La députée de Loire-Atlantique remet ce lundi un rapport, co-écrit avec la sénatrice Véronique Guillotin, sur la soumission chimique en France. Il émet 50 recommandations pour endiguer ce fléau.
Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
00:00Sonia De Villers, votre invitée et députée de Loire-Atlantique.
00:03Il y a un an et demi, en proie à un malaise violent, elle s'est enfuie de chez un ami, le sénateur Joël Guerriot.
00:09On lui détecte alors une dose massive d'ecstasie dans le sang.
00:12Elle porte plainte et alerte sans relâche sur les dangers de la soumission chimique.
00:17A 17h aujourd'hui sera enfin remis le rapport de la mission intergouvernementale qu'elle co-dirige.
00:25Bonjour Sandrine Jossot.
00:26Bonjour Sonia De Villers.
00:27D'un drame personnel, d'un choc physique et psychique profond et intime, vous avez donc fait un geste politique ?
00:36Un geste politique pour sortir toutes les victimes de l'ombre, des femmes, beaucoup de femmes, mais aussi des enfants soumis chimiquement.
00:44Et ça je l'ai appris au fur et à mesure du temps, que c'est vraiment une urgence de santé publique.
00:49Une urgence de santé publique. Dans le rapport, vous dites que l'urgence, elle ne tient pas au caractère nouveau ou inédit d'effet.
00:58D'ailleurs vous mentionnez la première description clinique de la soumission chimique, elle date de 1982 en France.
01:03Vous parlez de l'état de la menace. Pourquoi l'état de la menace ?
01:07La menace, elle est dans notre sphère privée. Et donc déjà, ça c'est très important. Ensuite, il y a aussi un biais. On pensait que ça arrivait plutôt dans les soirées, boîtes de nuit.
01:19La drogue du violeur.
01:19Exactement. Alors que dans 82% des cas, ça arrive dans la sphère privée, amicale, familiale. Et puis à des fins nombreuses, bien sûr d'agression, de viol, d'inceste.
01:33Donc plus j'ai avancé sur le sujet, plus j'ai découvert l'enfer du décor et l'envers du décor.
01:38Oui. Alors quand je dis enfin, c'est que l'année a été marquée par ce procès retentissant, mondialement suivi des crimes commis à Mazan.
01:4783 violeurs dénombrés par la police, 54 identifiés, 51 jugés, tous violés pour avoir, tous condamnés pour avoir violé ou agressé Gisèle Pellicot, inerte et inconsciente.
01:59Est-ce que le regard a changé ? Changé sur la soumission chimique ?
02:05Le regard a changé, on comprend ce qu'est la soumission chimique. Maintenant, attention.
02:11Parce que la soumission chimique, avec le procès de Gisèle Pellicot, là effectivement, on avait des preuves.
02:16Mais la bataille aujourd'hui, c'est l'accessibilité à la preuve.
02:20Ce qui est très compliqué et c'est pour ça que moi j'ai qu'une obsession dans ce rapport, c'est de faciliter l'accessibilité à la preuve et aussi le traitement judiciaire.
02:28C'est-à-dire que comme toutes les femmes, parce que vous dites 92% des victimes de soumission chimique sont des femmes.
02:33Comme toutes les femmes victimes de soumission chimique, Gisèle Pellicot n'a aucun souvenir.
02:38Mais en revanche, elle a des traces, elle a des images, elle a des preuves.
02:42Alors que dans 90% des cas, il n'y en a pas.
02:45Il n'y en a pas. D'ailleurs, par exemple, la fille de Gisèle Pellicot, Caroline Darian, elle a été la grande oubliée de ce procès.
02:53Elle a eu quelques photos, effectivement. Mais par exemple, on n'a pas fait l'analyse séquentielle de ses cheveux.
03:00Vous voyez, c'est une course contre la monde. Donc quand on est, on va dire, en retard pour prélever le sang et par exemple l'urine, il y a encore une solution.
03:08C'est l'analyse séquentielle des cheveux. Mais on ne le fait pas aujourd'hui parce qu'on ne connaît pas.
03:12Et effectivement, on n'a pas le réflexe. Et puis, voilà, de vous à moi, ça coûte très cher.
03:17Alors justement, soyons extrêmement précis car il y a 50 recommandations dans votre rapport que vous avez co-dirigé et co-rédigé avec Véronie Guillotin qui est donc elle-même médecin et sénatrice.
