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  • il y a 5 jours
Il y a 40 ans, le philosophe Vladimir Jankélévitch disparaissait. Qui était-il ? Comment son parcours, tout au long du siècle dernier, a-t-il structuré l'évolution de sa pensée si singulière ? En quoi demeure-t-elle, aujourd'hui encore, d'une grande modernité ?

Pour en débattre, Jean-Pierre Gratien reçoit : Manuel Valls, l'ancien Premier ministre et actuel ministre des Outre-mers, François Schwab, historienne, et Pascal Bruckner, philosophe, essayiste et romancier.

LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:00Bienvenue à tous dans Débat Doc.
00:00:17Voilà 40 ans, disparaissait le philosophe Vladimir Jankelevitch.
00:00:21Qui était-il ?
00:00:22Comment son parcours tout au long du siècle dernier a-t-il structuré
00:00:26l'évolution de sa pensée si singulière ?
00:00:30Vous allez le découvrir tout de suite avec le documentaire exclusif
00:00:33qui va suivre Vladimir Jankelevitch, Penser la vie,
00:00:37réalisé par Fabrice Gardel et Mathieu Wechler.
00:00:41Et je vous retrouverai juste après sur ce plateau
00:00:43en compagnie de l'ancien Premier ministre Manuel Valls,
00:00:47de l'historienne et biographe de Vladimir Jankelevitch,
00:00:50Françoise Schwab et du philosophe Pascal Bruckner.
00:00:53« J'écris pour le XXIe siècle », déclarait volontiers Vladimir Jankelevitch.
00:00:59Nous verrons avec eux dans quelle mesure il disait vrai.
00:01:02Bon Doc.
00:01:03Un jour de janvier 1980,
00:01:10l'émission littéraire Apostrophe consacre une soirée spéciale
00:01:15à un jeune philosophe de 77 ans,
00:01:19Vladimir Jankelevitch.
00:01:22Il est quasiment inconnu du grand public.
00:01:25« Alors on y va ou non ? »
00:01:26« Soyons sérieux, s'il vous plaît, allons ! »
00:01:29Ce soir-là, Bernard Pivot présente trois de ses livres
00:01:33au titre poétique « Le je-ne-sais-quoi et le presque rien ».
00:01:37« Bon, alors qu'est-ce que c'est que le je-ne-sais-quoi et le presque rien ? »
00:01:40« Mais d'abord, le je-ne-sais-quoi, c'est...
00:01:42Vous ne savez pas quoi, mais vous savez que... »
00:01:44« Par exemple, quand vous dites d'une femme,
00:01:46« Cette femme, elle a le mi-retoussé, elle a les oreilles décollées,
00:01:50elle est affreuse, elle a une grande beauté désagréable,
00:01:54elle a les cheveux en désordre,
00:01:56eh bien, quand même, elle a je-ne-sais-quoi. »
00:02:01« Elle a je-ne-sais-quoi. »
00:02:02« Quand je dis qu'elle a je-ne-sais-quoi, c'est tout à fait positif.
00:02:05Ça veut dire que je ne peux pas dire ce qu'elle a,
00:02:07ce qui fait son charme, qu'elle s'appelle le charme, tout simplement. »
00:02:10L'émission fait un carton.
00:02:13Jean Kélévitch dira en riant « J'ai vendu plus de livres après apostrophe
00:02:17que tout au long de ma vie. »
00:02:21Jusqu'alors, l'originalité du philosophe
00:02:24n'avait été reconnue que dans les amphithéâtres de la Sorbonne.
00:02:30« Les gens qui font de la philosophie croient que la philosophie,
00:02:34c'est de réfléchir sérieusement sur les choses
00:02:36qui ne sont pas les choses de tous les jours.
00:02:38Or, Jean Kélévitch, ce qui fait, c'est ça.
00:02:39C'est-à-dire, on parle du quotidien.
00:02:41Bon, la philosophie, c'est bien ça. »
00:02:43Son credo, explorer les subtilités de notre quotidien,
00:02:48l'importance de l'expérience vécue.
00:02:52Jean Kélévitch parle de la vie.
00:02:56De la mort, de l'amour, du temps, de la musique.
00:03:02Contrairement à beaucoup, il n'appartient à aucun courant philosophique.
00:03:11Il refuse, tous les prêt-à-penser.
00:03:15« Que voulez-vous, madame, pour vous ?
00:03:17Nous avons le scepticisme, l'hédonisme, le rigorisme.
00:03:22Le rigorisme, j'en veux pas, ça fait mal.
00:03:25L'hédonisme, j'en veux bien, mais c'est la philosophie du plaisir.
00:03:28C'est suspect.
00:03:29Enfin, vous choisissez votre isme préféré. »
00:03:33Il ne se réclame d'aucune idéologie.
00:03:35Il rejette tout embrigadement.
00:03:39Il est d'une vigilance absolue face à l'antisémitisme.
00:03:46« Nous cherchons les causes comme si quelqu'un avait attrapé une maladie.
00:03:50D'où vient cette maladie ?
00:03:51Il a attrapé l'antisémitisme quelque part, en fréquentant des mauvais milieux.
00:03:54C'est pas ça. Il est caché dans le fond des cœurs, il est dans la lâcheté morale de beaucoup de gens. »
00:04:01À l'heure où la haine l'emporte sur le dialogue, sa voix nous parle plus que jamais.
00:04:09« Je crois que ce dont nous souffrons aujourd'hui, ce qui fait notre détresse, c'est la sécheresse.
00:04:15Nous vivons une époque essentiellement sèche.
00:04:17Alors l'amour palie à toute sécheresse.
00:04:22C'est l'amour justement qui nous évite de vivre dans un désert comme l'Arabie.
00:04:28Et c'est donc la sécheresse qui est notre mal d'aujourd'hui.
00:04:30Sous-titrage Société Radio-Canada
00:05:00Professeur à la Sorbonne depuis 1951, Vladimir Jankelevitch donne officiellement un cours d'histoire de la philosophie.
00:05:10Mais il ne ressemble à aucun autre de ses collègues.
00:05:14Son but, aider ses élèves à penser par eux-mêmes.
00:05:18Quand on parle de n'importe quoi, pas de n'importe quoi, mais enfin de la vie, de la mort, alors ils vous répondent « Hegel dit que, et Nietzsche dit que, etc. »
00:05:28Alors moi je leur dis « Et Dupont, qu'est-ce qu'il dit ? »
00:05:32« Est-ce que ça ne vous concerne pas ? Vous n'avez pas une opinion là-dessus ? »
00:05:34Alors d'abord ils sont étonnés d'avoir à avoir une opinion, jamais on leur avait dit ça.
00:05:41Et puis finalement ils se laissent aller, ils parlent volontiers.
00:05:44Et on me dit que ça continue comme ça maintenant, il suffit de s'en donner la peine.
00:05:48Au lieu de citer bêtement un tel tout le temps, et bien réfléchissez vous-même.
00:05:55Les étudiants se bousculent dans les amphithéâtres pour venir l'écouter.
00:05:58Et alors il rentre, il a l'air à moitié anxieux, un mélange d'anxiété et de malice.
00:06:05Il regarde un peu terrifié comme ça, il attend, il a l'air de se dire « Qu'est-ce que je lui ai raconté ? » etc.
00:06:11Pas du tout cette mise en scène d'honorabilité, de ton professoral doc qui étale ses notes, qui dit « Attention, maintenant on va être sérieux. »
00:06:20Non pas du tout, là il a l'air, il sort ses notes comme ça un peu timidement, et il commence, et ça a beaucoup de charme quoi.
00:06:28Mais très vite, il s'écarte de ses notes pour improviser.
00:06:33Jean Kélévitch est un orateur hors pair.
00:06:37C'est Socrate qui l'inspire.
00:06:39Je pense qu'une des choses qui fascine Jean Kélévitch dans la figure de Socrate, c'est le fait d'être capable d'un enseignement qui nous parle aujourd'hui, plus de 2000 ans plus tard, grâce finalement à la parole.
00:06:54Cette capacité à dialoguer avec tous, Jean Kélévitch la met en pratique au quotidien.
00:07:00« J'ai pris un taxi pour aller je ne sais où, et alors j'ai ouvert le taxi, il m'a dit « Vous êtes professeur, probablement. »
00:07:08Je lui ai dit qu'en effet, je devais avouer que j'étais professeur, et de quoi ?
00:07:11Alors je lui ai dit « De philosophie. » « Ah, c'était complet, alors vous êtes dans votre philosophie. »
00:07:15« Alors qu'est-ce que c'est la philosophie ? À quoi ça sert ? »
00:07:17Alors je lui ai dit « Vous posez une question philosophique. »
00:07:21« Voilà, vous faites de la philosophie. »
00:07:23Alors ça lui a ouvert des horizons, il s'est retourné vers moi, il avait compris des tas de choses.
00:07:28Encore une fois, je crois que j'ai pu entrevoir la vocation philosophique de n'importe qui.
00:07:33Vladimir Jean Kélévitch, à quoi servent les philosophes ?
00:07:39Mais quand on dit « À quoi servent les philosophes ? » on s'attend à ce qu'on dise à rien.
00:07:42Une fourchette, ça sert à manger, un couteau, ça sert à couper, etc.
00:07:47Une chaise à s'asseoir, mais la philosophie, à quoi ça peut servir ?
00:07:50À penser ?
00:07:51Pardon ?
00:07:51À penser ?
00:07:52La philosophie, c'est fait pour qu'on en fasse, n'est-ce pas ?
00:07:54C'est pas fait pour qu'on en parle, en réalité.
00:07:57Quand je fais de la philosophie, parce que je me porte mieux, ça diminue ma tension,
00:08:00je dormis la nuit, comme si vous l'avez trouvé à 1000 sacs, qu'est-ce que je dois faire ?
00:08:05Docteur, faites de la philosophie, vous verrez votre tension, tout ira bien, votre digestion sera régulière.
00:08:12Sa pensée explore les interstices de l'existence.
00:08:16Dans ses cours, il convoque tous les arts, la poésie, la peinture.
00:08:21Il parle de musique, il parle de littérature, au contraire, je trouve que c'est peut-être un de ses côtés très agréables,
00:08:27c'est en philosophie de ne pas parler que de la philosophie,
00:08:30c'est que la philosophie n'est pas seulement dans la philosophie chez lui,
00:08:33elle se trouve dans la musique, elle se trouve ailleurs,
00:08:36et ça, on lui retrouve justement ce côté un peu éthéré.
00:08:39L'amour, la musique, la joie,
00:08:42et ce que dit Jean Kélévitch, c'est tous ces je ne sais quoi,
00:08:45on peut vivre sans, on peut vivre sans amour, sans joie, sans musique, sans philosophie,
00:08:51mais pas si bien.
00:08:57Sous-titrage Société Radio-Canada
00:09:27Sous-titrage Société Radio-Canada
00:09:44Pour saisir l'originalité de cet homme, il faut revenir à la trajectoire de la famille Jankelevitch.
00:10:08Vladimir est le deuxième enfant d'une mère et d'un père juif, exilé russe, marqué par les pogroms de la fin du XIXe siècle.
00:10:25Réfugiés et intégrés en France, à Montpellier puis à Bourges, ils éduquent Vladimir dans la pure tradition républicaine laïque.
00:10:34Mon père était médecin, un médecin qui venait de Russie et qui s'intéressait énormément à la philosophie.
00:10:42Mais il fallait qu'il soigne des malades pour gagner sa vie, il n'avait pas beaucoup d'argent, le pauvre homme.
00:10:46Et il mettait l'université, l'enseignement très très haut, tout ce qu'il n'avait pas fait.
00:10:51Et il désirait qu'il le fasse à sa place. Il voulait faire faire des choses qu'il n'avait pas faites lui-même.
00:10:57Son père l'ouvre à une culture cosmopolite. Il lui fait découvrir les auteurs russes, espagnols, italiens.
00:11:03C'était deux beaux esprits qui avaient toujours beaucoup de choses à échanger.
00:11:08Donc il y avait non seulement une profonde empathie, mais aussi une influence intellectuelle entre le père et le fils.
00:11:17Et l'un se nourrissait de la richesse de l'autre.
00:11:25Chez les Jean Kélévitch, la musique et le piano en particulier sont fondamentaux.
00:11:30Jean Kélévitch a appris la musique, le piano, par imprégnation.
00:11:35Il n'a jamais eu vraiment de cours de musique avant un certain âge.
