Chères lectrices, chers lecteurs,
Mercredi 14 mai, nous avons eu le plaisir de recevoir l'historien de l'art Emmanuel Pernoud pour échanger autour de son nouvel essai consacré à un genre particulier de la peinture : le chromo de bazar.
Discussion animée par Caroline Dhennin.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
Qu’entend-on par « chromo » ? Une peinture médiocre ? Une photo de mauvais goût ? Le contraire du chef-d’œuvre ? Une image « kitsch », et donc chargée d’un charme populaire ? Il y a bien une ambiguïté, une indétermination dans ce mot, jusqu’à l’hésitation qui pèse sur son genre : un chromo ou une chromo ?
L’enquête menée dans cet ouvrage se déploie sur deux fronts : la chose et le mot. La chose est une invention de l’imprimerie au xixe siècle, permettant de produire en nombre des imitations de peintures. On parle de « chromos de bazar » pour désigner ces reproductions d’huiles sur toile – natures mortes, marines ou paysages – vendues tout encadrées dans les grands magasins et les quincailleries. Le mot, lui, est un terme de critique d’art. Il sert à dénigrer, métaphoriquement, les sous-produits de l’art qui envahissent le marché. Il sous-entend vulgarité, banalité et facticité et a partie liée avec la culture de masse : de chromos sont qualifiés les films de Walt Disney, le réalisme socialiste, les romans de gare.
Entre les deux, c’est toute une histoire du goût qui se déploie. Cafés, écoles, bazars, églises, espaces collectifs ou intérieurs privés, la géographie pléthorique de ce « tableau du pauvre » est symptomatique. Dès lors qu’elle est choisie, accrochée, aimée, et même élue par de grands artistes, tel Picasso, qui la réinterprètent dans leurs propres créations, la chromo de bazar gagne ses lettres de noblesse. En remontant le fil de cette histoire, Emmanuel Pernoud nous invite à poser un regard neuf sur les objets qui peuplent notre intimité et à interroger les valeurs de l’art.
Emmanuel Pernoud est professeur émérite d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Spécialiste des arts graphiques, il s’intéresse aux sujets ou aux artistes ayant favorisé les relations entre la peinture et l’image imprimée. Il est l’auteur notamment d’une monographie d’Edward Hopper (2012) et, aux éditions Hazan, de L’Invention du dessin d’enfant, en France, à l’aube des avant-gardes (2003), de L’Enfant obscur. Peinture, éducation, naturalisme (2007) et de Chambres closes. Art et claustration à l’âge du roman policier (2016).
Mercredi 14 mai, nous avons eu le plaisir de recevoir l'historien de l'art Emmanuel Pernoud pour échanger autour de son nouvel essai consacré à un genre particulier de la peinture : le chromo de bazar.
Discussion animée par Caroline Dhennin.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
Qu’entend-on par « chromo » ? Une peinture médiocre ? Une photo de mauvais goût ? Le contraire du chef-d’œuvre ? Une image « kitsch », et donc chargée d’un charme populaire ? Il y a bien une ambiguïté, une indétermination dans ce mot, jusqu’à l’hésitation qui pèse sur son genre : un chromo ou une chromo ?
L’enquête menée dans cet ouvrage se déploie sur deux fronts : la chose et le mot. La chose est une invention de l’imprimerie au xixe siècle, permettant de produire en nombre des imitations de peintures. On parle de « chromos de bazar » pour désigner ces reproductions d’huiles sur toile – natures mortes, marines ou paysages – vendues tout encadrées dans les grands magasins et les quincailleries. Le mot, lui, est un terme de critique d’art. Il sert à dénigrer, métaphoriquement, les sous-produits de l’art qui envahissent le marché. Il sous-entend vulgarité, banalité et facticité et a partie liée avec la culture de masse : de chromos sont qualifiés les films de Walt Disney, le réalisme socialiste, les romans de gare.
Entre les deux, c’est toute une histoire du goût qui se déploie. Cafés, écoles, bazars, églises, espaces collectifs ou intérieurs privés, la géographie pléthorique de ce « tableau du pauvre » est symptomatique. Dès lors qu’elle est choisie, accrochée, aimée, et même élue par de grands artistes, tel Picasso, qui la réinterprètent dans leurs propres créations, la chromo de bazar gagne ses lettres de noblesse. En remontant le fil de cette histoire, Emmanuel Pernoud nous invite à poser un regard neuf sur les objets qui peuplent notre intimité et à interroger les valeurs de l’art.
Emmanuel Pernoud est professeur émérite d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Spécialiste des arts graphiques, il s’intéresse aux sujets ou aux artistes ayant favorisé les relations entre la peinture et l’image imprimée. Il est l’auteur notamment d’une monographie d’Edward Hopper (2012) et, aux éditions Hazan, de L’Invention du dessin d’enfant, en France, à l’aube des avant-gardes (2003), de L’Enfant obscur. Peinture, éducation, naturalisme (2007) et de Chambres closes. Art et claustration à l’âge du roman policier (2016).
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Art et designTranscription
00:00Bonsoir à tous, ce soir nous recevons Emmanuel Pernoud pour son livre sur les chromos de
00:05bavard.
00:06Je vous présente en quelques mots Emmanuel Pernoud, il est professeur émérite à l'Université
00:15Panthéon-Sorbonne, professeur d'histoire de l'art contemporain et spécialisé en
00:20arts graphiques.
00:21On vous doit notamment la magnifique biographie, monographie sur Edward Hopper chez Citadelle
00:27Maznot, l'enfant dans la peinture chez Maznot, mais ce soir nous allons parler des éditions
00:32Azan que nous félicitons pour ce livre absolument passionnant sur les chromos de bavard.
00:39Les chromos de bavard, mais qu'est-ce que c'est que ça et d'où ça vous vient cette
00:44passion ?
