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  • 09/06/2025
Anne Fulda reçoit Claire Berest pour son livre «La chair des autres» dans #HDLivres

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Transcription
00:01Bienvenue à l'heure des livres, Claire Bérest, on est ravis de vous recevoir.
00:04Vous êtes romancière, vous avez déjà écrit de nombreux livres, notamment L'épaisseur d'un cheveu,
00:09un livre sur votre grand-mère écrit avec votre soeur Anne-Gabrielle.
00:14Et vous venez de publier cette fois un essai, un essai personnel on va dire,
00:18qui s'appelle La chair des autres, en sous-titre Mazan, l'exploration du mal,
00:22un livre qui est paru aux éditions Albin Michel, qui est à la fois analytique et intime,
00:27qui mêle les deux et qui revient sur ce procès de Mazan qui a été bien plus qu'un terrible fait d'hiver.
00:35C'est un procès qui a duré entre le 2 septembre et le 19 décembre 2024
00:39et que vous avez suivi comme romancière pour un magazine.
00:44Alors vous avez, c'était, j'imagine, un moment difficile parce que,
00:49premièrement vous l'expliquez au début, vous n'êtes pas journaliste, vous êtes romancière.
00:54Puis en plus, vous avez dû voir, assister à des scènes compliquées, j'imagine ?
01:01Oui, alors en premier lieu, cette affaire, cette tragédie était difficile pour tous les acteurs de cette affaire, évidemment.
01:08Nous, après, ceux qui se sont mis autour en tant que spectateurs, si je puis dire,
01:13pour essayer de témoigner ou de rendre compte, je pense aux autres journalistes,
01:17je pense aussi aux gens qui sont venus soutenir Gisèle Pellicot pendant ce procès.
01:22Alors, ce serait indécent de dire que c'était difficile pour nous, c'était surtout difficile pour les partis civils.
01:28Mais il est vrai que dans ce geste audacieux, inattendu et de courage de la part de Madame Pellicot
01:35de faire un bras de fer presque pendant un mois avec le président de la Cour criminelle
01:39pour lever le huis clos, elle nous a adressé un message à tous
01:44qui était de ne pas détourner le regard.
01:47Et donc, il a fallu soutenir ce regard devant des faits que l'on pourrait dire indescriptibles, insupportables.
01:57Mais elle nous a demandé de le faire d'une certaine manière
01:59pour permettre d'ouvrir peut-être un grand débat,
02:03pour permettre d'avancer ensemble dans des réflexions communes.
02:06– Comment expliquez-vous le retentissement mondial qu'a eu cette affaire ?
02:13Est-ce que c'est la personnalité de Gisèle Pellicot ?
02:16Est-ce que justement c'est cette levée du huis clos ?
02:18Bon, on est dans le post-MeToo, mais quand même, c'est exceptionnel.
02:22C'est un horrible fait divers, quand même.
02:24– Oui, mais malheureusement, tous les horribles faits divers ne prennent pas un tel espace médiatique.
02:29Donc, vous avez raison de souligner qu'est-ce qui s'est passé avec cette affaire spécifiquement.
02:32Et c'est vrai qu'on ne se rend pas bien compte aujourd'hui, que cette affaire est devenue mondiale,
02:36qu'au début du procès, dès le mois d'août, quand les demandes d'accréditation se font
02:41pour aller assister au procès en tant que journaliste, il y a peu d'accréditation.
02:44Il y a peu de journalistes, il y a les faits diversiers, il y a des chroniqueurs judiciaires.
02:48Mais c'est encore, d'une certaine manière, un huis clos.
02:51C'est encore un fait clos, comme le disait Barthes, pour la structure des faits divers.
02:56Il n'a pas encore éclaboussé la société.
02:58On peut avancer des hypothèses, il est indéniable que l'apparition, la présence et la voix de Mme Pellicot,
03:08le 5 septembre, trois jours après l'ouverture, qui demande ce huis clos,
03:13et qui témoigne de vérités qui sont complexes, et qui ne sont pas binaires,
03:18et qui ne s'enferment pas dans des cases,
03:20mais qui tente, elle aussi, de faire se manifester la vérité,
03:23vérité difficile à reconstituer, à saisir, indédiablement, sa voix, cette petite femme,
03:29parce qu'elle est menue, a tout d'un coup appelé le monde entier.
03:33Et pour avoir passé un certain temps là-bas, je dois dire que j'ai beaucoup discuté avec d'autres journalistes,
03:38espagnoles, anglaises, américaines, effectivement, le monde s'est bousculé dans la petite ville d'Avignon.
