- 23/06/2025
"MARSEILLE : L'EFFONDREMENT DE LA RUE D'AUBAGNE" / Au matin du lundi 5 novembre 2018, deux immeubles d'habitation à Marseille disparaissent dans un nuage de cendres. Les numéros 63 et 65 de la rue d'Aubagne, en plein quartier de Noailles, se sont effondrés devant des passants médusés. l'urgence est de secourir les potentiels survivants sous la montagne de gravats et très vite de comprendre comment un tel événement a pu se produire ? Basé sur les rapports d'expertise, ce documentaire livre les clés de compréhension d'une catastrophe qui a marqué au fer rouge la cité phocéenne et dont l'enquête est toujours en cours. Il donne à voir des documents saisissants (photos, vidéos) pris par les habitants eux-mêmes, parfois à quelques minutes seulement de la catastrophe. l'ambiance est chaotique à l'intérieur des appartements : les fissures appelées lézardes sont partout sur les murs. Les meubles et les cadres de portes sont désaxés. Le film met également en lumière la parole d'experts, architectes, géologues... Ils décryptent et analysent entre autres les phénomènes d'affaissement. Enfin des témoins, dont certains ne se sont presque jamais exprimés dans les médias, reviennent sur ces jours d'angoisse qui ont précédé le drame et au cours desquels les dégradations s'intensifient?
Catégorie
✨
PersonnesTranscription
00:00Un immeuble, c'est censé abriter.
00:08Un immeuble, c'est censé être l'endroit où on évite la pluie, on évite le froid.
00:17Et là, d'un coup, cet immeuble-là, il devient dangereux.
00:23Je suis très franche avec Julien et je lui dis, tu ne peux pas rester dans cet appartement.
00:30Lundi 5 novembre 2018, il est 9h07.
00:37Boum, d'un seul coup, qu'est-ce que j'ai fait ? Je regarde sur ma droite.
00:40À Marseille, un amas de poussière envahit dans un silence de plomb toute une rue.
00:45En avançant doucement, doucement, doucement, qu'est-ce qu'on voit au fond ? Un trou.
01:00Deux immeubles se sont effondrés en quelques secondes, non loin du vieux port de Marseille.
01:07Le bilan est de deux blessés légers, mais les secours creusent dans les décombres.
01:11C'est une scène assez difficile de guerre, quoi.
01:18Deux immeubles d'habitation tombés en plein jour, au cœur de la deuxième ville la plus peuplée de France.
01:24C'est la catastrophe de la rue d'Aubagne.
01:26Comment, lentement mais sûrement, ces colosses de pierre et de bois ont-ils été fragilisés ?
01:35Pourquoi les habitants n'ont-ils pas quitté les lieux, malgré les nombreux signaux précurseurs et les alertes ?
01:41Quelle suite d'événements a conduit les 8 personnes présentes ce jour-là à la catastrophe ?
01:47À partir des rapports d'expertise, pénétrés à l'intérieur d'un bâtiment condamné
01:52où chaque jour rapproche un peu plus ses habitants d'un événement impensable.
01:58Témoins, rescapés et scientifiques ont accepté de parler.
02:04Ils racontent en détail ce jour dramatique du 5 novembre 2018 au 65 de la rue d'Aubagne.
02:11On va se retrouver avec un mur qui ne se porte plus que par son propre poids.
02:15Il pleut beaucoup, il y a des jours entiers de pluie, il y a une pluie très dense.
02:19Mais la pluie, ça n'est pas tombé les immeubles.
02:22L'eau, on dit qu'elle lessive les sols, mais elle lessive également les murs.
02:27Des vidéos glaçantes prises par les habitants eux-mêmes.
02:30On a déjà pu fermer la porte.
02:33À quelques minutes de l'effondrement.
02:37J'ai l'impression que le sol va se dérober sous mes pieds.
02:42C'est très bizarre comme sensation.
02:45Comme si je marchais sur quasiment du sable.
02:49Si la cause de ce tassement n'est pas réglée, le mur va continuer de descendre,
02:56entraînant le reste des ouvrages avec.
02:59Il y a une fissure sur la façade du 65 qui est en train de s'ouvrir à vue d'œil.
03:10De ce drame, une crise du logement sans précédent s'ouvre dans la cité fosséenne.
03:15Marseille est devenue le symbole de l'habitat indigne.
03:21L'effondrement de la rue d'Aubagne.
03:24Une catastrophe hors de contrôle.
03:26L'effondrement de la rue d'Aubagne.
03:40Sous le regard protecteur de la bonne mer, la cité phocéenne est réputée pour sa douceur de vivre et ses quartiers pittoresques.
04:05Le quartier de Noailles en est l'un des symboles.
04:10La Noailles c'est le cœur battant de la ville.
04:13C'est une pièce de théâtre permanente tous les jours dès que vous passez dans le quartier.
04:19C'est les petits New York, tout le monde a tendance à parler de New York mais le monde se retrouve à Noailles.
04:24C'est tellement cosmopolite que les gens arrivent à trouver tout ce qu'il y avait dans leur pays.
04:34Situé à quelques pas du Vieux-Port et de la Canebière, le quartier est l'un des plus anciens de la cité phocéenne.
04:40Depuis le XIXe siècle, en particulier la seconde moitié du XIXe siècle, Noailles est surnommé le ventre de Marseille.
04:53Parce que c'est là que les Marseillais allaient se ravitailler en particulier de produits de bouche et en particulier au moment des fêtes.
05:00Malgré le charme de ce quartier typique, l'état de certaines bâties s'inquiète.
05:09Certains immeubles n'ont pas été entretenus depuis leur construction, vieilles de plusieurs centaines d'années.
05:15Qui a effectivement ce double visage du quartier.
05:19Un quartier accueillant, un quartier qui raconte la ville, qui a l'image de Marseille, mais qui raconte aussi l'envers du décor, la réalité d'une ville populaire et d'une ville pauvre.
05:28Bien que vétuste, ces immeubles tiennent encore debout.
05:37Mais cela ne va pas durer.
05:46Ce lundi 5 novembre, il est tout juste 8 heures.
05:49Le quartier Noailles commence à s'animer.
05:54Je m'appelle Benoît Gilles, je suis journaliste à Marseille-Actu et j'ai couvert les effondrements de la rue d'Aubagne.
06:01Moi le 5 novembre, je descends la rue, j'amène mes enfants et puis ensuite j'arrive à la rédaction.
06:06Donc je jette un oeil sur ces immeubles, je regarde ces immeubles comme j'ai l'habitude de le faire à chaque fois que je passe.
06:12On descend la rue d'Aubagne, on a un travelling comme ça de ces immeubles avec parfois des façades qui racontent l'abandon,
06:24qui racontent finalement l'absence d'entretien.
06:29C'est assez fréquent de voir des fissures sur les murs, des immeubles, de voir des végétaux dans les gouttières qui poussent,
06:38de voir de la moisissure, voire même parfois des immeubles ou en tout cas des appartements qui sont murés.
