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Mercredi 2 juillet 2025, retrouvez Michel Barabel (Professeur affilié à Sciences- Po EE) dans PÉRIODE D'ESSAIS, une émission présentée par Cem Algul.

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Transcription
00:00Vous regardez Période d'essai, j'ai le plaisir de recevoir Michel Barabel qui est co-auteur
00:12avec Pascal Levé et Thierry Théboule de En finir avec les idées fausses sur le management dans la
00:16culture publié aux éditions de l'atelier. Michel bonjour. Bonjour. Pourquoi avoir voulu
00:22En finir avec les idées fausses sur le management dans la culture ? Alors je vais quand même rendre
00:27à César l'initiative de ce projet. On sait que dans le secteur de la culture on a eu quand même
00:32quelques années un peu chaotiques, des scandales, des mythocultures, des crises d'évocation, des
00:38interrogations sur la façon dont ces organisations fonctionnaient. Et donc Thierry Théboule, mon
00:42co-auteur, qui est le directeur général de l'AFDAS, qui est l'opérateur de compétences du secteur de la
00:47culture, a voulu initier un chantier en partenariat avec le ministère de la culture et le Nouvel Ops.
00:52Et puis au bout de ce chantier, qui réunissait une vingtaine de personnes, des directeurs de lieux,
00:57des chercheurs, des gens du ministère, on s'est dit qu'il fallait transformer tout ce travail en
01:02ouvrage. Et en particulier, peut-être qui empêchait le secteur de la culture de progresser sur les
01:08sujets de management. C'étaient les idées reçues qu'elles se faisaient sur le sujet qui la poussait à
01:13caricaturer le management et donc à ne pas l'adopter. Alors justement, qu'est-ce que révèle cette méfiance
01:18historique du monde de la culture envers le mot management et la pratique du management ?
01:23Je pense qu'on a d'abord un débat idéologique. Si on se positionne au XVIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècle,
01:31il y a les valeurs de la culture. C'est l'artiste maudit, il est hors de la société. Et pour lui,
01:36la société marchande des bourgeois, c'est finalement une société qui le rejette en présupposant que les
01:42valeurs artistiques sont supérieures aux valeurs marchandes. Donc rejeter le management,
01:46c'est déjà rejeter une société dans laquelle on ne se reconnaît pas, une société de la
01:51marchandisation, de la financiarisation. Il y a une deuxième idée, c'est sans doute que le
01:57management, ça limite la créativité. C'est-à-dire mettre un cadre managérial des outils de gestion,
02:03ça va rendre l'artiste banal et ça va l'empêcher d'exprimer tout son potentiel artistique.
02:08C'est les deux principales raisons qu'on peut identifier.
02:10L'un des chapitres évoque l'idée que les artistes ne savent pas gérer. Qu'est-ce que vous répondez
02:16à cette formule ? C'est vrai que c'est un bouquin sur les idées reçues, donc on cherche à les
02:20déconstruire, même si elles peuvent être parfois vraies à 10, 20, 30, 40, 50 %. Derrière cette idée,
02:26il y a l'idée reçue très fréquente qu'un artiste est par nature ingérable. Donc comment pourrait-on
02:34lui demander de gérer des gens, sachant que lui-même ne se gère pas à lui-même ? Il y a aussi une
02:38incompétence dans les chiffres et la finance, voire un rejet des maths, des chiffres et de
02:43la finance. Et donc par principe, un artiste, il exploserait ses budgets, il s'intéresserait
02:48peu à l'organisation. Sa seule focalisation, ça serait l'œuvre.
02:53Vous remettez aussi en cause le cliché selon lequel le charisme suffit dans la culture pour
02:59manager. Qu'est-ce que cela implique concrètement ?
03:02C'est vrai que le charisme, c'est un trait de personnalité de nature innée. Donc on l'a ou on ne l'a pas.