00:45Alors je dirais qu'il y a un élément affectif, c'est que ça marche, je me souviens en réfléchissant
00:56l'entretien qu'on allait avoir d'une chromo qui était dans la cuisine d'une maison de
01:02campagne et c'était une nature morte donc une chromo, un sujet tout à fait banal pour
01:10les chromos, mais elle m'intriguait parce qu'il y a quelque chose qui n'allait pas,
01:16par comparaison d'ailleurs avec une autre nature morte assez populaire qui était là,
01:21qui était de la peinture, c'est que je me rendais compte que c'était de la fausse
01:24peinture, c'était plat et je me souviens d'avoir été très intrigué, alors il faut
01:33dire qu'à l'époque je faisais un peu de peinture moi-même et je me demandais comment
01:37c'est fait et je pense, si vous voulez, souvent ça arrive comme ça dans la recherche, qu'au
01:48terme, à l'issue d'un très long parcours comme ça de recherche, inconsciemment on revient
01:54à des choses qui vous ont frappé et sans cet élément affectif finalement, est-ce qu'on
02:00réussit à faire des choses qui vous passionnent et je crois qu'après avoir beaucoup travaillé
02:06sur les images, les petites images, c'est ça qui m'intéresse, les petites images,
02:11l'illustration, dans leur rapport avec la peinture, par exemple tout à l'heure vous
02:16parliez de Hopper, ce qui m'intéressait dans l'œuvre de Hopper c'est le rapport du peintre
02:21avec son passé d'illustrateur dessinant des petites choses, voilà, et là au fond,
02:27après avoir longtemps travaillé sur la reproduction, les images qui reproduisent
02:35au 19e siècle, le sujet s'est apposé de lui-même et je crois qu'en raison de la connaissance très
02:45intime que j'avais de ces chromos qui m'avaient plu, de même vous aviez, vous avez vu qu'il y a
02:51des très belles vitrines, les carolines, que je remercie comme la librairie Les Cunépages
02:58a installé, enfin, une très belle vitrine. Avec votre collection personnelle. Exactement,
03:09tout à fait, je voulais le dire, c'est qu'il y a des chromos de bazar, c'est-à-dire
03:18ces tableaux chromos, des facsimiles de tableaux, et puis il y a, vous le verrez, je crois que c'est
03:26parmi les livres, il y a un album de petites chromos qui s'appelle des chromos réclame ou
03:34des cartes réclame qu'il a été dans ma famille. Donc si vous voulez, c'est une histoire de famille
03:41aussi et je pense que ça touche beaucoup d'entre nous. L'un de nos collègues m'a écrit lorsqu'il
03:48a su que j'avais travaillé sur la chromo pour me dire, ah, mais tu sais, moi j'ai passé mon
03:54enfance, toute mon enfance dans une chambre d'enfants qui était tapissée de chromos, il m'a
04:00même cité les sujets, etc. Donc ça lui parlait et au fond c'est une histoire, parce qu'il y a des
04:06chromos partout, c'est loin d'être une spécialité française, il y en a beaucoup, vraiment dans tous
04:12les pays du monde et je pense que ça peut vraiment parler à chacun d'entre nous, c'est des histoires
04:20de grand-mère, d'arrière-grand-mère, de maison aussi, de maison. Alors dans ce livre qui dépasse
04:29l'histoire de l'art, c'est aussi une histoire sociale, vous commencez au XIXe siècle, vous
04:36nous expliquez qu'en fait ces chromos, elles pouvaient être religieuses, elles pouvaient être
04:40politiques et qu'au fond c'était parfois des bonbons, des friandises qu'on donnait au peuple
04:49avec un certain mépris et une manipulation en fait. Alors l'histoire de la chromo m'intéresse
04:58parce que cette chose qui s'appelle cet objet, alors qu'il y a plusieurs formes, les cartes
05:10réclament, les tableaux réclament, les calendriers réclament, tout ça est fait en chromo, c'est une
05:19technique, c'est une technique, une sorte de perfectionnement de la lithographie, va devenir
05:26une sorte d'emballage du capitalisme, c'est-à-dire tous les produits se servent de la chromo à la
05:35fin du XIXe siècle pour emballer leurs produits grâce à une technique au fond, on est avant
05:42l'invention des techniques de photographie en couleur et on obtient des, si vous voulez,
05:51des images très brillantes, on est exactement à l'époque des affiches lithographiques qui sont
05:56actuellement exposées au musée d'Orsay et au fond c'est la même technique, si vous voulez, et ce
06:01sont les mêmes imprimeurs, les mêmes imprimeurs qui impriment les chromos d'emballage, les friandises,
06:10les étiquettes, les tableaux et les grandes affiches pour des résultats complètement différents,
06:17ça sera d'ailleurs le sujet de mon intervention que je ferai au musée d'Orsay, il y aura une journée
06:21d'études, mais ce que je, pardon, je crois que c'est le 28 mai en fait, mais ce qui est très
06:32intriguant c'est autant les critiques d'art encensent les affiches lithographiques en couleur, autant
06:40ils disqualifient, dénigrent les chromos de bazar parce que ce sont des imitations de peinture,
06:48c'est-à-dire qu'ils disent justement l'affiche en couleur c'est un art nouveau alors que la
06:54chromo ne fait que réaliser, enfin les chromos ce sont des qu'on trouve dans les chromos qui
07:02reproduisent par exemple le sujet le plus célèbre c'est l'Angélus de Millet, c'est un ersatz de
07:08peinture, c'est de la peinture en toc, c'est de la pacotille, c'est de la camelote, ce sont des mots,
07:14et donc cette technique va devenir un mot dépréciatif. En fait ce que j'ai voulu faire c'est
07:22à la fois l'histoire de la chose et l'histoire du mot, donc c'est vraiment une, il y a vraiment
07:28une question d'histoire de l'art tout à fait passionnante et j'en reviens si vous voulez à
07:33ce que vous disiez au début, c'est-à-dire le côté social qui en réalité, le côté social c'est
07:47une affaire de distinction comme le dirait Bourdieu, vous avez des milieux initiés, des milieux de la
07:54critique d'art, des milieux qui se prétendent, qui s'avancent comme les propriétaires en
08:02quelque sorte de l'art, de l'esthétique, qui vont, comment dire, vont être disqualifiés,
08:16comme je le disais, non de cesse que de se servir en réalité de l'achromo comme un repoussoir.
08:27L'achromo, ces chromos de bazar sont le repoussoir de l'art vrai, de l'art qui avance, de l'art
08:35d'avant-garde et qui est de plus, qui aggrave son cas en étant un art, l'art, les tableaux qu'on
08:46trouve dans les loges de concierge, il y a quelque chose d'en effet de très, ça a un mépris de classe
08:53extraordinaire dans cette critique d'art, c'est, l'achromo est systématiquement associé aux
09:02prostituées, à l'intérieur des prostituées, aux loges de concierge, à l'église aussi, parce qu'il y a
09:10énormément de chromos, il y a une énorme production, l'église s'empare de l'achromo pour faire une
09:16sorte de contre-réforme, l'église s'empare de techniques industrielles pour promouvoir, pour
09:26diffuser l'image et faire pièce à la déchristianisation, etc. Donc c'est aussi le
09:33mauvais art, c'est l'art s'insulpissant, etc. Donc c'est un repoussoir qui se traduit dans les
09:40termes, dans le discours de la critique. Mais certains artistes comme Vincent Van Gogh ne sont
09:50pas du tout opposés au chromo et se disent que toutes ces couleurs vives sont peut-être des sources
09:58d'inspiration. Vous parlez de son tableau de, oh là là, pardon, c'est La Berceuse de 1889,
10:06vous dites qu'en fait ces couleurs l'ont inspiré et que lui, pour lui, ce n'est pas du tout dépréciatif.
