Xerfi Canal a reçu Jean-Gabriel Ganascia, professeur d’informatique, Sorbonne Université, membre senior de l’Institut Universitaire de France, ancien président du comité d’éthique du CNRS, pour parler de l'IA pour concevoir ce qui n'existe pas encore.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Jean-Gabriel Ganaskia ! Bonjour ! Vous êtes professeur d'informatique à Sorbonne
00:13Université, membre seigneur de l'IUF, l'Institut universitaire de France. Vous avez présidé le
00:19comité d'éthique du CNRS, vous présidez aujourd'hui le comité d'éthique de France Travail. L'IA
00:24expliquée aux humains. Comment qu'on puisse dire c'est que le sujet de ce que l'IA fait au travail,
00:29c'est un peu dans toutes les têtes. Vous nous dites, c'est votre thèse, l'IA ne mettra pas
00:36faim au travail, l'IA pulvérise le travail. Sous-entendu, elle l'émiette encore plus. Il
00:43était déjà émietté, elle l'émiette encore plus, elle l'automatise ses miettes, etc. Mais le travail
00:51c'est beaucoup plus complexe que ça. Evidemment, vous citez Anna Arendt, et vous nous dites,
00:56le travail c'est du labeur, le travail c'est une oeuvre, le travail c'est de l'action et de
01:01l'action politique. Alors la question qu'on se pose, là on est dans une émission destinée aux
01:06entreprises, aux dirigeants d'entreprises, c'est ce que ça va faire à l'entreprise. Et
01:11l'entreprise innove et est très inquiète de ce que l'IA peut l'aider à innover ou au contraire pourrait
01:17la déclasser quelque part en la remplaçant, en l'asservissant. Alors comment on peut penser
01:23cette relation à l'innovation ? Alors je crois qu'il y a beaucoup de questions derrière. La
01:28première c'est la transformation du travail lui-même. Elle pulvérise le travail, elle rend le
01:35travail de plus en plus fastidieux et beaucoup d'employés se plaignent de cela. Beaucoup plus de
01:43tâches de reporting, de tâches automatiques. On aurait imaginé au début, et moi quand j'ai
01:50commencé à faire de l'intelligence raciale il y a de très nombreuses années de cela, cette idée que
01:54ce qui était difficile, pénible physiquement, serait fait par la machine et ne resterait à l'homme
02:01que ce qui est extrêmement agréable. Et puis on se rend compte que dans la pratique c'est l'inverse. Et
02:09il y a chez beaucoup d'employés aujourd'hui une forme de lassitude au travail. Donc je crois qu'il faut
02:17arriver à changer cela. Il faut redonner aux salariés le goût du travail. Alors est-ce que l'intelligence artificielle
02:24va supprimer cela ? Je ne crois pas. Je pense que justement l'intelligence raciale c'est un peu comme la langue des hommes. C'est à
02:31la fois la meilleure et la pire des choses. Quelquefois on va faire faire des choses aux machines puis on demande aux
02:36hommes de s'occuper des aspects les plus mécaniques. Alors qui plus est, avec le numérique, il y a quelque chose qui se produit,
02:43c'est qu'une tâche qui demandait d'être faite par de multiples personnes. Aujourd'hui, on peut avoir un expert
02:51qui va envoyer son expertise à un nombre considérable d'endroits. Et à ce moment, l'expertise, on demandera qu'elle soit
02:58de très grande qualité, excellente, mais elle sera diffusée. Donc il y aura de moins en moins experts extrêmement
03:03spécialisés. Et c'est bien sûr ce qui fait que les tâches risquent d'être de moins en moins intéressantes. Mais en même temps,
03:10je crois que l'intelligence artificielle peut aider à créer. Et moi, je suis assez optimiste. J'ai travaillé
03:17beaucoup sur la créativité avec les outils d'intelligence artificielle, à la fois pour l'étude de la
03:24créativité. Et pendant ce nombre d'années, j'ai abordé ce qu'on appelle les humanités numériques,
03:28avec les disciplines spécialistes de la culture, des œuvres, culture au sens anglo-saxon, des œuvres
03:36humaines. Comment est-ce qu'on peut mieux comprendre le travail de l'artiste, du musicien, le travail de l'écrivain.