03:08Et a priori, contrairement au leadership ou au management, ce ne sont pas des compétences
03:12qu'on va pouvoir développer. Ça transforme le secteur de la culture dans un secteur assez
03:17segmenté avec d'un côté des dieux vivants, des super-héros. C'est l'artiste qu'on admire
03:22pour son génie créatif, c'est le metteur en scène qui a une vision. Puis des humains qui
03:27seraient toutes les autres personnes qui fonctionnent dans l'organisation. Et en organisant des relations
03:31de type très parent-enfant, on va peut-être limiter cette capacité à construire des environnements
03:36bienveillants, sécurisants, qui permet à tout le monde de s'épanouir.
03:40Alors, le monde de la culture fonctionne beaucoup selon la logique du projet. Est-ce que c'est
03:47une complication en plus pour la mise en place de pratiques managériales efficaces ?
03:51Déjà, on peut constater que le mode projet se généralise partout et qu'on pourrait
03:55presque dire que le monde artistique a été précurseur dans sa capacité à structurer
03:59une organisation en fonction d'un objet qui peut être une nouvelle pièce de théâtre,
04:03une oeuvre, un festival. Et en tant que tel, le projet par nature, il y a un casting
04:11et ensuite il y a une aventure de quelques semaines, de quelques mois, si on est sur
04:16un best-seller de quelques années. Et finalement, tout s'arrête et on va redémarrer un autre
04:20projet. Et on ne va pas forcément être capable de capitaliser sur les bonnes pratiques et
04:25les erreurs puisqu'on repart finalement de zéro. Donc c'est vrai qu'un peu comme dans
04:30ces métiers saisonniers, il y a cette difficulté à progresser dans la durée de manière incrémentale
04:35sur un objet qui s'appelle le management qui nécessite finalement du temps et finalement
04:40du recul pour pouvoir à un moment se forger des principes et des postures qui font du bien
04:45aux gens avec lesquels on bosse.
04:47Alors justement, vous écrivez que le management dans la culture, c'est la part ingrate,
04:51c'est l'expression que vous utilisez. Comment est-ce qu'on pourrait réhabiliter
04:54cette fonction ?
04:56Oui, par ingrate parce que forcément, chez beaucoup d'articles, c'est « Oh mon Dieu,
05:00je sais que j'ai besoin d'eux, mais c'est l'équivalent dans le monde de l'organisation
05:05de faire un reporting ou un entretien annuel d'évaluation ». On me l'a demandé, mais
05:08je déteste ça si on se met dans la position des managers de l'organisation traditionnelle.
05:13Donc il y a quand même un enjeu à démontrer aux artistes et aux managers du secteur de
05:18la culture qu'au lieu d'être une part ingrate, c'est au contraire un cadre qui pourrait
05:23améliorer leur capacité créative, leur capacité à mener des projets jusqu'à
05:27leur terme, leur capacité à fidéliser, à faire aimer le métier aux différentes
05:31personnes. Donc moi, je pense, mais ça me permet peut-être de rebondir sur une chose
05:36qui est importante, c'est que soit on n'a pas de management parce qu'on le rejette
05:40totalement dans le secteur de la culture, soit on a trop de management, c'est-à-dire
05:45qu'on va importer des modèles anglo-saxons qui ont été construits dans d'autres
05:48univers en les pluggant. Et donc on a quand même un rapport ambivalent, c'est « Je te
05:52déteste ou je t'admire ». Et donc l'idée de l'ingratitude, c'est de se dire plutôt
05:59que de transformer une contrainte, enfin c'est de transformer une contrainte en opportunité
06:03et d'en faire quelque chose qui va plutôt améliorer les situations que de devenir
06:07quelque chose de néfaste.
06:08Est-ce qu'on pourrait avoir une description brève de ce modèle anglo-saxon ?