03:29Il y a 50 recommandations. Il y en a 15 à mettre en œuvre d'urgence. Réclamez-vous.
03:35Dès 2025.
03:36Dès 2025, dont un kit de prélèvement. Alors le kit de prélèvement, qu'est-ce que c'est ?
03:41Parce que Michel Barnier avait parlé de kit de détection. Et vous, vous dites non, non, non, pas un kit de détection.
03:47Il faut avoir des réponses qui soient vraiment inattaquables à la barre d'un tribunal.
03:53Un kit de détection, en fait, il y a tellement de drogue. Finalement, on donne des faux résultats, on donne des faux exploits.
04:00Et donc, à la barre, si vous avez un bon avocat de la défense, eh bien tout ça devient caduque.
04:04Donc, il faut le plus vite possible, dans les heures qui suivent, faire un prélèvement de sang et d'urine.
04:11C'est pour ça qu'il faut bien comprendre qu'il va falloir mettre en place un protocole national, avec bien sûr les hôpitaux,
04:18mais aussi dans les zones où il n'y a pas de médecin, eh bien trouver des relais, par exemple, comme des infirmières libérales.
04:25Les pharmaciens doivent jouer un rôle dans ces mesures d'urgence au moment des faits ?
04:32Parce que c'est une question d'heures, vous l'avez dit.
04:34Absolument, c'est vraiment dans les heures.
04:36Et qu'on a souvent plus facilement accès à une pharmacie qu'à un service d'urgence hospitalier ?
04:41Les pharmaciens peuvent jouer un rôle.
04:43Pour orienter, il faut avoir ce qu'on appelle des bons réflexes.
04:46Les médecins doivent aussi avoir des bons réflexes.
04:48Mais dans les heures, effectivement, profondes de la nuit ou, par exemple, le week-end,
04:53il faut à tout prix qu'on puisse avoir des points de prélèvement par des infirmières libérales.
04:58Si on est éloigné d'un hôpital, d'un CHU, par exemple, et donc faire en sorte que...
05:02Pas de prélèvement chez les pharmaciens ?
05:03Non, en fait, il faut des personnes habilitées pour le faire.
05:06Une infirmière est habiletée et est diplômée d'État pour le faire.
05:10Et de là, il faut, attention, il y a quelque chose quand même à retenir,
05:13c'est qu'il faut envoyer ces prélèvements au bon endroit.
05:16Donc, il faut vraiment un fléchage pour le parcours du prélèvement
05:20pour que ces infirmières, par exemple, envoient au bon établissement,
05:25c'est-à-dire au laboratoire qui sera labellisé, certifié,
05:28parce que tout le monde ne peut pas être, par exemple, expert en analyse de soumission chimique.
05:33Un laboratoire de ville ne peut pas l'être, sauf s'il est répertorié dans le registre national.
05:39Et vous réclamez que les prélèvements soient gratuits, même sans dépôt de plainte ?
05:43Parce que, vous commencez à le dire, un prélèvement de cheveux, ça coûte entre 500 et 2000 euros ?
05:51Ça coûte extrêmement cher, néanmoins.
05:53C'est quand même une très bonne solution.
05:55Donc, il faut orienter les choses.
05:57Et puis, il faut que ce soit facile.
05:59C'est-à-dire qu'on ne peut pas demander à une victime qui est complètement sidérée
06:03par ce qui lui arrive, soumise chimiquement, d'aller aussi porter plainte tout de suite.
06:07Il faut respecter la temporalité des victimes.
06:10Donc, souvent, les victimes, elles veulent aller porter plainte.
06:13quand elles voient les résultats.
06:14Donc, ça les encourage.
06:15Donc, il faut encourager la démarche en tout point.
06:18Et vous avez entendu ce sujet que nous avons diffusé dans le journal de 7h30,
06:23de ces deux jeunes femmes qui, le lendemain d'une soirée dans un restaurant,
06:29se sont réveillées à moitié nues dans un champ.
06:31Elles ont fait un blackout au même moment.
06:33Leur plainte a été classée en 15 jours.
06:35C'est-à-dire que même leur médecin généraliste ne savait pas quoi prescrire comme prélèvement.
06:41Vous allez former les médecins généralistes ?
06:44Oui, il faut des formations pour tout le personnel de santé, les médecins généralistes,
06:48mais aussi les personnels du monde judiciaire, médical.
06:52Il faut que les magistrats soient formés.
06:54Il est hors de question qu'on classe des histoires comme celle-là sans suite.
