Emilie reçoit Stan Thuret, ancien marin professionnel qui a décidé de ranger son bateau. Un choix de conviction qu'il explique dans son ouvrage "Réduire la voilure" publié chez Robert Laffont.
00:00Bonjour, vous êtes un peu ce que j'appelle un navigateur repenti, skipper, c'était pourtant un rêve d'enfant transmis par votre père,
00:07un rêve que vous avez atteint en 2015, vous aviez 28 ans et vous avez participé depuis à la mini-transat en 2017, traversé de cette Atlantique en solitaire,
00:16puis en double la transat Jacques-Vabre en 2021, puis cette fameuse route du Rhum 2022, 18 jours de traversée de l'Atlantique en solitaire entre Saint-Malo et la Guadeloupe,
00:27et la Guadeloupe, vous aviez terminé 25e, c'était votre dernière course, parce que c'est là que vous avez le déclic et que vous décidez d'arrêter, pourquoi ?
00:36Alors le déclic, il n'arrive pas du jour au lendemain, c'est un processus qui est long, mais effectivement, moi je pense que j'aime l'océan, j'aime aller sur l'eau,
00:45j'aime ce que j'ai aimé dans la découverte de ce milieu, le rêve que j'avais en voyant des hommes et des femmes qui partent sur l'océan,
00:52c'était quelque chose de très profond, c'était quelque chose que j'avais envie de découvrir, c'est justement toutes les belles valeurs du sport qu'on a envie de voir perdurer dans le temps,
01:00mais c'est venu se heurter en fait à des convictions, à de la découverte de, bah voilà aujourd'hui on ne peut plus faire abstraction des rapports scientifiques,
01:10les rapports du GIEC, plein de choses, et donc être tiraillé entre voir qu'on aime un océan qui nous fait vivre, parce que sans océan il n'y a pas de vie,
01:19on vient de l'océan et il faut qu'on le préserve, c'est lui qui régule notre planète, et bah moi c'est venu heurter des contradictions,
01:26parce que notre sport qui même si on avance avec le vent, en fait il n'y a pas grand chose qui va en fait, on est dans une surconsommation, on est dans beaucoup de dérives.
01:36Votre vision elle a totalement changé et soudain vous avez même vu vos collègues, les autres navigateurs comme des enfants qui jouent entre eux,
01:42se disputent le meilleur jouet sans regarder ce qu'il se passe autour de manière très égoïste, des enfants gâtés quoi.
01:48Mais il faut bien se rendre compte qu'on est privilégié, le sport n'est qu'un jeu, moi dans ce livre je pose la question de me dire,
01:56mais à quel moment c'est devenu ok qu'un sport soit un jeu, moi je prône que oui la beauté de l'inutile a toute sa place,
02:04mais il faut qu'elle soit soutenable, aussi bien pour la biodiversité et le vivant actuel que les générations futures.
02:09Pour en venir là il y a quand même, vous le dites, c'est venu au fur et à mesure et d'abord ce jour justement, en route du Rhum 2022,
02:16vous vous agacez en voyant les préparateurs laver des bateaux à l'eau douce, pourquoi c'est pas comme ça qu'on fait ?
02:23On a toujours fait comme ça et on nous dit, on a toujours fait comme ça donc pourquoi on ne le changerait pas ?
02:28Il y a un moment quand on est en crise, en stress hydrique sur toute la région Bretagne depuis des mois,
02:33effectivement que ça me choque que pour un usage privé, un usage comme pour les golfes ou les piscines,
02:39il y a un moment où moi ça me gêne de se dire que je suis désolé, c'est pas parce que c'est pas propre,
02:43enfin on peut laver avec de l'eau de mer et de juste faire beau, ça veut dire quoi faire beau en fait ?
02:48Il n'y a pas que ça, vous êtes assez dur d'ailleurs avec les marins, pas de compassion pour eux quand ils ont des accidents en mer
02:53et frappent des objets flottants non identifiés, vous voudriez qu'on mette des mots sur ces objets ?
02:59Oui parce que je pense que la vie d'une baleine, qu'on vient percuter de plein fouet avec un bateau lancé à plus de 15 nœuds,
03:07au-delà de 15 nœuds, un choc avec une baleine, la baleine elle meurt.
03:10Ce sont des baleines ces objets non identifiés ?
03:129 fois sur 10 et justement vu que c'est rendu invisible, vu que le corps des baleines coule et qu'on ne les voit pas,
03:18oui moi ça me choque aujourd'hui qu'on parle d'objets flottants.
03:22Pourquoi on dit ça ?