03:43Par exemple, j'ai travaillé avec des spécialistes de brouillons d'auteurs pour essayer de comparer les brouillons d'auteurs
03:47pour voir comment l'œuvre s'élabore dans le temps. Donc ça, c'est un aspect. Et puis un deuxième aspect, c'est est-ce qu'on peut
03:53fabriquer une machine qui soit créative ? Et qu'est-ce que ça nous apporte ? Et on a travaillé il y a de très nombreuses années sur un
04:00modèle de créativité qui était conçu avec la notion de mémoire. C'est comme si on simule l'imagination,
04:07qui est un peu dans cette tradition très très ancienne, une combinaison d'événements passés entre eux. Et donc, voilà, on peut
04:18essayer de mieux comprendre un certain nombre de phénomènes créatifs. Alors, on nous parle aujourd'hui d'outils
04:23d'intelligence artificielle générative qui, eux aussi, font œuvre de créativité. Mais je crois
04:30que ça n'épuise pas le travail de l'artiste. Moi, j'ai échangé avec des artistes, que ce soit des écrivains
04:38ou surtout des graphistes, sur leur pratique avec l'intelligence artificielle générative.
04:43Eh bien, ce sont des nouveaux métiers qui sont en train de naître parce qu'il y a de nouvelles pratiques. Et bien sûr,
04:49on peut avoir des choses extraordinaires. C'est-à-dire que ce n'est pas parce qu'on utilise
04:52mid-journée dans sa cuisine en deux secondes quelque chose qui est à peu près potable et qui n'a aucun intérêt qu'on doit
04:59être satisfait. Non, je crois qu'il y a, là encore, de nouveaux métiers qui naissent. Alors, qu'est-ce que ça veut dire ?
05:03Ça veut dire qu'effectivement, avec l'intelligence artificielle, avec les technologies du numérique, il peut se produire des choses
05:12qui soient nouvelles. Et c'est ça, l'innovation. Donc, l'innovation innove, c'est-à-dire qu'elle produit
05:20quelque chose qui n'a jamais existé dans le passé. Eh bien, c'est un peu ce qu'on essaye de faire avec les outils
05:28d'intelligence artificielle, en combinant ces éléments de mémoire d'une façon qui fait que, bien sûr, on reprend
05:34des éléments du passé, mais on le fait d'une façon qui est singulière. Alors, on a fait ça donc en musique,
05:41en musique, il y a un certain nombre d'années. On générait la ligne de base d'un trio rythmique en jazz,
05:47ce qui est de l'improvisation, qui est assez innovante. Alors, pourquoi c'est important ?
05:53Parce qu'aujourd'hui, beaucoup de personnes nous disent que l'intelligence artificielle est dangereuse.
05:58Il faut essayer de l'encadrer, c'est-à-dire de limiter les possibilités des technologies.
06:05Et justement, je crois qu'on ne limite pas l'innovation, puisque l'innovation, c'est le nouveau.
06:10Et on laisse entendre qu'on peut connaître les risques. En réalité, on ne sait pas du tout
06:15ce à quoi l'intelligence artificielle va servir. Et il y a peut-être des emplois très nouveaux, très utiles,
06:21qui ne sont pas imaginés, puis d'autres emplois qu'on n'avait pas imaginés qui seront extrêmement problématiques et dangereux.
06:30Et on a une expérience de ça avec l'intelligence artificielle générative.
06:34En 2022, la première version du règlement européen sur l'intelligence artificielle considérait que les agents conversationnels,
06:40ce qu'on appelle les chatbots, n'étaient pas dangereux.
06:43Et oui, ensuite, quand ils ont donné leur copie au Parlement européen, entre-temps, OpenAI avait mis au point de chaîne GPT,
06:51et à ce moment-là, le Parlement européen a jugé que c'était très dangereux. Peut-être qu'il a exagéré dans l'autre sens.
06:58Mais ce que ça montre, c'est qu'on n'est pas capable d'anticiper ce que vont être les évolutions de la technologie.
07:04Donc, ne surtout pas suralimenter les peurs, ne surtout pas faire le marketing de la peur autour de l'IA,
07:11et plutôt toujours se rappeler qu'innover, c'est concevoir ce qui n'existe pas encore.
07:16Voilà.
07:17Ce qui ne peut être évité, il faut l'embrasser, paraît-il.
07:20Merci à vous, Jean-Gabriel Ganassia. C'est passionnant.
07:23L'IA expliquée aux humains. Merci à vous.
07:25Merci.
07:34Merci.
07:35Merci.