06:43On ne peut pas dire que ce soit clinquant.
06:47Ces immeubles correspondent en réalité à un modèle architectural typiquement marseillais.
06:52Un modèle répandu dans tout le centre-ville que les professionnels appellent le trois fenêtres.
06:59Le trois fenêtres marseillais est un bâtiment, une structure qui a été mis en œuvre après le XVIIe siècle
07:06et pendant environ deux siècles pour permettre de construire de façon aisée, rapide
07:11et donc effectivement de pouvoir, avec de la pierre, du bois et des tuiles, construire des bâtiments d'habitation.
07:18Il est assez connu à Marseille dans la mesure où il va rester très longtemps comme un modèle de construction.
07:25Sur une parcelle de 7 mètres de large et 30 mètres de long en moyenne,
07:30le trois fenêtres marseillais se compose généralement de 4 à 5 étages.
07:33Son rez-de-chaussée est généralement divisé entre un local commercial d'un côté
07:38et l'entrée de l'immeuble de l'autre.
07:42Aux étages, les planchers en bois sont soutenus par des poutres parallèles à la rue.
07:49Le poids de ces planchers est supporté par des murs épais communs aux immeubles voisins qu'on appelle mitoyens.
07:54Les seuls murs porteurs dans le trois fenêtres marseillais, ce sont les murs mitoyens entre les immeubles.
08:03Ce sont l'ossature, la structure de stabilité de l'immeuble.
08:08Les poutres qui portent les planchers sont portées sur ces murs.
08:11La toiture de l'immeuble est portée sur ces murs.
08:15L'ensemble des charges de l'intérieur du bâtiment sont reportées sur les murs mitoyens.
08:19Ces murs mitoyens qui sont en général partagés avec les immeubles avoisinants,
08:25d'où des difficultés d'intervention lorsqu'il y a des désordres,
08:30puisque vous devez avoir l'autorisation de deux copropriétés pour intervenir.
08:37Noaï est particulièrement concerné.
08:40Face aux logements dégradés, parfois insalubres, et la présence de marchands de sommeil,
08:45le quartier est l'objet de toutes les attentions depuis les années 90.
08:49Malgré les dispositifs mis en place, une grande partie de la zone n'est toujours pas restaurée.
08:56Une étude l'a cartographiée selon l'état de ces immeubles.
09:00En vert, bon état structurel.
09:04En beige, les immeubles qualifiés de sains mais vétustes.
09:09En orange, les logements dégradés et indécents.
09:13Et en rouge, ceux insalubres avec présomption de péril.
09:19Je m'appelle Sandra Contour.
09:24Je suis architecte à Marseille.
09:27À la suite de cette étude, de 2014-2015,
09:32sont fléchés pas loin de 40% des immeubles de Noaï,
09:38nécessitant des travaux lourds de réhabilitation.
09:42Une portion de la rue d'Aubagne, artère principale du quartier,
09:47est particulièrement concernée.
09:49Elle s'étend du numéro 63 au numéro 83.
09:54Et le 63, 65, 67, ils sont en rouge.
09:58Toute la barre est en rouge.
10:00Parce que tout le monde sait que c'est des immeubles
10:02qui se tiennent les uns sur les autres
10:03et qu'il y a un risque de château de cartes.
10:06Que si un immeuble tombe,
10:09les autres immeubles vont tomber aussi.
10:14Trois de ces immeubles ont fait l'objet d'expertises
10:17et des travaux de renforcement ont été menés.
10:21Seulement, personne n'a vraiment réglé le problème.
10:23Ce matin du 5 novembre 2018,
10:32au 65 de la rue d'Aubagne,
10:35Julien s'apprête à quitter son appartement
10:36du 2e étage pour aller au travail.
10:41Jeune franco-péruvien,
10:43il est employé depuis 5 mois comme réceptionniste
10:45dans un hôtel du Vieux-Port.
10:46Je m'appelle Liliana Lalonde
10:51et je suis la maire de Julien Lalonde,
10:56victime des effondrements
10:58de la rue d'Aubagne à Marseille.
11:02Il m'a dit « j'adore cette ville
11:04parce que je visite le monde
11:07en parcourant ces rues ».
11:11C'est la première fois que je l'entendais
11:13avec autant d'enthousiasme.
11:15Il est très enthousiaste
11:17dans l'idée de pouvoir se fixer à Marseille.
11:22Ce coup de cœur pour la cité phocéenne,
11:25Julien l'a eu aussi pour cet appartement
11:27qu'il pensait sur le papier
11:28très bon marché.
11:30Un loyer de seulement 450 euros
11:32pour ce studio,
11:34en plein cœur du quartier pittoresque de Noailles.
11:38Il voit que c'est à côté du cours Julien.
11:40Pour lui, il se dit « super ».
11:44Et il voit les photos,
11:46ils sont sympas.
11:48Il me dit « maman,
11:49qu'est-ce que tu en penses ? »
11:51Je lui dis « écoute,
11:53prends-le,
11:54il a l'air bien,
11:55et en tout cas pour commencer,
11:57c'est bien ».
11:57Julien est l'un des derniers arrivés
12:02dans cette copropriété
12:03composée de 10 appartements.
12:04L'immeuble de 5 étages
12:08a été bâti au XVIIe siècle.
12:11Il voisine le numéro 67,
12:12appartenant à un syndic,
12:14et le numéro 63,
12:16propriété de Marseille Habitat,
12:18le bailleur social de la ville.
12:24L'emplacement correspond bien
12:25aux attentes de Julien,
12:26mais l'état de l'appartement
12:28laisse à désirer.
12:29Il y a quelques jours,
12:31quand Liliana vient rendre visite
12:32à son fils,
12:34elle découvre dans quoi il vit.
12:36Il ouvre,
12:37et je suis un peu sous le choc.
12:41Je vois un radiateur qui pendre,
12:46je vois les carreaux des fenêtres cassés,
12:49les prises électriques,
12:50ils ont un très mauvais état,
12:52ça fait des étincelles.
12:56La salle de bain aussi,
12:57je sentais mauvais.
12:59Je m'inquiète,
13:00je m'inquiète
13:01de l'humidité,
13:04de la présence de l'eau,
13:06sans trop savoir
13:07ce qui était en train de se faire.
13:12Les lieux sont si délabrés
13:13que Julien n'y a encore jamais
13:15reçu personne.
13:19Le 27 octobre dernier,
13:21il fêtait son anniversaire
13:22chez une amie.
13:23Un dernier moment de bonheur
13:29avant que tout s'arrête.
13:30Le problème d'humidité ne concerne pas seulement
13:52l'appartement de Julien.
13:53L'eau est la bête noire
13:56du trois fenêtres marseillais
13:57dont les murs porteurs
13:58sont particulièrement perméables
14:00sur le long terme.
