Xerfi Canal a reçu Philippe Silberzahn, professeur de stratégie et entrepreneuriat, emlyon business school, pour parler de l'innovation.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Philippe Silberzahn, Professeur de Stratégie et Management EMU Business School,
00:14blog philippesilberzahn.com. Je prends quatre textes, pas du tout au hasard. Innovation de
00:19rupture, quelles conditions pour un véritable impact ? Ça, c'est une question importante.
00:21Ce que l'histoire du tracteur peut nous apprendre sur l'impact prévisible de l'IA ? L'avantage
00:28au premier entrant, un mythe de la stratégie, buddy phone et la visioconférence. Ou encore,
00:32le défi de l'innovateur et la création de marché, la leçon d'Aloïde, pionnière de la photocopie.
00:37Finalement, l'impact. Cet impact qui est dans toutes les têtes. Tout le monde veut de l'impact,
00:44c'est l'impact, l'impact, la finance à impact, l'impact académique, etc. C'est quoi le véritable
00:49impact ? Dans la rupture, il y a effectivement un mythe qui est la rupture, c'est une grande
00:56techno. Et plus elle est grande, plus elle est ambitieuse, plus elle va faire de rupture. Or,
01:04l'impact, ce n'est pas la techno. On peut avoir une technologie absolument révolutionnaire qui
01:08a zéro impact. Et ce qui va déterminer l'impact, c'est la façon dont on va utiliser une technologie
01:15donnée. On peut inversement avoir un énorme impact sans aucune technologie. Toute la rupture du low
01:21cost aérien. Il faut quand même rappeler que les seules compagnies aériennes qui gagnent de
01:25l'argent depuis 50 ans sont des compagnies low cost. Elles ont disrupté, si on peut utiliser
01:31cet ambitisme, le transport aérien sans aucune technologie propre. Même avion, même système,
01:38etc. Inversement, si on prend le char d'assaut, seconde guerre mondiale, les Français avaient
01:45des chars d'assaut, mais ils ont mis le char au service de l'infanterie. Là, on mobilise une
01:49nouvelle technologie au service du modèle existant. Donc, on neutralise son effet. Les
01:54Allemands qui, eux, avaient lu Charles de Gaulle se sont dit « on a une nouvelle techno, donc on
01:59peut inventer de nouveaux usages, de nouveaux modèles », et ils ont créé des divisions avec
02:03seulement des chars. Donc, la victoire n'a pas, en toute chose égale par ailleurs, résulté du fait
02:10qu'ils avaient de meilleurs chars que nous, parce que ça n'était pas le cas, mais c'est la façon
02:14dont ils ont mobilisé une technologie dans un modèle qui a gagné. Et donc, l'impact, ce n'est
02:20pas la technologie elle-même. Alors, ça ne signifie pas qu'il ne faille pas faire de R&D,
02:24bien sûr, mais on a des exemples historiques de très grandes entreprises qui ont dépensé des
02:30milliards et des milliards en R&D et puis qui sont mortes. Le truc, c'est, étant donné une techno,
02:37comment allons-nous pouvoir l'utiliser, c'est-à-dire quel modèle, et notamment quel modèle d'affaires
02:42on va pouvoir créer autour, pour qu'il y ait un impact ? Donc, c'est une question d'usage et de
02:46modèles d'affaires, pas de techno. Et donc, c'est une question sociale, c'est ça le grand point.
02:51Alors, si on prend typiquement à cette lumière-là la question du tracteur, la question de la
02:56visioconférence ou la question de la photocopie, qu'est-ce que ça nous apprend ? Le tracteur,
03:00ça s'est posé avec la grande question aujourd'hui sur l'impact de l'IA, voilà, encore une nouvelle
03:07technologie et tout le monde se demande l'impact que ça va avoir. Les emplois vont disparaître.
03:11Donc, avec évidemment les craintes parfois justifiées, parfois moins justifiées, et surtout
03:17toujours cette espèce de posture qui est très présente dans le monde de la techno, c'est tout
03:22va être disrupté en deux ans, etc. Or, quand on regarde l'histoire de nouvelles technologies,
03:27on s'aperçoit que les impacts, on revient à cette notion d'impact, les effets dans le corps social,
03:32alors que ce soit industriel ou politique ou au niveau d'un pays, c'est toujours très long. Alors,
03:38le tracteur, il émerge un peu en même temps que la voiture à la fin du 19e siècle, d'abord aux
03:45États-Unis, mais aussi en France. Alors, il y a quelques facteurs. Le premier facteur, c'est
03:49qu'évidemment, la techno n'est pas au point. Il faudra attendre, par exemple, les années 20 pour
03:54qu'on mette des pneus qui permettent d'aller dans un champ de maïs, par exemple. Ça paraît bête
03:59aujourd'hui, mais il faut attendre 20 ans. Donc, la techno elle-même va devoir s'améliorer pour
04:05qu'elle puisse rendre les mêmes services que le cheval, c'est-à-dire la bourrée, en fait.
04:09Un point que j'aime beaucoup dans votre texte, c'est pour démarrer le tracteur sans se briser
04:12le bras. Exactement, voilà. Entre autres, c'était très dur de démarrer le tracteur,
04:16et il y a eu des blessés, pourtant des gens qui étaient à priori assez forts, etc. Donc,
04:21il y a aussi une question de maturité technique de l'offre. On le voit avec l'IA, les hallucinations,
04:28etc. Donc, oui, quand la techno arrive, elle n'est pas forcément très au point et donc,
04:32elle ne va pas forcément être adaptée en pratique, même si en théorie, ça avait l'air
04:36d'être le cas. Alors, il y a d'autres choses. Il y a un élément, par exemple, qui est que le
04:41tracteur va être un substitut à l'emploi, puisque ça permet d'éviter d'employer notamment des
04:45journaliers. Sauf que dans les années 30, crise économique, beaucoup, beaucoup de chômeurs,
04:51le coût du travail diminue et ça redevient moins cher d'employer des gens que d'acheter
04:55un tracteur. Troisième élément, là directement économique, le tracteur, c'est un très gros
05:00investissement. Donc, c'est un coût fixe. S'il n'y a pas de besoin, on ne peut pas le licencier.
05:06Donc, les coûts restent. Et donc, pour qu'il y ait une justification économique, il faut qu'il y
05:11ait une certaine surface. Et donc, il va falloir attendre plusieurs années que les agriculteurs
05:15rachètent d'autres surfaces pour qu'ils aient une surface suffisamment grande pour que le tracteur
05:20devienne économiquement justifiable. Et ça, ça va prendre du temps. Donc, il y a la techno sur
05:26le papier qui a l'air extraordinaire. Puis après, il y a la réalité de l'adoption de cette techno
05:30qui suppose des modifications sociales, des modifications économiques, des modifications
05:36institutionnelles, etc., etc. Et ça, ça prend du temps. On va creuser ça autour d'autres cas
05:41pour lesquels il y a des soins à tirer, Buddyphone ou encore Alloïd. Merci Philippe Silberzahn.
05:46Merci.