, franchement, il faut vraiment avoir une espèce de demi-raisin vert dans la tête pour ne pas l'obtenir, sauf exception.
01:57Je ne parle pas de Marc, je pourrais.
02:00Marc, la vente-bac.
02:02Marc a la grappe au complet.
02:03Mais ce qui est assez intéressant, autrement dit, c'est qu'on tient pour acquis, autrement dit, que tout le monde l'aura.
02:10Et ceux qui ne l'ont pas sont vus comme des tarés ou des ratés.
02:13Dès lors, il faut le distribuer à tous presque de manière obligatoire sur le mode du socialisme scolaire.
02:20D'autant, ne l'oublions pas, que la réussite est une idée bourgeoise.
02:23La réussite, le mérite, c'est une idée bourgeoise.
02:26Donc, il faut être capable de briser l'illusion du mérite individuel.
02:30Parce que si vous avez le bac, autrefois, c'est parce que vous étiez porté par un milieu familial qui vous préparait correctement aux études.
02:38Dès lors, il y avait des inégalités.
02:40Nous voulons, une chose plus que tout, détruire les inégalités.
02:43Et comment réussit-on à déconstruire les inégalités en France et ailleurs ?
02:47On coupe ce qui dépasse.
02:48Alors, il y a évidemment l'enjeu qui est le suivant.
02:50Comment faire en sorte que tous, alors que le niveau général s'affaisse, et les études le confirment de mille manières,
02:58on pourrait dire la norme de culture générale aujourd'hui, par rapport à il y a 30 ans et plus encore il y a 50 ans, 60 ans,
03:05la norme en matière de culture générale s'est complètement effondrée.
03:08Donc, dans quel contexte on obtient le bac aujourd'hui ?
03:12Eh bien, c'était aussi dans le Figaro ce matin, on le disait, les attentes au moment de l'évaluation ont baissé encore plus ces dernières années.
03:19Par exemple, on invite les professeurs à ne pas porter une attention exagérée dans le cadre de l'oral, une mauvaise maîtrise de l'oral.
03:26Détail parmi d'autres.
03:28L'orthographe doit être relativisée.
03:31Pourquoi ? Parce que c'est un marqueur, encore une fois, d'inégalités sociales.
03:35Dans une dissertation, eh bien, on vous demande dans les exigences formelles,
03:39vous savez, introduction, développement, conclusion. L'essentiel, c'est qu'on se comprenne, disons ça comme ça.
03:44Donc, les cadres habituels qui permettaient d'évaluer une dissertation d'une manière ou d'une autre, un texte,
03:48eh bien, on se dit que c'était trop élevé, donc il faut ramener ça toujours à la baisse.
03:52Et plus on ramène ça à la hauteur du plancher, en quelque sorte, plus il est facile d'obtenir le bac.
03:57Donc, c'est dans ce contexte, autrement dit, que pour faire en sorte que tous puissent avoir le bac,
04:01il fallait faire en sorte de ne lui donner aucune valeur, tout en conservant son prestige relatif dans la société,
04:06pour se dire, oui, j'ai le bac, donc j'ai au moins réussi quelque chose.
04:08Donc, on est dans une forme de production d'illusions, ce que révèle le grand succès au bac,
04:14c'est l'autre nom, en fait, c'est l'effondrement de la culture, l'effondrement de la culture générale,
04:17l'effondrement du niveau scolaire.
04:19Bien bien, production d'illusions, mode du socialisme scolaire, j'adore vos expressions.
04:25Quelle est l'histoire, Mathieu, l'histoire de cette régression ?
04:27Alors, je pense qu'on est vraiment dans le point de départ, c'est véritablement,
04:31cette pathologie de l'esprit qui est l'égalitarisme.
04:33Cette idée que tous ont droit à la même chose.
04:36C'est assez simple. La véritable égalité, c'est, vous avez tous le droit,
04:41quelle que soit votre naissance, d'entrer en compétition pour obtenir quelque chose qui a de la valeur.
04:45Mais vous n'avez pas un droit à l'égalité de résultat.
04:48L'égalité de résultat, normalement, c'est truqué.
04:52La partie, par définition, il y aura des gagnants, des perdants, des gens plus doués, des gens moins doués.
04:56Par ailleurs, quelqu'un de très doué dans un truc peut être tout à fait nul dans un autre domaine,
04:59et ainsi de suite, la vie se compose ainsi.