10:10Voilà, c'est ça qui est intéressant, c'est qu'il y a vraiment un débat autour de ces chromos,
10:17c'est ça qui m'a intéressé personnellement très très. C'est lorsqu'il y a un débat qui se rend
10:23compte de l'extraordinaire violence d'ailleurs de ce débat. En fait ça m'a rappelé ce que j'ai fait
10:27sur le dessin d'enfance, c'est la même chose, c'est pas un long fleuve tranquille, c'est un champ
10:32de bataille quoi, tout le monde s'engueule autour du dessin d'enfance parce que tout le monde s'y
10:36intéresse mais chacun a sa vérité, c'est comme si, c'est comme ça, non c'est comme ça. Et les
10:43artistes ont leur vérité à un moment donné sur la chromo, une génération d'artistes, on leur fait
10:48dire, on veut faire dire aux artistes que la chromo, enfin du côté des critiques d'art, que la chromo ça
10:55n'est pas de l'art, mais les artistes ont heureusement un œil différent et il y a une génération d'artistes
11:02qui arrivent un peu après et qui va dire mais pas du tout ça nous intéresse, ça nous intéresse comme
11:08le douanier Rousseau, ça nous intéresse comme l'art populaire, enfin comme les primitifs nous
11:15intéressent. Et alors on voit, c'est un mouvement tout à fait intéressant, ça démarre dès la fin
11:24du 19e siècle avec Van Gogh qui dans une lettre, dans plusieurs lettres écrit à son frère, je veux
11:32faire quelque chose comme une chromo de bazar, très étonnant, il emploie le mot chromo de bazar,
11:38par parenthèse j'adore le mot, c'est aussi ça qui m'a plu, le mot bazar, ce côté, si vous voulez, le
11:45mot est très intriguant, bazar, ce mot d'origine persane, c'est un côté millénium, une espèce de
11:51mélange, enfin bref et donc Van Gogh écrit ça, on s'aperçoit que pour le cirque ce rat s'est
12:02inspiré d'une chromo, elle est présentée d'ailleurs dans l'exposition du musée d'Orsay, je l'ai
12:07reproduite, bon bref, mais dès la fin du 19e siècle et puis avec le, on l'a retrouvé dans son atelier
12:16après sa mort, avec les avant-gardes, alors là c'est un mouvement qui s'amplifie et Picasso est
12:25un collectionneur de chromos, c'est raconté par Fernand Olivier, par d'autres, par Cocteau et ça va
12:35plus loin parce qu'il va interpréter la plus célèbre, le plus célèbre des tableaux réclames
12:41dans un tableau qui s'appelle Bouteilles de Pernod et Vert en 1912 je crois, un tableau cubiste et
12:53il va interpréter l'un des plus célèbres tableaux réclames qui a été fabriqué et édité par la firme
13:09d'absinthe Pernod qui est devenue une pastisse et qui était fabriquée à Pontarlier dans les usines,
13:20ça c'est ça qui est assez étonnant, cette espèce de connexion entre la production de masse d'une
13:28liqueur et la production d'images, il y a un parallélisme parce que les chromos, peut-être que
13:34je ne l'ai pas dit, c'est vraiment une production de série, c'est une production industrielle,
13:39ce ne sont pas les petites gravures tirées à 15 exemplaires, ce sont des énormes tirages et donc
13:44cette chromo qui est une nature morte, une très belle nature morte, est une publicité pour la
13:52firme Pernod et elle est dans tous les bistrots et donc là elle dit quelque chose, on revient au
14:00côté social, c'est qu'à travers, pour des artistes comme Picasso, faire une interprétation de
14:08la chromo Pernod, c'est dire quelque chose de la des connexions sociales que revendiquent ces
14:15artistes eux-mêmes, c'est-à-dire des connexions avec au fond la vie des ouvriers, etc. Et cette
14:26la chromo Pernod que possédait Picasso, Picasso l'a léguée à Cocteau qui en a fait des poèmes,
14:35etc. Donc là si vous voulez vous avez un changement de cap complet et jusque, alors ça ne va faire que
14:42là j'ai suivi ça, évidemment c'est un peu empointillé parce que le livre n'est pas, c'est
14:50pas une encyclopédie, mais jusqu'à Spohéry, jusqu'à, bon Duchamp s'est intéressé aussi à un
14:56moment donné, et d'autres. Voilà donc il y a, et puis jusqu'à nos jours, Pierre et Gilles,
15:09des artistes comme ça. C'est un artiste que j'adore, qui est Claude Estruy.
15:13Avant qu'on parle d'Elliot, j'aimerais quand même qu'on parle de l'estampe japonaise qui
15:22elle n'a pas eu, n'a pas été dénigrée comme l'était le chromo, et pourtant c'était aussi
15:28une grosse industrie. Alors c'est tout à fait, c'est tout à fait en effet, enfin c'est très
15:35intéressant parce que l'idée, il y a un certain nombre de critiques qui se sentent une mission
15:44sociale de rééducation du peuple. Et ils sont évidemment désespérés de voir que le peuple a
15:52ces mauvaises peintures, ces reproductions de mauvaises peintures qui sont mauvaises à deux
15:58titres. Elles sont mauvaises parce que les modèles sont mauvais, c'est l'angélus de Millet, et elles
16:03sont mauvaises parce que ce ne sont que des reproductions, elles n'inventent rien. Les gens
16:07vont se dire mais au fond, on peut placer, on peut convertir le peuple à de bonnes images qui, sans
16:21qu'il, sans que le peuple s'en rende compte, correspond, correspondrait à la nature. Il y a
16:30une idée, une sorte de, en quelque sorte de populisme esthétique qui postule que le peuple
16:36voit simplement les choses. Il y a évidemment d'extraordinaires préjugés qui sont véhiculés
16:41là-dedans. Au fond, le peuple c'est un peu comme l'enfant, ça voit simple, ça a besoin de tâches,
16:45etc. Et l'estampe japonaise va être le modèle et un artiste va être en quelque sorte enrôlé dans
16:53cette campagne pour remplacer les chromos dans les loges de concierges, pour remplacer ces chromos,
17:03pour que les bonnes estampes remplacent les mauvaises images. C'est un artiste qui s'appelle
17:13Henri Rivière qui est cher au cœur de Sophie, de Sophie Bache qui est ici, qui fait ce magnifique
17:19livre sur le japonisme en art français, qui a fait Rastaquarium, je suis très heureux que vous
17:23soyez là. Et donc l'idée, si vous voulez, cette promotion, c'est toujours l'idée qu'il y a
17:38toujours la chromo en arrière-plan, en repoussoir d'un mouvement d'avant-garde. Je pense que c'est,
17:46est-ce que c'est pas anthropologique ? C'est-à-dire qu'on défend quelque chose contre quelque chose
17:52d'autre. Il y a quelque chose de très binaire, etc. On a besoin en quelque sorte d'un adversaire.