14:06La consistance des murs
14:08des trois fenêtres marseillais,
14:10ce sont en fait
14:12un empilement de pierres
14:13reliées entre elles
14:14par un mortier de chaux.
14:16C'est la chaux qui maintient,
14:17qui fait le ciment
14:17entre ces pierres.
14:19L'eau de pluie
14:23n'est pas le seul problème.
14:27Les immeubles
14:28les plus anciens de Marseille
14:29posent des problèmes
14:31de modernisation,
14:33étant donné qu'on n'avait pas prévu
14:35l'installation
14:36de ces sanitaires.
14:40L'évolution de l'habitat
14:42a mené effectivement
14:44à créer des réseaux,
14:46créer des salles de bain,
14:47créer des systèmes d'eau
14:48qui n'étaient pas là initialement.
14:49et qui peuvent,
14:50s'ils sont mal entretenus,
14:51s'ils sont mal positionnés,
14:53s'ils cassent,
14:54s'il y a des mouvements de terrain,
14:55amener des désordres
14:56dans les fondations.
15:01Depuis les années 80,
15:03ces immeubles ont été
15:04un peu laissés à l'amendant
15:05et les entrées d'eau,
15:08les dégradations,
15:10les défauts d'entretien
15:11se sont multipliés.
15:14Donc les raccordements
15:15ne sont pas toujours bien faits
15:17ou ils ne vieillissent pas
15:18toujours de bonne qualité.
15:19Et là, effectivement,
15:20on a eu des inondations
15:21dans les sous-sols,
15:23lesquels sous-sols
15:23sont peu pratiqués
15:25et ont pu effectivement
15:26faire des nappes de flotte
15:29dans les sous-sols.
15:35L'humidité ne provoque pas seulement
15:37des problèmes d'insalubrité.
15:39Elle peut, avec le temps,
15:41modifier la structure du bâtiment.
15:43une canalisation dégradée,
15:48une présence d'eau importante
15:51dans la cave,
15:53sous les fondations
15:54ou le long des fondations
15:55de l'immeuble,
15:56vont transformer le sol
15:58ou créer des cavités
16:00qui peuvent déstabiliser
16:02le mur porteur de l'immeuble.
16:03Si la cause de ce tassement
16:07n'est pas réglée,
16:08souvent liée à des problématiques d'eau,
16:10le mur va continuer de descendre
16:14entraînant le reste des ouvrages avec.
16:19La question, c'est pourquoi il s'enfonce ?
16:21Il s'enfonce parce que
16:22les murs porteurs sont gorgés d'eau.
16:25Et donc, il faut arriver à comprendre
16:27d'où vient cette eau ?
16:28Est-ce qu'elle vient d'en dessous ?
16:29Est-ce qu'elle vient du réseau ?
16:31Est-ce que c'est une infiltration
16:33d'eau de pluie ?
16:34C'est cette problématique-là
16:38qui va concerner
16:39les copropriétaires du 65,
16:41du 67 et du 63
16:42pendant des années.
16:44Ce qui est clair,
16:45c'est qu'il y a de l'eau tout le temps
16:46et que cette eau-là,
16:47elle a un effet sur les murs.
16:53Il y a un an,
16:54un expert a diagnostiqué le bâtiment.
16:57Ces relevés ont montré
16:58un affaissement général
16:59de 5 à 8 centimètres par endroit.
17:02Un autre signe ne trompe pas
17:04et il se voit à l'œil nu
17:06dès l'extérieur.
17:09Les façades vont avoir
17:10des lézardes verticales
17:12qui signifient que l'immeuble
17:13est en train d'avoir sa structure
17:16qui bouge et qui s'enfonce dans le sol.
17:18Et ça, c'est le signe
17:19qu'il y a un vrai risque,
17:20un risque de péril,
17:21un risque d'un immeuble
17:23qui peut s'affaisser sur lui-même.
17:27Dans la rue d'Aubagne,
17:32ces lézardes font partie
17:33du décor.
17:35Sur l'immeuble d'à côté,
17:36au 63,
17:38elles sont si prononcées
17:39qu'on peut les voir
17:40à plusieurs mètres de distance.
17:43Ce qu'on ne voit pas en revanche,
17:44ce sont les causes.
17:46L'une d'entre elles
17:46se trouve dans la cave du 65.
17:49Un tuyau d'évacuation,
17:51situé contre le mur mitoyen
17:52avec le 63,
17:53fuit régulièrement.
17:58L'eau, on dit qu'elle lessive les sols,
18:00mais elle lessive également les murs,
18:02c'est-à-dire qu'elle va enlever la chaux,
18:03donc ce liant
18:04qui lie les pierres entre elles.
18:06Et du coup,
18:13les pierres se tiennent entre elles
18:14avec des vides en interstice
18:17puisque la chaux a été lessivée.
18:20Donc, c'est un peu
18:21un jeu de construction fragile.
18:31L'eau désagrège le mortier de chaux
18:33et en fait un mélange sable.
18:34Résultat, les pierres restent en position,
18:37mais le mur est considérablement fragilisé.
18:40L'autre côté de l'immeuble
18:42est également affecté.
18:44De l'eau stagnante,
18:45présente dans la cave,
18:47a entraîné la déformation
18:48du mur partagé avec le 67.
18:51Et cette déformation
18:52a créé ce que les experts
18:54appellent un bouffement,
18:56une fissure à l'intérieur du mur.
18:58Le 65 est mis en péril
19:03une première fois
19:04le temps que les premiers travaux
19:06de sécurisation soient entrepris.
19:07Et ces travaux ne sont pas suffisants
19:09pour mettre fin aux problèmes
19:10structurels du 65.
19:12Il ne résout pas les problèmes
19:14d'une présence d'eau au 65
19:16dans la partie fondatrice
19:18de l'immeuble.
19:18Par deux fois,
19:20en 2014, puis en 2017,
19:23un expert a alerté
19:24les autorités compétentes.
19:26Mais ces signalements
19:27sont restés à ce jour ignorés.
19:41Même problème au sous-sol du 63,
19:44inhabité et muré depuis 2008.
19:46Un expert y a décelé
19:49une forte quantité d'eau
19:50au pied du mur partagé
19:51avec le 61.
19:53C'est au moment
19:54où la ville de Marseille
19:55acquiert une grande partie
19:56de l'immeuble
19:56que le journaliste
19:58Benoît Gilles s'y intéresse.
20:01Alors, je me rends au 63
20:02parce que je fais une série
20:03d'articles sur Noailles.
20:05Donc, je pousse la porte
20:07d'un commerce
20:07qui occupe le rez-de-chaussée
20:10où il y a un coiffeur,
20:12mais qui est un coiffeur
20:13où il n'y a pas écrit coiffeur.
20:14Je vois qu'il y a deux chaises
20:15de coiffeurs.
20:16Je suis étonné, moi,
20:21qu'il y ait un commerce
20:22à cet endroit
20:22alors que l'immeuble
20:23est censé être
20:24sous maîtrise publique.