03:23Parce qu'on n'a pas envie qu'on associe, mettez-vous à la place d'un sponsor ou d'une équipe de course,
03:29on n'a pas envie que ce soit visible.
03:32Donc il y a une espèce d'omerta autour de ça, c'est en train de changer.
03:35Récemment il y a une équipe, parce que je fais partie de l'association, on a essayé d'amener le terme,
03:40maintenant on parle d'objets ou d'animaux non identifiés et c'est bien,
03:44parce qu'évidemment il faut rendre visibles les choses invisibles.
03:46Oui vous dites tout ce que beaucoup pensent tout bas apparemment, selon vous une majorité de skippers a envie de changer ses pratiques,
03:52cette association Les Vagues, vous avez déjà essayé de changer les choses quand même de l'intérieur
03:57et on peut en douter parfois d'ailleurs quand vous décrivez cette scène, toujours à Saint-Malo,
04:02vous lui proposez un atelier de sensibilisation à ses navigateurs avant de partir,
04:06par le cabinet de Jean-Marc Jancovici, l'ingénieur écologiste, sauf que là vous voyez la salle se vider.
04:12Oui parce que le problème c'est qu'aujourd'hui il faut qu'on passe par la réglementation,
04:16quand un briefing n'est pas obligatoire, je me mets à la place.
04:19Moi j'ai beaucoup de compassion en fait pour tous les navigateurs et les navigatrices,
04:22je sais qu'ils aiment l'océan, je sais qu'ils aiment jouer,
04:25sauf qu'ils sont pris dans un rythme frénétique où il faut aller toujours plus vite, toujours plus fort
04:30et donc forcément là de rajouter une contrainte écologique c'est compliqué pour eux,
04:35mais il y a un moment oui c'est sûr que ça me fait de la peine quand on voit qu'on a des conseils
04:40et qu'on a tout en main pour y aller, pour y arriver et qu'on n'y va pas, oui d'un seul coup on se sent un peu seul.
04:46La Route du Rhum qui ne serait qu'une publicité pour prendre l'avion vers des vacances au soleil, ça c'est ce que vous dites ?
04:51Il a fallu que j'y participe pour me rendre compte de ça,
04:54la Route du Rhum ça vient des années 70, c'est la période Club Med, la période Les Bronzés,
04:59le moment où on découvrait les vacances au soleil en avion où tout devenait possible
05:03et de se rendre compte qu'en fait on devient juste un panneau publicitaire,
05:07moi ça m'a fait un peu du mal parce que c'est pas du tout ce que j'ai envie de prendre
05:11et on pourrait faire des courses en aller-retour qui reviennent au point de départ
05:14et ça serait tout aussi bien en fait.
05:15Ce que vous prenez, ce que vous aimeriez, c'est qu'il y ait moins de courses, moins de compétitions,
05:18moins de déplacements de visiteurs, moins d'argent en jeu, c'est un peu culotté, c'est un peu osé
05:23et d'ailleurs est-ce que c'est audible de dire ça quand on sait qu'on est à 37 jours des Jeux Olympiques
05:28et on sait qu'on va accueillir des millions de visiteurs justement et qu'on en est content ?
05:32Et on en est content, je ne sais pas, parce que moi j'ai grandi en regardant les Jeux Olympiques,
05:37aujourd'hui de voir qu'un sponsor principal produit 4000 bouteilles en plastique par minute
05:45et qu'il est le sponsor principal d'un événement pareil, moi ça me fait du mal
05:48et je ne peux pas cautionner quelque chose comme ça.
05:49Mais c'est pas ce genre d'événement qui permet de réunir, de rassembler et de sensibiliser aussi ?
05:53J'ai un doute, mais je pense qu'effectivement ce qu'il faut garder dans la compétition,
05:56c'est le sens de l'effort, le partage, de rassembler mais pour des bonnes raisons.
06:00Et aujourd'hui on voit bien qu'on a compris que notre monde était fini,
06:04qu'il y avait des limites planétaires et la devise même des Jeux Olympiques,
06:07plus haut, plus vite, plus fort, elle ne pousse qu'à la surconsommation et à la débauche.
06:11Aujourd'hui il faudrait qu'on ralentisse, qu'on soit plus doux, qu'on soit plus bienveillant,
06:14qu'on soit à l'écoute, qu'on ne cède pas à la peur.
06:16Et on voit bien aujourd'hui que la peur est en train de diriger en tout cas une partie des actions collectives,
06:23alors qu'il faudrait qu'on retrouve de la confiance en nous-mêmes.
06:26Merci beaucoup Stanturé.
06:27Réduire la voilure, c'est donc ça votre conseil ?