00:00Bienvenue à l'heure des livres, Marie-Dominique Lelievre, vous êtes journaliste, vous êtes écrivain, vous avez écrit de nombreux livres,
00:08des essais biographiques consacrés à des personnalités comme François Zardy récemment, Coco Chanel, Brigitte Bardot, Yves Saint-Laurent,
00:15et aussi François Sagan, c'est d'ailleurs pour ça qu'on vous reçoit en marge de la réédition de votre livre Sagan, à toute allure, paru chez De Noël.
00:24C'est un livre qui est réédité à l'occasion du 90e anniversaire de l'auteur de Bonjour Tristesse.
00:31Alors ce qui est étonnant quand on y repense, c'est un très joli livre qui est assez personnel, en fait, c'est pas une biographie classique,
00:39c'est de voir que Sagan n'est pas resté uniquement comme écrivain dans la mémoire collective.
00:45Comment vous expliquez ça ? C'est un style de vie, c'est pas seulement un écrivain ?
00:49En fait, elle correspond, si vous voulez, son apparition et les livres, et surtout Le Bonjour Tristesse, par exemple, qu'elle écrit,
00:57sont le très très bon reflet de la mentalité d'une société à un instant donné.
01:02Elle arrive, en fait, au moment de la nouvelle vague, et il y a toute une génération de jeunes gens, en fait,
01:08qui démarrent au même moment et qui sont nés dans les mêmes années.
01:1134, 35, Yves Saint-Laurent, Brigitte Bardot, elle, et puis évidemment tout le cinéma de la nouvelle vague.
01:17C'est une génération de gens qui étaient enfants pendant la guerre, qui sont des gens neufs, qui n'ont pas de passé,
01:24qui n'ont pas de casserole, et que la société va promouvoir.
01:29Et comme son livre, Bonjour Tristesse, ça se déroule pendant les vacances, ça se déroule l'été,
01:35donc son image à elle est totalement mêlée à la fois à l'idée de jeunesse, à ce qu'elle est réellement,
01:41elle a 19 ans quand le livre est publié, 18 ou 19 ans, et puis à l'été, aux vacances, à Saint-Tropez, voilà.
01:48Donc ça l'a suivi toute sa vie, en fait.
01:52Alors ce qui est amusant, c'est que ce livre, c'est un livre qu'elle est ludoscope,
01:54vous vous donnez vos propres impressions, vous, votre vie avec sa gante, d'une certaine façon,
01:59mais surtout vous avez eu accès à des documents jusque-là confidentiels,
02:04vous avez rencontré ses amis, Bernard Franck, certains ne sont plus sa compagne,
02:08mais aussi sa banquière, sa pharmacienne, et en fait, parce qu'il y a quelque chose qui ressort,
02:14c'est qu'elle ne supportait pas la solitude, ah oui, et puis Florence Malraux, pardon,
02:17qui est dédiée à ce livre, elle avait peur de la solitude.
02:22Oui, c'est très étonnant, elle ne supportait pas du tout d'être seule.
02:27C'est bien qu'elle a connu énormément de gens, et mon livre, en fait,
02:30bon, il est probablement un peu personnel, comme le sont beaucoup de livres,
02:33mais c'est un livre d'enquête, c'est vrai, j'ai rencontré énormément de gens à l'époque,
02:38mais d'autant plus de gens qu'elle-même ne supportait pas d'être seule,
02:41même à la fin de sa vie, même si elle est morte un peu seule,
02:45mais c'est ce que m'avait dit Florence Malraux dès le début de cette enquête,
02:49en fait, Florence Malraux était la première personne que j'ai rencontrée,
02:53et elle m'avait dit...
02:53Une amie chère ?
02:54Oui, une amie très chère, une amie d'enfance, elle s'était connue à l'école, enfin au lycée,
02:59et Florence disait, oui, son problème, c'est qu'elle ne supportait pas d'être seule.
03:02Au début, je ne comprenais pas très bien ce que ça voulait dire,
03:04mais ne pas supporter d'être seule, ça veut aussi dire parfois être en mauvaise compagnie.
03:09Oui, c'est ça.
03:09Pourquoi d'ailleurs avez-vous dédié le livre à Florence Malraux ?