06:12Oui, alors en fait, le management, quand on regarde, il y a une version latine et une
06:17version anglo-saxonne. Dans la version anglo-saxonne, c'est créer les conditions de la
06:22performance à cœur terme. Et donc de mettre en œuvre tout un ensemble de bonnes pratiques
06:26et de boîtes à outils pour attirer, recruter, engager, développer.
06:31Donc c'est vrai que c'est très instrumental et c'est très orienté vers la production
06:34d'une valeur économique. Dans la version latine, qui s'inspire d'ailleurs des manèges
06:41de chevaux au Moyen-Âge, il y a cette idée que manager, c'est prendre soin des autres.
06:47C'est permettre à quelqu'un de travailler toute sa vie sans tomber malade.
06:51C'est savoir construire des aventures collectives épanouissantes qui créent plus d'externalités
06:57positives pour l'individu que négatives.
06:59Donc c'est nettement moins instrumental. L'objet est beaucoup plus social, sociétal
07:03et collectif. Et donc c'est vrai que dans l'ouvrage, on plaide plutôt pour du management
07:08dans la culture, mais dans la version latine, plutôt que sur l'importation d'un management
07:14anglo-saxon qui pourrait générer beaucoup de dégâts par son approche trop instrumentale.
07:19Quels sont les leviers que vous proposez pour accompagner une professionnalisation
07:23manageriale sans trahir la singularité artistique que vous évoquiez au début de l'entretien ?
07:29Donc surtout pas de prête à penser de mode managérial de copier-coller.
07:33L'idée c'est vraiment l'hybridation. Autrement dit, se poser la question de la façon
07:38dont on va pouvoir, dans une organisation culturelle, tirer le meilleur parti des approches
07:44managériales pour construire des cadres, des postures, des principes qui deviennent
07:49des terrains de jeu épanouissants pour les compétences et les dimensions artistiques.
07:55Donc c'est forcément de l'apprentissage par petits pas, c'est forcément une réflexion
08:01très singulière et spécifique à un contexte et à un lieu, mais c'est aussi presque
08:07un raisonnement du type, pourquoi vous coupez-vous de tout un ensemble de pratiques et d'approches
08:13qui limitent le potentiel créatif et le potentiel humain de vos organisations culturelles ?
08:19Est-ce que vous aurez des exemples d'organisations qui fonctionnent bien en France ?
08:24En fait, il y en a plein, mais elle nous amène à nous dire qu'en management, il n'y a pas
08:32un bon modèle qui fonctionne dans tout type d'organisation. Alors que c'est l'approche
08:37anglo-saxonne, l'approche taylorienne historique et qui reproduit, c'est nous avons trouvé la
08:41meilleure solution pour booster votre performance, pour attirer les meilleurs et ainsi de suite.
08:46Donc c'est plutôt cette idée, et à ce moment-là il y a plein de lieux, de personnes
08:51qui vont avoir une... ça m'ennuie de citer des gens parce que c'est mettre un projecteur
08:56sur une organisation plutôt qu'une autre, mais ce que je disais un petit peu tout à
09:00l'heure, c'est un, pourquoi ne pas me former et faire un diagnostic exhaustif de tout ce
09:06que me proposent les façons intéressantes qui ont émergé depuis 150 ans dans le management
09:11moderne, temps un, pour dans un deuxième sens se dire qu'est-ce que je garde, qu'est-ce
09:15que je transforme, qu'est-ce que j'invente et qu'est-ce que j'hybride avec ce que je suis.
09:19Et donc on le voit, il y a des organisations culturelles dans lesquelles on a des directeurs
09:24qui sont là depuis 5 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans, qui arrivent à tripler leur chiffre
09:28d'affaires ou alors qui arrivent à être primés et à créer des oeuvres qui sont absolument
09:32exceptionnelles.
09:33Il y en a d'autres où il y a des démissions à répétition, des scandales, des burn-out,
09:38des problèmes de santé.
09:39Et donc c'est assez facile d'identifier celles qui ont su finalement tirer le meilleur
09:44parti du cadre managérial pour créer des environnements sécures et positifs pour les
09:49gens.
