I Muvrini continue son combat pour la non-violence dans "Nulu 33" : "Dans cette période, les anticorps culturels sont importants"

franceinfo

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 20 juin 2025, l'auteur, compositeur, interprète et membre du groupe corse, I Muvrini, Jean-François Bernardini. Le groupe sort un nouvel album, "Nulu 33".

Transcript

00:00Bonjour Jean-François Bernardini, vous êtes l'un des fondateurs du groupe Corse Imouvrini,

00:05ce qui signifie les petits mouflons en Corse, ce sont des ovins sauvages qui ressemblent à des moutons domestiques

00:10et loin de l'image du mouton qui suit sans vraiment réfléchir, Imouvrini et tout l'inverse.

00:14Une famille de passionnés de chant corse et de musique du monde, de variété, de poésie aussi,

00:19avec dans ses textes un regard calme et tranchant sur le monde qui nous entoure.

00:23Avec votre répertoire vous avez su dépasser les frontières, d'ailleurs vous êtes le groupe Corse le plus connu dans le monde.

00:28Depuis votre création vous vous êtes constitué un beau répertoire avec à la clé huit disques d'or,

00:32deux victoires de la musique, des chansons qui vous ressemblent dans le combat que vous menez pour la non-violence.

00:37Aujourd'hui vous êtes de retour avec Noulou 33, votre nouvel album qui comprend 11 titres pour célébrer la vie,

00:42qui plus est tous ensemble. Vous venez aussi de publier Zerou Vergonia, que vous définissez comme une semi-fiction.

00:49Les deux oeuvres se rejoignent finalement Jean-François dans le besoin de célébrer la vie

00:53et qui plus est encore une fois d'être tous ensemble, comme l'écrivait Sénèque,

00:57« Faire vouloir au peuple ce qu'il ne veut pas, voilà la vraie puissance » ?

01:02Essayez de répondre de cela, c'est un chantier Elodie, non ?

01:07Essayez justement, oui, Sénèque dit « Faire vouloir au peuple ce qu'il ne veut pas, voilà la vraie puissance ».

01:12Ben non, on va essayer justement de faire vouloir au peuple ce qu'il veut.

01:15Et je crois que dans cette période, les anticorps culturels sont importants.

01:23Et dans cette période où la langue poétique a de moins en moins de place,

01:29où on a envie quelquefois de s'extraire de ce narratif quotidien de tous les désrégulés du monde,

01:35qui nous afflige, qui nous assomme, qui nous étouffe, qui nous asphyxie,

01:41c'est bien quelquefois de prendre de la hauteur.

01:43Et la culture est non pas un refuge, mais peut-être ce toasis dont on a besoin,

01:51pour mieux voir, pour mieux entendre, pour mieux comprendre le monde dans lequel on est,

01:57et éventuellement le transformer un peu.

02:00Et ça, c'est passionnant, parce que la culture, l'art, c'est faire face.

02:05Essayer de faire face, en tout cas, avec beaucoup d'humilité,

02:07mais quand on sème des graines, et qui plus est, quand on les sème depuis un nuage,

02:12on a l'impression que c'est plus efficace.

02:15Votre devise reste que rien ne nous sépare,

02:18et donc nous mettre au service de ce qui est plus grand que nous, ça veut dire quoi ?

02:22Se mettre au service de ce qui est plus grand que nous ?

02:25On a tous besoin d'avoir quelque chose plus grand que notre clocher,

02:29notre nombril, notre petit chemin.

02:33On a besoin de cette hauteur qui nous fait humains.

02:36Je veux dire, le lien entre les humains n'est pas fait que de sang.

02:40Il est fait de liens immatériels, de nourritures immatérielles,

02:44de nourritures spirituelles.

02:48Et le mur, quelquefois, on pourrait parler d'un mur

02:51dont on a l'impression qu'il est devant nous,

02:54il a une force.

02:54C'est qu'il nous sépare.

02:59Il nous éloigne les uns des autres.

03:01Il nous met dans des cases, il nous met dans un tiroir.

03:03Et venant de Corse, je vais vous dire que

03:05cette terre, elle a cette expérience-là, quoi.

