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  • 04/11/2023
Ali Baddou reçoit Pierre Moscovici, premier président de la Cour des Comptes, ancien ministre de l’économie et des finances, auteur de "Nos meilleures années. La jeunesse, les amis, la politique" chez Gallimard.

Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end

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Transcription
00:00 L'invité du grand entretien ce matin, c'est le premier président de la Cour des Comptes,
00:04 une carrière politique impressionnante à l'échelle locale, nationale, européenne.
00:08 Il publie « Nos meilleures années » sous titre « La jeunesse, les amis, la politique ».
00:13 C'est chez Gallimard.
00:14 Vos questions, chers auditeurs, vos réactions au 01-45-24-7000 ou sur l'application France Inter.
00:20 Bonjour Pierre Moscovici.
00:21 Bonjour.
00:22 Pourquoi l'envie d'écrire des mémoires ? Il n'y avait pas d'urgence ? Vous-même,
00:26 vous citez ces mots dans votre livre « L'avenir dure longtemps ».
00:30 « L'avenir dure longtemps », c'était une phrase de Louis Althusser.
00:32 Ce n'était pas un livre, c'était un livre de Louis Althusser, qui parlait aussi
00:36 de ses mémoires où il y avait, on se souvient, tuer sa femme.
00:39 Oui.
00:40 Bon, et bien d'autres choses.
00:41 « Althusser trop fort », c'est l'un des slogans de mai 68.
00:44 Oui, oui.
00:45 En 68, j'étais bien né, j'étais même déjà collégien.
00:49 Non, je plaisante.
00:50 Pourquoi le besoin d'écrire ces mémoires aujourd'hui ?
00:52 Le mot que vous utilisez, besoin, c'est bien ce que j'ai ressenti en réalité.
00:55 Ce ne sont pas des mémoires, c'est plus un récit, c'est les souvenirs des mémoires.
00:58 Ce serait une sorte de chronique, année par année.
01:01 Ce n'est pas de ça dont il s'agit, c'est plutôt de quelques grands blocs qui m'ont
01:06 constitué.
01:07 Et je l'ai fait parce que je suis devenu père à 60 ans d'un enfant qui est encore
01:11 à 25 ans.
01:12 Félicitations.
01:13 Oui, c'est méritoire, mais surtout formidablement agréable.
01:16 Et ça a changé ma vie pour être banale.
01:17 Et moi, j'avais un père qui était un grand sociologue, un homme impressionnant, un rescapé
01:24 de la Shoah, qui avait été dans un camp de travail pendant la guerre et qui ne m'avait
01:28 jamais parlé de son enfance, de sa jeunesse, de ses amis, de ses engagements.
01:33 Et j'avoue que quand j'ai appris à 40 ans ce qui lui était arrivé, j'ai ressenti
01:37 un choc.
01:38 Et je ne sais pas jusqu'à quand je serai avec mon fils, j'espère longtemps, mais
01:41 je n'avais pas envie qu'il ignore qui était son père.
01:44 Et puis, par ailleurs, il y a quand même l'époque dans laquelle nous vivons, une
01:47 époque où on voit la montée de la violence, la montée de la violence en politique qui
01:50 m'inquiète.
01:51 J'ai voulu témoigner d'une période où le débat démocratique, me semble-t-il,
01:54 était d'une autre qualité.
01:55 Voilà, ces deux raisons ont fait que, oui, j'ai eu besoin d'écrire ce livre.
01:59 Il n'y a pas de problème.
02:00 - Bon courage à votre fils, Pierre Moscovici, en tout cas, pour qu'il lise les 368 pages
02:03 de ce livre consacré notamment à la transformation de la Cour des Comptes et des juridictions
02:08 financières.
02:09 - Pas seulement.
02:10 - C'est un récit très personnel, Pierre Moscovici, dans lequel vous évoquez votre
02:12 parcours, votre jeunesse.
02:13 Il faut vous imaginer au bain-douche ou chez Castel, votre expérience au cœur des institutions
02:19 les plus importantes de la République jusqu'à donc la Cour des Comptes aujourd'hui.
02:23 Et on va en parler.
02:24 Vous acceptez de lever votre devoir de réserve pour les 20 minutes qui arrivent ?
02:28 - Oui et non.
02:29 Le devoir de réserve…
02:30 - Vous n'avez pas votre robe en ermine, ni votre marteau ?
02:33 - Je ne le mets que dans les grandes occasions, les séances solennelles de la Cour.
02:37 Le devoir de réserve sur tout ce qui touche les affaires d'aujourd'hui de la France
02:40 jusqu'en 2019, je n'en parlerai pas.
02:42 Mais par contre, avant, tout ce que vous voulez.
02:44 - Les grandes questions, pourtant, vous les abordez chaque année dans un rapport annuel
02:48 qui est scruté de près, très très près.
02:50 Vous êtes le président de la Cour des Comptes et en l'occurrence, votre boulot, si je
02:55 dois dire, en tout cas, c'est de non seulement évaluer la manière dont sont dépensées
02:59 les données publiques, mais également d'être transparent et d'en informer les citoyens.
03:03 Et ça, on va y revenir parce qu'il y a une histoire de la politique telle qu'on
03:07 ne la pratique plus.