20:28La façade entière
20:29est lézardée,
20:30elle est abîmée,
20:30elle est abîmée depuis longtemps,
20:32mais ça sent l'humidité.
20:35Ça sent une humidité chronique,
20:37quelque chose qui,
20:38vous voyez,
20:39qui s'encroute,
20:41qui tombe,
20:41qui dépérille.
20:42Voilà, ça,
20:42c'est la première chose
20:43que je sens
20:45quand je rentre dans le sous-endroit.
20:47Au problème d'humidité
20:48s'ajoute une série
20:49de travaux inachevés.
20:51En vue d'installer une crèche,
20:53les bâtiments et les toitures
20:54en fonds de parcelle
20:55ont été démolis.
20:57Mais faute d'autorisation,
20:59tout s'est arrêté,
21:00laissant l'édifice
21:01à la merci des aléas climatiques.
21:02La situation dure comme ça
21:05depuis 17 mois.
21:08C'est très simple,
21:09quand on laisse un immeuble
21:10sans toit,
21:12sans toiture,
21:13l'eau qui s'infiltre,
21:14elle va directement
21:15par les planchers,
21:16directement aller
21:18jusqu'aux fondations
21:19de l'immeuble.
21:20C'est qu'on sait
21:21qu'il y a de l'eau
21:21qui s'infiltre
21:22et qui va abîmer
21:23un des murs porteurs
21:25qui est commun
21:25entre le 63 et le 65.
21:32On va se retrouver
21:34avec un mur
21:35qui ne se porte plus
21:36que par son propre poids.
21:38Et à ce moment-là,
21:39la moindre sollicitation,
21:41le moindre effet latéral
21:43va amener le mur
21:44à s'effondrer
21:46partiellement ou totalement.
21:49Comme si cela ne suffisait pas,
21:51la météo est particulièrement
21:52mauvaise depuis quelques jours.
21:55Le mois d'octobre 2018
21:56a même enregistré
21:58une pluviométrie
21:58trois fois plus importante
22:00par rapport aux années précédentes.
22:02Il pleut autant qu'à Brest.
22:07Seulement, il pleut en une fois
22:09ce qu'il pleut en six mois à Brest.
22:10Voilà, donc il pleut beaucoup.
22:12Il y a des jours entiers de pluie,
22:13avec une pluie très dense.
22:15Mais la pluie,
22:16ça n'avait pas tombé les immeuble.
22:18Il y a 14 jours,
22:20des travaux de canalisation
22:21pour traiter les eaux pluviales
22:23ont bien été entrepris.
22:26Un expert a même prévu
22:27de passer prochainement.
22:29Son intervention
22:29doit mesurer l'impact de la pluie
22:31sur les deux immeubles
22:32du 63 et 65.
22:36Mais cela ne pourra jamais se faire.
22:38sans le savoir,
22:59Julien et les autres habitants
23:00du 65 vivent leurs derniers instants.
23:02Sous leurs pieds,
23:05le plancher en bois
23:06s'affaisse dangereusement.
23:09Le bois est un matériau très souple.
23:11C'est un matériau qui a
23:12une capacité d'absorption
23:14très importante.
23:16Donc on peut surcharger
23:17un plancher bois.
23:19Celui-ci ne va pas casser immédiatement.
23:21Tout le monde a déjà fait
23:21cette expérience
23:22de l'allumette
23:23qu'on tord doucement
23:23et qui casse d'un coup.
23:25Les poutres d'un plancher
23:26de trois fenêtres marseillais,
23:27c'est un peu la même chose.
23:28Elles vont avoir tendance
23:30doucement à s'affaisser,
23:32à fluer,
23:33ce qu'on appelle dans le métier,
23:34c'est-à-dire
23:34à prendre une forme
23:36de hamac.
23:38Sur le plancher en bois
23:40qui, avec le temps,
23:41fléchit un peu
23:42et n'est pas parfaitement plan,
23:44si là-dessus,
23:45on veut mettre
23:46quelque chose
23:46de parfaitement plan
23:47en mettant une chape
23:48de béton, par exemple,
23:50qu'est-ce qu'on va faire ?
23:50On va alourdir le plancher
23:52et on va accélérer
23:53ses mouvements.
23:54Les murs entre les appartements
23:57prennent en charge
23:58une partie de leur poids.
24:03Ce sont des cloisons
24:04qui n'ont pas d'effet
24:06en termes de structure,
24:07mais qui,
24:08au fur et à mesure du temps,
24:09se sont retrouvées
24:10comprimées
24:11par les mouvements
24:12des planchers en bois.
24:13Donc là,
24:13on a des cloisons
24:14qui ne sont pas porteuses,
24:16mais qui sont,
24:17comme on dit,
24:17collaborantes.
24:18C'est-à-dire qu'elles sont,
24:19c'est le même plan
24:20du premier étage
24:22au dernier étage,
24:23à peu près,
24:24et donc elles se superposent
24:26et donc elles participent
24:29de la tenue générale
24:30de l'immeuble.
24:37Au numéro 65,
24:39la cloison du rez-de-chaussée
24:40pose problème.
24:42Elle est complètement déformée,
24:44sur le point de se rompre.
24:47Cette photo a été prise
24:48le 15 octobre
24:49par un locataire
24:49du cinquième étage,
24:51soit trois semaines
24:52avant les événements.
24:54je m'appelle Abdel Galimouzid.
24:58Je suis un ancien locataire
25:00du 65 rue d'Aubagne,
25:02rescapé de la catastrophe.
25:07Pour accéder aux escaliers
25:08de l'immeuble,
25:09nous avons un petit couloir,
25:10un couloir qui est déjà
25:10relativement étroit
25:11à cause des boîtes aux lettres
25:12qui sont sur le côté,
25:14déjà.
25:15Le mur qui rentre,
25:15finalement,
25:16ça rend encore plus étroit,
25:17donc finalement,
25:17ce petit couloir.
25:18donc forcément,
25:19la tension,
25:20elle est clairement portée,
25:21clairement portée là-dessus.
25:22Jusqu'à maintenant,
25:23je n'avais jamais vu
25:23de murs gonflées
25:24de la sorte.
25:25Jamais.
25:29Si la cloison avait
25:30un tel aspect,
25:31c'est en réalité
25:32parce qu'elle se déformait
25:33sous le poids
25:34du plancher supérieur.
25:36Après la photo
25:37et face à la menace,
25:38l'immeuble avait même
25:39été évacué
25:40quelques heures
25:40le 18 octobre.
25:47Les pompiers interviennent
25:48et décident de procéder
25:49à l'évacuation
25:51de ma voisine de palier
25:52en la faisant
25:53traverser mon appartement
25:55et en la faisant sortir
25:56par une des fenêtres
25:57de mon salon.
25:59Et moi,
25:59je découvre ça le soir.
26:01Je découvre ça le soir.
26:02Je comprends apparemment
26:03qu'on a évacué
26:04et que des travaux
26:05s'engagés,
26:05qu'on a évacué
26:06mes voisins
26:07du premier étage.
