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Focus sur la faute lucrative avec Muriel Chagny, Professeur de droit UVSQ (Paris-Saclay).

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00:00Musique
00:00On poursuit ce Lex Insight, on va parler de la faute lucrative avec mon invité Muriel Chagny,
00:15professeure en droit privé à l'université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
00:19Muriel Chagny, bonjour.
00:21Bonjour Arnaud.
00:22Le nouvel article 1254 du Code civil introduit de façon inédite en droit commun de la responsabilité civile
00:29une sanction civile des fautes lucratives qui soulève de nombreuses questions.
00:34Pour commencer, pourquoi un tel texte a-t-il été introduit ?
00:39A vrai dire, je me pose moi-même la question Arnaud.
00:41Alors, en réalité ce texte est le fruit d'une initiative parlementaire en cours de vote de la dernière loi d'adu du 30 avril 2025.
00:52Et donc, si on regarde ce qui a été dit par les auteurs de l'amendement,
00:55il s'agit en réalité de mieux réprimer les manquements délibérés tout en, je cite,
01:02« alimentant un fonds destiné au financement des actions de groupe ».
01:05Alors, effectivement, le produit de cette sanction civile va permettre d'abonder, d'alimenter un fonds permettant de financer les actions de groupe
01:11et ça vise certainement, ça permettra de faciliter l'exercice des actions de groupe.
01:16Mais l'objectif principal, il est ailleurs, c'est effectivement, vous l'avez dit, de sanctionner la faute lucrative.
01:24Alors, qu'est-ce que c'est la faute lucrative ?
01:25C'est une faute qui, en réalité, va laisser à son auteur un profit, malgré le fait qu'il est obligé de réparer par l'allocation de dommages intérêts.
01:36Et donc, il s'agit ici, en réalité, d'éviter que le crime, ou plutôt la faute, paye, c'est ça l'idée.
01:41Et donc, en quelque sorte, il s'agit de déjouer les calculs coût-avantage qui peuvent être faits par les auteurs de certaines fautes.
01:50Alors, certains droits spéciaux l'avaient déjà fait avant.
01:53Le droit commun a eu du mal à le faire, puisqu'il a été question depuis 20 ans maintenant, vous voyez, 20 ans tout juste,
02:00il a été question de dommages intérêts punitifs, de dommages intérêts restitutoires, d'amendes civiles.
02:05Et là, on a fini par enfin avoir un texte avec une un peu curieuse sanction civile qui a été adoptée.
02:14Alors, on n'en sait plus sur cette faute lucrative.
02:17On va revenir sur la sanction. Est-ce que cette sanction est suffisamment encadrée ?
02:22Alors, c'est vrai que cette sanction, elle pose quand même un certain nombre de questions,
02:25parce qu'elle a un domaine d'application qui est très large, me semble-t-il.
02:31En effet, elle va concerner aussi bien la responsabilité contractuelle que la responsabilité délictuelle.
02:38Et par ailleurs, elle va jouer dès lors qu'on est dans l'exercice d'une activité professionnelle.
02:44Donc, ça va concerner très largement les entreprises, les opérateurs économiques.
02:47Ça veut dire que c'est quand même très large et que donc, ça va pouvoir s'appliquer, par exemple,
02:52à des contentieux qui intéressent la propriété intellectuelle, à des contentieux qui intéressent le droit de l'environnement,
02:58à des contentieux qui intéressent aussi les inexécutions contractuelles qui vont être concernées,
03:03le droit de la concurrence, le droit de la consommation ou encore les fameuses récentes obligations de compliance.
03:08Donc, le champ est vraiment large.
03:10Voilà. Et de là, le régime, il devient crucial.
03:13Plus le domaine d'application est large, plus on est tenté de se dire qu'il faut bien encadrer cette sanction.
03:21Précisément, je ne suis pas sûre que le compte y soit tout à fait parce que...
03:24Alors, il y a deux conditions de fond qui sont posées par le texte.
03:28La première, elle tient à la caractérisation d'une faute, une faute lucrative, une faute spécifique.
03:35Donc, et là, le texte pose des exigences.
03:38Il faut que l'auteur de la faute ait délibérément, c'est-à-dire volontairement, commise celle-ci en vue d'obtenir un gain ou une économie indue.
03:49On voit ici qu'on a une volonté qui est orientée non pas vers un résultat dommageable, comme c'est le cas de la faute intentionnelle,
03:56mais vers un gain, un profit illicite.
03:59Ça, c'est la première condition.
04:01Mais c'est plutôt la seconde qui est peut-être un peu facile à satisfaire.
04:05Pourquoi ?
04:06Il suffit que le manquement ait causé un dommage, alors quel qu'il soit, à plusieurs personnes.
04:13Mais plusieurs, c'est au moins deux, ce qui peut aller assez vite.
04:17Plusieurs personnes placées dans une situation similaire.
04:21Qu'est-ce que c'est qu'une situation similaire ?
04:22Ça n'est pas une stricte identité, similaire, c'est finalement ce qui est à peu près semblable.
04:27Donc, ça laisse beaucoup d'hypothèses.
04:29Voilà.
04:29Alors, on peut quand même se rassurer.
04:32Il y a des modalités d'application qui sont prévues.
04:34Il faut une demande, en ce sens, de la part soit du ministère public, soit du gouvernement.