09:50Donc finalement, les organisations dont on n'entend pas parler sont a priori celles qui
09:53fonctionnent plutôt bien.
09:55C'est toujours le problème dans le monde du management.
09:57D'ailleurs, en tant que journaliste, tu es très bien placé pour le savoir.
10:00On bosse beaucoup plus avec un article, on révèle un scandale incroyable en matière
10:04de management qu'avec un artiste qui apparaît immédiatement, bisounours, regardez comme
10:08ça se passe bien ici.
10:10Donc effectivement, quand on n'entend pas parler de management, c'est souvent qu'on
10:13fait certainement le bon boulot sur le terrain.
10:17Alors vous évoquiez cette question de la formation.
10:21Est-ce qu'il y a des modèles que vous suggérez, notamment pour les nouvelles générations
10:25de managers dans la culture ?
10:28Oui, en fait, c'est vrai que les approches classiques, descendantes, où on cherche à
10:34apprendre des principes managériaux aux gens, vont encore moins bien fonctionner dans
10:38la culture, même s'ils se démonétisent partout.
10:41On sait que, par exemple, le co-développement et les communautés de pairs, c'est-à-dire
10:45apprendre par l'échange de bonnes pratiques entre différents managers de la culture peut
10:50fonctionner.
10:51On sait que des approches plutôt d'hybridation, dans lesquelles on va avoir des temps d'apprentissage,
10:57des temps d'expérimentation, des temps de retour sur expérience, un petit peu comme
11:03dans les méthodes agiles, essais, erreurs, leçons, améliorations.
11:07On sait que la gamification, c'est finalement travailler la matière managériale, pas comme
11:11quelque chose de sérieux, mais comme quelque chose de fun qui va susciter l'intérêt de
11:15ces artistes.
11:17Donc, d'une certaine manière, toutes les innovations pédagogiques qui émergent, et
11:22même celles qui sont d'ordre technologique, avec la réalité virtuelle, l'intelligence
11:25artificielle, la blockchain, auraient un intérêt très intéressant dans le secteur
11:30de la culture et devraient être importés.
11:33Alors, les parcours artistiques sont souvent très variés, mais c'est vrai qu'on a beaucoup
11:37d'écoles dédiées à des formations culturelles.
11:41Est-ce que ces écoles, elles n'ont pas un rôle finalement dans la formation de ces
11:45futurs managers ?
11:46Oui, mais comme très souvent c'est la partie ingrade du métier, le management, c'est
11:51un petit peu comme la philo pour les bacs scientifiques.
11:57Ça devrait être structurant, et on pourrait aller au-delà, surtout à l'ère des IA, de
12:00se dire comment on forme à l'éthique, à la morale et à la philo.
12:03Mais l'étudiant, en regardant le co-f de la philo versus les bâtes et la physique,
12:06va très rapidement se dire, bon, ok, j'ai peut-être intérêt à investir dans les
12:10matières artistiques, et certainement pas dans ces matières qui sont des pièces rapportées
12:14et des choses qui ne sont pas stratégiques.
12:16Donc, ce que ces écoles font, elles forment.
12:18Alors, parfois, à une approche trop instrumentale pour moi, les clés de la finance, les clés
12:23du marketing, les clés du management, parfois de manière un peu désincarnée et un petit
12:28peu descendante, elles auraient intérêt à mettre ces matières au cœur, mais parmi
12:32d'autres, pas en remplacement de leur projet du début à la fin, et trouver un moyen de
12:37démontrer finalement à ces artistes comment ça libère le génie créatif et ça permet
12:41de construire des collectifs intéressants, plutôt que comme, et by the way, vous savez
12:47qu'il faudrait quand même faire un peu de marketing, il faudrait connaître le CRM,
12:51il faudrait avoir des stratégies sur Instagram, il faudrait maîtriser un compte de résultats,
12:55il faut savoir ce qu'est une charge et une dépense, qui par nature devient quelque chose
12:59de trop abstrait, ou trop caricatural, ou trop antinomique avec la vocation artistique
13:04et qui risque d'être rejetée.