00:11:40Et déjà parce qu'il assistait aux cours qui étaient donnés à sa grande sœur,
00:11:45il a su le piano, il a su la musique avant même qu'on la lui enseigne.
00:11:51Et cette passion ne le quittera jamais.
00:11:55En 1913, le jeune garçon monte à Paris pour suivre un cursus d'exception.
00:12:23Vladimir se retrouve parmi les meilleurs élèves de France.
00:12:33Il se prend de passion pour Henri Bergson, le plus grand philosophe de l'époque et futur prix Nobel.
00:12:40Le penseur du temps vécu, de la conscience en mouvement.
00:12:43Vous n'êtes pas devenu quand même philosophe par hasard ?
00:12:49Ah ben non, j'ai fait de bonnes études quand j'étais un bon élève.
00:12:52J'ai eu le prix de philo, vous savez, j'étais un bon élève au lycée du Grand.
00:12:57Ah oui, j'avais des prix.
00:12:59Ah bon ?
00:12:59J'étais donc la fierté de mon lycée.
00:13:03Je ne me rappelle plus ces prix, mais je me rappelle qu'il y avait beaucoup de prix.
00:13:05Donc j'étais content et mes parents étaient contents aussi.
00:13:08Et mon père, qui aimait beaucoup la philosophie, voulait que j'en fasse.
00:13:14En 1921, Vladimir est reçu au concours de la prestigieuse école normale supérieure.
00:13:20L'école normale est, à cette époque, le vivier où se forment les plus grands esprits.
00:13:29Jean Kélévitch y croise, entre autres, Jean-Paul Sartre, Raymond Aron.
00:13:36Et parmi les meilleurs, il est encore le meilleur.
00:13:40Il est reçu premier à l'agrégation.
00:13:44Il confie à un ami qu'il a l'ambition d'écrire pour la postérité.
00:13:48Comme tous les jeunes gens, j'étais très prétentieux.
00:13:53Enfin, je m'imaginais que j'allais écrire des livres, que je serais très célèbre,
00:13:56que je serais le grand penseur de ce temps.
00:13:58Je serais un géant de la pensée.
00:14:01C'était pour ça.
00:14:05Un dimanche de décembre 1923,
00:14:08Jean Kélévitch débarque, tremblant, dans un immeuble du 16e arrondissement.
00:14:12Henri Bergson a accepté de le recevoir chez lui.
00:14:20Et le maître à penser tombe sous le charme de ce brillant gamin de 20 ans.
00:14:27Jean Kélévitch est subjugué par la pensée pragmatique de Bergson.
00:14:31A la raison, Bergson préfère l'intuition.
00:14:37Aux théories, il préfère le mouvement.
00:14:41A la certitude, l'imprévisible et le doute.
00:14:47Ce que Bergson appelle l'élan vital.
00:14:49Jean Kélévitch n'oubliera jamais la leçon de Bergson.
00:15:04N'écoutez pas ce que disent les philosophes.
00:15:07Regardez ce qu'ils font.
00:15:10Bergson disait qu'il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action.
00:15:14Cette idée que le cœur et l'intellect ne sont pas coupés l'un de l'autre,
00:15:20mais qu'au contraire tout cela participe d'un même élan,
00:15:22c'est quelque chose que Bergson a eu le mérite de dire haut et fort
00:15:28et que reprend Jean Kélévitch.
00:15:31L'admiration est telle que Jean Kélévitch lui consacrera son premier livre.
00:15:36En 1926, un poste d'enseignant attend le jeune normalien à Prague.
00:15:49Il s'abandonne à l'effervescence de cette ville,
00:15:52dort peu, travaille beaucoup.
00:15:55Chaque soir, Vladimir court de concert en opéra.
00:15:59Il découvre les grands compositeurs allemands,
00:16:02Beethoven, Mahler, Wagner.
00:16:03Jean Kélévitch privilégie le temps du concert,
00:16:09incapable de ressentir la même émotion en écoutant un disque.
00:16:15Il aime ces moments de grâce, uniques.
00:16:21Il dira, la musique est l'élément le plus proche de la pensée.
00:16:24La musique est un art qui vit dans le temps
00:16:39et qui se rattache au concert,
00:16:41lequel est un événement historique qui est arrivé une fois
00:16:44et puis plus jamais.
00:16:46Souvent, on se rappelle une chose merveilleuse
00:16:48qu'on a entendue il y a 20 ans.
00:16:50On se rappelle la peine et, pour le réentendre,
00:16:54il faut beaucoup d'efforts, il faut beaucoup chercher.
00:16:56Donc, la musique se cache.
00:16:59Elle se cache parce qu'elle est temporelle
00:17:02et que tout ce qui est temporel vit d'une existence précaire,
00:17:06fragile, clandestine même.
00:17:08À Prague, Jean Kélévitch travaille à sa prometteuse carrière.
00:17:16Il rédige un doctorat sur Schelling,
00:17:19le grand philosophe romantique allemand,
00:17:21et publie des articles pour les plus prestigieuses revues françaises.
00:17:26À ce moment-là, se déploie cette urgence d'écrire
00:17:32qu'il n'a cessé de l'habiter toute sa vie.
00:17:36L'urgence d'écrire, il n'était pas une journée de sa vie
00:17:39où il ne se mettait pas à son bureau le soir
00:17:43pour mettre sur le papier les idées qui lui passaient par la tête.
00:17:48En 1932, l'idylle pragoise touche à sa fin.
00:17:54Jean Kélévitch rentre en France pour enseigner la philosophie
00:17:57et surtout vient décider à se consacrer à ses livres.
00:18:06Le professeur est très convoité.
00:18:24Les universités se l'arrachent.
00:18:27Et c'est à Paris, sur l'île Saint-Louis,
00:18:51qu'il s'installe en 1939.
00:18:53Son piano y trouve une place de choix.
00:19:05Mais cette sérénité n'a qu'un temps.
00:19:13La Seconde Guerre mondiale éclate.
00:19:15Normaliens, donc officiers de réserve,
00:19:33Jean Kélévitch est mobilisé, envoyé au front.
00:19:35Blessé, il se retrouve en convalescence à l'hôpital militaire.
00:19:56Et c'est là qu'il apprend, en juillet 1940,
00:20:00sa révocation de l'éducation nationale.
00:20:02Il n'a plus le droit d'enseigner.
00:20:06Son péché, pour les fonctionnaires du régime de Vichy,
00:20:10être juif, être né de parents impurs.
00:20:13Quand on est un fils d'immigrés,
00:20:18quand on est un brillant sujet
00:20:19qui franchit toutes les étapes,
00:20:23typiquement françaises,
00:20:24une grande école, une agrégation,
00:20:26ça c'est très français,
00:20:28pas l'équivalent ailleurs.
00:20:30Recevoir sur la tête
00:20:31cette exclusion,
00:20:34cette exclusion de la communauté nationale,
00:20:37mon hypothèse, c'est qu'il ne s'en est quand même jamais remis.
00:20:39Pour ce jeune homme d'une famille laïque,
00:20:44la judaïté n'avait jamais été un enjeu.
00:20:46L'exposition en 1941,
00:21:05les juifs et la France,
00:21:07où se pressent des centaines de milliers de visiteurs,
00:21:10est pour lui un coup de poignard.
00:21:11Sur cent français de vieilles souces françaises,
00:21:1590 au moins sont de vrais blancs,
00:21:18purs de tout autre mélange racial.
00:21:20Il n'en est pas de même du juif.
00:21:21Celui-ci est issu de métissages,
00:21:24accomplis il y a déjà plusieurs millénaires,
00:21:26entre des Ariens,
00:21:28des Mongols et des Nègres.
00:21:30Le juif a donc un visage,
00:21:32un corps,
00:21:33des attitudes,
00:21:34des gestes qui lui sont propres.
00:21:35Ainsi grossit chaque jour le nombre des Français
00:21:40qui, sachant discerner le juif,
00:21:42pourront se protéger contre ces agissements.
00:21:48Jean Kalevitch et sa famille s'enfuient à Toulouse.
00:21:52Ils vivent repliés dans la clandestinité.
00:21:54Mes parents, déjà âgés,
00:22:01ils avaient tort de parler trop dans les rues de Toulouse
00:22:05leur langue maternelle.
00:22:07Et il y avait donc beaucoup de précautions à prendre
00:22:09pour pouvoir subsister.
00:22:11À partir de la Seconde Guerre mondiale,
00:22:13il y a un mot qui définit assez bien Vladimir,
00:22:15c'est l'intranquillité.
00:22:17Et jusqu'au bout,
00:22:18il ne pourra plus jamais être tranquille.
00:22:21Sans travail, sans argent, sans avenir,
00:22:23Jean Kalevitch tente de survivre.
00:22:27Il donne quelques cours particuliers de philosophie
00:22:30dans l'arrière-salle des cafés.
00:22:35Et face à la débâcle,
00:22:37il s'engage.
00:22:38Il retrouve régulièrement des amis résistants
00:22:41dans les sous-sols d'une librairie.
00:22:45Il rédige des tracts,
00:22:47les traduit, les distribue.
00:22:49Je dis que sans la résistance française,
00:22:52les démocraties ne pourraient pas gagner la guerre.
00:22:59Ces années toulousaines sont véritablement un trou noir
00:23:02pour Jean Kalevitch.
00:23:04Et pourtant, le philosophe n'oublie pas le message de Bergson.
00:23:08Ne jamais renoncer à un instant de joie.
00:23:11Cette joie qui fait notre dignité.
00:23:13Un matin de printemps 1943,
00:23:20Jean Kalevitch doit retrouver un résistant
00:23:22dans un parc de la ville.
00:23:25Il sait qu'il peut être arrêté à tout moment.
00:23:29Mais quand un rayon de soleil perce,
00:23:32l'espoir le gagne,
00:23:33le temps d'un battement de paupières.
00:23:35Et ces promesses du printemps
00:23:41sont aussi pleines de nostalgie,
00:23:44d'une secrète angoisse peut-être,
00:23:46qui est contenue dans cette lumière elle-même.
00:23:49La matinée de printemps,
00:23:50c'est à la fois la grâce dans le chaos,
00:23:52c'est ça, parce que c'est ça le printemps.
00:23:54Le printemps, c'est tout d'un coup
00:23:55le soleil, un ciel bleu,
00:23:59la beauté,
00:24:00le fait insuspens,
00:24:01alors que tout s'écroule.
00:24:07Ne ratez pas votre unique matinée de printemps.
00:24:11Comment ce printemps,
00:24:12il doit être moral
00:24:13et comment le printemps a besoin des humains
00:24:15pour être précisément,
00:24:17pas simplement un printemps
00:24:18qui efface les horreurs,
00:24:20mais un printemps qui réinscrit l'homme dans l'histoire.
00:24:25En 1945,
00:24:27alliés et résistants viennent à bout
00:24:29de l'Allemagne nazie.
00:24:31Pour Jean Kélévitch,
00:24:36c'est la fin de la clandestinité.
00:24:42Mais la guerre l'a marqué irrémédiablement.
00:24:45Rien ne sera plus comme avant.
00:24:55Lorsqu'il rentre enfin chez lui,
00:24:57Kéofler,
00:24:58il ne reconnaît plus rien.
00:25:01son appartement a été pillé.
00:25:05Donc, c'était un nouveau monde.
00:25:08J'ai recommencé à vivre.
00:25:09D'abord, je n'avais plus de livres.
00:25:11Les Allemands ne m'en ont pas laissé,
00:25:12n'est-ce pas ?
00:25:12Ils ne me faisaient pas de cadeaux.
00:25:14Plus de souvenirs.
00:25:15Mon piano.
00:25:15Je n'ai pas une photo de mes parents,
00:25:17l'antérieur à 1944,
00:25:19n'est-ce pas ?
00:25:19Pas une photo,
00:25:20pas rien,
00:25:22pas un livre.
00:25:23Mon piano était parti,
00:25:26bien sûr, bien entendu.
00:25:32La Shoah a fait 6 millions de victimes juives.
00:25:35Quand le philosophe apprend l'existence des camps,
00:25:49il est bouleversé.
00:25:54Il croise des survivants,
00:25:56découvre les listes interminables de victimes.
00:25:59Je n'ai pas été déporté
00:26:03alors que j'aurais dû et pu l'être,
00:26:05que j'y ai échappé,
00:26:06non pas parce que j'ai joué à cache-cache
00:26:08avec l'occupant,
00:26:09mais parce que j'ai eu un peu plus de chance
00:26:10que les autres.