04:40Il faut aussi, si le juge décide d'accorder une telle sanction civile, il faut aussi une décision motivée.
04:46Mais il reste des inquiétudes quant au montant, et en particulier quant au plafond qui est prévu, qui est quand même extrêmement élevé.
04:54Je suis disant plutôt, le plafond qui est prévu, c'est pour une personne physique, deux fois le montant des sommes indûment perçues.
05:04Pour une personne morale, c'est cinq fois.
05:06Ça peut aller jusqu'à cinq fois.
05:08Autrement dit, on est encore plus sévère que les droits spéciaux, vous voyez.
05:11Alors, justement, vous évoquez les droits spéciaux.
05:14Il y a déjà d'autres dispositifs qui prévoient des sanctions.
05:17Quelle est l'articulation avec les droits spéciaux ?
05:21Alors, ce qui est bien à première lecture de ce texte, c'est qu'il a prévu la question.
05:26Et donc, on pourrait se dire, tout va bien sur ce point, tout est prévu.
05:29En réalité, quand on y regarde de plus près, ça n'est pas tout à fait le cas.
05:34Pourquoi ?
05:34Alors, pourquoi ?
05:35Eh bien, parce qu'en réalité, ce que prévoit le texte, c'est l'hypothèse du cumul avec une amende administrative ou pénale.
05:43Et dans ces cas-là, eh bien, le texte dispose qu'il faut plafonner le montant total des amendes au plafond le plus élevé.
05:51Bon, le problème, c'est que si vous prenez par exemple l'exemple du droit de la concurrence, il y a des cas qui ne correspondent pas ni à une amende administrative, ni à une amende pénale.
06:02Vous pensez à quoi, par exemple ?
06:03Alors, je pense au droit des pratiques restrictives, pour lequel est prévue une amende civile.
06:09Amende civile qui peut être extrêmement sévère, puisque ça peut aller jusqu'à 5% du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise.
06:15Et donc, cette amende civile, ça n'est ni une amende administrative, ni une amende pénale.
06:21Donc, le texte n'a pas prévu ce cas de figure.
06:25Donc, c'est une lacune ?
06:26C'est une lacune. Il aurait mieux valu sans doute prévoir, effectivement, le cumul avec une sanction pécuniaire, qu'elle soit pénale, administrative ou civile.
06:33Alors, je ne veux pas non plus inquiéter. Je pense que le principe nebis in idem aura vocation à jouer.
06:39Mais c'est quand même une lacune du texte.
06:41Alors, autre point, la question de l'attractivité semble se poser également. Quels sont les risques en la matière ?
06:48Le risque, en réalité, c'est que, comme je vous l'ai dit, ce texte concerne les opérateurs économiques.
06:54Et il les expose à des sanctions qui peuvent être élevées, on l'a dit, et qui ne sont pas assurables,
07:01et qui peuvent, dans certains cas, se cumuler, soit avec l'amende civile, soit encore avec des dommages d'intérêts.
07:07Donc, ça peut faire peur aux entreprises.
07:08Donc, ça peut faire peur aux entreprises. Or, les entreprises, précisément, elles sont les premières,
07:13enclines à mettre en concurrence, en quelque sorte, les droits et les systèmes juridiques.
07:17Par comparaison, on a essayé de choisir le plus profitable.
07:20Et donc, le texte s'applique en matière contractuelle.
07:24Il y a donc un risque, à mon sens, que les entreprises, lorsqu'elles établissent leurs contrats,
07:28en tout cas, quand il s'agit de contrats internationaux, insèrent dans les contrats,
07:33des clauses de choix de loi et de choix de juridiction, au profit de lois et juridictions étrangères.
07:40Et c'est peut-être un peu dommage qu'on n'y ait pas davantage songé.
07:44En tout cas, c'est...
07:44C'est un risque pour la sécurité juridique ?
07:47Alors, pour la sécurité juridique, en réalité, la question, c'est de savoir comment le juge va appliquer le texte, au fond.
07:55C'est lui qui a la main. C'est lui qui aura le dernier mot.
07:59Parce que le texte lui donne, non pas une obligation, mais une faculté.
08:04Il peut, et non pas doit, prononcer une sanction civile.
08:08Donc, il faut attendre les premières décisions pour voir comment il va interpréter, justement, ce texte ?
08:13Alors, en effet, il faut attendre les premières décisions pour voir quelle application il fera de ce texte.
08:18Est-ce qu'il prononcera des sanctions civiles très élevées ou pas ?
08:22Est-ce qu'il ira davantage dans la sanction de principe ?
08:25Ça, effectivement, c'est lui qui aura la main.
08:28À moins que ce qu'une loi a fait, une nouvelle, puisse la défaire.
08:32Parce que ce qu'on peut regretter aussi, c'est qu'ici, ce soit une nouvelle fois une réformette de la responsabilité civile, texte après texte, dans des lois fourre-toutes comme la DADU.
08:43Alors qu'il vaudrait mieux, effectivement, une vraie réforme d'ampleur de la responsabilité civile qu'on attend depuis très longtemps.
08:49On va conclure là-dessus. Merci Muriel Chani.
08:52Je rappelle que vous êtes professeure en droit privé à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
08:57Merci beaucoup, Arnaud.
08:57Tout de suite, l'émission continue. On va parler blockchain et cryptoactif et droit des marques.

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