13:05Vous êtes enseignant dans le supérieur, est-ce que cette méfiance à l'égard du management
13:11qu'on peut trouver dans le monde de la culture, on la retrouve dans le monde universitaire ?
13:16On parle beaucoup ces derniers temps de la charge administrative qui pèse sur les enseignants
13:20par exemple, est-ce qu'une comparaison est possible ?
13:23Je pense que l'université c'est aussi des organisations qui mériteraient de se doter
13:28d'un management.
13:30Par principe, l'université et l'enseignement supérieur en France, c'est d'abord une bureaucratie,
13:37des statuts, des silos, des process, du reporting.
13:41Moi j'ai été amené à faire par exemple des dossiers d'évaluation de mes diplômes
13:46dans le cadre de la campagne HCRS 2024-2025.
13:49J'avais un tableau Excel avec 76 questions auxquelles répondre et d'une certaine manière
13:53j'étais nettement moins en interface avec mes étudiants et plus dans un travail effectivement
13:59bureaucratique.
14:00Donc je trouve que moi, l'enseignement supérieur est dans le même rapport à la gestion et au management.
14:06On importe parfois des outils du privé de type KPI, mesures, mais de manière copier-coller
14:12et pluguer sans se poser la question de l'impact peut-être négatif que ça peut avoir sur l'organisation.
14:16On n'a pas une gestion des ressources humaines dynamiques. Un prof d'université, un maître de conf,
14:21il est recruté sans test, sur dossier, une année pour faire ses preuves et ensuite à vie.
14:28Et au cas de bon, après on peut le virer, le faire bouger et le réguler.
14:33Les promotions ne se font pas forcément sur le mérite et il y a des dimensions politiques
14:38et administratives qui sont assez redoutables.
14:40Donc au même titre que la culture, un grand encouragement à peut-être un bouquin.
14:44On finit avec les idées reçues sur le management dans le monde de l'enseignement supérieur.
14:48Merci de m'avoir donné l'idée d'ailleurs.
14:49Ça sera un plaisir de vous recevoir si cet ouvrage voit le jour, en tout cas ce que je vous souhaite.
14:55Est-ce que vous pouvez nous expliquer le concept de management délibéré que vous évoquez dans l'ouvrage ?
15:01Oui. En fait, déjà, il n'y a pas un style de management idéal.
15:05On sait qu'historiquement, on vient du management directif,
15:09le leader charismatique qui donne des ordres, qui prend la décision pour les autres.
15:13On sait qu'on a mis en place le management libéré,
15:16qui en gros se libérait de toute forme de management pour co-construire ensemble dans des collectifs
15:21où on se partage le management.
15:23Le management délibéré, c'est cette volonté d'assumer le fait que manager,
15:28c'est aussi une fonction de pouvoir, c'est aussi une capacité parfois arbitrée,
15:33avoir le courage de sanctionner, de dénoncer des dérives,
15:36de type harcèlement sexuel et moral,
15:38et dans le même temps, des espaces de liberté où on peut co-construire,
15:43donner des fonctions managériales aux autres.
15:45Donc, c'est éviter la caricature en le manager tout-puissant
15:49où plus personne ne manage parce qu'on n'en a plus besoin.
15:53Est-ce que les jeunes générations,
15:54elles changent ces attentes envers le management dans la culture ?
15:58On parlait tout à l'heure des crises de vocation.
16:01Et c'est très frappant chez les jeunes.
16:03Ce qui est marquant, je ne suis pas un fan des concepts de génération au travail,
16:09par exemple, je n'adhère pas du tout à X, Y, Z, c'est des durées trop longues.
16:12Mais ce qu'on constate, c'est que la culture, c'est très souvent des métiers passion.
