Dans son édito du 08/06/2025, Jules Torres revient sur les violences qui ont eu lieu en France ces dernières semaines alors que, dans le même temps, Emmanuel Macron crie au «brainwashing».
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00:00Barbarie, immigration, intégration, assimilation, voilà des mots.
00:04Et bien qu'ils sont aujourd'hui interdits, comme si les prononçaient, était une faute.
00:08Mais quand le mot juste est interdit, alors c'est le mensonge qui fait loi.
00:12Voilà où nous en sommes.
00:13À force de contourner les faits, d'aseptiser le langage, de maquiller les évidences,
00:18le débat public s'est enfermé dans une neuve langue hypocrite,
00:21où nommer la réalité revient à la trahir.
00:24Parfois, cette confusion des mots vient du sommet même de l'État.
00:27Hier, Emmanuel Macron s'est inquiété que certains veuillent, je cite,
00:31« brainwatcher sur l'invasion du pays et les faits divers ».
00:34Oui, brainwatcher, un anglicisme bancal pour dire, en gros, laver les cerveaux, manipuler les esprits,
00:40un mot de marqueteux pour parler de drame humain, de mort, de vie brisée,
00:44comme si évoquer l'insécurité ou l'immigration revenait à faire du bourrage de crâne.
00:48Un président de la République qui promettait d'être implacable avec les émeutiers
00:52ne s'indigne plus des violences, mais de ceux qui les nomment.
00:55Le mot « invasion » est relégué au rang de slogan,
00:58les faits divers réduits à du bruit médiatique,
01:00mais derrière ce mépris lexical, il y a des morts, il y a des visages,
01:04il y a des familles qui enterrent leurs enfants,
01:06des parents qui parlent avec pudeur, dignité, gravité.
01:08Le père de Benoît, sauvagement tué à Dax, la mère de Lola,
01:12qui continue à vivre dans l'absence.
01:15La maman d'Elias, 14 ans, tuée à Paris à coups de machette.
01:17Le père de Matisse, brisé par l'injustice,
01:20étant d'autres anonymes, silencieux, relégués à la marge du récit national.
01:25En niant les mots, le pouvoir nie les faits, et en niant les faits, il nie les victimes.
01:28Il nie ce que vivent des milliers de Français,
01:30qui n'attendent pas de grandes phrases en anglais,
01:32mais une protection et un peu de vérité.
01:35Jules, pourquoi ce silence sur les causes mêmes de cette violence ?
01:39Enfin la surprise, mais le scénario est connu, toujours le même déni,
01:42pendant que ce qui s'exprime bien là n'est pas un accident,
01:46c'est le symptôme d'un échec profond,
01:48celui d'un modèle républicain qui promettait l'intégration à tous,
01:52sans jamais en poser les conditions.
01:54Celui d'une immigration massive, incontrôlée,
01:56qui a saturé les dispositifs d'accueil, fracturé les équilibres
01:59et créé des poches entières de désaffiliation culturelle.
02:02Mais ces mots-là, immigration, intégration, assimilation,
02:06sont devenus des épouvantails.
02:08Ils déplaisent aux éditorialistes sensibles,
02:10aux ministres prudents, aux associations vigilantes.
02:13On évite le débat, comme si ces violences venaient de nulle part,
02:16comme si elles n'étaient pas le fruit d'un lent processus de désintégration.
02:20On soigne les symptômes, mais jamais les causes.
02:22Personne ne semble vouloir poser les vraies questions
02:26et les seules questions.
02:27Pourquoi ces jeunes, souvent en français par le droit,
02:29mais jamais par le cœur,
02:30vivent-ils dans une hostilité constante envers leur propre pays ?
02:34Pourquoi cette haine, cette rage de détruire,
02:36cette joie dans la brutalité ?
02:38Ce n'est pas une question d'origine,
02:39c'est une question d'appartenance, de transmission et d'identité.
02:43La gauche, elle, ferme les yeux pour ne pas rompre
02:45avec ce qu'elle appelle son récit fondateur,
02:47celui d'un peuple des quartiers qui serait forcément victime.
02:51Quant à la droite, elle, elle se tait par peur d'être accusée.
02:54Pendant ce temps, la fracture grandit.
02:55On la recouvre d'un silence pudique, d'une chape de moraline.
02:58Mais tôt ou tard, ce silence se paiera.
03:01Et que reste-t-il de notre nation, Jules ?
03:03À force de nier les évidences, mon cher Mickaël,
03:06c'est l'autorité elle-même qui vacille.
03:08Les policiers le disent, ils ne savent plus vraiment ce qu'on attend d'eux.
03:12Quand ils n'interviennent pas, on les accuse de passivité.
03:15Quand ils agissent, la justice les soupçonne, les instruit.
03:18Et parfois même, on les envoie aux assises.
03:20Mais la responsabilité ne repose pas évidemment sur la police.
03:23Elle pèse sur une société qui préfère esquiver le réel plutôt que de l'affronter.
03:27Une société où certains mots sont devenus des tabous.
03:30Ces mots ne sont pas des insultes, ce sont des outils d'analyse.
03:32Les refuser, c'est se priver des moyens pour comprendre.
03:36Et quand on ne comprend plus, on subit, on encaisse et on abdique.
03:39Car la vérité est là, une partie de la jeunesse vit désormais en dehors du cadre commun.
03:43Elle rejette les règles, les symboles et les institutions.
03:46Elle n'attend rien de la République, sinon qu'elle baisse les yeux.
03:49L'école ne transmet plus, les parents ne tiennent plus.
03:52Et les services sociaux tournent à vide.
03:53L'État, en ce moment, reste bouche-close.
03:56Et dans ce désert de repères, la violence devient un langage et une loi.
03:59Ceux qui s'alarment de l'usage du mot barbare feraient mieux de s'alarmer de ce qu'il désigne.
04:05Car ce n'est pas la sévérité du vocabulaire qui menace la cohésion nationale, c'est sa lâcheté.
04:09À force de bannir certains mots, on finit par perdre le sens.
04:12Et sans sens commun, il n'y a plus de nation, il n'y a plus que des groupes, des clans et des affrontements.
04:17Il y a la peur aussi partout.
04:18Alors il est encore temps de choisir la lucidité, de regarder en face ce que tant s'acharne à dissimuler.
04:25Mais pour cela, il faut bien cesser d'avoir peur des mots.
04:28Car un pays qui a peur des mots peut avoir peur de lui-même.