06:58Ce n'est pas possible aujourd'hui.
07:00Pour ça, il faut que tout le monde ait les bons réflexes.
07:02Et encore une fois, c'est l'accessibilité à la preuve dans le parcours judiciaire.
07:06Et c'est ce que je mets en place dans la continuité de mon rapport.
07:09Un groupe de travail avec l'élaboration d'un cahier des charges pour un parcours judiciaire
07:13et un parcours médical parfait pour accéder à la preuve.
07:15Parce que c'est ça aussi l'histoire de Gisèle Pellicot.
07:17C'est la méconnaissance totale, voire l'incompétence totale.
07:21Personne n'a pensé à faire de prélèvements sanguins à cette femme,
07:26qui pourtant montrait des dysfonctionnements et des pathologies tous azimuts.
07:31C'est ça. Personne n'y a pensé. Personne n'a investigué le doute.
07:34Et aujourd'hui, on se retrouve avec des médecins qui veulent bien faire,
07:36mais qui ne sont pas formés, qui font parfois des prélèvements
07:38qui les envoient au laboratoire de ville qui n'est pas référencé.
07:41Et donc là, en fait, la victime, elle n'a plus que ses yeux pour pleurer.
07:44Donc la formation, elle est indispensable.
07:46Est-ce que dans ces mois de travail avec Véronique Guillotin
07:50et puis tous les acteurs qui vous ont entouré,
07:52vous avez notamment collaboré avec Caroline Darian,
07:55vous êtes la marraine de son association Mandorpa.
07:58Est-ce que vous êtes parvenu à quantifier ce phénomène,
08:02à juger s'il est en progression ?
08:04Alors, on s'est appuyé sur le centre de référence des agressions facilitées par les substances,
08:09qui est piloté par Laila Shawashi.
08:11Il faut savoir qu'entre 2021 et 2022, il y a eu une augmentation de 69%.
08:15Mais les chiffres aujourd'hui, étant donné que les signalements sont très, on va dire, difficiles,
08:19il y a très peu de victimes qui ont des preuves, très peu de victimes qui portent plainte,
08:23on n'est pas en mesure d'avoir un recensement correct.
08:25Donc aujourd'hui, il faut travailler à faire en sorte que, d'une part,
08:28on puisse avoir un recensement partout en France et bien sûr aussi en Outre-mer.
08:33Les chiffres aujourd'hui, ce ne sont pas les vrais chiffres.
08:34C'est pour ça qu'il faut suivre tout ça de très près.
08:37Il faudra annuellement faire des bilans.
08:39Et comment est-ce que les victimes sont sédatées ?
08:41Par le premier vecteur, malheureusement, c'est le détournement du médicament,
08:45ce que vous avez dans votre boîte à pharmacie.
08:47Donc, vous voyez, c'est quand même assez terrible.
08:48Ensuite arrive, par exemple, la MDMA, mais le premier vecteur, c'est quand même le médicament.
08:53Sachez-le.
08:54Le médicament, voilà.
08:55Vous avez porté plainte contre le sénateur Joël Guerriot,
08:59que vous accusez de vous avoir drogué.
09:02Il y a un mois, le parquet de Paris a requis un procès contre lui.
09:07Lui, sa ligne de défense, c'est de vous avoir involontairement drogué,
09:12de s'être trompé dans la manipulation des coupes de champagne.
09:15Parmi vos recommandations, il y a aussi une modification du code pénal.
09:19Vous voulez une aggravation de l'accusation en cas de soumission chimique ?
09:24Oui, parce que, vous voyez, en fait, mettre quelqu'un en vulnérabilité,
09:28très souvent, vous voyez ce qui se passe.
09:30C'est qu'on met la personne dans une vulnérabilité avec, par exemple, de l'alcool.
09:35Et après, on dissimule la substance discrètement.
09:38Donc, vous voyez, c'est quand même très aggravant de profiter d'une situation
09:41ou même parfois, en fait, de violer une personne et en sachant très bien
09:45qu'elle n'est pas en mesure de consentir.
09:47Donc là, on a quand même un sujet là-dessus.
09:49Et sur les prédateurs, effectivement, malheureusement, de plus en plus,
09:53ils ont des combines qui sont sophistiquées,
09:56parce que tout ça se passe, en fait, avec des conseils sur le dark web.
10:00Et ça, il faut faire très attention à ça.
10:02Et l'impunité, aujourd'hui, elle ne doit pas perdurer.