16:16Et pour des raisons de passion, on est prêt à travailler trop,
16:21à se faire insulter, à oublier son corps,
16:24à peut-être ne pas dénoncer des choses qui pourraient nous choquer moralement.
16:27Et ce qu'on voit chez les jeunes générations,
16:29mais pas parce qu'ils sont jeunes,
16:30c'est parce que la société a changé,
16:32parce que finalement, la société, c'est aussi horizontalité,
16:35le niveau d'éducation a monté,
16:36la volonté finalement de construire sa vie est plus importante qu'au XXe siècle,
16:40on était dans des vies qu'on subissait plus fortement,
16:43c'est qu'il n'y a aucune raison qu'un métier passion me pousse à accepter ça,
16:48ou qu'on me parle comme ça,
16:50ou que je subis ça,
16:51et je suis prêt à renoncer à ma passion si je dois l'exercer de telle manière.
16:56Et d'une certaine manière, c'est ça qui est intéressant,
16:58c'est là où ça crée une pression politique,
17:00parce que si les troupes désertent,
17:02demain, comment on montra des spectacles
17:04si plus personne ne veut travailler dans une culture
17:06qui a une image négative,
17:08et notamment dans la façon dont elle manage les gens ?
17:12Justement, vous évoquez une crise des vocations,
17:14mais il y a aussi des risques psychosociaux,
17:16un désengagement.
17:17En quoi est-ce que le management peut être un remède,
17:20plutôt qu'un symptôme,
17:22de façon très concrète ?
17:24Les risques psychosociaux sont deux natures.
17:26Trop de passion qui rend malade,
17:28la blessure de l'artiste qui s'entraîne trop,
17:31qui est allée trop loin dans son art,
17:33ou au contraire,
17:34des dérives liées au charisme et aux formes traditionnelles du management dans la culture,
17:38qui ont un impact moral et qui finissent par générer du stress,
17:41ou potentiellement des dépressions,
17:43ou des burn-out.
17:44Très concrètement,
17:45manager, c'est prendre soin dans la durée des gens
17:49pour leur permettre d'exercer leur métier et passion toute leur vie.
17:53Et à partir de là,
17:54ce n'est pas une question d'outils,
17:55c'est aussi créer,
17:57très concrètement,
17:58les conditions de la sécurité psychologique,
18:01comment démontrer à tous les collaborateurs
18:02qu'ils sont importants,
18:04utiles et compétents,
18:06ce qui va générer de la réassurance
18:07et leur donner envie de s'engager,
18:09mais modérément,
18:10créer aussi de ce qu'on appelle de la justice organisationnelle,
18:14éviter la dimension politique de reproduction sociale
18:17qu'on a souvent dans le domaine de la culture,
18:19pour promouvoir les gens selon leur mérite
18:21et leur contribution à un système.
18:23C'est en fait un cadre pour en jouer,
18:26plutôt qu'un cadre pour contraindre.
18:29Alors, est-ce que le monde de la culture
18:31pourrait inventer des formes de management
18:33susceptibles d'inspirer d'autres secteurs ?
18:36On parlait de l'université,
18:37mais celui de l'entreprise, par exemple.
18:41Bien sûr,
18:42et en fait, elle le fait depuis le début de son histoire
18:44et il n'y a aucune raison qu'elle ne le fasse pas,
18:46mais pas forcément plus que les autres.
18:48Ce qui, moi, me marque,
18:49si on se met en 2025,
18:51avec ces montées des IA génératives
18:54et des technologies disruptives,
18:56avec le changement climatique,
18:57avec des environnements beaucoup plus turbulents,
19:00c'est que, d'une certaine manière,
19:02la créativité,
19:04la capacité à construire des organisations
19:06éphémères singulières
19:07sur un projet
19:08pour répondre à un contexte donné
19:11et inventer quelque chose
19:12de radicalement différent demain,
19:15l'intermittent qui doit
19:16à chaque fois aller,
19:18et un peu comme le journaliste d'ailleurs,
19:20chercher son nouveau boulot
19:21et démontrer sa valeur,
19:23peu importe son CV
19:24et tout ce qu'il a pu accomplir par le passé,
19:27ces trois éléments
19:28qui me semblent être
19:29un facteur d'employabilité clé
19:31pour n'importe quel collaborateur
19:32travaillant dans n'importe quelle organisation
19:35de n'importe quel secteur.
