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  • 06/07/2023
C'est un témoignage exceptionnel que livre le brigadier-chef Amar Benmohamed à la caméra de StreetPress. Insultes racistes, privation de nourriture, de soins, il révèle, documents à l'appui, des centaines de cas de maltraitance et de racisme dans les cellules du tribunal de Paris.

Catégorie

Personnes
Transcription
00:00 "Ferme ta gueule, va mourir, espèce de sale bougnoule.
00:03 Je ne donne pas à boire aux négros.
00:05 Pourquoi tu es arabe ? Pourquoi tu fais le ramadan ?
00:08 Tu ne peux pas être comme tout le monde.
00:10 Qu'est-ce que tu fous dans ce pays ?
00:10 Qu'est-ce que tu as à se faire rendre chez toi ?
00:12 Des trucs de malade quoi.
00:14 Et là, donc on va parler aux collègues.
00:16 Et on lui arrête.
00:17 Je m'appelle Ammar Benouamed.
00:26 Je suis brigadier-chef à Préfecture de Police de Paris.
00:31 Je travaille de nuit depuis 20 ans.
00:33 Je suis responsable d'une unité qui se nomme
00:37 l'Unité de Transferment de Nuit, l'UTN.
00:40 Et je suis affecté au sein du Tribunal de Paris.
00:43 [Musique]
01:11 En fait, en 2017, on était dans les débuts de l'existence de l'UTN.
01:17 Ça bossait super bien.
01:19 Il y avait une bonne ambiance.
01:20 J'avais des collègues gradés et des collègues gardiens qui étaient au top.
01:22 Les premiers nuages, c'est quand on a eu les premiers incidents
01:25 avec les déférés qui étaient au dépôt de Paris.
01:28 Ils nous disaient « mais putain, on va la tuer ta collègue là ».
01:31 Et on leur disait « mais qu'est-ce qu'il se passe ? ».
01:33 Ils nous disaient « mais attends, on n'a rien fait.
01:35 On va rentrer où ? On a perdu.
01:37 On s'est fait attraper, on s'est fait interpeller.
01:38 On a été placé en garde à vue.
01:40 On a comparu et on va au trou.
01:42 On a tout perdu.
01:43 On lui demande de l'eau, on lui demande à manger,
01:45 on le demande poliment, on vous voit.
01:47 On se fait insulter.
01:48 Pourquoi tu es arabe ? Pourquoi tu fais le Ramadan ?
01:51 Tu ne peux pas être comme tout le monde.
01:52 Qu'est-ce que tu fous dans ce pays ?
01:53 Casse-toi, rentre chez toi.
01:55 Des trucs de malade quoi.
01:57 Et là, donc, on va parler aux collègues.
01:59 Et on lui dit « arrête, arrête ton délire.
02:01 Tu fais quoi là ? En plus, tu nous rends la situation explosive. »
02:05 Et donc, en fait, ce qu'on nous a dit, ce qu'on a entendu,
02:08 ce qu'on a constaté, c'est « ferme ta gueule, va mourir,
02:12 espèce de sale bougnoule.
02:14 Je ne donne pas à boire aux négros. »
02:16 Ce qui était assez risible,
02:17 parce qu'il y avait des collègues d'origine africaine ou antillaises
02:20 qui bossaient au dépôt, donc sympa pour les collègues en plus.
02:24 Et puis on était quelques arabisans,
02:27 par respect déjà au moins, mais non, ils s'en foutaient.
02:30 Et puis ça ne leur donnait pas à manger.
02:33 Ou alors des fois, quand nous, on intervenait,
02:34 ça allait chercher à manger.
02:36 Ça le jetait par terre, froid.
02:38 Super.
02:39 Ou ça le chauffait et ça le jetait par terre.
02:41 Et dans le pire du pire, donc ça, je ne l'ai pas vu,
02:43 ça a été rapporté par les personnes qui s'en sont vantées elles-mêmes.
02:47 Elles ouvraient les, si tu veux, c'est les barquettes de plat,
02:51 comme tu vois au champs, Carrefour et tout ça,
02:54 platoufées, donc tu les passes au micro-ondes deux minutes
02:56 et puis tu les donnes aux personnes.
02:57 Et bien en fait, elles ouvraient, elles crachaient dedans
02:59 et elles le filaient au mec.
03:00 Bien sûr, le mec ne l'avait pas vu cracher dedans.
03:03 Mais elle est retournée au pointage et elle s'en vantait.
03:05 Et elle était toute fière.
03:06 Le dépôt de Paris était très chaud la nuit, en termes de température.
03:10 Les radiateurs fonctionnaient, des fois y compris pendant l'été.