03:08De cette mise à l'écart, de mise dans un tiroir.

03:11C'est pour ça que vous rappeliez un peu notre origine,

03:14notre origine au sens culturel, au sens de notre chemin.

03:17C'est très important de savoir d'où l'on vient.

03:18C'est très important de savoir d'où l'on part.

03:22De cette nourriture qui fait votre colonne vertébrale.

03:25Que le monde paysan universel, pas que Corse,

03:28vous apprend.

03:30Ce monde auquel il vous initie.

03:33Il vous initie à quoi ?

03:35Au cercle.

03:37Au lien.

03:38Et avec la musique, c'est merveilleux

03:40de pouvoir tisser ce lien en permanence.

03:43Je dois vous dire que dès le début,

03:44il était quasiment impossible, inimaginable,

03:46qu'un groupe venant de Corse,

03:48chantant dans une langue qui est parlée

03:50par quelques dizaines de milliers de personnes,

03:53qu'elle trouve des portes d'attache

03:54partout en Europe et au-delà.

03:56Et ça, je crois que c'est une réponse,

03:59un message que nous envoie la société mondiale.

04:03Il y a besoin de nourriture.

04:04Il y a besoin de lien.

04:05Il y a besoin de tisserands.

04:08Dans un monde où il y a beaucoup de déchireurs.

04:10Vous serez d'ailleurs sur scène avec le groupe

04:12le 20 juillet prochain au Vieux-Port de Marseille.

04:15Du 5 au 20 août en tournée dans toute la Corse

04:18et à l'Olympia le 4 mars 2026.

04:21La scène, c'est justement le moment de vérité.

04:23Le moment où on est yeux dans les yeux avec le public

04:25et où effectivement les textes sont entendus.

04:28Mais surtout, il y a une espèce de cohésion

04:30entre guillemets d'équipe, de famille qui se crée.

04:33Notre ami Springsteen est dit

04:35« Born to run », « Born to give », « Born to meet ».

04:41Né pour rencontrer, né pour donner, né pour semer.

04:44La scène, c'est un sport de combat.

04:47Parce que quand on rêve de donner chaque soir

04:49le meilleur concert de sa vie,

04:51je veux dire que vous vous levez le matin,

04:52vous vous dites « Bon, c'est aujourd'hui ».

04:54Et puis c'est la rencontre, c'est le lien.

04:57On est toujours stupéfait dans ce monde justement

05:01où on nous gaffe, dans cette société de l'emballage.

05:05Combien les publics viennent aujourd'hui

05:09chercher auprès de ces musiques une nourriture.

05:12Du pain pour le cœur, pour l'âme, du sens.

05:15On vient chercher du sens.

05:17Ça ne veut pas dire qu'il faut être ennuyeux.

05:18Non, il faut amuser, il faut divertir,

05:20il faut faire rire, il faut faire pleurer quelquefois.

05:23Mais il faut surtout donner ce dont nous avons profondément besoin.

05:27Ceux qui nous nourrissent, ceux qui nous mettent debout.

05:29Ceux qui nous mettent debout.

05:29L'art, c'est faire face et la scène,

05:32c'est un moment privilégié pour partager ça.

05:35J'ai presque envie de dire qu'il n'y a rien de plus beau

05:37qu'une salle pleine,

05:40une salle où on allume la lumière.

05:42Mais être dans la lumière, ça ne veut pas dire

05:45que je veux que ça scintille partout.

05:47Être dans la lumière, c'est porter une lumière intérieure.

05:50Dans le cœur, dans l'âme des gens

05:52qui sortent en vous disant que ça fait du bien.

05:55Ça nous met debout.

05:56Et c'est peut-être cette famine-là,

06:00cette vraie nourriture culturelle

06:02dont nous sommes tous en quête,

06:04c'est très important de nourrir

06:06ce qui nous fait humains,

06:08où que l'on soit sur la planète.

06:09Cet esprit, cette lumière,

06:11cette nourriture fondamentale.

06:12Aujourd'hui en Corse, ne demande pas la Lune,

06:14nous avons déjà les étoiles et la Terre et les nuages.