19:36Comment donner envie,
19:38par mon portfolio et mes postures,
19:40de m'intégrer à une aventure collective ?
19:43Comment faire en sorte,
19:44à partir du moment où on espère
19:45que les IA nous libéreront
19:47des tâches administratives,
19:48de la bureaucratie,
19:49d'être le plus créatif,
19:51le plus humain,
19:52le plus relationnel possible ?
19:53Et en cela, la culture,
19:54elle démontre depuis longtemps
19:55que sur certains spectacles,
19:59sur certaines troupes,
20:01Molière et d'autres,
20:02elle est vecteur
20:04d'inspiration extrêmement puissante
20:05pour les organisations traditionnelles
20:07qui, entre nous,
20:08ont été conçues
20:08aux alentours des années 1880-1920.
20:12Donc, elles sont très dépendantes
20:14de l'ère industrielle.
20:17Et en fait,
20:18on a déjà basculé dans l'ère du service
20:19ou l'ère intellectuelle,
20:20mais on va vers le quaternaire.
20:21Et l'ère du quaternaire,
20:22le secteur artistique,
20:23est beaucoup mieux doté
20:25pour jouer ces nouvelles règles du jeu
20:27que les organisations de l'ère industrielle.
20:30Vous évoquez Molière.
20:31Est-ce qu'il était bon manager ?
20:33Alors, en tout cas,
20:35il savait créer des collectifs,
20:38des troupes,
20:39embarquer des artistes assez hétérogènes,
20:43mais aussi des techniciens
20:45autour d'un projet
20:47qui générait un succès,
20:48du plaisir vis-à-vis des participants
20:50et dans la durée,
20:51parce que ces troupes,
20:52on voit que dans ces castings,
20:54il y a des acteurs qui sont là
20:55depuis 5 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans.
20:57Après, on n'est pas non plus
20:58dans la même époque.
20:59Il pouvait tomber amoureux
21:00de ses actrices.
21:02Il était sans doute mégalomane.
21:04Il n'avait pas que des qualités.
21:06Mais par contre,
21:06dans sa capacité à avoir su construire
21:08dans la durée une troupe
21:09qui a généré énormément de succès
21:11et qui a valorisé
21:12ses différents membres,
21:13très clairement.
21:14Vous avez évoqué un peu
21:16l'aspect financier
21:17et on l'a fait
21:17tout au long de cet entretien.
21:19Est-ce que,
21:20vu les difficultés
21:21des organisations,
21:23mais aussi des individus
21:24au niveau de la rémunération,
21:25on parlait du statut d'intermittence,
21:27est-ce qu'il n'y a pas un risque
21:30avec l'insertion du management
21:32dans la culture
21:34de finalement résumer la fonction
21:36à cette simple question financière ?
21:39Oui, c'est un énorme risque.
21:41Il ne faut surtout pas voir
21:42le management,
21:42simplement au service
21:44d'une performance financière supérieure.
21:46En revanche,
21:47et ça nous ramène au débat
21:48de tout à l'heure,
21:49il ne faut non plus
21:50pas se priver de management
21:53au risque de ne pas trouver
21:54de nouvelles sources de profit
21:55et de capacité à aller générer
21:59d'autres formes de richesses.
22:01Je vais prendre des exemples.