00:26:11Ça arrive aussi.
00:26:12Et d'autres ont eu plus de malchance.
00:26:14Ils se sont fait prendre dès le début.
00:26:16Jamais, jamais,
00:26:17il n'a pu se remettre de ce drame.
00:26:20Cela hante nos nuits.
00:26:21Et je souffre de toutes ces blessures
00:26:23qui m'ont été épargnées,
00:26:25moi qui suis vivant
00:26:26par une erreur de la Gestapo,
00:26:28disait-il.
00:26:29Je suis vivant
00:26:30par une erreur de la Gestapo.
00:26:34Après la guerre,
00:26:35le sujet de la Shoah
00:26:36est largement tabou.
00:26:40Pour la plupart des survivants,
00:26:42la douleur est telle
00:26:43qu'ils préfèrent garder le silence.
00:26:47Et l'immense majorité des Français
00:26:49ne veut pas se retourner
00:26:50sur ces drames.
00:26:53Peu d'intellectuels
00:26:54prennent la parole.
00:26:56Alors,
00:26:56face à cette relative indifférence,
00:26:59Jean-Calévite se fait un devoir
00:27:01de perpétuer cette mémoire.
00:27:02Il est le premier
00:27:06à poser frontalement
00:27:07la question du pardon
00:27:08auquel il consacrera un livre.
00:27:10« Alors, d'abord,
00:27:18on n'a pas le droit d'oublier.
00:27:20Il y a deux choses.
00:27:21Oublier, pardonner.
00:27:22L'oubli, nous n'en avons pas le droit.
00:27:24Alors, quant au pardon,
00:27:25il faut distinguer.
00:27:27Je ne pardonne
00:27:28qu'à ceux qui me demandent pardon.
00:27:30D'abord, n'est-ce pas ?
00:27:31Indépendamment de cela,
00:27:33le pardon est une bouffonnerie,
00:27:34absolument. »
00:27:37Scandalisé par le silence
00:27:38de ses collègues allemands,
00:27:40Jean Kélévitch ne cesse
00:27:41de réfléchir à ces questions.
00:27:43Et dans les décennies
00:27:45qui suivent la guerre,
00:27:46il reste précurseur.
00:27:49Il est un des premiers
00:27:50dans un article du Monde
00:27:51de 1965
00:27:53intitulé
00:27:54« L'imprescriptible »
00:27:56à expliquer
00:27:56que les crimes nazis
00:27:57ne devront jamais
00:27:59être amnestiés.
00:28:00Il dit à un moment donné,
00:28:04voilà,
00:28:04de la même façon
00:28:04que les rescapés
00:28:07du camp d'Auschwitz,
00:28:09notamment,
00:28:10portaient un tatouage,
00:28:11nous, nous portons
00:28:12cet imprescriptible en nous.
00:28:14C'est notre tatouage.
00:28:1630 ans après,
00:28:17la plaie est toujours ouverte,
00:28:18évidemment.
00:28:19Les 30 ans,
00:28:19il ne faut rien à la faire.
00:28:20Donc, je pense que le problème
00:28:22est toujours pendant
00:28:23et la blessure
00:28:25fait toujours aussi mal.
00:28:27Non,
00:28:27on ne passe pas à autre chose.
00:28:28Le temps n'a pas de prise
00:28:30sur le crime.
00:28:30Donc, non,
00:28:31on ne passe pas à autre chose.
00:28:34Et vis-à-vis de l'Allemagne,
00:28:36la position de Jean Kalevich
00:28:37est tranchée.
00:28:39Il ne prononce plus
00:28:40un mot d'allemand,
00:28:41n'ouvre plus un livre.
00:28:43Nietzsche,
00:28:43Goethe,
00:28:44c'est fini.
00:28:46Il n'écoute plus
00:28:47un compositeur d'outre-Rhin,
00:28:49à commencer par Wagner.
00:28:52Wagner,
00:28:53c'est pour lui
00:28:54l'exemple même
00:28:56du compositeur
00:28:56du pathos.
00:28:58de l'hystérie.
00:29:01Le compositeur
00:29:02qui va beaucoup trop loin
00:29:03de la grandiloquence,
00:29:04de la monstruosité.
00:29:06C'est le compositeur,
00:29:07il a des mots très durs,
00:29:07c'est le teuton
00:29:08par excellence.
00:29:09Wagner,
00:29:10c'était la musique
00:29:11du film
00:29:12le plus horrible
00:29:13qui était produit
00:29:14par l'humanité.
00:29:15qui est très durs.
00:29:17Sous-titrage Société Radio-Canada
00:29:49Cette radicalité anti-germanique le singularise dans le paysage intellectuel français.
00:30:02Plus encore, son indépendance, sa liberté philosophique le marginalise.
00:30:08Jean Kélévitch ne souscrit à aucun effet de mode.
00:30:14Et dans l'après-guerre, la mode c'est Sarp et son existentialisme.
00:30:19Qui théorise une philosophie de l'engagement.
00:30:22Mais Jean Kélévitch dénonce sa passivité durant la guerre.
00:30:27Sartre qui s'est contenté d'écrire depuis les terrasses de Saint-Germain-des-Prés.
00:30:33Jean Kélévitch était terrible, il avait la dent très dure pour Sartre.
00:30:38On se porte bien au café de flore et on conjugue le verbe s'engager à tous les temps.
00:30:44Il y a ceux qui conjuguent le verbe s'engager.
00:30:47Donc je m'engage à m'engager, etc.
00:30:49Tu t'engages à t'engager.
00:30:50Donc ils sont dans le discours.
00:30:53Mais en l'occurrence, il était extrêmement dur sur le fait de dire qu'à un moment donné, dans la morale, ce n'est pas le discours qui détient la clé de la morale.
00:31:00Ce qui détient la clé de la morale, c'est l'action.
00:31:03On agit aussi par ce qu'on est, par sa présence, par ce qu'on est, par son action et pas nécessairement par ses bouquins.
00:31:09Globalement, Jean Kélévitch refuse tous les systèmes de pensée dogmatiques.
00:31:20Le marxisme, qui a conduit au pire totalitarisme du XXe siècle.
00:31:25Le structuralisme, de Claude Lévi-Strauss, qui ne prend pas en compte l'individu en tant que tel.
00:31:30Il aime à citer son maître Bergson, qui écrivait « Presque tous les mots en isme sont mauvais, ils sont vagues, ils sèment la division parmi les hommes ».
00:31:42Résultat, Jean Kélévitch se retrouve très seul.
00:31:47Et ses livres ne rencontrent guère de succès.
00:31:49En tout cas, il n'avait pas le retentissement qu'il aurait peut-être souhaité à l'époque,
00:31:56qui était l'époque où tous les ismes fleurissaient, structuralisme, existentialisme,
00:32:02tous ces ismes dont il avait horreur, lui n'avait pas une pensée conceptuelle figée.
00:32:12Après ses cours à la Sorbonne, Jean Kélévitch redescend à pied vers la Seine.
00:32:16Il va retrouver son piano du quai aux fleurs.
00:32:23Quand il s'adresse à ses étudiants, ça lui demande une énergie dingue.
00:32:29Et quand tu rentres chez toi et que tout d'un coup, tu fais ça.
00:32:31« Musique de générique »
00:32:38Il enchaîne, selon sa formule, les demi-heures enchantées.
00:33:08Pour un temps, il retombe en enfance.
00:33:18Ce qui touche Jean Kélévitch par-dessus tout, c'est la musique française.
00:33:22Il chérit sa légèreté.
00:33:27Ce qu'il aime, Jean Kélévitch, chez Ravel, chez Debussy, surtout chez Satie,
00:33:33c'est leur sens de l'ironie, de la provocation du double discours,
00:33:36la capacité à dire une chose et son contraire, le sens de la nuance et de l'équivoque.
00:33:45Chose rare pour un philosophe, il écrit aussi sur la musique.
00:33:51Cet art exprime ce que les mots ne peuvent pas dire.
00:33:53C'est ce qu'il développe dans un de ses textes les plus célèbres.
00:34:00Si vous voulez comprendre la musique, ça s'appelle « La musique est l'ineffable », point à la ligne.
00:34:06C'est le livre le plus lumineux qui soit.
00:34:08Pour Jean Kélévitch, la musique est une source de joie.
00:34:17La joie est un sentiment, le bonheur est un sentiment trouble, équivoque, menteur, décevant.
00:34:24Alors il y a la joie qui n'est pas décevante parce qu'elle est très courte.
00:34:27Il y a des moments uniques, des moments exaltants, des moments d'exaltation,
00:34:31des moments extrêmement purs, mais très courts.
00:34:33S'il est le philosophe de la joie, il est aussi celui de l'humour.
00:34:39Il aime les comédies italiennes, Charlie Chaplin, les blagues juives.
00:34:43Il ne manque jamais d'ironie et va même y consacrer un livre.
00:34:48Mes camarades, ils commençaient leurs études, ils étaient absolument stupéfaits
00:34:51parce qu'ils ont posé une question sur la vitesse de Dieu en plein vol.
00:34:54Pardon ?
00:34:54Sur la vitesse de Dieu en plein vol.
00:34:56Et on nous dit beaucoup de choses sur Dieu.
00:34:58La théologie parle de Dieu depuis des siècles, mais on ne nous a jamais parlé de sa vitesse en plein vol.
00:35:02Quelque chose comme ça qui fusait, c'était évidemment très étonnant.
00:35:06C'est là que c'était quelque chose, évidemment, dont on n'avait pas l'équivalent ailleurs.
00:35:10Il n'était pas de quart d'heure où les rires ne fusaient pas dans cette salle
00:35:15parce qu'il avait un humour chevillé au corps.
00:35:18Il était très, très, très, très, très, très amusant.
00:35:22Et il était heureux, comme il le disait d'ailleurs.
00:35:24Et cela se ressentait.
00:35:26Parmi mes étudiants, je me trouve parmi 500 amis intimes.
00:35:29Je me suis laissé dire que vous entreteniez une certaine coquetterie vis-à-vis de votre âge,
00:35:34que vous ne le disiez pas volontiers.
00:35:36Eh bien alors, puisque vous le savez, n'essayez pas de la déjouer devant un public si vaste et si anonyme.
00:35:43Je veux garder mon secret, n'est-ce pas ?
00:35:44J'ai 33 ans.
00:35:46D'accord, 33 ans.
00:35:47Et c'est ce que je parais d'ailleurs, n'est-ce pas ?
00:35:48Vous avez 33 ans d'enseignement.
00:35:51L'humour, c'est ça.
00:35:53C'est ces je-ne-sais-quoi qui introduisent un peu d'air dans le tout compact,
00:35:58des idéologies, du réel, etc.
00:36:01Et donc, qui permettent à la fois de prendre une certaine distance,
00:36:07de nous ébranler par le rire et du coup, de nous faire voir les choses un peu autrement.
00:36:12Quand il parle, il ne parle pas, il est enthousiaste.
00:36:16Je veux dire, avec des ruptures, avec sans arrêt une forme d'allaitement
00:36:21et un débit hyper rapide et en plus de ça, une mélodie incroyable.
00:36:26Il passe du haut, du bas.
00:36:28On ne peut pas écouter Jean Kélévitch sans être tout d'un coup électrifié.
00:36:33Je veux dire, je ne dirais pas que c'est un rockeur,
00:36:35mais il vous envoie une énergie de dingue.
00:36:38Et ce qui explique aussi que ces étudiantes et ces étudiants,
00:36:43ils étaient tous sous son charme.
00:36:45C'est un philosophe qui a théorisé la notion de charme
00:36:48et qui en même temps l'incarnait.
00:36:50C'est comme ça.
00:36:51C'est-à-dire que je pense que personne n'est insensible
00:36:54à ce charme qui émane de Jean Kélévitch.
00:36:59Mais il est vrai aussi, ça aussi, on me l'a dit,
00:37:01que toutes vos étudiantes ont toujours été amoureuses de vous.
00:37:05Je ne sais pas, moi, je ne le prononcerai pas là-dessus.
00:37:10Les femmes, elles sont amoureuses de Jean Kélévitch,
00:37:11qu'elles le disent ou qu'elles ne le disent pas, c'est bien ça.
00:37:13Il a une cour, une cour de femmes.
00:37:15Je veux dire qu'il l'entoure, qu'il le suit vocale.