26:09Mais depuis,
26:09la cloison a été remplacée
26:11par un mur plus solide
26:12fait de parpaings
26:13larges de 10 centimètres.
26:16Tout est revenu
26:16dans l'ordre.
26:18Du moins,
26:19c'est ce que tout le monde croit.
26:21Un représentant
26:22de la mairie
26:22a confirmé
26:23qu'il n'y avait strictement
26:24aucun risque
26:24et qu'on pouvait regagner
26:25notre appartement
26:25ce même jour.
26:27Donc oui,
26:27je dors quand même
26:29en faisant confiance
26:30pour le coup.
26:31Tout simplement,
26:32en faisant confiance
26:33à ce que l'on me dit.
26:37Le diagnostic
26:38et les travaux réalisés
26:39sont en réalité
26:39insuffisants.
26:41Les signes avant-coureurs
26:42d'une catastrophe
26:43se multiplient.
26:46Les locataires
26:46s'aperçoivent
26:47que les désordres
26:48qu'ils avaient constatés
26:49et qui avaient amené
26:50à l'alerte du 18,
26:51ils vont se renforcer.
26:54L'immeuble craque,
26:56il bouge.
26:56On entend effectivement
27:03un bruit de fond
27:03comme si des bruits
27:07de portes
27:08qui claquent
27:08ou des bruits
27:09comme si on tapait
27:09un peu sur les portes
27:10et c'est typiquement
27:12en fait
27:12ce qu'on entend
27:13depuis quelques jours
27:14dans l'immeuble.
27:15Ce sont des voisins
27:16tout simplement
27:16qui rencontrent
27:17des soucis
27:17avec leurs portes.
27:18Les habitants
27:22ont bien conscience
27:23de la gravité
27:24du phénomène
27:24même si personne
27:26n'imagine
27:26que l'immeuble
27:27va bientôt s'écrouler.
27:29Il y a trois jours
27:30par exemple,
27:31Abdel Ghani
27:32rencontre un problème.
27:32Ce vendredi 2 novembre
27:38en fait au soir
27:38donc je rentre
27:39mais je me rends compte
27:42du coup
27:43que je ne peux plus
27:45fermer ma porte.
27:50Je suis coincé
27:51dans le portement
27:51parce que je ne peux pas sortir
27:52sans laisser la porte ouverte
27:53en fait.
27:55Inquiet,
27:56le locataire
27:57s'en ouvre par mail
27:57à son propriétaire.
28:00Il y a une partie
28:01de l'immeuble
28:01qui s'est probablement
28:02affaissée
28:03et malheureusement
28:04pas au bon endroit.
28:05Je ne connais pas
28:06l'étendue des dégâts.
28:08Le mur
28:09au rez-de-chaussée
28:10qui était sur le point
28:11de s'effondrer
28:11a été détruit
28:12et reconstruit.
28:14Il est possible
28:14que cet incident
28:15soit lié au problème
28:16que je rencontre
28:17auquel cas
28:18des soucis plus graves
28:18encore sont à craindre.
28:23Si on ne peut pas
28:23fermer sa porte
28:25ça veut dire
28:25que la cloison
28:26dans laquelle
28:27est percée
28:28ou posée la porte
28:29cette cloison a bougé.
28:31ce qui fait
28:32que la porte
28:34ne peut plus rentrer
28:35dans son logement
28:36dans son cadre
28:37si vous voulez.
28:38Donc ça veut dire
28:39qu'il y a un mouvement
28:40sur la cloison elle-même.
28:42Cet effet d'affaissement
28:48et même s'il est mineur
28:49quelques millimètres
28:51un centimètre
28:51va entraîner
28:52des fissurations
28:53à l'étage du dessus
28:55mais jusqu'au dernier étage
28:56de l'immeuble
28:57parfois.
28:59La présence
28:59de lézard
29:00ou de fissures
29:00importantes dans l'immeuble
29:01sont un symptôme
29:03à prendre très au sérieux
29:04puisqu'il peut indiquer
29:06des modifications
29:06dans les fondations.
29:10Liliana
29:10la mère de Julien
29:11a bien conscience
29:12de la situation.
29:19Il y en a des fissures
29:20dans la chambre
29:22du côté de la cuisine
29:24dans les salons
29:26il y en a peut-être
29:273-4 fissures
29:28des langues fissures.
29:30Au Pérou
29:30on a vécu
29:31des temblamentaires
29:32donc quand je vois
29:33des fissures
29:34ça m'inquiète toujours.
29:39Je suis très franche
29:40avec Julien
29:40et je lui dis
29:41tu ne peux pas
29:42continuer ici.
29:44Tu ne peux pas rester
29:44dans cet appartement.
29:47Et lui
29:47il me dit
29:48tu as raison
29:49il ne faut pas
29:50que je reste
29:50plus de temps.
29:52D'ailleurs
29:52je parle
29:54avec un ami
29:55et je vais m'installer
29:57dans un nouvel appartement.
29:59C'est parfait
30:02là je vais partir
30:03tranquille
30:03et même
30:04à la gare
30:05je lui dis
30:07tu ne dis pas
30:08ce que tu m'as promis
30:09je dis comme ça
30:10et il me dit
30:10non
30:11j'étais promis
30:12et je le fais.
30:17Avec cette promesse
30:18Liliana regagne
30:19sereinement Paris.
30:23Elle n'imagine
30:23à aucun moment
30:24qu'un drame
30:24va se produire.
30:29Ce lundi 5 novembre 2018
30:37il est 8h45
30:3922 minutes
30:40avant l'effondrement.
30:43En ce début de journée
30:44Abdel Ghani
30:45locataire du 65
30:46pressant qu'une catastrophe
30:47est sur le point d'arrivée.
30:50Je me réveille
30:51parce que je ne sais pas
30:52comme si je me réveille
30:53d'un cauchemar.
30:54La première impression
30:55que je remarque
30:56c'est que je me lève
30:56c'est l'impression
30:58que le sol
30:58va se dérouler
30:59sous mes pieds.
30:59C'est très bizarre
31:01comme sensation
31:02comme si je marchais
31:03sur quasiment du sable.
31:05C'est très particulier
31:06comme sensation
31:07comme si le sol
31:08était instable.
31:09Abdel Ghani
31:10se saisit de son téléphone
31:11et filme son appartement.
31:13Je me tourne
31:14et puis je me tourne
31:14et je vois
31:15en fait
31:15et je perçois
31:16pareil côté salle de bain
31:18mur qui donne
31:19dans la cuisine
31:19donc des fissures
31:20que je n'avais pas
31:21du tout remarqué
31:22la veille.
31:23Je me souviens
31:23m'être forcé
31:26en fait
31:27à contrôler
31:27ma respiration
31:28parce que je me dis
31:28il ne faut surtout pas
31:29que je panique.