03:13C'était il y a longtemps, je l'ai fait parce que, en fait, je ne la connaissais pas avant de commencer ce livre,
03:20et que dès notre première rencontre, elle m'a énormément soutenue, énormément aidée,
03:25elle m'a ouvert toutes les portes, en fait, elle m'a donné son carnet d'adresse,
03:28mais lorsque j'appelais les gens, elle l'avait déjà prévenu.
03:33Donc, en fait, il n'y avait pas de travail à faire, les portes s'ouvraient, il suffisait d'organiser des rendez-vous, vous voyez.
03:39Et après, elle m'a soutenue tout le long de l'écriture, quand j'avais des intuitions, je pouvais les confronter,
03:43si je me trompais, elle pouvait rectifier le tir, et puis je m'en suis rendue compte, évidemment, après,
03:51et ça, c'est ce que je raconte dans le bonus, dans la post-face, mais c'était un personnage assez extraordinaire.
03:55Qui était donc la fille unique d'André et de Clara Ballon.
03:59Oui, vous avez raison, de Florence et de Clara et d'André, oui.
04:05Alors, ce qui est intéressant, c'est que vous n'en faites pas une...
04:08Enfin, au moins, je ne l'y vais pas, vous ne cachez pas certains côtés un peu plus sombres, un peu plus durs.
04:14Par exemple, la première rencontre, vous racontez comment...
04:16Ce n'est pas une déchance, mais oui, elle ne va pas bien, tout le monde le voyait dans sa fin de vie,
04:21elle se laisse un peu aller, elle a déjà un gilet troué, elle écrase sa cigarette à côté du cendrier.
04:26Vous parlez aussi, dans ce livre, de ses addictions diverses et variées.
04:33C'était constitutif de ce qu'elle était, en fait, ces addictions qui, pour certaines, étaient nées après son accident de voiture.
04:40Oui, en fait, la pauvre, l'addiction, je ne dirais pas qu'elle est née avec l'addiction, pas du tout,
04:46mais elle a eu, très vite, elle rencontre un succès colossal avec l'apparution de Bonjour Tristesse,
04:52qui est donc un best-seller, elle en a vendu plus d'un million quand même.
04:55Elle s'achète une Aston Martin, c'était une lourde voiture anglaise, beaucoup trop lourde pour elle,
05:02elle ne pesait même pas 50 kilos, peut-être 40 kilos, au fond, 45, je ne sais pas.
05:06Et la voiture se retourne sur elle, elle est brisée et elle va rester hospitalisée près d'une année et sous drogue, en fait.
05:16Et c'est là que l'addiction va commencer.
05:18Bon, elle sort, elle réussit à se passer de la drogue, mais elle devient, disons, alcoolique.
05:25Oui, elle a été alcoolique, mais après, elle arrivait à se passer de la boisson, mais c'était la drogue.
05:32Et la fin de sa vie, elle aimait beaucoup la coke.
05:35Oui, c'est ça.
05:36Pourquoi Sagan, ce sera ma dernière question, demeure-t-elle une héroïne contemporaine, finalement, si contemporaine ?
05:43C'est étonnant.
05:44Je me suis un peu posé la question, justement, parce que j'ai vu que sur Instagram,
05:47les petites vidéos avec Sagan recevaient énormément de likes,
05:50notamment celles dans lesquelles un journaliste très sérieux des années 60,
05:55vous voyez le costume, la cravate et tout, lui dit,
05:57« Mais pourquoi vous bâclez autant vos livres ? »
06:02L'écriture, c'est un métier sérieux.
06:05Et elle le regarde avec cette espèce d'air assez malicieux.
06:08Et elle lui dit « Oui, mais je suis sérieusement paresseuse ».
06:12Et je pense qu'il y a ça, cette espèce de fraîcheur qui reste.
06:19Les livres eux-mêmes, je pense que c'est vraiment des marqueurs d'une époque.
06:21Ils ne peuvent pas du tout provoquer la même chose chez les jeunes lecteurs.
06:25Ils n'ont rien de scandaleux pour un garçon ou une fille de 17 ou 18 ans aujourd'hui.
06:30Mais ils conservent une certaine fraîcheur, une certaine vivacité.
06:35Et puis, en plus, je pense que les gens très jeunes sont bluffés à l'idée
06:38qu'une fille de cet âge-là ait écrit ce livre-là.
06:43En tout cas, je vous conseille de lire ce livre.