00:37:18Une cour d'hommes, oui, c'est vrai.
00:37:19Moi, j'ai pas envie de dire.
00:37:20Vous dites quoi ?
00:37:22Que je suis amoureuse de Jean Kélévitch.
00:37:26Vladimir Jean Kélévitch déteste la formule « c'était mieux avant ».
00:37:30Pour lui, l'espoir est toujours du côté de la jeunesse.
00:37:33Je leur dois beaucoup.
00:37:36Et en les écoutant, en discutant avec eux,
00:37:39et quelquefois en sachant me taire, en les laissant parler,
00:37:42parce que beaucoup de choses que je dis viennent d'eux.
00:37:44Enfin, qu'est-ce que vous voulez.
00:37:45On ne fréquente pas la jeunesse étudiante pendant des années et des années,
00:37:48comme moi, sans avoir une très grande dette
00:37:51qu'on a contractée à leur égard.
00:37:53Alors, naturellement, quand éclate mai 68, il participe aux manifestations.
00:38:01Son engagement n'est pas strictement politique.
00:38:04C'est avant tout un pari sur l'avenir.
00:38:05Vous êtes descendu dans la rue et vous avez crié souvent ?
00:38:08Je suis descendu dans la rue et je crois que je suis descendu dans la rue.
00:38:10Et je continuerai à le faire.
00:38:11Et je ne regrette pas, d'ailleurs.
00:38:12On souscrit à des engagements parce qu'on est très en colère.
00:38:41Parce qu'on ne peut pas faire autrement.
00:38:43Quand on descend dans la rue pour crier, c'est parce qu'on est très en colère.
00:38:49Toute sa vie, Jean Kélévitch va descendre dans la rue, manifester, signer des pétitions.
00:38:56Il prend partie pour les droits des réfugiés, pour l'indépendance des Algériens, pour les minorités kurdes.
00:39:05Eh bien, ça, c'était une facette de son existence.
00:39:08Le désir d'être auprès de ceux qui n'ont rien et qui n'ont pas toujours la parole pour l'exprimer.
00:39:16Toutes les décisions d'engagement de Jean Kélévitch sont dictées par son besoin de reconnaître l'humanité en chaque homme.
00:39:24Tout simplement parce que sa compassion est immense.
00:39:26C'est encore pour la défense de la dignité humaine que Jean Kélévitch se déclare contre la peine capitale.
00:39:39Sa position est claire alors qu'en 1981, la majorité des Français y est encore favorable.
00:39:46Je crois qu'elle repose sur des principes tout à fait surannés et notamment sur l'idée que la peine de mort efface le crime.
00:39:55Que le sang que l'on verse en exécutant quelqu'un rachète le sang qui a été versé par le criminel.
00:40:00Comme s'il y avait un rapport entre l'un et l'autre.
00:40:10Jean Kélévitch est constant dans ses engagements.
00:40:12Avec une attention toute particulière face à l'antisémitisme ambiant.
00:40:22Dans l'imprescriptible en 1971, le philosophe écrit
00:40:27L'antisionisme est l'antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous.
00:40:34Il est la permission d'être démocratiquement antisémite.
00:40:37Il analyse la façon dont la création d'Israël a changé la donne.
00:40:46Sous couvert de dénoncer la politique israélienne, légitimement contestable,
00:40:51se nourrit une nouvelle forme d'antisémitisme.
00:40:56A l'image du juif persécuté, se substitue celle du colon, arrogant et agressif.
00:41:02Cette confusion gagne certains esprits.
00:41:09Ce texte sur l'antisionisme est d'une incroyable actualité.
00:41:14A l'époque, je pense qu'il était le seul à l'écrire.
00:41:17Depuis les années 70, l'antisémitisme ne fait que prendre de l'ampleur.
00:41:25Retour du nationalisme d'extrême droite.
00:41:29Banalisation des théories du complot.
00:41:32Montée en puissance de groupuscules violents, ouvertement néo-nazis.
00:41:35A l'automne 1980, un attentat tue 4 personnes dans la synagogue de la rue Copernic à Paris.
00:41:47Face à l'événement, Jean Kélévitch met en garde sur le poison antisémite qui ronge nos sociétés.
00:41:56Il est déjà préfiguré. Il était préparé.
00:41:59Par conséquent, ce n'est pas étonnant tout ce qui arrive.
00:42:01Il n'y a pas besoin de jouer au prophète pour dire je l'avais prévu.
00:42:04Tout le monde l'avait prévu.
00:42:05Son langage est toujours extraordinairement précis.
00:42:08Ça ne lâche rien en termes de diplomatie.
00:42:11Il dit les choses terriblement.
00:42:13Mais en même temps, avec cette finesse, cette nuance, cette complexité, cette sensibilité.
00:42:18Je trouve que ça nous manque d'une certaine manière.
00:42:21Parce qu'aujourd'hui, tout discours radical est un discours fondamentalement, rhétoriquement assez pauvre.
00:42:26Vous écoutez France Inter, il est exactement 19h.
00:42:36En 1980, toujours, Jean Kélévitch est invité dans l'émission de radio Le Masque et la Plume.
00:42:42Et là, le philosophe s'emporte.
00:42:45Il paraît que j'ai des collègues en Allemagne.
00:42:47Eh bien, vous me croirez si vous voulez.
00:42:48Et probablement, vous ne me croirez pas.
00:42:50Je n'ai jamais reçu une lettre, une petite lettre, une humble lettre, pour me dire, comme il avait honte,
00:42:56ils mangent bien, ils dorment bien, ils font de bonnes affaires.
00:42:59Le Marc se porte très bien, comme vous savez.
00:43:01Les affaires sont bonnes, ils sont extrêmement contents.
00:43:04Ils ne nous doivent rien.
00:43:05Ils ne nous doivent pas, même pas une explication.
00:43:07Alors vous trouvez que c'est bon, que c'est bien, ça.
00:43:12À 800 kilomètres de là, dans un village allemand, un professeur de français entend cette voix.
00:43:20Il s'appelle Viard Raveling.
00:43:23Il n'était qu'un enfant durant la guerre.
00:43:26Mais les mots du philosophe l'ont touché au plus profond.
00:43:31Il décide de lui écrire.
00:43:35Trois jours plus tard, à Paris, c'est une belle matinée de printemps.
00:43:40Vladimir Jankelevich s'installe au piano.
00:43:44Aux abords du quai aux fleurs, le facteur finit sa tournée.
00:43:57Vladimir découvre l'enveloppe.
00:43:59Le timbre et le cachet sont allemands.
00:44:05La lettre de Viard Raveling commence par...
00:44:08Moi, je n'ai pas tué des Juifs.
00:44:13Que je sois né allemand, ce n'est pas ma faute.
00:44:16On ne m'en a pas demandé la permission.
00:44:19Je suis tout à fait innocent des crimes nazis.
00:44:22Mais cela ne me console guère.
00:44:25Je n'ai pas la conscience tranquille.
00:44:27Quand j'avais 16 ou 17 ans, j'ai vu un film à la télévision, sans que mes parents le sachent.
00:44:38C'était très tard dans la nuit et ce film était « Nuit et brouillard » d'Alain René.
00:44:44Et ce qui m'a surtout impressionné, c'est ces images où des tas de corps morts sont poussés dans une fosse par des bulldozers.
00:45:00Vous pouvez peut-être vous imaginer comment j'ai été impressionné.
00:45:09Pour le reste de la nuit, je n'ai pas beaucoup dormi.
00:45:12Il m'arrive que les larmes viennent aux yeux.
00:45:25Parce que j'ai une très bonne mémoire de cette nuit.
00:45:31Oui.
00:45:32Et à partir de cette nuit-là, je me suis intéressé au sort des Juifs et au crime des Allemands.
00:45:40Pas des Allemands, de trop d'Allemands, disons.
00:45:50Lorsque Jean Kalevitch reçoit la lettre de Viard-Draveling, il est bouleversé.
00:45:56Après plusieurs jours de réflexion, il prend la plume pour lui écrire.
00:46:01Cher monsieur, je suis ému par votre lettre.
00:46:06J'ai attendu cette lettre pendant 35 ans.
00:46:08Je veux dire une lettre dans laquelle l'abomination est pleinement assumée et par quelqu'un qui n'y est pour rien.
00:46:17Quand vous viendrez à Paris, comme tout le monde, vous serez reçus avec émotion et gratitude, comme le messager du printemps.
00:46:30Nous ne parlerons pas de l'horreur.
00:46:33Nous nous mettrons au piano.
00:46:35À vous, en toute sympathie, Vladimir Jean Kalevitch.
00:46:44Quelques mois plus tard, Viard-Draveling décide de faire le voyage jusqu'à Paris et vient sonner à la porte du philosophe.
00:46:51Et je suis entré.
00:46:55Vous imaginez, j'étais assez nerveux.
00:46:59Et on a parlé pendant au moins deux heures.
00:47:05Au début, on était un peu nerveux.
00:47:07Mais bientôt, l'atmosphère s'est détendu et on a eu une conversation très agréable.
00:47:18Mais il n'a pas parlé de ses relations avec l'Allemagne.
00:47:23Deux fois, j'ai essayé de diriger la conversation à ce thème.
00:47:28Mais il a bloqué, il ne voulait pas en parler.
00:47:32Il a refusé catégoriquement.
00:47:34Non, je ne veux pas.
00:47:36Et il a parlé de musique.
00:47:40Et pour moi, quand il a dit, nous allons faire de la musique, c'est presque un pas vers une amitié.
00:47:48Quand j'ai dit au revoir, je lui ai dit, cette visite est très importante pour moi.
00:48:04Et Jean Kélévitch a dit, pour moi aussi.
00:48:08Jean Kélévitch, dont le rapport à l'Allemagne n'a pas bougé d'un iota depuis la guerre, est ébranlé.
00:48:15Il y a la possibilité d'un nouveau départ.
00:48:17Il y a la possibilité que quelque chose recommence à nouveau.
00:48:22Quelque chose de nouveau peut toujours, à tout instant, commencer comme du radicalement neuf.
00:48:30Vladimir Jean Kélévitch et Viard Raveling se promettent de se revoir avec leur famille.
00:48:36Mais le temps ne leur en laissera pas l'occasion.
00:48:39Vladimir tombe malade au début des années 80.
00:48:42La mort, à laquelle il avait consacré un livre entier, le rattrape.
00:48:49On apprend à battre des records, on apprend à jouer du piano, on apprend à monter à cheval.
00:48:53Mais pour ce qui est de mourir, c'est-à-dire de s'initier à quelque chose d'absolument autre,
00:48:57dont personne n'a pas la moindre idée,
00:48:59le passage d'une forme à l'absence de toute forme, c'est même pas ce que c'est.
00:49:02Et celui qui ne meurt pas ne vit pas non plus.
00:49:14Par exemple, le Mont-Blanc ne meurt pas, donc le Mont-Blanc ne vit pas.
00:49:18Un marronnier vit très très longtemps, c'est comme si...
00:49:22Donc il vit à peine.
00:49:24Un homme ne vit que 70 ans, 80 ans.
00:49:26Par conséquent, c'est vraiment un vivant, parce qu'il doit mourir.
00:49:29Durant toute sa vie, Vladimir Jankélévitch sera resté en marge de la scène intellectuelle.
00:49:50Et son œuvre n'aura pas été reconnue à sa juste valeur.
00:49:53Il meurt à Paris, le 6 juin 1985.
00:50:10Mais le philosophe tient sa revanche sur le temps.
00:50:14Lui qui déclarait « J'écris pour le XXIe siècle » n'a jamais été aussi lu qu'aujourd'hui.
00:50:23Et si Jankélévitch n'a jamais prétendu être un penseur de la modernité,
00:50:28ses intuitions résonnent aujourd'hui plus que jamais.
00:50:32Dans quelle société vivrons-nous en l'an 2000 ?
00:50:35Cette question, nous l'avons posée depuis l'an dernier à des personnalités de tous horizons.
00:50:39C'est le professeur Vladimir Jankélévitch qui ouvre le feu, si on peut dire.
00:50:43La crise morale, je crois qu'elle vient d'une disproportion monstrueuse.
00:50:47Une disproportion monstrueuse entre les pouvoirs dont la science et la technique dotent l'homme
00:50:52et son intelligence qui restait ce qu'elle était, qui restait rabougrie.
00:50:57Et il est doté de pouvoir énorme, fabuleux.