17:59Un petit peu comme les, en vitrine vous avez vu le bon, le buveur heureux et le buveur malheureux,
18:07ben en fait c'est un peu ça, le buveur qui grimace, c'est la mauvaise image, c'est l'acrobo,
18:13et puis la bonne image, c'est l'image souriante, c'est Henri Rivière, l'affiche, etc. Il y a un
18:20extraordinaire discours populiste, une mission sociale pour, comment dire, pour diffuser dans
18:27le peuple les bonnes images, avec des gens qui sont très estimables par ailleurs. Très Roger
18:32Marx, qui est cher au cœur de Catherine. Où est-ce qu'elle est là Catherine ? Tout le monde,
18:36je me parle devant des connaisseurs qui prennent des notes et qui se disent n'importe quoi. Mais
18:41enfin bon bref, je continue. Non, non, non, mais je ne dis pas n'importe quoi, je sais ce que je
18:46dis. Et donc, si vous voulez, là encore une fois, c'est ça qui me frappe, c'est que ce mot chromo
18:58est archi connu en fait. On l'emploie, je commence par ça dans mon livre, c'est qu'il est employé
19:02d'un journaliste. Maintenant on dit, par exemple, on trouve des choses étonnantes, voilà, il y a
19:08la photo de la famille Obama, n'est qu'une mauvaise chromo, on trouve ça, bon, etc. Les
19:13films, etc. Mais c'est comme une évidence et cette évidence fait écran à une extraordinaire
19:23complexité, un débat très riche, quelque chose qui est très virulent et qui a eu une historicité,
19:29qui est dans le temps, c'est à dire ça évolue, ça n'a cessé d'évoluer. Vous évoquez aussi le
19:39kitsch, le kitsch, ce mot cher à Milan Kundera notamment, et au fond, ça se rejoint en fait,
19:47la chromo et toute l'histoire du kitsch à travers les décennies. Alors le kitsch, c'est aussi un
19:53jugement, le kitsch, ça promeut le charme du décalage. Alors le kitsch, c'est aussi, c'est un
20:00mot qui a évolué, c'est un mot qui est très péjoratif sous la plume de quelqu'un comme
20:05Clément Greenberg, c'est vraiment du mauvais art, chez Hermann Broch aussi, et puis ça devient au
20:11contraire synonyme de ce qui est appréciable, charmant, de ce qu'on recherche. Et en effet,
20:22le kitsch, c'est un moment de, comment dire, c'est un moment de réhabilitation de la chromo,
20:35chez un certain nombre d'artistes qui sont en quelque sorte post-modernes, si vous voulez.
20:40On peut dire que Trouille est un peu là-dedans, je pense aussi à Picabia évidemment, je n'en
20:49ai pas tellement, je crois que je n'en ai pas parlé, j'ai hésité parce que j'aurais pu en
20:55fait en parler, il a un intérêt pour, pas exactement les chromos, mais quelque chose
21:00qui ressemble, ce sont des photos de magazines, etc. Et puis, enfin, il y a aussi une dimension,
21:11une exception du mot chromo, c'est lorsque ça rentre avant la guerre et après la guerre dans
21:22la dénonciation des totalitarismes. Ça c'est très étonnant, c'est que le discours engagé
21:31va dénoncer le réalisme socialiste et le réalisme nazi en les assimilant à la chromo
21:50belle époque. On trouve ça par exemple chez un Max-Paul Fouché, qui est très à gauche,
21:56qui est même communiste, chez Valdémar Georges, qui est plutôt à droite, mais qui s'en prend au
22:02réalisme socialiste. Et puis après la guerre, un artiste comme André Fougeron, qui a une destinée
22:20assez étonnante parce qu'il a démarré, il a fait des choses intéressantes et puis après il est
22:24devenu, c'est vraiment aligné sur la ligne du parti communiste stalinien. Il a fait vraiment une
22:32peinture alignée sur, au fond, le réalisme socialiste. À ce moment-là, il est, si vous
22:42voulez, le mot qui le disqualifie dans une critique lucide, c'est chromo. C'est un mot qui au fond le
22:53ravale à un art désuet, etc. Mais les communistes de leur côté vont renvoyer la balle à travers
23:05Georges Chadoul, qui est le critique dans les lettres françaises, le critique de cet organe
23:11affilié au parti communiste, en plaquant le mot chromo sur le cinéma hollywoodien et en particulier
23:21sur Walt Disney. Donc Walt Disney, c'est du chromo, ça revient. Donc vous voyez, il y a un enjeu qui traverse
23:27le XXe siècle autour de ce mot qui n'a plus ce côté, qui n'a pas, qui est très fort, qui est très
23:37intense, qui est très lourd et qui est, ça aussi c'est quelque chose de très frappant. Je voulais vous faire un
23:45compliment concernant le chapitre consacré à Jean Elion. Pour moi, c'est un petit bijou. Vous devriez écrire un livre
23:54entier sur lui. Nous d'ailleurs, ce soir, nous avons la chance d'avoir Henri-Claude Cousseau qui est là, qui est lui-même un spécialiste
24:00d'Elion. Donc, qu'est-ce que vous souhaitez lui dire sur Jean Elion ? Alors, à propos d'Elion, j'ai parlé de
24:10chromo-attitude, c'est-à-dire que Elion voit dans la, il y a quelque chose de fondateur chez lui, c'est son premier
24:27lieu d'exposition qui s'appelle la Foire aux Croutes. La Foire aux Croutes, c'était à Montmartre, place, place, j'ai oublié,
24:36place, pardon, oui, enfin bref, pardon, c'est une place, comment ? Non, c'est pas ça, on retrouvera, enfin bref. Donc, il expose
24:55parmi des, chez des artistes, des artistes amateurs, chez les peintres du dimanche, que la critique d'art ravale à des
25:13faiseurs de chromo, des fabricants de chromo. Le mot, c'est faiseur de chromo. Et il est attaché, il a beaucoup écrit, il a écrit beaucoup de livres de souvenirs, notamment un volume qui s'appelle
25:34Choses revues, il revient. Et en fait, cet attachement au peintre du dimanche, c'est-à-dire une sorte de pratique quotidienne, de pratique qui n'est pas, comment dire, qui n'est pas celle des élites,
25:52qui n'est pas une peinture qui est restée au fond, qui est restée ancrée dans le quotidien et restée chez lui, cet attachement est resté très, très durable puisque il continuait jusqu'à la fin de sa vie,
26:18enfin, jusqu'à très tard dans sa vie, à peindre dans la rue. Il y a des photos, on le voit, il installe son chevalet dans la rue, il peint au milieu des passants, absolument comme un peintre du dimanche, c'est-à-dire, il fait, mais c'est une, chez lui, alors ça prend, si vous voulez, s'il y a une position chez lui, je dirais une position, peut-être pas militante, parce que le mot est très mal placé, c'est quelqu'un qui a toujours détesté le militantisme et les, comment dire, les doctrines, les dogmes, mais au fond, c'est une,
26:47il y a dans cette pratique de la peinture une prise de position contre l'artiste de laboratoire, contre l'artiste qui est vraiment, comment dire, qui est dans cette tour d'ivoire des avant-gardes modernes.
27:08Donc, au fond, c'est ça. Par ailleurs, c'est vrai qu'il a gardé, parce qu'il faut faire attention, ce qu'il a fait n'a strictement rien à voir avec les chromos. Il a quand même, si, on peut voir quand même une sorte de lien aussi par le goût qu'il a manifesté pour la nature morte, quoi, et la nature morte, c'est quand même le grand sujet des chromos, alors même que la nature morte était un genre qui était très en déclin à la fin du XIXe siècle.