31:32Je prends mon sac
31:33je me dirige
31:33en fait vers la
31:34porte d'entrée
31:36et la porte d'entrée
31:38en fait
31:38j'essaie de sortir
31:40mais la porte d'entrée
31:41reste bloquée.
31:45Après plusieurs tentatives
31:46Abdel Ghani
31:47parvient à s'extirper
31:48de ce piège.
31:49il choisit
31:52cependant
31:52d'y retourner
31:53la vidéo
31:54est destinée
31:55au syndic
31:56elle montre
32:01l'état
32:01de son appartement
32:02et plus largement
32:03de l'immeuble
32:04à quelques minutes
32:05seulement
32:05de l'écroulement
32:06C'est un impression
32:17que là
32:17le sol est en train
32:19de couler
32:20Ce qui me
32:23ce qui m'est dans un état
32:26quasiment panique
32:26mais je me contrôle
32:27donc j'essaie à tout prix
32:28de me contenir
32:30pour continuer à filmer
32:31histoire juste d'avoir
32:34des éléments en fait
32:35Qu'est-ce que la cuisine ?
32:38Déjà plus fermée la porte
32:39Décalage
32:46ici
32:47plusieurs centimètres
32:49Il y a une urgence
32:55Cette porte se ferme
32:59elle se ferme plus
33:00Alors
33:02on va faire un décalage ici
33:03En quelques heures
33:07c'est s'aggraver
33:08C'est en pire
33:12Je prends conscience
33:15en fait
33:15de ces fissures
33:16et ces fissures
33:17qui me semblaient
33:18un petit peu
33:18anodines en sortant
33:19mais de fissures
33:20que je n'avais jamais vues
33:21en fait en réalité
33:22dont je n'avais jamais
33:22pris conscience
33:23jusqu'à ce jour
33:25jusqu'à ce lundi matin
33:27Je descends
33:33je descends
33:33dans les escaliers
33:34donc j'entends
33:36un peu de bruit
33:37un peu partout
33:37du moins
33:38comme un lundi
33:39j'ai l'impression
33:40que mes voisins
33:41ne va qu'à leurs occupations
33:42comme d'habitude
33:43en fait
33:44une fois au rez-de-chaussée
33:50Abdelghani constate
33:51de nouveaux dégâts
33:52avant de retrouver
33:53son syndic
33:54il prend son téléphone
33:55portable
33:56une dernière fois
33:57et je vois
34:00la porte d'entrée
34:01on a l'impression
34:03en tout cas
34:03qu'il y a du sable
34:03qui s'écoule
34:04d'un mur
34:05ça c'est quelque chose
34:07que je n'avais jamais vu
34:08voilà
34:09c'est fort
34:11il y a ce qu'Abdelghani voit
34:18et ce qu'il ne peut pas voir
34:21au rez-de-chaussée
34:24la cloison abattue
34:26remplacée par le
34:27mur de parpaing
34:28pèse de tout son poids
34:29sur un poteau
34:30situé en sous-sol
34:31ce poteau
34:35il est situé
34:36en dessous
34:37d'une série de cloisons
34:38et donc
34:39il tient la structure
34:40dans un immeuble
34:41qui est fragilisé
34:42il a finalement
34:43un intérêt structurel
34:45un pauvre pilier
34:46là
34:46qui est dans la cave
34:47qui a les pieds dans l'eau
34:48et qui est fendu
34:49voilà
34:50donc ça veut dire
34:51que cet élément de structure
34:53est en train de lâcher
34:55ce lundi 5 novembre 2018
35:07il est 9h05
35:09au 34 de la rue d'Aubagne
35:11à une centaine de mètres
35:13des immeubles en perdition
35:14l'épicier du quartier
35:16va qu'à ses occupations
35:17je m'appelle
35:19Ali Adalassane
35:20et je tiens
35:21le paradis d'épices
35:22depuis 28 ans
35:24il sera l'un des
35:26tout premiers témoins
35:27de la catastrophe
35:28à la rue d'Aubagne
35:29il y a la boulangerie
35:30qui est en face
35:31qui a tendance
35:31tout le temps
35:32à ouvrir
35:32le matin de bonne heure
35:33à 6h
35:34je suis le deuxième
35:35de la rue d'Aubagne
35:35qui se met toujours
35:36en garde à bout
35:37j'ouvre le magasin
35:41j'étale toujours
35:46mes marchandises
35:46et
35:48je fais toujours
35:49mes tisanes
35:50et je me mets devant
35:54à contempler
35:55et attendre
35:55le premier oiseau
35:57ou le premier client
35:58qui rentre
35:59et lui dire
36:03soyez le bienvenu
36:05vous êtes dans
36:05la caverne d'Ali Baba
36:06et en parlant
36:12de l'Olympique de Marseille
36:14qui elle devait rencontrer
36:15de ça
36:15boum
36:16d'un seul coup
36:17qu'est-ce que j'ai fait
36:17je regarde sur ma droite
36:18mais c'est quoi cette fumée
36:24une fumée immense
36:25blanche
36:26on se dit
36:27ah là du coup
36:28il y a un truc
36:29qui est tombé quelque part
36:30mais un truc
36:34qui a fait
36:35flagadin
36:35un boum
36:36et de la terre
36:37qui est sortie
36:38le premier réflexe
36:40comme ils font les jeunes
36:41chercher les portables
36:42et c'est de se dire
36:43qu'est-ce qui est tombé
36:44et en montant doucement
36:54en tremblant
36:55en avançant doucement
37:05doucement doucement
37:06qu'est-ce qu'on voit
37:07au fond
37:08un trou
37:09l'immeuble du 65
37:16a disparu
37:179 des 10 appartements
37:19qui l'abritaient
37:19étaient occupés
37:20mais combien de personnes
37:22à cette heure
37:22étaient présentes
37:23à l'intérieur
37:23impossible pour le moment
37:25de le savoir
37:26la question se pose aussi
37:28du côté des passants
37:29certains pourraient
37:31s'être trouvés
37:31au mauvais endroit
37:32au mauvais moment
37:34à quelques centaines
37:41de mètres de là
37:42Abdelghani
37:43marche en direction
37:44de son syndic
37:45la vidéo
37:46qu'il a prise
37:46de son immeuble
37:47doit les faire réagir
37:48mais en réalité
37:50il n'y a plus rien
37:51à sauver
37:52je vois au loin
37:53d'un très gros
37:55nuage de poussière
37:56à ce moment-là
38:00je pense que c'est
38:00un lien
38:01avec ce que j'ai vécu
38:03le matin même
38:04je ne veux vraiment
38:07pas y croire
38:08j'oublie complètement
38:09le syndic
38:09je me dirige vers
38:10vers mon immeuble
38:12et puis
38:16je tombe sur
38:17un château de cartes
38:21qui s'écroule
38:21quand on voit
38:27en fait
38:28un immeuble
38:29comme je dis
38:29de cinq étages
38:30qui s'effondre
38:31et qu'on a face à soi
38:33comme il y a
38:33ce gros nuage
38:34de poussière