03:43Alors pour vous, ça a été une manière de continuer vos travaux sur l'exploration du mal,
03:50néanmoins, se mêler, mêler un peu sa propre histoire et ses propres quêtes à une affaire de cette sorte,
03:57est-ce que ce n'est pas compliqué, vu que vous citiez Emmanuel Le Carrère,
04:01qui l'avait fait pour l'affaire Roman, pas évident ?
04:05Vous avez raison, je dois dire que j'ai vraiment peut-être saisi que de livre en livre,
04:10j'explorais peut-être le mal depuis dix livres, en écrivant celui-là de livre,
04:15qui est un, vous avez très joliment dit récit personnel, ce serait, enfin un essai personnel.
04:21Je crois qu'il m'a fallu peut-être écrire ce livre pour me rendre compte que,
04:26depuis tous mes livres, j'ai essayé de saisir quelque chose de la représentation du mal,
04:29d'essayer d'encercler ce moment de bascule où monsieur et madame tout le monde,
04:35ou monsieur et madame tout le monstre, comme dirait Daniel Zaguri,
04:38basculent de l'autre côté et quel est cet autre côté ?
04:41Et c'est vrai que, voilà, je l'ai saisi à ce moment-là, ce livre m'a amenée à ça.
04:47Effectivement, quand on s'empare de la tragédie de quelqu'un d'autre,
04:49pour essayer d'en rendre compte, il y a une forme de distance de délicatesse permanente.
04:55Et la question de se mettre soi-même dans le récit
04:57est une question qui vous harcèle.
05:00Parce que, est-ce qu'il y a une justesse là-dedans ?
05:03Mais justement, je pense que quand on tente de rendre compte du mal et du malheur,
05:08peut-être que la politesse est de mettre son corps aussi à l'intérieur.
05:12Et c'est vrai qu'Emmanuel Carrère avait parlé de cela pour l'adversaire,
05:16où il s'était intéressé à l'affaire de Jean-Claude Romand.
05:19Et effectivement, il a expliqué que le moment où il a su commandire « je » pour lui-même,
05:24ça lui a permis de s'emparer de la bonne distance pour parler d'un fait divers tragique.
05:29Alors, ce qui est intéressant, c'est qu'il y a beaucoup de chapitres d'entrées différentes.
05:33Vous dites notamment que concernant cette affaire-là,
05:35contrairement à l'affaire Weinstein par exemple,
05:38il n'y a pas de question de pouvoir.
05:40Les grandes affaires où il était question de viol, il y a une question de pouvoir.
05:44Là, non, ils étaient mariés depuis 50 ans.
05:46D'ailleurs, Gisèle Pellicot décrit un couple, elle dit sans arrêt cette expression,
05:51elle dit « un super-mec ».
05:52C'était un super-mec, Dominique.
05:54Oui, elle a dit plusieurs fois qu'il était extraordinaire.
05:57Et puis 50 ans, un demi-siècle passé ensemble.
06:00C'est vrai que je convoque pour l'exercice des affaires qui ont fait basculer mytho.
06:05Weinstein, Epstein, Pididi.
06:07Et c'est vrai qu'ils ont en commun d'être des hommes d'une très grande puissance,
06:11beaucoup de pouvoir médiatique, financier.
06:13Et là, on a un monsieur tout le monde qui a une vie somme toute classique,
06:17qui par ailleurs a beaucoup de soucis financiers.
06:21Et en même temps, on a l'impression que la mise en place des actes criminels,
06:25la méticulosité, l'espace, le nombre, la durée dix ans,
06:32nous fait penser à ces très grandes affaires de prédateurs.
06:36Il y a une chose pour Dominique Pellicot qui est frappante,
06:39c'est que d'une certaine manière, il a créé un boys club.
06:43Dont les membres n'étaient pas forcément au courant qu'ils étaient aussi nombreux.
06:47Mais lui, il a usé d'une forme de force,
06:50force dans le sens de bestialité et pas dans le sens, on va dire, d'énergie vitale,
06:54en allant chercher des compagnons de crime,
06:58en les ramenant chez lui,
07:00en leur demandant de passer aussi à l'action,
07:02en les motivant pour le faire.
07:04Et peut-être que cette sorte de force négative que l'on retrouve dans les très grandes affaires MeToo,
07:10l'argent, le personnel, le pouvoir d'influence,
07:15ici, s'est déplacé à cette agrégation d'hommes.
07:20En tout cas, vous explorez de façon très originale et très intéressante cette affaire.
07:27Dans votre non-conclusion, vous terminez en disant
07:29que Gisèle Pellicot a ouvert un débat existentiel sur les rapports des hommes avec les femmes.
07:35Je vous conseille ce livre, ça s'appelle La chair des autres,
07:38c'est paru aux éditions Albin Michel.
07:40Merci beaucoup Claire Bérest.
07:41Merci beaucoup.

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