03:13 Et les cellules n'étaient pas ventilées ou très, très peu ventilées.
03:16 Et donc, il y avait une consigne qui demandait à ce qu'on ferme les trappes,
03:20 l'aération extérieure, pour éviter les évasions.
03:25 Bon, ça, c'est très, très rare.
03:28 Mais ces personnes de ce groupe-là, donc,
03:31 les refermaient justement pour les priver d'air, en fait.
03:34 Pour accentuer le côté étouffement un peu de leur situation.
03:42 Et c'était expliqué, c'était justifié, ils s'en vantaient.
03:46 Bien fait pour leur gueule.
03:47 Et nous, on ouvrait et ils faisaient un truc comme 40 degrés, c'était intenable.
03:51 On n'est pas là pour faire de l'angélisme.
03:52 On n'est pas là pour dire qu'ils sont gentils et les flics sont méchants.
03:56 Non, non, je défends les collègues.
03:58 Mais ce qu'ils faisaient, c'était de la torture, c'était du sadisme.
04:02 C'était un truc qui était...
04:03 Quand tu les rabaisse, quand tu les insultes, quand tu les discrimines, déjà,
04:07 psychologiquement, tu portes atteinte à leur dignité.
04:10 Mais l'acte de torture et de barbarie, il est constitué, l'infraction,
04:13 lorsque tu le prives, en plus, en lui expliquant pourquoi tu ne lui donnes pas de l'eau
04:21 ou de la nourriture.
04:22 De l'eau, juste de l'eau.
04:23 Au pire, j'ai du boulot, je n'ai pas le temps, etc.
04:25 Je lui dis "écoute, excuse, je ne te file que de l'eau, je n'ai pas le temps,
04:28 je dois faire rentrer les nouveaux arrivants, etc.
04:32 Mais dans une heure, je te refile un plat.
04:34 Ou des gâteaux secs même, du jus d'orange, on a ça.
04:37 Mais pas de l'eau.
04:39 De l'eau, c'est super simple.
04:40 Tu ouvres le robinet, tu prends un gobelet, tu lui donnes, point.
04:42 Ça fait 20 ans que je suis flic.
04:45 Je connais plein de collègues qui bossent super bien et qui ont fait des choses
04:48 qui ont fait que je suis flic.
04:50 Je connais plein de collègues qui bossent super bien, y compris dans le 9-3,
04:53 dans des endroits difficiles, etc.
04:56 Et là, j'ai des petits jeunes qui sortent d'école,
04:58 qui n'ont quasiment rien connu à la vie,
05:00 qui n'ont jamais bossé avant, ou très peu,
05:03 et qui se permettent des comportements qui vont nuire après aux collègues.
05:08 J'ai des collègues qui bossent dans des conditions difficiles,
05:10 et qui sont courants de cette affaire.
05:13 Ils me disent "pour moi, ce ne sont pas des collègues.
05:15 Ceux qui ont fait ça ne sont pas des collègues.
05:17 Ce sont des gars qui n'ont rien à faire chez nous".
05:18 Le mot qui revient, c'est "ils n'ont rien à faire chez nous".
05:21 Même les syndicalistes me l'ont dit.
05:23 Ils me disent qu'ils ne vont pas me défendre, qu'ils vont me les défendre eux,
05:25 parce qu'ils représentent un volume, parce que c'est plus facile à faire,
05:27 et puis ça évitera de jeter l'eau propre sur la boîte,
05:30 d'étouffer, de mettre le couvercle, etc.
05:33 Mais pour nous, ils n'ont rien à faire chez nous.
05:35 Après avoir regardé nos feuilles de bord,
05:37 les souvenirs qu'on a en commun, moi et les collègues de ces nuits-là,
05:42 c'est plusieurs centaines de personnes qui ont été stigmatisées
05:46 en fonction de leurs origines, et peut-être même bien plus,
05:48 moi je dirais 1500 minimum.
05:50 La politique de ma hiérarchie,
06:06 alors que j'ai essayé de régler le problème en interne, ça n'a pas marché,
06:09 le problème en interne avec la hiérarchie immédiate, ça n'a pas marché.
06:15 En avisant ma hiérarchie du service qui n'a rien fait,
06:19 sauf me tomber dessus sur moi et sur mon unité,
06:22 et en avisant l'IGPN, ce qui n'a rien changé,
06:25 et à un moment donné vous êtes au pied du mur,
06:26 vous ne pouvez pas faire autrement que de signaler les faits.
06:28 Ce que la justice nous demande, ce que les juges nous demandent aussi,
06:31 ce que le public nous demande,
06:32 ils nous disent "on veut bien vous respecter, vous la police,
06:35 mais soyez exemplaires".