27:38Voilà, c'était, bon, voilà un peu une peinture pour les cuisines, quoi, en quelque sorte. Et lui a gardé ce goût pour des sujets qui étaient, qui étaient disqualifiés.
27:51Et voilà, il a joué avec le mauvais goût, mais je pense, il a joué avec le mauvais goût, mais je crois que chez lui, il y a aussi une empathie. Ce n'est pas que du second degré, il y a une empathie sincère, profonde pour ces...
28:08Oui, voilà, oui, c'est pas un journal, pour en parler, mais c'est un écrit quotidien et il était très attentif à l'idée de sa peinture, qui était quand même savante, intellectuelle, c'est un penseur de la peinture aussi, mais c'est quelqu'un qui voulait que cette pensée soit perçue justement par les plus âbles, en quelque sorte, par les gens non initiés à l'histoire de l'art, tout simplement.
28:35Oui, et alors il se plaint, voilà, justement, là, il y a un malentendu parce que être compris par les gens du peuple, ça veut dire forcément dans les élites bourgeoises, ça signifie, c'est forcément synonyme de mauvaise peinture et donc de peinture vulgaire, etc.
28:58Et donc là, il se trouve en effet, mais ça lui ressemble, en porte à fou, je crois qu'il a toujours été un peintre, il a toujours, il s'en plaint, mais il l'a tellement cherché, en quelque sorte, que voilà, ce célèbre tableau, vous savez, à rebours ou d'un côté, vous savez, il est là entre deux, quoi, une peinture abstraite, une peinture figurative, mais c'est ça, son éthique, en quelque sorte, son ethos, c'est vraiment d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d'être, d
29:28refuser les oukazes, qui fait que si on est comme si, on n'est pas comme ça, quoi. Et il était fasciné par la fin de siècle, par les, il le dit, il y a une très belle phrase où il dit, moi, je suis, au fond, pour moi, la référence, c'est pas l'avant-garde, c'est la modernité. La modernité, c'est Seurat, c'est Manet, c'est l'époque des, oui, mais il explique que Seurat, il y a, dans ce moment-là, il y a
29:58des mouvements particuliers qui précèdent les avant-gardes, des potentialités qui ont été refermées, qui ont été balayées par les exclusives très totalitaires, en fait, il faut bien le dire, parce que, bon, on parle toujours de totalitarisme, mais enfin, bon, il y a aussi beaucoup de totalitarisme chez les, dans les, évidemment, sauf qu'il faisait moins mal, il était peut-être moins, enfin, il était moins nocif, il était moins, dans le temps,
30:28des avant-gardes. Et donc, il y a, jusqu'à la fin, cet attachement des Lyons pour cette foire aux croûtes qui se, qui était, en fait, place Constantin Pécœur, maintenant, Constantin Pécœur, et ce qui m'intéresse dans la foire aux croûtes, et qui me fascine, parce que, en fait, la sociologie de l'art, en la personne de Raymond de Moulin, marché de la peinture en France, a fait une classe,
30:58qui s'appelle le marché des chromos. On est là en 1967. Alors, c'est très radical, c'est que le marché des chromos, bon, elle le dit, elle le dit d'une manière très radicale, c'est une peinture qui n'a aucune valeur esthétique.
31:13C'est peut-être un peu radical, mais ça, voilà, c'est aussi une autre forme d'oukase. Et moi, j'ai envie de répondre à ces gens qui pensent comme ça, mais au fond, dans la formule même de foire aux croûtes, qui est, comment dire, dont se qualifient les peintres qui exposent sous ce label, il y a un décalage.
31:41Il y a ce sentiment d'autodérision ou de regard, en quelque sorte, d'autoreflexivité, qui est donc loin d'être l'apanage des aïeux, parce que ce qu'on leur reproche, au fond, c'est d'être des innocents, de peindre, voilà.
31:59Donc, il a un attachement très, très, très, très, il y a le goût du kit chez lui, mais un attachement très profond pour ce peintre du dimanche qui expose ses tableaux et qui en fait à la chaîne, c'est un petit peu d'ailleurs comme la place du tertre.
32:21Alors voilà, sauf que la foire aux croûtes, je pense, c'était d'une qualité un peu différente. Il y avait beaucoup plus de choses et des photos.
32:31Je crois que pour Elion, il y a dans cette foire aux croûtes une dimension allégorique aussi, c'est-à-dire que comment finira ma peinture ? Peut-être qu'elle va finir justement au milieu de la foire aux croûtes, comme quelque chose de totalement incompris, incompréhensible, peut-être, ou en tout cas dédaigné par le public.
32:57Et alors maintenant, je m'imperçois qu'en réalité, foire aux croûtes et chromo de bazar sont tout à fait équivalents, c'est-à-dire que dans les deux, il y a une association qui en soi est scandaleuse sur l'association de l'art et du bazar.
33:11Un peu comme, vous savez, ça me fait penser au bazar de la charité qui avait une association scandaleuse. Ce que j'ai voulu exprimer aussi dans ce livre, ce sont des histoires.
33:33Parce que vous voyez, chromo de bazar, le bazar, c'est un lieu, ce sont des lieux. Il y a des petits bazars, il y a des grands bazars. Les grands bazars sont les grands magasins, mais il y avait à l'époque des petits bazars absolument partout à Paris et en province.
33:45On en trouve plein d'images qui sont formidables sur le site Delcamp. On va voir les cartes postales. Il y a des petits bazars absolument partout. Et ce sont des histoires de lieux, les églises, les bistrots, les loges de concierge, etc.
34:00Ce qui est amusant. Non, je ne vais pas tout vous dire. Il faut que vous veniez au colloque du musée d'Orsay.
34:19Tout à l'heure, vous parliez de la relation des lions avec le plein air, en quelque sorte. Donc le jardin, vous l'avez développé dans un très beau texte que vous nous avez donné pour l'exposition.
34:30Toute cette relation complexe des objets de jardin. Le banc, par exemple, avait écrit un très beau livre sur ces questions-là. Et j'ai beaucoup changé parce que le texte apparaissait comme illustration dans notre catalogue de l'exposition.
34:46Est-ce que vous avez vu ce grand dessin de la collection Zervos qui représente un banc dans le jardin de Luxembourg ?
34:55Oui, oui, oui. Je crois que c'est un dessin préparatoire pour le grand Luxembourg.
34:59Pour le grand Luxembourg. Malheureusement, ce dessin n'a pas pu venir à Paris parce qu'il était trop grand, 300, 400 centimètres. Donc c'est pas rien. Et qu'il a fallu ouvrir une brèche dans les murs du musée pour le faire sortir.
35:11C'est un chef-d'oeuvre. C'est un chef-d'oeuvre. Mais qui peut paraître... Je ne sais plus qui disait qu'il y a une très courte distance, peut-être pas de distance du tout, entre une croûte et un chef-d'oeuvre.