05:01Donc, il y a une forme d'égalitarisme fou qui nous a amenés à vouloir redistribuer des biens symboliques gratuitement.
05:07Parce qu'évidemment, c'est plus facile de distribuer le bac pour tout le monde
05:09que de monter le niveau de tous véritablement.
05:12Donc, plutôt que de faire en sorte que chacun doit faire un effort pour obtenir le bac,
05:16on va le distribuer à tous.
05:17Comme ça, on calme un peu les revendications des uns des autres.
05:20Mais il y a aussi là-dedans, je crois, un véritable mépris pour la culture.
05:23Et ça, je pense que la dévaluation de la culture générale comme référence identitaire,
05:28comme référence civilisationnelle, comme référence culturelle,
05:31est l'élément central des 50 dernières années.
05:34Alain Finkielkraut, que je vais me citer...
05:36Réplique.
05:37Ah bien, exactement, mais pas seulement, la défaite de la pensée.
05:40Pilleure émission de...
05:42Oui, oui.
05:43Ah mais si Gabriel faisait un partenariat Boulevard Voltaire et Réplique, ça serait pas mal.
05:48Alors, j'y reviens.
05:49Non, mais je dis pour Charlotte et pour les téléspectateurs,
05:51c'est-à-dire qu'il a régulièrement cité Alain Finkielkraut.
05:54Avec raison, je pense que quand on a un philosophe de qualité sur le service public, on le fait.
05:58On le cite.
05:58Or, Finkielkraut écrit en 1987, La défaite de la pensée.
06:03La défaite de la pensée, c'est un livre où il s'inquiète des effets du mot culture sur nos sociétés.
06:09Parce que la culture, autrefois, disons-le de manière simple,
06:11c'était la culture classique, c'était la littérature, c'était la grande musique, la musique savante,
06:14c'était la peinture savante, et ainsi de suite.
06:16Et là, on est dans les suites, en fait, de 68, justement,
06:20et on se dit que toute expression culturelle doit être légitimée.
06:24Dès lors, un tag vaut une peinture,
06:27le dernier truc de rap vaut la grande musique,
06:30l'écriture spontanée, on dirait aujourd'hui sur les réseaux sociaux,
06:34vaut les plus grands textes de la littérature,
06:36parce qu'on ne veut pas, encore une fois, discriminer.
06:39On ne veut pas exclure.
06:41On ne veut pas dire, ça, c'est objectivement meilleur et plus valorisant,
06:44et ça permet davantage de construire l'âme, de construire la personnalité,
06:47que telle autre production culturelle.
06:49Parce qu'on ne veut pas dire, autrement dit,
06:50les borborygmes des uns des autres valent probablement
06:53les plus grands textes qu'on peut connaître,
06:55les plus grandes chansons qu'on peut connaître.
06:57Pourquoi ? Parce qu'il ne faudrait pas, encore une fois, hiérarchiser.
07:00Donc, à partir de là, l'idée même de culture générale,
07:03qu'on doit transmettre à l'école, l'idée même de culture forte,
07:05perd en valeur.
07:06L'essentiel, c'est d'exprimer son soi-même intérieur.
07:08En ce qui a d'ailleurs, soit dit ça en passant,
07:09on a connu ça des deux côtés de l'Atlantique.
07:11On nous disait, l'essentiel, ce n'est pas de savoir.
07:14L'essentiel, c'est d'exprimer qui tu es vraiment.
07:16Ce qui est la pire chose qu'on peut dire à quelqu'un,
07:18parce que pour la plupart d'entre nous,
07:19nous ne sommes à peu près rien sans le travail de la culture,
07:22sans le travail des œuvres, sans le travail de la passion, du savoir.
07:25Si on exprime simplement notre soi-même intérieur,
07:27c'est un petit vide qui va s'exprimer à la manière d'un petit roux.
07:29Quoi qu'il en soit, j'y reviens,
07:32la culture a été dévaluée.
07:35Et non seulement elle a été dévaluée,
07:36mais elle a aussi été diabolisée.
07:38Et ça, c'est important.
07:39On s'est dit, la culture, c'est la thèse de Bourdieu,
07:41la culture est un marqueur de classe aux avantages de la bourgeoisie.
07:45Donc, connaître ses références historiques,
07:46connaître ses références culturelles, musicales, tout ça,
07:49en fait, c'est un instrument que la bourgeoisie utilise
07:52pour dire, je suis meilleur que vous,
07:54le pauvre, le gueux,
07:55qui n'est pas à la hauteur de ses références culturelles.