38:34et qu'on a quoi
38:35on a trois mètres
38:35enfin deux
38:36peut-être
38:36trois mètres
38:37de débris
38:37au maximum
38:38on se dit
38:39qu'il y a
38:40très peu de chance
38:40que quelqu'un
38:41ait survécu
38:42survécu à ça
38:45je m'attendais pas
38:53je n'y croyais pas
38:54je voyais ça
38:55que dans les films
38:56je m'appelle
39:02Violette Arteau
39:03je suis journaliste
39:04à Mars Actu
39:04et j'ai couvert
39:05les effondrements
39:06de la rue d'Aubagne
39:07donc j'arrive sur place
39:11il doit être
39:12peut-être
39:13une heure et demie
39:14à peu près
39:15d'un coup
39:18tout est devenu
39:19hyper calme
39:20alors que
39:21d'habitude
39:21c'est un quartier
39:22où vraiment
39:24où ça crie
39:25où ça marche vite
39:28là c'est le calme plat
39:30tout le monde
39:32est un peu
39:33sous le choc
39:34rapidement
39:36on se dit
39:37attends
39:38mais cet immeuble
39:38il était habité
39:39en fait
39:39et ça
39:40ça va être
39:41la première question
39:42à laquelle
39:43je vais chercher
39:44à répondre
39:44en arrivant
39:45sur place
39:46une centaine
39:49de marins pompiers
39:50mobilisés
39:51sur place
39:51ils ne disposent
39:53que de très peu
39:54de temps
39:54pour retrouver
39:54d'éventuels
39:55survivants
39:55la course contre
39:57la montre
39:57est lancée
39:58sous l'oeil
39:58des médias
39:59qui affluent
39:59de toute part
40:00il était 9h ce matin
40:07lorsque deux immeubles
40:08se sont effondrés
40:09en quelques secondes
40:10non loin du vieux port
40:11de Marseille
40:12pour l'heure
40:13le bilan est de deux blessés légers
40:15mais les secours creusent
40:16dans les décombres
40:17pour s'assurer
40:17qu'il n'y ait pas
40:18de victimes
40:19enfouies
40:19Dominique est l'un
40:21des premiers
40:21marins pompiers
40:22arrivés sur les lieux
40:23il fait partie
40:24de l'équipe
40:25cynotechnique
40:25du bataillon
40:26ma première question
40:28ça a été
40:29combien y a-t-il
40:30d'étages
40:30devant moi
40:32et le chef de groupe
40:34me répond
40:345 étages
40:35donc 5 étages
40:36réduits à 2m50
40:38déjà la réaction immédiate
40:41c'est
40:41les chances de survie
40:43sont infimes
40:45et il faut mettre
40:47les chiens au travail
40:48le plus rapidement possible
40:50afin de détecter
40:51localiser
40:51d'éventuels corps
40:53en vie
40:54dans les bâtiments
41:04d'ancienne génération
41:05la construction
41:06de ces bâtiments-là
41:07était telle
41:08à l'époque
41:08que quand ça s'effondre
41:11c'est un tas de pierres
41:12avec de la terre
41:14avec de la poussière
41:16des charpentes en bois
41:18ce qui laisse
41:19peu de chance
41:21aux personnes
41:22de s'en sortir vivantes
41:23donc le temps
41:25la rapidité
41:26il faut qu'on mette
41:28tout en oeuvre
41:29pour retrouver
41:30ces personnes-là
41:31afin de leur prodiguer
41:33les gestes médicaux
41:33les opérations de recherche
41:36sont cependant ralenties
41:37la montagne de Grava
41:39est impraticable
41:40seuls les chiens
41:41peuvent s'y aventurer
41:42et pour ne rien arranger
41:44l'immeuble d'à côté
41:45le 67
41:46menace de s'effondrer
41:47à son tour
41:48et on s'aperçoit
41:53qu'il y a une fissure
41:54sur la façade
41:55du 67
41:56qui est en train
41:57de s'ouvrir
41:57à vue d'oeil
41:58pendant que les équipes
42:00opèrent
42:01Dominique a les yeux rivés
42:02sur le bâtiment
42:03à tout moment
42:04une nouvelle catastrophe
42:05peut arriver
42:06finalement
42:09face à l'instabilité
42:10de la situation
42:11la décision est prise
42:13de démolir le bâtiment
42:14mais les équipes
42:16n'auront pas le temps
42:16d'intervenir
42:17on pensait pas
42:25que ça tombe comme ça
42:26surtout quand on a vu
42:28que le grutier
42:30n'avait pas touché
42:30le bâtiment
42:31et c'est de là
42:32qu'en une fraction
42:33de seconde
42:33on se dit
42:33mais dans l'hypothèse
42:34où on a des gens
42:35engagés
42:36sur le théâtre d'opération
42:37le bâtiment
42:39qui tombe comme ça
42:39il est tombé
42:42au bon moment
42:42Un troisième immeuble
42:54vient de s'effondrer
42:55rue d'Aubagne
42:5612 heures après
42:58les toutes premières recherches
42:59Liliana
43:00la mère de Julien
43:01arrive sur place
43:02Bon c'est
43:07c'est une scène
43:10assez
43:11difficile
43:13des guerres
43:13parce qu'il y a
43:15les pompiers
43:16il y a la police
43:17et puis
43:18il y a tous ces gravats
43:20incroyables
43:21qui
43:21qui ne laissent pas
43:24deviner
43:25ce qu'il y avait avant
43:26je me disais
43:28je me suis pas dit
43:31je le savais
43:32mais à l'intérieur
43:34je le savais
43:35Après deux jours
43:38de recherche
43:39le corps de son fils
43:41est retrouvé
43:41sous les décombres
43:42Au terme de cinq jours
43:45sept autres personnes
43:46seront identifiées
43:47quatre habitaient
43:49l'immeuble
43:49comme Julien
43:50trois autres
43:51étaient de passage
43:52Un immeuble
43:54c'est censé
43:54abriter
43:55un immeuble
43:56c'est censé
43:57être l'endroit
43:58où on évite la pluie
44:00on évite le froid
44:00et là d'un coup
44:01cet immeuble là
44:02il devient dangereux
44:04c'est pas
44:06une cause extérieure
44:07c'est une cause intérieure
44:08c'est l'immeuble lui-même
44:10qui est un piège
44:11pour ses habitants
44:12Derrière le calme apparent
44:15du quartier endeuillé
44:16la colère gronde
44:18Tout le monde cherche
44:21des voisins
44:22des amis
44:22ou des personnes
44:23et tout le monde fait tout
44:24pour quitter la rue d'Auban
44:25et petit à petit
44:27qu'est-ce qu'on voit
44:28la rue d'Auban
44:29qui se désert
44:29qui disparaît
44:31et qu'il y a
44:32qu'un pompier
44:33de la police
44:34Le week-end
44:44une marche blanche
44:45est organisée
44:45en mémoire des victimes
44:468000 personnes