35:22C'est Gauguin. C'est Gauguin, voilà.
35:24Alors, ça avait été très loin puisqu'il avait fait venir un banc dans son atelier. Il avait demandé, ça serait plus possible à l'époque sans doute, mais il avait demandé au conservateur de Luxembourg de lui prêter un banc.
35:39Et un jour, il avait vu deux jardiniers lui apporter un banc qui est resté dans son atelier. Ils l'ont oublié. Ils ont oublié le banc et alors ils étaient très embêtés à qui je dois le rendre, etc.
35:48Mais ce banc public, ces bancs, ce sont des bancs de l'époque d'Alphand, d'Haussmann, etc. Ce sont des bancs et c'est encore, c'est la même époque que Lacromo, si vous voulez.
36:03C'est un certain pari de la modernité, du peintre de la vie moderne, de la modernité, pas les avant-gardes, mais la modernité, c'est-à-dire en gros de 1860 à 1900.
36:16Et donc, c'est une histoire commune, les bancs publics, les Cromo, les Bazar, etc. Il y a un rêve, c'est le rêve du square en quelque sorte.
36:26C'est avec l'idée, cette idée que ça n'est pas, c'est ça qui est subtil chez lui, c'est pas une nostalgie pour un passé perdu, etc.
36:36C'est reprendre le fil de potentialités qui n'ont pas été conduites jusqu'au bout. Il y a cette idée qu'au contraire, c'est dans le futur.
36:45Il y a quelque chose d'une uchronie. Il faut reprendre ce fil qui a été tranché net par le coup près des avant-gardes. C'est ça qui est subtil chez lui.
36:57Il y a des avant-gardes qui se nourrissent parfois quand même de ce lien entre populaire et savant, en quelque sorte.
37:04C'est aussi un des grands thèmes du développement des avant-gardes, cette espèce de flirte permanente avec ce qui n'est pas savant,
37:11pour trouver une manière de se régénérer formellement.
37:16Oui, c'est vrai qu'on peut distinguer. Il y a les avant-gardes historiques, c'est-à-dire les avant-gardes telles que lui les a connues et les a subies,
37:26c'est-à-dire le constructivisme, etc. Abstraction, création, cercle écarré.
37:31Mais il faut distinguer aussi entre les peintres et leurs porte-paroles autorisées, ces différences.
37:41C'est vrai qu'il faut toujours distinguer ça.
37:48Les grands artistes qui viennent d'arriver, M. Alberola. Pour finir, est-ce que vous auriez des questions ?
38:04En tant que non-spécialiste de la chose, pour trois mots, la question du mineur, qui a toujours suivi depuis si longtemps, si je me permets.
38:15Et là, une nouvelle version venant du 18e, ça donnerait un poète d'aura à l'égard de ce poème.
38:22C'est un petit rien que sa frivolité met à l'abri de la critique.
38:26C'est-à-dire une stratégie du mineur qui permet de ne pas affronter directement les critères qui sont ceux d'une époque.
38:32Deuxième dimension populaire-populiste, qui aujourd'hui a une résonance terrible.
38:37Et sur le long terme, venant du bizarre Maillard, en fait, c'est le nouveau européen qui transforme la notion de peuple.
38:43Et puis ce sur quoi j'aimerais t'interroger, c'est le rapport à ce que j'appellerais le fond.
38:48C'est-à-dire le fond, à la fois le fondement de la société, justement ce peuple,
38:54mais aussi le fond topographique, c'est-à-dire, et plus précisément, nous dire,
38:58surtout tu le diras au livre, mais que ce n'est pas lu, comment on voit les oeuvres.
39:02Or, il me semble qu'elle ne partait d'un fond.
39:04C'est-à-dire comme tout ce qui est décoratif, ce qu'on ne voit pas, on l'achète, on le met,
39:09ça participe d'une ambiance, d'une atmosphère.
39:12Ou est-ce qu'on a un autre rapport qui est celui qu'on a normalement avec une oeuvre d'art, disons dans cette période,
39:18un rapport d'attention, d'examen ?
39:21Oui, alors justement, oui, oui, tout à fait.
39:24C'est plutôt, voilà, des oeuvres du fond.
39:26Exactement, tu as vu, là, tu vas retrouver dans le livre des détails sur ce que tu viens de dire,
39:31ça fait partie des griefs à l'égard de Lacromo, c'est que ce sont des peintures qu'on ne regarde pas.
39:37Ce sont des peintures d'ornements, ce sont des peintures pour meubler.
39:41Et c'est très étonnant, d'ailleurs.
39:44Un statut de la peinture.
39:49Il y a quelqu'un, Violenne Gourbet, l'une des doctorantes de Franz Merlich,
39:56qui a trouvé une très belle formule, c'est-à-dire des peintures qui font tapisserie,
40:03qui font tapisserie, qui ne sont pas des tapisseries, mais qui font tapisserie.
40:08Elles ne sont pas faites pour être regardées.
40:10Et ça, évidemment, c'est fatal.
40:15Dans ton contexte, est-ce que ça ne joue pas avec notre demande sociale,
40:19qui est au contraire le grand modèle pédagogique depuis des mois ?
40:22Oui, alors...
40:23Là où on est obligé, le regard de connaître, comme son alphabet connaît son...
40:28Oui, oui, parce que...
40:30Il n'y a pas de tension entre les deux types de regard.
40:32Alors, juste, je termine.
40:33Il y a une chose qui est intéressante, c'est que les chromos,
40:37dans les catalogues de vente des grands magasins,
40:40ce qui décide du prix de ces chromos, ce n'est pas la peinture, c'est le cadre,
40:46la qualité du cadre.
40:48On se fiche de ce qu'il y a dedans.
40:49C'est une peinture.
40:51Il y a marqué dans les notices, peinture.
40:53Et puis après, il y a un développement sur les cadres.
40:55C'est pour Louise, Louise Delbar, qui fait une très belle thèse,
40:58qu'on co-dirige avec Isolde Pludermacher sur le cadre, cadre d'artistes symboliques.
41:03Mais au fond, c'est peinture, point.
41:06Donc, c'est le fait.
41:08Alors, évidemment, il faudrait développer.
41:10Un sociologue n'aurait beaucoup à dire.
41:12Qu'est-ce que c'est que ce désir des petits bourgeois, des ouvriers,
41:15d'avoir une peinture ?
41:17Mais une peinture, c'est un cadre, au sens où on dit le cadre.
41:23Et pour le côté pédagogique, la chromo est à cheval.
41:28La chromo, comme technique, elle met plus que ça.
41:33On ne peut pas traduire ça.
41:35C'est pas comme technique, mais comme multiple, etc.
41:40Entre, justement, ces deux types d'images,
41:43puisque la chromolithographie, c'est la technique de l'imagerie scolaire.
41:50De ce qui était vendu par Desrol, etc.
41:53Ce qui m'amène, d'ailleurs, à parler dans le livre de Magritte,
41:56parce que Magritte s'est intéressé à la chromo comme imagerie scolaire.