00:51:01Il peut faire sauter la planète.
00:51:03Vous le savez, c'est le petit jeu auquel se livrent les deux superpuissances depuis des années.
00:51:07Et on ne sait pas où ça aboutira.
00:51:08Est-ce qu'il n'y a pas une paix à ne pas accepter ?
00:51:16C'est-à-dire n'importe quelle paix, celle que l'on subit ?
00:51:18La paix, oui, mais pas à n'importe quel prix.
00:51:21Pas à n'importe quel prix.
00:51:26Regardez à quoi on assiste, que ce soit en Iran, à une espèce d'insurrection à base religieuse.
00:51:35Que ce soit cette renaissance d'un judaïsme militant.
00:51:38On assiste à ce qu'on appelle, je ne sais pas, un retour du sacré ou du divin.
00:51:46Ce n'est pas le signe de cette crise morale.
00:51:48L'homme est désaxé, déséquilibré.
00:51:51Il a le vertige devant ses propres pouvoirs.
00:51:53Il y réagit comme il peut en revenant au divin.
00:51:55C'est quand même des déviations un peu pathologiques et impuissantes.
00:52:03Que serait un monde sans la philosophie ?
00:52:06Eh bien, ce serait une statue muette.
00:52:07Il n'y aurait plus rien dedans.
00:52:09Il n'y aurait pas d'âme.
00:52:10Ce n'est pas leen.
00:52:12...
00:54:12Vous êtes historienne et vous vous êtes consacrée depuis maintenant de nombreuses années à l'édition de ses œuvres et de ses écrits posthumes.
00:54:19Vous êtes aussi sa biographe avec cet ouvrage, Vladimir Jankelevitch, le charme irrésistible du je ne sais quoi publié chez Albain Michel.
00:54:29Je vais commencer avec vous parce qu'on a envie d'en savoir un peu plus sur ce qu'était l'intimité de Vladimir Jankelevitch.
00:54:37Une intimité qu'on découvre finalement assez peu, peut-être pas assez dans le documentaire que nous venons de voir.
00:54:44Vous avez fréquenté le philosophe, vous avez fréquenté sa famille.
00:54:47Qui était-il dans l'intimité, Jankelevitch ?
00:54:52Quels étaient-ils les traits qui le caractérisaient le plus ?
00:54:54Il y a une modestie d'une humilité incroyable et je crois que sa modestie souffrirait de nous voir aujourd'hui réunis pour parler de lui.
00:55:02Il était heureux parmi ses étudiants.
00:55:05Il disait toujours parmi mes étudiants, je me trouve parmi 500 amis intimes.
00:55:08Mais il n'était pas un philosophe de salon, c'était un philosophe qui vivait au creux de cette île, de la cité, dans cette demeure à la pointe de l'île où deux pianos se regardaient et qui consacraient sa vie à ses étudiants le matin où il recevait les étudiants pour les thèses, ses cours.
00:55:31Alors, la fin de journée, la sacralité de l'heure du thé, manière russe, de montrer qu'il n'avait jamais oublié d'ailleurs ses racines et c'était un bonheur enchanté de participer à cette heure parce que les rires fusaient, il était très gai, il avait un humour chevillé au corps.
00:55:54Et ensuite, tous les soirs, lorsqu'il n'avait pas d'obligation, entre 7 et 9, l'heure du soir, comme il le disait, je donne un concert solitaire à mes fauteuils, quelquefois, souvent.
00:56:07Concert solitaire ou concert pour ses proches, parfois ?
00:56:10Non, tous les jours. Non, alors, quelquefois, bien sûr, ses proches entendaient, sa femme et sa fille, et puis, quelquefois, j'avais la joie d'être là aussi et de l'entendre jouer, et notamment de jouer des oeuvres que l'on n'entend pas dans des salles de concert,
00:56:26c'est-à-dire une larme de Mussorgsky, des oeuvres de Joseph Suc, parce qu'il aimait aussi les compositeurs qui étaient ignorés et peu connus.
00:56:36Cette relation avec votre père, le peintre catalan Xavier Valls, vous l'avez connue très jeune, finalement, vous avez dit, mais Jean Kilevitch, à travers cette relation qu'avait votre père et le philosophe.
00:56:48Oui, dans l'intimité de nos familles respectives, avec Lucienne, son épouse, Sophie, que je n'ai pas revue depuis des années,
00:56:56et ma mère et ma soeur, c'est une intimité familiale, et elle passe à travers la musique, si importante dans le documentaire que nous venons de voir, et comme Françoise vient de le rappeler,
00:57:06à travers le compositeur espagnol, catalan, ami de mon père, Federico Mompo, et...
00:57:12La musique était un point commun entre votre père ?
00:57:15Oui, c'était la musique, comme Jean Kilevitch cherchait autre chose que la musique allemande, avec qui il avait rompu, comme avec la philosophie allemande, à cause, évidemment, de la Shoah,
00:57:23était intransigeant sur ce sujet-là, il y a ce lien avec la musique, et donc il y a une amitié, une intimité, qui naîtront, et...
00:57:35Et il va écrire, à propos de votre père ?
00:57:37Oui, il écrit d'ailleurs un texte sur la peinture de mon père, mais qui résume bien, au fond, ce qui est dit sur Jean Kilevitch,
00:57:45et qu'il faut découvrir, au-delà de sa philosophie, qui est évidemment majeure, quand il dit,
00:57:50la peinture de Xavier Valls est une sorte de catharsis, elle verse en nous, à voix basse, cette tranquillité d'âme, ce calme mystérieux,
00:57:57qui rayonne aussi d'un intérieur de Vermeer, le peintre, si important pour Jean Kilevitch, ou de la musica callada,
00:58:06c'est difficile à traduire, la musique qui se tait, de Mompo.
00:58:10Et donc, il aimait beaucoup la peinture de mon père, cette tranquillité que lui-même, qui avait une âme tourmentée, également, recherchait.
00:58:18Il y avait un lien entre le philosophe et l'artiste-peintre, et je l'ai vu, mais moi, j'étais adolescent, jeune,
00:58:26est-ce que je me rendais compte d'avoir la chance de connaître un des plus grands philosophes français ?
00:58:34Et l'anecdote qui est rappelée, je me rappelle vraiment d'un dîner à la maison, quelques jours après le fameux apostrophe,
00:58:42où Jean Kilevitch nous dit aussi qu'il a vendu plus de livres grâce à cette émission qu'il n'avait jamais vendue tout au long de sa vie.
00:58:51Et moi, je me rappelle du rire, de cette voix jeune et cristalline, sans me rendre compte, mais nous en parlerons,
00:58:58que je retrouvais Jean Kilevitch après, lors d'une manifestation contre le coup d'État de Jaruzelski, au mois de décembre 1981,
00:59:07et sans comprendre que les textes, notamment sur l'imprescriptible, ou sur ce qu'il disait à propos de l'antisionisme,
00:59:13seraient si utiles à la pensée du XXIe siècle.
00:59:17Cette fameuse émission apostrophe de 1980, on va revoir un extrait tout de suite.
00:59:23La philosophie, c'est fait pour qu'on en fasse, n'est-ce pas ?
00:59:25C'est pas fait pour qu'on en parle, en réalité.
00:59:27Quand je fais de la philosophie, parce que je me porte mieux, ça diminue ma tension, je dormais la nuit,
00:59:32comme si vous l'avez trouvé à Milsa, qu'est-ce que je dois faire, docteur ?
00:59:36Faites de la philosophie, vous verrez, votre tension, tout ira bien, votre digestion sera régulière.
00:59:41C'était donc un extrait de cette fameuse émission apostrophe que vous avez évoquée, Emmanuel Valls,
00:59:46il a à l'époque 77 ans, et c'est vrai que cette émission, on va le faire connaître du grand public,
00:59:51alors vous aussi, vous l'avez connue bien avant cette émission, à travers ses écrits, j'imagine,
00:59:55et puis aussi physiquement, en cours, à la Sorbonne.
01:00:00La philosophie, c'est fait pour qu'on en fasse, n'est-ce pas ?
01:00:03Ce n'est pas fait pour qu'on en parle, en réalité.
01:00:05Voilà ce qu'il disait dans cet extrait.
01:00:07C'était ce genre de choses qui vous insufflaient durant vos cours,
01:00:11passées durant trois années, je crois, avec lui à la Sorbonne ?
01:00:14Oui, j'ai fait ma licence et ma maîtrise avec Vladimir Jankélévitch,
01:00:18mais alors à l'époque, nos cœurs battaient pour les structuralistes, pour les existentialistes,
01:00:25on sortait de la toute-puissance du sartrisme,
01:00:28et on entrait après avec Foucault, Derrida, Deleuze, dans la mouvance structuraliste,
01:00:33et Jankélévitch était un peu...
01:00:37Tout séisme, finalement, qu'il...
01:00:39Oui, oui, qu'il récusait, parce que lui, c'est un philosophe moral.
01:00:41C'est un philosophe moral, et il n'était pas le philosophe du système.
01:00:46Et donc, j'ai fait ma licence et ma maîtrise avec lui.
01:00:50J'étais très sensible à son éloquence.
01:00:54Je trouve qu'il avait... Il parlait en apnée, c'était extraordinaire,
01:00:57je n'ai jamais rencontré ça depuis.
01:00:58Il parlait sans notes, et il reprenait après son souffle,
01:01:02et ça repartait sur...
01:01:04Je crois que c'est André Manoukian qui dit très bien
01:01:06que la voix de Jean Kélévitch est un solfège en lui-même.
01:01:10C'est vrai qu'il passe d'un...
01:01:11Il parle de très haut, et on l'écoute,
01:01:17on se dit, ça va tomber à un moment, et pas du tout.
01:01:19Il tient jusqu'au bout, et il peut tenir pendant une heure,
01:01:23et ça, c'est assez extraordinaire.
01:01:24Mais, en réalité, je me rends compte rétrospectivement
01:01:27que j'ai raté ce professeur.
01:01:28C'est-à-dire que je suis parti en 73, à un autre cours,
01:01:33et je me suis rendu compte qu'en réalité,
01:01:36j'avais côtoyé un très grand penseur,
01:01:39quand il a publié, quelque part dans l'inachevé,
01:01:41ses entretiens avec Béatrice Berlovitch,
01:01:43que là, je me suis mis à lire, et relire, et relire,
01:01:46avec d'autres amis, en disant, mais c'est extraordinaire,
01:01:50c'est-à-dire que nous avons côtoyé un grand esprit,
01:01:54et malheureusement, pour moi, je ne l'ai pas revu avant sa mort,
01:01:57et après, il y a eu tout un imbroglio,
01:01:59quand il est mort, il a envoyé une lettre à Libération,
01:02:02bref, mais, oui, j'ai le sentiment d'un rendez-vous manqué,
01:02:07et j'ai le sentiment, aujourd'hui, de payer une dette,
01:02:09par ma présence ici, par le film qu'a fait Fabrice Gardel,
01:02:13de payer une dette à quelqu'un qui est, au fond,
01:02:16le plus célèbre des philosophes méconiques.
01:02:18Vous dites que c'était un grand penseur,
01:02:19on l'a bien compris, évidemment, dans ce film,
01:02:22mais qui refusait tous les prêt-à-penser.
01:02:25Est-ce qu'à l'époque, c'est ça qui vous a, justement,
01:02:27particulièrement frappé, par rapport à ce qu'étaient
01:02:29les penseurs, les philosophes de son époque,
01:02:32que vous avez cités, notamment ça ?
01:02:34Oui, il y a ça, mais c'est surtout qu'il prenait
01:02:37des sujets très précis, l'ennui, l'aventure, le sérieux,
01:02:40l'ironie et l'humour.
01:02:42La mort.
01:02:42La mort, la mort à la fin, la mort à la fin.
01:02:44Celui-là, je ne l'ai pas lu, mais j'attends peut-être
01:02:46encore quelques années pour m'y précipiter,
01:02:49mais il était hors des sentiers battus,
01:02:54et alors, certains de mes camarades le regardaient
01:02:59avec un petit sourire, comme si c'était un philosophe
01:03:00de l'avant-guerre, un philosophe style Jean Val
01:03:03ou Léon Brunjvic, ou même Bergson,
01:03:05qui n'était pas très lu, il a fallu que Deleuze
01:03:08en reparle pour qu'enfin on s'intéresse à Bergson,
01:03:11et Jean Kélévitch a souffert de cet anachronisme,
01:03:16mais en réalité, cet anachronisme, c'est ce qui le rend
01:03:17aujourd'hui tellement actuel.