07:57Donc, plutôt que de se dire,
07:59ce qui aurait été une idée qui a du sens,
08:00tous doivent avoir accès à ce patrimoine de civilisation,
08:03nous nous sommes dit,
08:04il faut détruire ce patrimoine de civilisation.
08:08D'autant que ça, c'est les 30 dernières années,
08:10on a ajouté ce patrimoine de civilisation.
08:12Est-ce que, par ailleurs, il n'est pas xénophobe,
08:14raciste, transphobe ces dernières années, homophobe?
08:16Est-ce que cette civilisation occidentale
08:18mérite d'être poursuivie?
08:19Est-ce qu'elle vaut vraiment la peine d'être poursuivie?
08:21Donc là, on a eu cette idée
08:22qu'il fallait arracher l'enfant
08:24à cette transmission du savoir
08:26pour qu'il construise lui-même son propre savoir,
08:29souvent, d'ailleurs, à l'aide des nouvelles technologies
08:31qui étaient censées repenser complètement à l'école.
08:33Vous pouvez sacrifier la mémoire,
08:35Google est là pour vous.
08:36Vous pouvez sacrifier la bibliothèque,
08:37Internet est là pour vous.
08:39Le résultat, c'est que ça fait des enfants
08:40complètement écranisés, ne l'oublions pas.
08:43Et à travers ça, il y a un autre élément
08:44qu'on doit mentionner,
08:45c'est que les sciences de l'éducation
08:46ont pris une part très importante
08:48dans les études supérieures.
08:51Et les sciences de l'éducation nous disaient une chose,
08:54l'essentiel n'est pas de savoir,
08:55cette culture est artificielle,
08:57l'essentiel, c'est d'apprendre à apprendre.
08:59Mais si vous n'accumulez pas
09:05un véritable savoir à travers cela,
09:07vous devenez une forme de répétiteur
09:08de la mode du jour.
09:10Est-ce que vous êtes en train de nous dire
09:11que l'éducation nationale ment ?
09:14Oui, elle nous ment.
09:16Lorsqu'elle nous dit,
09:17regardez, 90 % du taux du bac,
09:19c'est formidable,
09:20on n'a jamais une génération aussi cultivée.
09:23C'est un mensonge,
09:24mais ce n'est pas seulement un mensonge,
09:25en fait, on soviétise dans les circonstances.
09:27Qu'est-ce que ça veut dire, soviétiser ?
09:29C'est-à-dire construire une réalité statistique,
09:31administrative, artificielle,
09:33pour donner l'impression,
09:34on crée un monde parallèle.
09:35Potemkin.
09:36Exactement, c'est le monde Potemkin.
09:37Exactement, c'est l'école Potemkin.
09:39Donc, il y a une déconnexion de la réalité
09:41et le discours public.
09:44Alors ça, soit dit en passant,
09:45ce n'est pas vrai seulement pour l'éducation.
09:48Moi, je fais le lien un peu,
09:49on dit qu'il y a des Français de papier,
09:51c'est-à-dire des Français qui ont été produits
09:52par la machine administrative à produire du français
09:54sans que ça soit ancré dans une assimilation réelle,
09:57une identité réelle.
09:58Eh bien, on crée aujourd'hui des bacheliers de papier,
10:00en quelque sorte.
10:01On crée des diplômés de papier.
10:03Ils ont le diplôme,
10:04mais qui ne consacrent pas un véritable savoir.
10:07Donc, on fabrique un monde en toc,
10:08à bien des égards,
10:09mais le réel finit toujours par se venger.
10:11Je terminerai avec ça.
10:12Une société qui décide de créer une forme
10:14d'artifice de savoir public,
10:16qui ne veut rien dire.
10:17Eh bien, les gens passent par le détour,
10:19l'école libre,
10:19l'école hors contraire le plus possible.
10:21Quand l'école,
10:22quand l'insécurité, par exemple,
10:24on nous dit « tout va bien »,
10:25eh bien, on fuit ailleurs,
10:26là où on sait que ça va un peu mieux.
10:27Et en matière d'identité,
10:28quand on nous explique que la patrie
10:30n'est que valeur républicaine,
10:31c'est le retour des identités plus profondes,
10:33parce qu'on ne peut pas toujours nier le réel.

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