42:02C'est-à-dire des...
42:06Donc là, en effet...
42:13Et alors, tu abordais, mais enfin, on ne peut pas...
42:16Là, il y aurait, en effet, beaucoup de choses à dire.
42:18Tu arrives avec ta culture de dix-huitièmisme
42:21pour nous parler de cette stratégie, on peut dire presque de tactique populaire,
42:26plus par opposition à la stratégie étatique,
42:30comme le disait Michel de Certeau, les tactiques populaires
42:33pour passer sous les radars.
42:38Oui, mais...
42:41Oui, enfin, on aurait beaucoup d'autres choses à dire.
42:44Oui, on va pouvoir s'arrêter, parce qu'il ne faut jamais mettre
42:47deux universitaires ensemble, parce qu'en plus, ils deviennent rasoirs.
42:51Donc, est-ce que...
42:54On va commencer par Michel, parce qu'après...
42:57Je ne sais pas si ça va être...
43:22Alors absolument, L'Arme d'Est, ça a été promu par Hervé Dirosat
43:26et ça se distingue de l'art brut,
43:29parce qu'il prend L'Arme d'Est
43:32comme quelque chose qui est...
43:35L'Arme d'Est, c'est un art industriel.
43:38Ce n'est pas du tout...
43:41Dans la conception d'Hervé Dirosat,
43:44ça n'a rien à voir avec l'art brut de Dubuffet,
43:50c'est-à-dire un art qui est marginal,
43:54soit dans une cellule d'hôpital psychiatrique ou de prison,
44:00par quelqu'un qui est à l'écart de la société
44:03et qui a besoin d'être à l'écart, d'être enfermé
44:07pour que surgisse quelque chose qui n'a rien à voir
44:10avec l'art dit, comme il le dit, l'art culturel,
44:15parce que voilà quelqu'un qui était assez fort pour les compartimentages.
44:21Tandis que L'Arme d'Est de Lacromaux,
44:24j'en ai parlé d'ailleurs à Hervé Dirosat,
44:26ça rentre totalement dans L'Arme d'Est.
44:28C'est un produit de série, ça peut tout à fait...
44:31Mais au fond, c'est reconnu.
44:37Là, il y a de fait, il y a un goût qui s'exerce,
44:42mais c'est en effet...
44:45Oui, L'Arme d'Est.
44:48J'ai une question, parce que L'Arme d'Est de Lacromaux,
44:51ça croise deux aspects,
44:52c'est-à-dire la reproduction et la question de la couleur.
44:55Et dans mon esprit, L'Arme d'Est de Lacromaux,
44:58c'est une couleur outrancière par rapport à l'original.
45:04Alors je ne sais pas si c'est un préjugé que j'ai,
45:07je ne sais pas si c'est réel,
45:09mais j'ai cette idée d'une couleur qui est outrée,
45:16aussi pour rendre visible.
45:21Oui, oui.
45:25Est-ce que c'est réel, ou est-ce que c'est un écart ?
45:29Alors, mettez le doigt sur quelque chose qui est très important,
45:34parce que Lacromaux, il y a tout un ensemble de termes associés
45:40dans l'enfer de Lacromaux, dans la critique d'art,
45:44c'est le lexique gustatif.
45:47Lacromaux, c'est crémeux, c'est la vanille.
46:04Exactement, on le disait, c'est le côté chromo-désimpressionniste.
46:15Alors là, dans le cas de Lacromaux, c'est systématique,
46:18donc c'est une palette qui est en effet associée aux appétits vils, au ventre.
46:30C'est de la couleur qu'on mange,
46:33donc c'est dans la hiérarchie, dans la théologie des critiques d'art,
46:42avec l'idéal en haut, les anges, puis en bas, le ventre.
46:47Lacromaux se trouve en bas, et du côté,
46:51alors parce qu'il y a aussi, on pourrait faire une lecture gender,
46:54qui n'est pas du tout la mienne de Lacromaux,
46:56c'est s'appeler aux femmes, en fond,
46:58qui sont, on le sait bien, par nature gourmandes.
47:01À la fin du XIXe siècle, la femme est gourmande,
47:04donc ça ne fait qu'ajouter.
47:07Et alors, il y a aussi une question,
47:09vous avez dit le chromo,
47:11et en effet, j'en parle du livre, c'est la question du genre.
47:14Parce que Lacromaux va devenir le chromo,
47:17quand ce mot va s'étendre,
47:22l'acception du mot va s'étendre à toutes sortes de choses,
47:26dont aux arts majeurs,
47:29quand on commence à parler de chromo pour, je ne sais pas, la grande peinture,
47:33ce ne sont que les chromos, à ce moment-là, on dit le chromo.
47:36Parce qu'évidemment, il faut se mettre en quelque sorte
47:40au niveau, à la majorité.
47:45Donc là, il y a aussi tout un déterminisme,
47:49il y a tout un ensemble de grilles
47:55qui agissent.
47:58Mais bon, malheureusement,
48:00les chromos qui sont exposés en vitrine,
48:04qui sont des chromos qui m'appartiennent,
48:08que j'ai achetés dans le commerce en ligne,
48:10parce que, par parenthèse, une chose intéressante,
48:12quand on veut faire un livre sur Lacromaux,
48:14Lacromaux de bazar,
48:16on est obligé de faire sa propre collection.
48:19Il n'y en a pas dans les musées,
48:21il n'y en a pas dans les musées parce que c'est de l'imprimé,
48:23et il n'y en a pas à la BNF,
48:25à la BNF parce que ce sont des encadrés,
48:28ce sont des tableaux.
48:30Alors la BNF, le Musem, à plein,
48:32il y a des collections de petites chromos,
48:34mais ces chromos encadrés, il n'y en a pas.
48:36Donc j'ai dû, par la force des choses,
48:38je me suis imprimé des collectionneurs,
48:40on trouve quantité de chromos sur le commerce en ligne,
48:43vraiment à des prix défiants de tout concurrent.
48:45Je vous invite à les acheter rapidement,
48:47parce qu'avec mon livre, ça va, ça va monter.
48:50Mais ce que je veux dire par là,
48:52c'est que les chromos, vous verrez,
48:55les tons sont extraordinairement passés
48:58parce que c'est du papier.
49:01Donc c'est insolé,
49:03la peinture à l'huile résiste évidemment
49:05beaucoup mieux que ça.
49:07Il y a une catégorie dont vous n'avez pas parlé,
49:09c'est l'art naïf.
49:11Historiquement, ça aussi, ça rentre en collision
49:13avec toutes ces questions.
49:15Alors, l'art naïf, en effet,
49:19mais justement...
49:21C'est une exception historique.
49:23Oui, oui, l'art naïf,
49:28dans le primitivisme esthétique,
49:34l'art naïf est souvent opposé à l'achromo,
49:37c'est-à-dire à tort,
49:39avec un malentendu.