01:03:19Il parle dans une époque où nous vivons la déroute
01:03:23des systèmes, l'éparpillement des philosophies,
01:03:27et en réalité, il nous aide parce qu'il y a
01:03:29cette petite lumière dans la nuit.
01:03:30Le pardon, ça a été un thème abordé par Jean Kélévitch,
01:03:35on va l'écouter sur ce sujet.
01:03:38Alors d'abord, on n'a pas le droit d'oublier,
01:03:40il y a deux choses, oublier, pardonner.
01:03:42L'oubli, nous n'avons pas le droit.
01:03:44Alors quant au pardon, il faut distinguer, n'est-ce pas ?
01:03:46Je ne pardonne qu'à ceux qui me demandent pardon,
01:03:50d'abord, n'est-ce pas ?
01:03:51Indépendamment de cela, le pardon est une bouffonnerie, absolument.
01:03:54Alors pourquoi le pardon ? Parce qu'effectivement,
01:03:57il y a eu un avant et après la Seconde Guerre mondiale
01:04:00dans ce qu'a été le parcours, la vie de Vladimir Jean Kélévitch.
01:04:05C'est l'académicien historien Pascal Horry qui l'affirme
01:04:08et le réaffirme dans ce documentaire.
01:04:12La Shoah, bien entendu, il est victime des premières lois anti-juives
01:04:16du régime de Vichy en 40, ce qui lui fait perdre son poste de professeur.
01:04:21Il ne peut plus enseigner, il s'engage dans la clandestinité à Toulouse.
01:04:25Tout ça est très bien raconté dans ce film.
01:04:27En quoi sa pensée a radicalement évolué, changé,
01:04:31donné, par exemple, la primeur à des thèmes comme le pardon.
01:04:35Ensuite, il souhaite...
01:04:37Ce philosophe qui était plutôt, comme je vous l'ai dit, idéaliste,
01:04:41s'engage dans une philosophie de l'action, du faire,
01:04:44du commencement et du vouloir.
01:04:45Pourquoi ? Parce qu'il s'est rendu compte que, justement,
01:04:48les belles envolées lyriques, lorsqu'il faut se battre les armes au point,
01:04:54ne servent à rien.
01:04:56Et que l'action morale doit avoir une finalité
01:05:01et celle-ci doit se concrétiser dans le courage
01:05:05et notamment celui des héros de la résistance.
01:05:09J'ai oublié de dire, mais c'est important qu'il fait partie
01:05:12de la résistance, la résistance des maux,
01:05:15non la résistance armée.
01:05:17Et que, pendant toute cette guerre,
01:05:21justement, la priorité...
01:05:23Il a compris, en sortant, en émergeant,
01:05:26comme il dit,
01:05:27au soleil de la libération,
01:05:30il a compris que cette pensée,
01:05:32que son oeuvre devait donner des leçons de vie.
01:05:36Et tous les livres qu'il a eu à écrire après la guerre,
01:05:43notamment Le Pardon, puisque vous m'en parliez,
01:05:47sont des réponses, au fond, à cette souffrance.
01:05:51Comme il disait souvent,
01:05:52je souffre des souffrances qui m'ont été épargnées.
01:05:56Et la mémoire, l'oubli,
01:05:58sont des composantes historiques
01:06:01qui, pour lui, la mémoire historique
01:06:03est une composante absolument indispensable.
01:06:07Et voilà la raison pour laquelle
01:06:09on arrive au livre sur le pardon.
01:06:12Alors, cette période terrible,
01:06:14cet avant, cet après,
01:06:15il y a le pardon pour quelqu'un
01:06:17qui ne pardonne pas aux Allemands
01:06:19et qui ne distingue pas, d'ailleurs,
01:06:20semble-t-il, le peuple allemand des nazis.
01:06:23Cette voix cristalline,
01:06:25cet humour, cette gentillesse,
01:06:27cette modestie,
01:06:29elle n'est pas contradictoire
01:06:31avec ce qui l'a forgé,
01:06:34cette période terrible,
01:06:36évidemment, la découverte de la solution finale.
01:06:39Et il y a une intransigeance chez lui,
01:06:41d'ailleurs, qu'il reconnaît.
01:06:44Il ne lit plus,
01:06:45il ne fait plus référence au philosophe allemand,
01:06:48à la musique allemande.
01:06:50Et au fond, il y a l'idée, en effet,
01:06:53qu'on ne peut pas pardonner
01:06:54à ceux qui ne le demandent pas,
01:06:57étant parfois très sévère,
01:06:58ce qui provoquera, d'ailleurs,
01:06:59la réaction, y compris de quelqu'un,
01:07:01d'un Allemand, qui lui criera
01:07:02« Mais si, moi, je peux parler de ça,
01:07:04je ne suis pas coupable,
01:07:05même si je me sens coupable
01:07:06de ce que les nazis ont fait. »
01:07:08Mais il y avait une intransigeance.
01:07:10Et chacun d'entre nous est à la recherche
01:07:12de personnages, de philosophes,
01:07:15d'historiens, d'intellectuels qui comptent.
01:07:18Et ce qui est passionnant chez Yankelevich,
01:07:20c'est qu'il y a une cohérence dans sa vie
01:07:22entre son action, sa pensée,
01:07:26sa manière d'être.
01:07:27Il est résistant.
01:07:29Il aurait pu être déporté
01:07:31s'il avait été arrêté parce que juif.
01:07:35Il n'est pas dans les ismes,
01:07:37dans les idéologies,
01:07:38contrairement à d'autres.
01:07:40Et sa pensée, du coup,
01:07:42pas seulement sur la vie,
01:07:43mais sa pensée politique,
01:07:45que j'ose dire,
01:07:46notamment sur la question du pardon,
01:07:48sur l'antisémitisme,
01:07:49sur l'antisionisme et la haine d'Israël,
01:07:52elle est profondément moderne.
01:07:55Elle n'a pas été effacée
01:07:59par les événements du temps.
01:08:02Et elle reste une pensée
01:08:03sur la vie elle-même,
01:08:04sur l'instant,
01:08:05sur le philosophe de l'instant.
01:08:06C'est un philosophe moral,
01:08:07comme l'a dit Pascal très bien.
01:08:10Elle est toujours profondément d'actualité.
01:08:13Et ce qu'il dit dans ses textes
01:08:14de 1967 et ensuite du début des années 70,
01:08:17sur le fait que la haine d'Israël,
01:08:19l'antisionisme est une forme nouvelle,
01:08:23est une forme confortable et démocratique
01:08:25d'être antisémite aujourd'hui
01:08:28et d'une justesse frappante.
01:08:30C'est des thèses qui ont une cinquantaine d'années.
01:08:33C'est thème, le pardon,
01:08:34l'imprescribilité aussi des crimes de guerre
01:08:38et des crimes contre l'humanité.
01:08:39C'est vrai qu'il l'écrit en 65,
01:08:42par exemple, ce texte dans une tribune au Monde.
01:08:45Cette imprescribilité,
01:08:46elle sera effectivement en 68,
01:08:48aux Nations Unies,
01:08:49et mise en œuvre au début des années 70.
01:08:51Il a un coup l'avant sur ce genre de thème.
01:08:54Et puis il y a bien sûr
01:08:55ce qu'il vient d'évoquer Emmanuel Valls,
01:08:57sur l'antisémitisme et le sionisme.
01:09:02Oui, oui, alors effectivement,
01:09:05les livres que nous lisons aujourd'hui
01:09:07de Jean Kedévitch plus volontiers
01:09:08sont les petits livres.
01:09:09C'est-à-dire comme si c'était
01:09:10les chutes de son système.
01:09:11Vous savez, son livre sur les vertus
01:09:14est un très gros livre qui fait 800 pages.
01:09:17Donc évidemment, c'est passionnant à lire,
01:09:18mais le grand public est plus attiré
01:09:20par les petits livres,
01:09:21qui est une manière pour le philosophe
01:09:22de jeter un regard sur l'actualité
01:09:24et d'avoir une intuition fulgurante
01:09:28et de comprendre les choses.
01:09:30Par exemple, il décrit l'antisémitisme
01:09:31non pas comme la haine de l'autre,
01:09:33ça c'est le racisme classique,
01:09:34mais comme la haine du presque semblable.
01:09:36C'est la plus petite différence
01:09:38le juif me ressemble
01:09:40et c'est cette ressemblance
01:09:42qui met mal à l'aise
01:09:43et qui explique la persécution.
01:09:45Et sur l'antisionisme,
01:09:46évidemment, il y a cette phrase,
01:09:48l'antisionisme, c'est la permission
01:09:49d'être démocratiquement antisémite.
01:09:52Si les juifs se conduisent comme les nazis,
01:09:54alors nous n'avons pas à regretter
01:09:55ce qui s'est passé.
01:09:57Et en même temps, dans un autre texte,
01:09:58il met en garde Israël
01:10:00contre le triomphalisme.
01:10:01Il dit que le triomphalisme
01:10:02pourrait venir à bout
01:10:03du sentiment de la persécution.
01:10:05Donc il essaye de complexifier le débat
01:10:08et de n'être jamais dans le manichéisme.
01:10:12Et alors, on a parlé tout à l'heure
01:10:14de son aversion pour tout ce qui touche à l'Allemagne,
01:10:18mais en fait, elle est très précoce
01:10:19puisque dès les années 30,
01:10:21il est à Prague, je crois.
01:10:22Je parle sous l'autorité de Françoise.
01:10:23Et il va tous les soirs au concert.
01:10:27Il a le choix entre Bach et Wagner,
01:10:29Jeannacek et d'autres,
01:10:30et Dvorak.
01:10:31Et spontanément,
01:10:32il ne supporte pas la musique de Bach.
01:10:34Il n'aime pas Wagner, évidemment.
01:10:36Et donc, il va plutôt vers les musiques
01:10:38d'Europe centrale.
01:10:39Et quand on était dans ses cours,
01:10:41si l'on citait Nietzsche,
01:10:42évidemment, là,
01:10:43il barrait,
01:10:44mais aussi Derrida,
01:10:46tous ceux qui avaient fait système
01:10:47à partir de Nietzsche,
01:10:48moi, je me souviens,
01:10:49dans ma mémoire de maîtrise,
01:10:51il les avait enlevées
01:10:52en disant superflus.
01:10:53Donc, je pense que c'était
01:10:54chez lui quelque chose
01:10:56de profond,
01:10:58qui, évidemment,
01:10:59était étonnant
01:11:00pour les gens de notre âge.
01:11:02Sa judéité n'était pas
01:11:03un sujet avant-guerre.
01:11:06C'est une famille laddie,
01:11:08éducation laïque,
01:11:09dans la plus pure tradition
01:11:10de la Troisième République.
01:11:11Complètement laïque.
01:11:13Sa judéité,
01:11:14c'est après-guerre
01:11:15qu'il aurait été amené
01:11:16à réfléchir à la prendre en compte.
01:11:16Tout à fait.
01:11:17Jacques Badeau l'écrit,
01:11:18on est étonné de voir
01:11:20dans cette pensée déjudaïsée,
01:11:24cette apparition
01:11:27de textes très profonds
01:11:29sur le judaïsme.
01:11:31En fait,
01:11:32les colloques
01:11:33des intellectuels juifs
01:11:34initiés par Edmond Flegue
01:11:36commencent en 1957.
01:11:37Edmond Flegue et son voisin,
01:11:39il invite Jean Kélévitch
01:11:40à venir participer
01:11:42à ces colloques.
01:11:43Et là,
01:11:44Jean Kélévitch,
01:11:44pour faire des leçons
01:11:46à ces colloques,
01:11:49résonne sur son problème juif,
01:11:52ce qu'il appellera
01:11:52le problème intérieur juif.
01:11:56Il dit
01:11:56le judaïsme
01:11:57n'est pas une religion
01:11:59pour moi,
01:12:01par contre,
01:12:02c'est un fait intérieur
01:12:04qui ne s'efface
01:12:05ni par la naturalisation
01:12:06ni par la conversion.
01:12:09Et ce fait
01:12:09demeurera pour moi
01:12:10jusqu'à la fin des temps.