06:16Ça veut dire qu'on ne se contente pas assez de ce qu'on a,

06:19qu'on ne prend pas assez le temps dans ce monde

06:20qui va très vite, où on est pollué

06:22par les images, les vidéos, les réseaux sociaux, les écrans.

06:27Comment voulez-vous que l'on donne de l'empathie à la planète

06:30si nous-mêmes, nous n'en avons pas reçu

06:32dès la toute petite enfance ?

06:34Si nous-mêmes...

06:35Vous savez, j'entendais récemment

06:36une voix du peuple Mapuche en Argentine

06:40qui disait, mais le fleuve,

06:42il est là depuis des millénaires.

06:44sa vie à lui, elle est aussi importante que la nôtre.

06:49Parce que c'est une vie d'éternité.

06:50Donc si on perd ce rapport au vivant,

06:53notre interdépendance avec ce qui nous entoure,

06:56avec les fleurs, les sources, les arbres,

06:59les fontaines, l'air que nous respirons,

07:01l'eau que nous buvons,

07:02mais nous sommes hors sol

07:03et nous nous croyons très très puissants.

07:06Donc cette connexion

07:07que les paysans du monde...

07:09Les paysans, ils ont la religion des arbres,

07:12ils ont la religion des sources,

07:13ils ont la religion de la terre vivante.

07:15Ils savent que dans un centimètre cube de terre,

07:18il y a des milliards d'êtres vivants.

07:20Si nous méprisons ça, nous méprisons l'homme.

07:22Nous méprisons la vie.

07:23Et c'est un peu ce qui nous arrive aujourd'hui.

07:25Donc ce qui est devant nous, ce n'est pas un mur.

07:27C'est une réconciliation

07:28avec ce vivant qui est devant nous

07:30et tous nous en sommes capables,

07:32encore faut-il partir de cette prise de conscience

07:34et dire, on peut faire quelque chose.

07:37Et moi, nous croyons, nous,

07:38non pas au lendemain qui chante,

07:40nous croyons au petit pas.

07:42Là où tu es, commence par un petit pas.

07:44Le plus petit possible que tu puisses faire.

07:47Mais cette addition du petit pas,

07:49c'est elle qui transforme

07:50et qui est à l'origine de la métamorphose du monde

07:52dont nous pouvons rêver ensemble.

07:54Quand on écoute le titre Campa,

07:55pour terminer,

07:57ça rejoint ce qu'il y a dans le livre.

07:59Zéro vergogna,

08:00c'est-à-dire ce qui a été dit

08:01et qui a été nommé,

08:02on peut le surmonter.

08:03Est-ce que c'est la solution, ça ?

08:04De formuler ce qui nous...

08:06Ben ça commence par là.

08:09Ça commence par allumer cette lumière.

08:12Notre véritable nature.

08:14Mais vivre, c'est un miracle.

08:17Vivre, c'est sacré.

08:19Et donc Campa, c'est ce timbre-là, quoi.

08:22Cette manière de célébrer

08:24et de dire, mais ce droit-là,

08:26il est fondamental,

08:27il est essentiel.

08:29Et vivre, c'est vivre, bien sûr,

08:31avec les besoins que nous avons quotidiennement.

08:34Manger, boire, respirer.

08:35Mais c'est vivre aussi

08:36de cette nourriture intérieure

08:38dont nous avons profondément besoin.

08:40Nourriture immatérielle,

08:42spirituelle, culturelle.

08:44Et c'est de cette famine-là

08:45dont le monde souffre quelquefois.

08:48Mais nous avons eu du mal

08:49à repérer ce qui est invisible,

08:52ce qui n'est pas dit tous les jours, quoi.

08:55Et pourtant, c'est bien de cela

08:56dont nous avons profondément besoin.

08:59Et la musique, à sa manière,

09:00elle a cette fonction essentielle

09:04de donner, de nous reconnecter

09:06avec ce qui est de la nourriture

09:09pour l'âme et pour le cœur

09:10et la conscience.

09:10Sous-titrage Société Radio-Canada

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