49:42L'achromo serait un art de reproduction,
49:46de répétition, de modèle,
49:48c'est-à-dire un art sans aucune originalité,
49:50sans invention,
49:52tandis que les artistes naïfs,
49:54le douanier Rousseau, sont présumés
49:56de leur propre fond,
49:58alors qu'on sait que c'est totalement faux.
50:00Ils cessent de se servir des chromos,
50:02ils copient des chromos,
50:04simplement ils les réinterprètent.
50:06De l'effet chromo, oui,
50:08même s'ils briguent le tableau.
50:10En effet, c'est...
50:14Vous diriez la même chose du pop art ?
50:16Alors le pop art,
50:18ce qui est intéressant,
50:20c'est qu'il y a eu,
50:22dans le pop art,
50:24le pop art est un art
50:26qui emploie,
50:28comme vous le savez,
50:30le multiple,
50:32les sérigraphies, etc.
50:34Et j'évoque, en tout cas,
50:36à un moment donné,
50:38de mon livre,
50:40le fait que,
50:42dans les années 60,
50:44on a retrouvé de l'art
50:46dans les grands magasins,
50:48sous la forme de multiples,
50:50c'est-à-dire les suites prises uniques.
50:52Prises uniques
50:54à commander
50:56à un certain nombre d'artistes,
50:58majeurs d'ailleurs,
51:00des multiples,
51:02qui étaient censés,
51:04qui étaient vendus
51:06à un prix
51:08très accessible,
51:10et puis rapidement,
51:12ces oeuvres sont rentrées
51:14dans leur cote,
51:16ont augmenté.
51:18Mais en fait,
51:20on pourrait dire
51:22que les prises uniques
51:24réalisent par là
51:26ce que les missionnaires
51:28de l'art,
51:30Roger Marx
51:32et d'autres,
51:34dans les années 1900,
51:36auraient souhaité réaliser
51:38pour faire pièce
51:40au chromo,
51:42c'est-à-dire commander
51:44à des grands artistes
51:46des oeuvres
51:48très accessibles,
51:50utiliser
51:52le vecteur
51:54de la lithographie en couleur,
51:56qui est un multiple,
51:58qui est finalement
52:00peu onéreux,
52:02pour diffuser
52:04l'art dans les foyers modestes,
52:06en tout cas,
52:08le rendre accessible
52:10par des prix
52:12de bon marché,
52:14et
52:16c'est une sorte
52:18de tentative tardive
52:20qui rejoint,
52:22mais la différence,
52:24c'est que dans le cas du pop-art,
52:26ce sont des artistes,
52:28des élites artistiques
52:30qui s'emparent
52:32de ça pour faire
52:34des oeuvres originales,
52:36ce sont des sérigraphies,
52:38c'est pas des copies.
52:40Oui, si on veut, oui.
52:42Alors c'est complexe,
52:44parce qu'en même temps,
52:46ils miment en quelque sorte
52:48le produit de série,
52:50enfin bon,
52:52et puis c'est aussi
52:54une histoire américaine,
52:56même si aux Etats-Unis,
52:58la chromo est internationale.
53:00Il faut mettre aussi
53:02la chromo au compte
53:04d'une internationalisation
53:06du marché de l'art,
53:08qui est tout à fait typique
53:10de la fin de siècle,
53:12en tout cas,
53:14par exemple,
53:16les Allemands,
53:18le pays principal,
53:20le premier producteur
53:22de chromo,
53:24c'est l'Allemagne,
53:26avec des centres,
53:28Dresde, etc.
53:30Ils diffusent
53:32ce que les Américains
53:34appellent les German Chromo
53:36dans le monde entier,
53:38ce qui est
53:40immédiatement lisible
53:42dans les chromos,
53:44c'est que vous avez,
53:46par exemple, la chromo
53:48qui est reproduite dans le livre
53:50qui a inspiré Seurat,
53:52vous avez le même titre
53:54dans cinq langues différentes,
53:56En el circo,
53:58Ad circus, etc.
54:00Donc ça peut, voilà,
54:02ils avaient prévu, si vous voulez,
54:04un marketing, une opération
54:06pour diffuser,
54:08des choses qui sont intéressantes.
54:10On est là, à l'époque,
54:12où le marché de l'art
54:14s'internationalise.
54:16On dit que l'art nouveau,
54:18on lit souvent que l'art nouveau
54:20est le premier mouvement
54:22international,
54:24je ne sais pas si, Sophie,
54:26tu corroboreras cette idée,
54:28mais enfin,
54:30on peut le dire aussi,
54:32même si on est là dans le régime
54:34de l'image des chromos,
54:36on ne voulait pas organiser
54:38un grand colloque là-dessus,
54:40parce que moi, je suis émérite,
54:42mais il faudrait faire venir
54:44les spécialistes de l'économie
54:46de l'art, Sophie Cras, etc.
54:48Il y avait beaucoup de choses à dire.
54:50On va lancer plein d'idées.
54:52On est au départ
54:54d'une grande aventure.
54:56Sophie, vous allez dire quelque chose ?
54:58Je voulais juste,
55:00en t'écoutant, je me demandais
55:02si Rimbaud parlait explicitement
55:04de chromos et non.
55:06Alors, la preuve dans la chimie
55:08du verbe, ça c'est pour toi.
55:10Depuis longtemps, je me vantais de posséder
55:12tous les paysages possibles et trouver
55:14dérisoires les célébrités de la peinture
55:16et de la poésie moderne.
55:18J'aimais les peintures idiotes, dessus de porte,
55:20décors, toiles de Saint-Invanc,
55:22enseignes en lignure populaire.
55:24Mais c'est là.
55:26Absolument. Alors peut-être c'est
55:28un peu trop tôt, justement, mais
55:30on va retrouver
55:32ce goût des chromos
55:34chez
55:36chez
55:38chez
55:40chez
55:42chez
55:44excusez-moi
55:46ça va me revenir ?
55:48Non, non, c'est
55:50une moralité légendaire.
55:52Oui, chez La Forme.
55:54Et chez Jules Renard, par exemple.
55:56Jules Renard a un goût pour les chromos
55:58et ça devient
56:00il a un goût, une sensualité
56:04il voit la force poétique
56:06de la chromo. Il en parle
56:08mais ça n'a rien
56:10d'étonnant de la part de Jules Renard
56:12qui est vraiment un observateur, quelqu'un d'extrêmement
56:14fin dans tout ce qu'il a.
56:18De la part de La Forgue.
56:20Oui, de La Forgue non plus.
56:24Écoutez, Caroline.
56:26Écoutez, Manuel, bravo.
56:28Bravo à vous et un merci.
56:30Infiniment merci pour ce
56:32moment tellement riche.
56:34Merci pour ce livre.
56:36Je vous le recommande vraiment. C'est très bien écrit.
56:38C'est très instructif, comme d'habitude.
56:40Et si vous souhaitez
56:42l'acheter, il se trouve en caisse.
56:44Et la signature aura lieu au milieu
56:46de la librairie.
56:48En tout cas, merci à vous pour cette
56:50belle écoute. C'était vraiment fabuleux.
56:52Merci à madame Fermi.