01:12:12Là,
01:12:12il explique
01:12:13beaucoup de très belles leçons
01:12:15ce que représente
01:12:17pour lui
01:12:17cette judéité,
01:12:19le fait de,
01:12:20comme disait Freud,
01:12:21d'être très proche
01:12:22de l'autre,
01:12:23très peu de différence,
01:12:24de ressembler,
01:12:25mais en voulant dissembler.
01:12:27On voudrait bien
01:12:27s'assimiler,
01:12:28mais on veut garder
01:12:28notre précieuse différence,
01:12:30disait-il.
01:12:31Le mouvement
01:12:32de la mobilité
01:12:33du juif
01:12:33qui est un petit peu errant
01:12:36et qui se rend facilement
01:12:38la nostalgie
01:12:39de celui
01:12:40qui est déraciné.
01:12:41Il explique aussi
01:12:42la difficulté
01:12:44de la position difficile
01:12:47des juifs
01:12:48de la diaspora
01:12:49par rapport
01:12:49à Israël
01:12:50et il dit
01:12:51moi je me sens
01:12:52juif de la diaspora
01:12:54et je pense
01:12:56que l'une
01:12:58se nourrit
01:12:59de l'autre.
01:12:59C'est-à-dire
01:13:00que c'est merveilleux
01:13:02qu'un État
01:13:02comme Israël existe,
01:13:04mais il a aussi besoin
01:13:05de l'apport
01:13:06des juifs
01:13:07de la diaspora.
01:13:08Et peut-être...
01:13:10Je pense
01:13:11qu'il a vraiment
01:13:12dénoué
01:13:13les chevaux
01:13:14de toutes
01:13:14ces sensibilités
01:13:15qu'il a ressenties
01:13:17mais après-guerre.
01:13:18Avant-guerre,
01:13:19son père
01:13:20qui était le premier
01:13:20introducteur de Freud
01:13:22en France,
01:13:23qui a traduit
01:13:24le premier Freud
01:13:25en France,
01:13:25était laïque
01:13:27et ne pratiquait
01:13:28donc aucune religion.
01:13:30Dernier extrait
01:13:31du film
01:13:31pour parler
01:13:32de la modernité
01:13:33de la pensée
01:13:34de Vladimir
01:13:35Jankelevitch.
01:13:37Et si Jankelevitch
01:13:39n'a jamais prétendu
01:13:40être un penseur
01:13:41de la modernité,
01:13:42ses intuitions
01:13:43résonnent aujourd'hui
01:13:45plus que jamais.
01:13:46Dans quelle société
01:13:47vivrons-nous
01:13:48en l'an 2000 ?
01:13:49Cette question
01:13:49nous l'avons posée
01:13:50depuis l'an dernier
01:13:50à des personnalités
01:13:51de tous horizons.
01:13:53C'est le professeur
01:13:53Vladimir Jankelevitch
01:13:55qui ouvre le feu,
01:13:56si on peut dire.
01:13:57La crise morale,
01:13:58je crois qu'elle vient
01:13:59d'une disproportion
01:14:00monstrueuse.
01:14:02Une disproportion
01:14:02monstrueuse
01:14:03entre les pouvoirs
01:14:04dont la science
01:14:05et la technique
01:14:05dotent l'homme
01:14:06et son intelligence
01:14:07qui restait ce qu'elle était,
01:14:09qui restait rabougrie.
01:14:11Et il est doté
01:14:12de pouvoir
01:14:13énorme,
01:14:14fabuleux,
01:14:15il peut faire sauter
01:14:16la planète.
01:14:17Vous le savez,
01:14:18c'est le petit jeu
01:14:18auquel se livrent
01:14:19les deux superpuissances
01:14:20depuis des années
01:14:21et on ne sait pas
01:14:22où ça aboutira.
01:14:24En quoi il est moderne
01:14:25aujourd'hui
01:14:26et sur quel thème ?
01:14:27Moi je lis
01:14:28et relis
01:14:29Jankelevitch précisément
01:14:30parce qu'il donne
01:14:32un sens à la vie.
01:14:33Parfois dans les détails
01:14:34les plus infimes,
01:14:36les plus intimes
01:14:37et il ramène,
01:14:37ça vient d'être dit
01:14:38par lui,
01:14:39au fond,
01:14:41certes,
01:14:41le monde change,
01:14:42la technique évolue,
01:14:45mais l'être humain
01:14:45profondément
01:14:46n'évolue pas
01:14:47et sa pensée,
01:14:50elle nous ramène
01:14:51au fond
01:14:51à ça,
01:14:53au rapport
01:14:53à la vie,
01:14:54au temps
01:14:54qui passe,
01:14:56à la morale
01:14:57qui ne peut pas
01:14:58être dissociée
01:14:59de l'action.
01:15:01D'autres en parleront
01:15:02bien mieux
01:15:03que moi,
01:15:03mais c'est ça
01:15:04qui m'intéresse,
01:15:05qui nous ramène
01:15:06au fond
01:15:06à l'essentiel,
01:15:07à la condition humaine
01:15:09et dans ce monde
01:15:11qui est devenu fou
01:15:12avec le populisme,
01:15:14avec un affaissement
01:15:16de la démocratie,
01:15:17avec une médiocrité,
01:15:18un affaissement
01:15:19du débat public,
01:15:21Jankelevitch pour moi
01:15:21est vraiment
01:15:22le philosophe,
01:15:23je ne suis pas philosophe,
01:15:24je n'ai pas fait
01:15:25d'études de philosophie,
01:15:26mais au fond
01:15:27quand Pascal aussi
01:15:28écrit sur
01:15:29sur ce qu'est
01:15:30la réalité
01:15:31de la vieillesse,
01:15:33de l'instant,
01:15:35de la victimisation,
01:15:36c'est ça
01:15:37qui m'intéresse,
01:15:37beaucoup plus
01:15:38que les grandes
01:15:39idéologies
01:15:39qui nous ont conduits
01:15:41là où nous sommes
01:15:42et c'est pour ça
01:15:43que Jankelevitch
01:15:43est un des grands
01:15:45philosophes,
01:15:45il se situe
01:15:46comme vraiment
01:15:47dans la pensée
01:15:48en effet de Bergson,
01:15:49d'Alain et d'autres
01:15:50de ces grands philosophes
01:15:51qui ne pensent pas
01:15:53le monde
01:15:53d'une manière
01:15:53totalisante
01:15:54mais qui nous apprennent
01:15:56la vie
01:15:57et le doute
01:15:57et c'est en cela
01:15:58qu'il est
01:15:59incroyablement moderne.
01:16:01Et puis il y a
01:16:01cette guerre
01:16:02à nouveau
01:16:03au Poche-Orient,
01:16:04on en a dit
01:16:05un mot tout à l'heure
01:16:05mais sur
01:16:07le sionisme
01:16:09et l'antisémitisme,
01:16:10ce lien
01:16:11à faire,
01:16:11à ne pas faire
01:16:12et que l'un
01:16:13provoquerait l'autre.
01:16:15Comme Aron,
01:16:16il comprend que...
01:16:17Aujourd'hui,
01:16:17en 2025,
01:16:19quelle résonance
01:16:20peut avoir
01:16:20cette pensée
01:16:21de Jankelevitch
01:16:22sur ce sujet particulier ?
01:16:24Lui, sans doute
01:16:24comme Raymond Aron
01:16:25marqué par la victoire
01:16:26d'Israël
01:16:27au moment
01:16:27de la guerre
01:16:28des Six Jours,
01:16:29a compris
01:16:30que cette guerre
01:16:31allait donner
01:16:32à Israël
01:16:32une puissance
01:16:33qui allait
01:16:34déclencher
01:16:36une nouvelle forme
01:16:37d'antisémitisme.
01:16:39Et il avait compris
01:16:40que cette forme
01:16:41d'antisémitisme
01:16:42serait l'antisionisme,
01:16:43c'est-à-dire
01:16:43c'est le lien
01:16:44avec Israël,
01:16:45c'est-à-dire
01:16:45on sort
01:16:46de la condition
01:16:47du juif
01:16:48telle que
01:16:49celui-ci
01:16:50avait pu subir
01:16:51l'antisémitisme
01:16:52pendant des siècles
01:16:53et il passe
01:16:54à autre chose
01:16:54et ça c'est
01:16:55une intuition
01:16:56assez incroyable
01:16:58et qui reste
01:16:59profondément
01:16:59d'actualité
01:17:00où aujourd'hui
01:17:01en effet
01:17:02on peut être
01:17:03antisémite
01:17:04sans le dire
01:17:05en le niant même
01:17:06mais
01:17:07la haine d'Israël,
01:17:09l'antisionisme
01:17:10sont cette nouvelle forme
01:17:12d'être antisémite
01:17:13et ça
01:17:13c'est d'une luminosité
01:17:14éclatante.
01:17:15l'éthique
01:17:17la morale
01:17:17le refus
01:17:19des dogmatismes
01:17:20c'est ça
01:17:21la modernité
01:17:21de cette pensée
01:17:22de Vladimir
01:17:23Jean Kélévitch
01:17:24pour l'essentiel
01:17:25aujourd'hui
01:17:25aussi ?
01:17:26Oui alors
01:17:27Jean Kélévitch
01:17:27est un
01:17:28enfin moi je trouve
01:17:29ce que je préfère
01:17:29chez lui
01:17:30c'est des aphorismes
01:17:31c'est-à-dire
01:17:31il y a deux
01:17:32Jean Kélévitch
01:17:32il y a le philosophe
01:17:33héritier de Alain
01:17:34de Bergson
01:17:35de Léon Brinjvik
01:17:37et puis
01:17:37il y a le moraliste
01:17:38français
01:17:39qui renaît
01:17:40dans ses entretiens
01:17:42dans ses petits livres
01:17:43courts
01:17:43et là
01:17:44il reprend une tradition
01:17:45qui est extraordinaire
01:17:46celle de La Rochefoucauld
01:17:47de Vauvenard
01:17:48et d'autres
01:17:48et c'est des fulgurances
01:17:51mais vous savez
01:17:51quand Jean Kélévitch
01:17:53commence un discours
01:17:54c'est des propositions simples
01:17:56et puis tout d'un coup
01:17:57il y a une fusée
01:17:58qui part
01:17:58une fusée
01:17:59vous dites
01:17:59mais où est-ce qu'il nous emmène
01:18:00et puis ça continue
01:18:02et c'était ça
01:18:03sa conversation
01:18:06ses enseignements
01:18:08c'était une série
01:18:10de propos
01:18:11tout d'un coup
01:18:12troués
01:18:12par une explosion
01:18:14verbale
01:18:15qui nous laissait
01:18:16pantois
01:18:17et qui nous laisse
01:18:18encore pantois
01:18:18aujourd'hui
01:18:19il ne faut pas oublier
01:18:20non plus que
01:18:20Jean Kélévitch
01:18:21était un grand musicien
01:18:22François en a parlé
01:18:23tout à l'heure
01:18:23quand on allait chez lui
01:18:25ce qui m'est arrivé
01:18:26quelques fois
01:18:26les partitions occupaient
01:18:28autant de place
01:18:29dans les rayonnages
01:18:29que les livres
01:18:30tout un mur
01:18:31et il pouvait
01:18:31tout un mur
01:18:32il pouvait parfois
01:18:33en détacher une
01:18:33et la jouer
01:18:34il interprétait
01:18:35Moussorski
01:18:36Montpou
01:18:37Albenis
01:18:38il avait une grande admiration
01:18:39pour Albenis
01:18:40et c'est le philosophe
01:18:42de l'ineffable
01:18:43donc il y a chez lui
01:18:44de quoi satisfaire
01:18:45à la fois
01:18:45un regard aigu
01:18:47sur l'actualité
01:18:48notamment sur la réalité
01:18:49du Proche-Orient
01:18:50mais aussi un romantique
01:18:51parce qu'au fond
01:18:52Jean Kélévitch
01:18:53reste profondément
01:18:53un philosophe romantique
01:18:55pour lui
01:18:55la musique
01:18:56c'est le symbole même
01:18:58de la nostalgie
01:18:59c'est-à-dire
01:19:00du temps irréversible
01:19:01qui passe
01:19:01qui ne reviendra plus
01:19:02et c'est au fond
01:19:03tout ce qu'il a souligné
01:19:04dans ses livres
01:19:05notamment la musique
01:19:06et l'ineffable
01:19:07et pour ça
01:19:08il est irremplaçable
01:19:09car je ne connais
01:19:10aucun autre philosophe
01:19:11contemporain
01:19:12qui est aussi bien
01:19:13parlé de la musique
01:19:14que lui
01:19:14et puis avec une sorte
01:19:15de bonheur
01:19:16c'est une philosophie
01:19:19de la vie
01:19:19peut-être avec l'âge
01:19:21ça m'importe
01:19:21ne manquez pas
01:19:24cette unique matinée
01:19:27de printemps
01:19:27c'est la philosophie
01:19:29c'est la poésie
01:19:30ne manquez pas
01:19:31cette unique matinée
01:19:32de printemps
01:19:33la difficulté étant
01:19:33de retransposer le printemps
01:19:34au début de l'automne
01:19:35mais je parle pour nous tous
01:19:38est-ce qu'il est lu
01:19:39est-ce que ces livres
01:19:40sont beaucoup achetés
01:19:41aujourd'hui
01:19:42dans leur réédition
01:19:43je le pense
01:19:44je le pense
01:19:45je vois que les éditeurs
01:19:47rééditent
01:19:48tous ces livres
01:19:48en livres de poche
01:19:49je sais qu'ils sont traduits
01:19:51dans énormément de pays
01:19:52notamment
01:19:53ils ont été traduits
01:19:54paradoxalement
01:19:56en Allemagne
01:19:56tous ces livres
01:19:57sont traduits en Italie
01:19:58là je devais participer
01:20:00à un colloque
01:20:00la semaine prochaine
01:20:01dans trois jours
01:20:02à Coimbra
01:20:03au Portugal
01:20:04il a des étudiants
01:20:06l'année dernière
01:20:07on m'a fait venir
01:20:10pour à New York
01:20:11donc il a maintenant
01:20:12atteint
01:20:13cette dimension
01:20:14à la fois européenne
01:20:16est-ce qu'il a souffert
01:20:16de n'être reconnu
01:20:17du grand public
01:20:18très tard
01:20:19on a évoqué
01:20:21cette fameuse émission
01:20:21apostrophe
01:20:22il avait 77 ans
01:20:23il en a souffert
01:20:23quand il a réécrit
01:20:25son livre
01:20:25le je ne sais quoi
01:20:26il avait la manie
01:20:27de parfaire
01:20:28et donc il réécrivait
01:20:29très souvent ses livres
01:20:30c'était un sujet
01:20:31de discussion
01:20:32entre nous
01:20:33parce que je voulais
01:20:33avoir des choses nouvelles
01:20:35et lui
01:20:35il recreusait
01:20:36toujours le sujet
01:20:37et bien dans cette réédition
01:20:38qui faisait
01:20:40d'ailleurs
01:20:40on la voit
01:20:41le sujet d'apostrophe
01:20:42il a ajouté
01:20:43un chapitre
01:20:44sur la méconnaissance
01:20:45qui n'était pas
01:20:48complètement
01:20:48élaboré
01:20:51à ce moment-là
01:20:51pourquoi ?