22:03À un moment,
22:04si je suis,
22:05et c'est ce qui est en train
22:06de se passer dans la culture,
22:07dans un contexte de plus en plus restreint
22:09et en particulier
22:10de subvention publique,
22:12dire,
22:12« Ah, mais moi,
22:13mon projet est artistique,
22:15je refuse
22:15de lancer des activités économiques,
22:18je refuse de lever des fonds,
22:20je refuse de m'associer
22:22à des activités marchands »,
22:24je serais tenté de dire
22:25« Pourquoi pas si ça se défend ? »
22:27Mais pourquoi ne pas,
22:28dans un premier temps,
22:29avoir véritablement adressé
22:31sans biais et sans idéologie
22:32la question
22:33pour faire les meilleurs choix
22:34et optimiser le potentiel économique ?
22:36Parce que les moyens,
22:38c'est aussi au service d'œuvre,
22:40même si de toute contrainte
22:42peut aussi générer du succès.
22:47On a parlé de certains modèles anglo-saxons.
22:50Est-ce qu'en Europe,
22:51dans ces modèles latins,
22:53il n'y a pas d'autres exemples
22:56qu'on peut citer ?
22:57Peut-être l'Allemagne,
22:58l'Italie, par exemple ?
22:59C'est vrai que je ne suis pas sûr
23:03qu'on ait un modèle européen
23:05ni même latin de la culture.
23:07Je pense que c'est à la fois
23:09une caractéristique
23:10et un gros problème,
23:12ce qu'on appelle l'exception française.
23:14Nous, on n'a rien à voir avec les autres.
23:16On a des astances,
23:17on a des budgets,
23:18on a des multiplications de lieux
23:19qu'on ne retrouvera pas forcément
23:20dans les autres types d'organisations.
23:22Ce qui peut être intéressant
23:23dans certains pays,
23:25c'est justement la façon
23:26dont la culture arrive à se créer
23:28sans forcément toujours
23:31le soutien d'acteurs publics.
23:32Ce n'est pas pour ça
23:33qu'il ne faut plus faire d'art.
23:35Moi, je pense que l'État
23:35a une responsabilité sociétale
23:38de mettre à disposition
23:40des activités et des spectacles créatifs
23:43parce que ça crée aussi
23:44une valeur pour les individus.
23:46Ça les rend heureux,
23:46ça leur permet parfois
23:48de s'accomplir.
23:49Donc, c'est intéressant
23:50d'aller voir finalement
23:51les pays où la culture
23:52se crée finalement différemment
23:54avec des modèles associatifs,
23:56collaboratifs,
23:57territoriaux et régionaux.
23:58Et puis, deuxièmement,
24:00c'est aussi intéressant
24:01d'aller voir comment
24:02les pays anglo-saxons
24:04arrivent à générer
24:06d'importants revenus
24:08au service parfois
24:09de créations artistiques
24:10absolument intéressantes
24:12comme le Cercle du Soleil,
24:13par exemple,
24:14avec nos Canadiens
24:15qui ont su développer
24:16des modèles
24:17qui arrivent à combiner
24:18créativité et business.
24:21Donc, c'est toujours pareil.
24:22S'inspirer de pratiques étrangères,
24:25oui, importer
24:27et copier-coller
24:27telles quelles
24:28des pratiques étrangères,
24:29non.
24:30Alors, si vous deviez
24:31retenir une seule idée,
24:33Michel,
24:33pour réconcilier
24:34management et création,
24:37laquelle ce serait ?
24:38Oui, moi, je dirais,
24:39et on l'a dit un petit peu,
24:40tirer le parti
24:40du meilleur des deux mondes.
24:43Donc, augmenter l'art
24:44par le management,
24:45augmenter le management
24:46par l'art.
24:47Michel, merci beaucoup
24:49d'avoir répondu
24:50à mes questions.
24:52Je vous propose
24:52de retrouver,
24:53en finir,
24:54avec les idées fausses
24:55sur le management
24:55dans la culture.
24:56C'est publié aux éditions
24:57de l'atelier
24:58et disponible dès aujourd'hui.
24:59Sous-titrage Société Radio-Canada

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