44:48y participent
44:50C'est pas seulement
44:50Noaï qui est en deuil
44:52c'est tout Marseille
44:52qui est en deuil
44:538 personnes sont parties
44:54ils ont laissé orphelins
44:55père, mère, enfant
44:57et c'est plus ça
44:59Dans le même temps
45:02les arrêtés de péril
45:04se multiplient
45:04dans tout Marseille
45:05Il faut éviter
45:07à tout prix
45:07que la catastrophe
45:08se reproduise
45:09Des milliers de mal logés
45:11sont donc évacués
45:11de chez eux
45:12ils n'ont parfois
45:13que quelques minutes
45:14pour réunir leurs affaires
45:16On va récupérer
45:18le maximum de choses
45:19des papiers
45:19des médicaments
45:20La situation de crise
45:23qui touchait la rue d'Aubagne
45:24qui touchait
45:25trois immeubles
45:26elle va
45:27d'un coup
45:28toucher toute la ville
45:29C'est-à-dire
45:32trois jours après
45:33les effondrements
45:34on a les premiers
45:35immeubles
45:36qui sont évacués
45:37dans le centre-ville
45:39et c'est
45:40un, deux, trois, quatre
45:41ça devient épidémique
45:43Pour les habitants
45:48c'est d'une violence extrême
45:49c'est-à-dire
45:50qu'on arrive un jour
45:51ben là en fait
45:52vous avez trois heures
45:53pour prendre vos affaires
45:54et vous reviendrez
45:55un jour peut-être
45:56mais c'est pas sûr
45:57ou on sait pas
45:58en tout cas
45:58on sait pas quand
45:59mais parfois
46:00il y en a qui étaient
46:00quasiment en pyjama
46:01dans la rue
46:02avec leur valise
46:04et là on leur dit
46:06ben en fait
46:06vous allez aller à l'hôtel
46:07Ça génère clairement
46:11une crise de logement
46:12une crise de logement
46:13ce qu'on appelle
46:13nous on est la crise
46:14des délogés
46:15et il y a eu
46:16autour de 4000
46:18à 5000 délogés
46:19ça continue
46:20puisque
46:21aujourd'hui
46:23on regarde plus
46:25le bâti
46:26marseillais
46:27de la même manière
46:28Aujourd'hui
46:36des numéros 63
46:3765
46:38et 67
46:39de la rue d'Aubagne
46:40il ne reste qu'un trou béant
46:42la justice
46:44elle cherche à préciser
46:45l'ensemble des causes
46:46et responsabilités
46:47il est évident
46:50qu'il n'y a pas
46:50une personne
46:51qui est responsable
46:51et qu'il n'y a pas
46:52une seule cause
46:53il va y avoir
46:54c'est l'accumulation
46:56des désordres
46:57c'est l'accumulation
46:58d'absence
47:00de travaux
47:01d'absence
47:01de réparation
47:02d'absence
47:04de responsabilisation
47:05qui fait qu'à un certain
47:07moment
47:07on arrive
47:08à une catastrophe
47:09comme celle-ci
47:10Plusieurs mises en examen
47:15ont été prononcées
47:16mais les expertises
47:18se poursuivent
47:18le problème
47:21d'une expertise
47:22et d'un sujet
47:23technique
47:24c'est qu'une expertise
47:25appelle à une contre-expertise
47:26qui appelle à une contre-expertise
47:27qui appelle à une contre-expertise
47:28et c'est là-dedans
47:29qu'on est rentré
47:30et ça
47:30on sait qu'on en a
47:31pour plusieurs années
47:33avant qu'on arrive
47:35à stabiliser l'instruction
47:36et imaginer une audience
47:38donc peut-être
47:39dix ans après
47:40les effondrements
47:40Dans cette catastrophe
47:45une question demeure
47:46de quoi le terrain
47:49qu'occupait l'immeuble
47:49est-il fait ?
47:52Pour le moment
47:52il est impossible
47:53de sonder le sol
47:54tant les immeubles voisins
47:55sont fragiles
47:56Pour Michel Villeneuve
47:59géologue
48:00cette question est capitale
48:02et elle ne concerne pas
48:03seulement la rue d'Aubagne
48:04Le bassin de Marseille
48:06sur lequel est construit
48:0790% de la ville de Marseille
48:09des immeubles
48:10est totalement inconnu
48:12de 5 mètres
48:13à 1000 mètres
48:14on ne connaît pas du tout
48:15la constitution
48:16et c'est ça
48:16qui est grave
48:17parce que
48:18toute la ville de Marseille
48:19est bâtie
48:20sur quelque chose
48:21qu'on ne connaît pas du tout
48:22au point de vue géologique
48:23Si des points restent à éclaircir
48:33ce 5 novembre 2018
48:35aura mis au grand jour
48:36un mal silencieux
48:37qui gangrène la ville
48:38depuis des décennies
48:40Marseille est devenu
48:45le symbole
48:46de l'habitat indigne
48:47et aujourd'hui encore
48:48on vit encore
48:49avec ce péril
48:50aujourd'hui encore
48:51on est sur un rythme soutenu
48:52les immeubles
48:53qui ont été fermés
48:54en 2018-2019
48:56sont toujours fermés
48:57on a toujours
48:58des rues à Marseille
49:00qui sont barrées
49:01avec des GBA
49:03qui empêchent de passer
49:04où on est obligé
49:05de contourner des immeubles
49:06ça c'est la réalité
49:07de la ville
49:08il y a des gens
49:08qui sont encore
49:09dans les hôtels
49:09aujourd'hui
49:10aux côtés
49:12d'Abdel Ghani
49:13six autres locataires
49:15du 65 de la rue d'Aubagne
49:16ont échappé
49:17ce jour-là
49:17aux effondrements
49:18pour chacun
49:20il est encore difficile
49:22de surmonter
49:23ce traumatisme
49:23aujourd'hui
49:26c'est vrai que
49:27et ça m'arrive encore
49:28parfois
49:29de jeter un coup d'œil
49:31sur les plafonds
49:32sur les murs
49:33d'être très sensible
49:34très alerte
49:35sur les moins
49:36de petites failles
49:36là maintenant
49:38c'est quelque chose
49:38qui est complètement ancré
49:39hélas
49:41c'est triste à dire
49:42mais complètement ancré
49:43dans ma personnalité
49:46dans ma
49:46enfin chez moi
49:48la rue
49:56commence à revivre
49:57et je suis contente
49:59pour ça
49:59j'espère que
50:00les maisons
50:01les immeubles
50:02vont être vraiment
50:04des immeubles sains
50:06des immeubles
50:08accueillants
50:08pour les gens
50:10et que ça ne se répète
50:12plus jamais
50:13je suis contente
50:14au moins
50:15cette malheur
50:17puisse servir
50:19pour qu'il y ait
50:20du bonheur après
50:20...
50:25...
50:29...
50:34...