06:36 Notre hiérarchie, le préfet de police de Paris,
06:39 le ministre de l'Intérieur, nous demandent d'être exemplaires.
06:41 Ils nous le disent, les uns après les autres,
06:43 des collègues qui ne représentent pas la majorité ont fauté gravement,
06:47 lourdement, sur plus d'une année et bien plus pour d'autres.
06:51 Ils ont été couverts localement, ils ont été couverts à un autre échelon,
06:55 on les a laissés faire, et ceux qui ont signalé,
06:57 ceux qui ont dit non, n'ont pas mangé de ce pain-là.
07:00 Ceux qui ont osé dénoncer, parce que c'est pas dur,
07:04 c'est pas facile de dénoncer, parce que là c'est fini.
07:07 Là en plus, maintenant il y a mon nom, il y a ma tête,
07:11 mais pour les autres collègues aussi,
07:12 puisqu'il y en a d'autres collègues gardiens qui ont osé dénoncer,
07:15 c'est être mis au banc, on ne nous disait plus bonjour,
07:19 il y a des vestiaires qui ont été dégradées.
07:21 On ne l'a même pas dit à l'IGPN, parce qu'on s'est dit,
07:23 tout le monde s'en fout de ce qui nous arrive,
07:26 on s'est dit, ça ne sert plus à rien de leur dire maintenant ce qui se passe.
07:29 Donc, maintenant je viens vous voir parce que je suis au bout du bout,
07:32 en termes de recours en fait.
07:38 Et il faut que ça sorte, il faut que ça se sache,
07:41 mais si en fin de compte, moi et mon unité,
07:43 on disparaît comme c'est ce qu'ils souhaitent et ce qui risque d'arriver,
07:46 qu'est-ce qui nous dit que ça ne va pas se reproduire là ?
07:50 Parce qu'on a la même hiérarchie, il n'y a rien qui a bougé.
07:53 Qui nous dit que dans six mois, un an, ça ne va pas être encore ambiance,
07:57 je ne veux pas dire le mot, mais Adolf et Benito quoi.
08:02 Le travail de l'administration de l'Etat
08:06 a-t-il été difficile ?
08:11 Moralement, ça a été difficile pendant longtemps.
08:15 Parce qu'une chose qui est compliquée,
08:20 c'est de se faire taper dessus alors que
08:24 tu fais exactement ce qu'on te demande de faire.
08:29 De se faire taper dessus et de devoir protéger tes gars
08:31 parce que pendant un long moment, ils ont tapé sur mon unité,
08:34 puis après, ils se sont arrêtés, ils sont concentrés sur moi.
08:38 Ce qui est difficile, c'est de rentrer le matin après avoir fait des nuits
08:41 et s'être pris des réflexions,
08:45 des remontrances, des sanctions même des fois non méritées
08:50 et de serrer les dents parce que tu n'as pas le moral après,
08:54 parce que tu te dis à quoi ça sert, pourquoi pas laisser tomber ?
08:58 Change de service, vas-y, bouge !
08:59 Mais ce n'est pas la première fois que ça se produit.
09:01 Et ce qui est difficile, c'est de savoir qu'on pense au sommet,
09:07 ils ne sont pas au courant de ce qui se passe.
09:08 C'est-à-dire qu'en fait, c'est juste un petit groupe de personnes,
09:10 un petit groupe de gradés, d'officiers,
09:13 qui a décidé pour leur plan de carrière, pour leur tranquillité,
09:18 de passer ça sous silence.
09:21 Et que tout le harcèlement qui en découle,
09:25 c'est le plaisir égoïste de ces quelques personnes,
09:28 plaisir sadique.
09:30 Ce qui n'est pas facile aussi après,
09:32 c'est de voir tous les autres collègues qui t'ont soutenu,
09:35 te dire "chef, laisse tomber".
09:37 Parce que si vous, qui êtes chef d'unité au PJ,
09:41 au sein du tribunal de Paris,
09:43 ils arrivent à vous mettre la misère,
09:45 nous qui sommes juste petits gardiens, qu'est-ce qu'on va faire ?
09:48 J'ai des valeurs et je ne lâche pas, je ne lâche pas.
09:52 Je préfère une défaite honorable à une victoire frauduleuse.
09:57 J'ai toujours su que les dindons, ça allait par troupe.
10:01 Et que ceux qui ont vraiment le cœur à ce métier,
10:06 les anciens qui m'ont appris, ils m'ont dit
10:08 "quand tu tiens la vérité, tu ne la lâches pas".
10:11 [Musique]

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