01:20:52parce qu'effectivement
01:20:53après la guerre
01:20:54au moment où
01:20:55comme il disait
01:20:56je suis en marge
01:20:57je ne fais pas partie
01:20:58des penseurs
01:20:59sachant penser
01:21:00et donc
01:21:01il s'est retrouvé
01:21:02un peu exclu
01:21:03du monde
01:21:04qui émervait
01:21:06toute bonne conscience
01:21:07au soleil
01:21:07de la libération
01:21:08et ça l'a sans doute
01:21:09fait souffrir
01:21:10non pas pour son égo
01:21:11parce que
01:21:12c'était une personne
01:21:15pas du tout
01:21:16très très simple
01:21:18mais pour la réception
01:21:19de ses livres
01:21:20parce qu'au fond
01:21:21ce qui comptait pour lui
01:21:22c'est de transmettre
01:21:23sa parole
01:21:24Pascal Bruckner
01:21:25oui il a souffert
01:21:27de n'être reconnu
01:21:27du grand public
01:21:28très tard
01:21:29très tard
01:21:29dites-vous
01:21:30vous avez vu
01:21:31faire un site de la tête
01:21:32oui oui oui
01:21:33absolument
01:21:33dans les cours
01:21:34il n'attaquait jamais personne
01:21:36il n'y a jamais aucun
01:21:36de ses contemporains
01:21:37mais quand on était
01:21:39en privé avec lui
01:21:40une fois je m'étais rendu
01:21:41la Sorbonne à pied
01:21:42chez lui
01:21:43parce que j'avais
01:21:44rendu mon mémoire de maîtrise
01:21:46et il voulait le commenter
01:21:47et là il y avait
01:21:48quelques réflexions
01:21:49sur les existentialistes
01:21:50sur Sartre et Simone de Beauvoir
01:21:51qui pendant la guerre
01:21:53ne s'étaient engagés
01:21:54que dans la rédaction
01:21:55de leurs écrits
01:21:55mais n'avaient jamais pris
01:21:56ni les armes
01:21:57ni la clandestinité
01:21:58et je sentais
01:21:59que ça pesait sur lui
01:22:00et ce problème là
01:22:01va ressortir
01:22:02quelques années plus tard
01:22:03notamment
01:22:05Michel Foucault
01:22:05va le relancer
01:22:06en expliquant
01:22:07que seuls
01:22:07les épistémologues
01:22:08avaient pris les armes
01:22:09alors que les engagés
01:22:10s'étaient planqués
01:22:11et là-dessus
01:22:13l'histoire
01:22:14donnait raison
01:22:14à Jean Kélévitch
01:22:15lui il ne pouvait plus
01:22:17publier des livres
01:22:18parce qu'il risquait sa vie
01:22:19tout simplement
01:22:19et c'est tout
01:22:22le grand débat
01:22:23d'engagement
01:22:23que la revue
01:22:24Les Temps Moderne
01:22:25a lancé en 1945
01:22:26pour excuser
01:22:27en quelque sorte
01:22:28la passivité
01:22:29de ses fondateurs
01:22:30Ma dernière question
01:22:31va être pour vous
01:22:32Manuel Valls
01:22:32vous êtes un haut responsable politique
01:22:35vous avez exercé
01:22:36la fonction de premier ministre
01:22:38vous êtes aujourd'hui
01:22:39ministre des Outre-mer
01:22:41il y a parfois
01:22:42tout de même
01:22:43une pensée
01:22:44plus durante peut-être
01:22:45de Jean Kélévitch
01:22:47qui vous revient
01:22:47dans la manière
01:22:48d'exercer votre fonction
01:22:49de responsable politique
01:22:50au plus haut niveau
01:22:51non mais je
01:22:52non mais bien évidemment
01:22:55mais si vous voulez
01:22:55avec le temps qui passe
01:22:57et au fond
01:22:58avec ce qui est devenu
01:22:59Le Monde
01:22:59et avec mes propres engagements
01:23:02Camus
01:23:02Aron
01:23:04Jean Kélévitch
01:23:05pour toutes les raisons
01:23:06qui viennent d'être
01:23:06évoquées
01:23:08sont des
01:23:09sont des éléments
01:23:11oui
01:23:11en tout cas
01:23:12sont des références
01:23:13qu'il faut lire
01:23:14et relire
01:23:15et
01:23:16ça en dit
01:23:17beaucoup de l'époque
01:23:18enfin de ces 70
01:23:19dernières années
01:23:20au fond
01:23:21sur ceux
01:23:21qui ont dominé
01:23:22la scène
01:23:23ou qui ont imposé
01:23:24une certaine pensée
01:23:25à la gauche
01:23:26et tout simplement
01:23:27à la pensée française
01:23:27et on s'aperçoit
01:23:28que c'est
01:23:29Jean Kélévitch
01:23:30qu'il aurait fallu
01:23:31lire et écouter
01:23:32davantage
01:23:33et ce rapport
01:23:35à la vie
01:23:35mais cette manière
01:23:36aussi de décrire
01:23:37l'antisémitisme
01:23:39et la haine d'Israël
01:23:39oui pour moi
01:23:40c'est une référence permanente
01:23:41je voulais rajouter
01:23:42ce sera le mot de la fin
01:23:43d'ailleurs
01:23:44Jean Kélévitch
01:23:45on l'a classé
01:23:45souvent à gauche
01:23:46c'est le cas
01:23:47c'est le cas
01:23:48c'est sûr
01:23:48on l'a même
01:23:49l'infatigable
01:23:50Marcel de la gauche
01:23:50non ce que je voudrais dire
01:23:52c'est qu'on a beaucoup parlé
01:23:53de cette partie
01:23:54un petit peu sombre
01:23:55de la vie de Jean Kélévitch
01:23:56mais dans le sillage
01:23:57de son maître Bergson
01:23:58c'était un philosophe
01:23:59de la joie
01:24:00et il disait
01:24:01si la joie se perd
01:24:02le monde n'en sera pas meilleur
01:24:03et cet éveilleur mémorable
01:24:06a transmis cela
01:24:07à ses étudiants
01:24:08une pensée positive
01:24:10et joyeuse
01:24:11et non pas
01:24:11je ne voudrais pas
01:24:12qu'on reste
01:24:12sur une touche
01:24:14trop négative
01:24:15parce que
01:24:16bien sûr
01:24:17il y a eu
01:24:17les drames
01:24:18de la guerre
01:24:19il y a eu le pardon
01:24:20et tout cela
01:24:20mais son oeuvre
01:24:21qui s'adresse
01:24:22à l'homme
01:24:23qui est centrée
01:24:25sur l'humain
01:24:26il n'y a pas
01:24:26dans 5000 pages
01:24:28disait Gérard Fagnon
01:24:29une ligne
01:24:31où l'homme
01:24:31n'est pas au centre
01:24:32de sa réflexion
01:24:33je voudrais dire
01:24:34que cette pensée
01:24:35est donc
01:24:36une pensée positive
01:24:37et qui engage
01:24:38à aller
01:24:40dans le sens
01:24:41de la vie
01:24:41c'était aussi
01:24:42il faut le dire
01:24:42un philosophe
01:24:43du pouramour
01:24:44et ça il faut le rappeler
01:24:45parce que
01:24:45le paradoxe de la morale
01:24:46est un très beau livre
01:24:47où on peut voir
01:24:48ces belles pages
01:24:49sur le philosophe
01:24:50du pur amour
01:24:51alors Pascal Bruckner
01:24:52mais vraiment
01:24:53le tout dernier mot
01:24:53pour confirmer
01:24:54ce que vient de dire
01:24:54François
01:24:55une citation de
01:24:55Jean Kélévitch
01:24:56avec la musique
01:24:57l'adulte flétri
01:24:59retrouve la piscine
01:24:59de l'innocence
01:25:00et bien redevenons
01:25:01des innocents
01:25:03ne perdons pas
01:25:03en étant des auditeurs
01:25:04ou des praticiens
01:25:05de la musique
01:25:06vive la philosophie
01:25:07et soyons légers
01:25:08sérieux
01:25:08pas trop sérieux
01:25:09et bien un grand merci
01:25:10ne prenons pas au sérieux
01:25:11on essaiera
01:25:13de retenir la leçon
01:25:14je ne sais pas
01:25:15un grand merci
01:25:16à tous les trois
01:25:16en tout cas
01:25:17d'avoir participé
01:25:19à cette émission
01:25:19des badhocs
01:25:20autour de ce formidable
01:25:21portrait
01:25:21autour de Vladimir
01:25:24Jean Kélévitch
01:25:25dont nous souhaitons
01:25:26aujourd'hui
01:25:26commémorons
01:25:27les 40 ans de la mort
01:25:28c'était en 1985
01:25:30à l'âge de 81 ans
01:25:33vos réactions
01:25:33ça sera sur
01:25:34hashtag des badhocs
01:25:35bien entendu
01:25:35merci aussi
01:25:36à Félicité Gavalda
01:25:37Yasmine Benaïssa
01:25:38qui m'ont
01:25:39comme à l'accoutumé
01:25:40aidé à préparer
01:25:41cette émission
01:25:41et je vous donne
01:25:42rendez-vous
01:25:42pour un prochain
01:25:43les badhocs
01:25:43ça sera bien entendu
01:25:44avec son documentaire
01:25:46et son débat
01:25:47à très bientôt
01:25:48Sous-titrage Société Radio-Canada
01:25:52Sous-titrage Société Radio-Canada
01:25:55Sous-titrage Société Radio-Canada
01:25:59Sous-titrage Société Radio-Canada
01:26:03Sous-titrage Société Radio-Canada

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