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  • 05/03/2023
Philippe Claudel était l'invité de Totémic le 2 mars 2023 pour son livre "Crépuscule". Pour sa carte blanche, il adresse une lettre à Vladimir Poutine
Emission en intégralité : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/totemic/totemic-du-jeudi-02-mars-2023-3970433
Transcription
00:00 ne serre plus les mains depuis un an déjà. Tu te tiens à distance, les autres sont
00:03 ton loin, tu ne les frôles plus, ils ne te touchent pas. Ta seule compagnie est ta peur
00:08 qui grandit, elle est pour toi comme une peau nouvelle. Tu ne peux t'en défaire et tu
00:12 ne peux t'en plaindre. Après tout, c'est toi seul qui l'a fait apparaître. Tu hésites
00:18 à boire un simple verre d'eau, à prendre dans une assiette au bout de ta fourchette
00:21 un peu de nourriture, tu exiges qu'avant toi on goûte ce qu'on te sert. Tu es malade
00:26 et tu le sais, mais tu ne veux pas avaler les pilules des médecins. Et lorsque tu te
00:29 laves les mains, tu ne t'essuies jamais. Tu sais trop bien comment on peut faire mourir
00:34 par un tissu, un linge, un rien. Autour de toi, beaucoup attendent ta mort et même ceux
00:40 qui te sourient et t'obéissent encore rêvent de ton corps froid, de tes yeux clos, de tes
00:44 lèvres cousues. Le soir, tu te barricades dans ta chambre, tu crains de t'endormir,
00:49 tu crains que tes gardes du corps soudain portent bien mal leur nom. Tu somnoles quelques
00:53 heures, dormir c'est mourir, ta peur est ton drap blanc, tu t'en mitoufles en elle,
00:58 elle t'opprime et t'étouffe, tu es sa créature. Tu sais, sans oser te le dire,
01:03 que tu finiras mal, comme tous ceux à qui tu ressembles, pendu à un croc de boucher,
01:07 crevé de balles ou de coups de couteau, égorgé, battu, décapité, empoisonné ou bien enfermé
01:12 dans une cage après ton jugement jusqu'à ta mort lointaine. Tu sais tout cela et ta
01:16 peur augmente encore, ton ventre gargouille, ta gorge s'assèche, tu te taires, tu te
01:21 caches. Tu survis dans un train fantôme sans vitre et sans lumière, dans un trou blindé,
01:26 avant béton. Tournent autour de toi, en une ronde incessante, les âmes des milliers de
01:32 morts, enfants, femmes, hommes, vieilles gens, jeunes soldats, à qui ta folie a fait passer
01:38 le fleuve et dont les ongles bleus sous la terre du crène éraflent sans cesse ton cerveau
01:43 et tes nerfs. Ton nom carrié pourrira à jamais dans les livres d'histoire, aux côtés
01:48 d'autres fous. Plus tard, il sera une insulte, un crachat, tu auras une postérité d'étron.
01:54 On fêtera ta mort, on dansera sur ton corps, même les incroyants espéreront un dieu devant
01:59 lequel tu auras à implorer, à frapper ta poitrine, à tout couvrir de cendres. Mais
02:04 on n'en est pas là, pas là encore. En attendant, débrouille-toi, Vladimir, petit,
02:11 très petit homme encouillonné de trouilles, qui a voulu jouer au grand et qui a tout perdu,
02:16 qui feint d'être serein et qui tremble en cachette.
02:19 [Musique]
02:26 [SILENCE]

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