03:08 Vous brossez une galerie de portraits de ceux qui ont été vos mentors ou de vos camarades
03:14 de lutte en politique.
03:16 Ça aussi, on va y venir.
03:17 Mais ce livre, c'est, vous le disiez, un livre intime dans lequel vous revenez longuement
03:21 sur votre histoire familiale et elle résonne avec l'époque, évidemment.
03:25 Vous parlez de votre mère, née en France, d'une famille arrivée de Pologne, cachée
03:29 par des justes en Lauserre, parce que juive.
03:32 De votre père, né en Roumanie, passé par un camp de travail à Bucareste, il a assisté
03:38 à des pogroms et dit de cette expérience qu'elle « débranche les nerfs de la vie ».
03:42 C'est une expression qui est extrêmement forte.
03:45 Depuis le début du conflit au Proche-Orient, il y a eu plus de 850 actes antisémites recensés.
03:51 Ce sont les chiffres du ministère de l'Intérieur.
03:53 Cette semaine, ça suscite de l'inquiétude, de l'incompréhension ou au contraire, est-ce
03:58 que vous voyez ressurgir quelque chose ? J'emploie l'expression, elle est sans doute mal adaptée,
04:03 mais la bête immonde, puisque vous-même vous avez employé l'expression dans un livre
04:07 précédent.
04:08 La bête immonde, elle n'est pas morte.
04:10 Vous parliez de pogroms.
04:12 Ce qui s'est passé le 7 octobre, ce fut un pogrom.
04:14 C'est-à-dire une attaque délibérée, sauvage, dans laquelle on vise systématiquement des
04:20 civils et où on massacre des hommes, des femmes, des enfants.
04:23 C'est ce que les habitants d'Israël, c'est ce que les juifs dans le monde entier ont ressenti
04:30 et au-delà des juifs, je l'espère, un acte d'une sauvagerie incroyable qu'il faut nommer,
04:35 qu'il faut condamner, il faut tirer toutes les leçons.
04:39 Alors oui, la bête immonde, elle est là et d'ailleurs, chaque fois qu'elle sort, dans
04:43 l'histoire de l'humanité, les juifs sont des victimes de cela.
04:48 Et ça, il ne faut jamais l'oublier, c'est la singularité tragique de ce peuple.
04:52 Ce n'est pas la seule.
04:53 C'est aussi sa culture, c'est aussi sa résilience, c'est aussi sa force.
04:57 Mais ça, je crois qu'il ne faut vraiment pas l'oublier.
05:00 Alors après, est-ce qu'il y a pour autant de quoi trembler en France ?
05:03 Est-ce qu'il y a un sentiment de crainte qui doit s'emparer de tous les juifs de France ?
05:08 Je vous retourne la question.
05:10 Je ne veux pas le croire, non pas que je me cache la réalité de certaines situations,
05:16 de certaines communautés, dans certains endroits, de certaines tensions.
05:19 Mais en même temps, j'appartiens peut-être à une génération qui croit en la République,
05:23 qui croit en la France.
05:24 Quand j'étais jeune, mes mentors, pour le coup, les vrais inspirateurs, c'était Léon
05:28 Blum, c'était Pierre Madefrance, c'était des gens qui étaient juifs en France, qui
05:33 étaient des Français juifs et qui croyaient profondément à la République, qui croyaient
05:37 que la République était ce qui intégrait et que les juifs en étaient une partie constituante.
05:42 Et je voudrais que ce soit encore le cas aujourd'hui.
05:45 Et je crois que c'est le devoir de tous, des institutions, des communautés, de la
05:50 communauté, de toutes les religions, de faire en sorte qu'il en ait un.
05:53 - Bien sûr, et on aimerait partager ce soir avec vous, Pierre Moscovici, mais vous faites
05:56 une confession déroutante dans ce livre.
05:58 Vous dites que vous n'avez jamais songé à devenir candidat à l'élection présidentielle,
06:03 tout simplement parce que vous ne pensiez pas qu'un juif de surcroît d'origine étrangère,
06:07 je vous cite, pourtant aussi fraîche que la vôtre, puisse être élu président.
06:11 Vraiment, ferait ça la France ? - Attendez, je pense que c'est une réflexion,
06:15 et je le dis aussi, qui est un peu dépassée aujourd'hui.
06:18 Je ne sais pas si je penserais de la même façon si j'avais disons 30 ans de moins.
06:22 Et heureusement.
06:23 Et je vais vous dire à qui on le doit d'une certaine façon, ça va paraître paradoxal
06:26 dans ma bouche, c'est à Nicolas Sarkozy.
06:28 Quand Nicolas Sarkozy, pendant la campagne de 2007, se dépeint comme un homme de sang
06:34 mêlé, avec des racines juives, et qu'il assume son grand-père préféré, à l'époque
06:41 il franchit quelque chose, c'est-à-dire il dit aux français "élisez-moi malgré
06:44 cela, et il ont élu".
06:45 - Mais ce que vous dites, Pierre Moscovici, ce n'est pas ce que vous écrivez.
06:49 Parce que dans votre projet de loi, je vous assure, vous avez intériorisé que ce n'était
06:52 pas permis à un fils de métec.
06:54 C'est le mot que vous employez vous-même.
06:56 - Non, non, nous ne disons pas des choses contradictoires.
06:59 - De rêver de l'élection suprême.
07:00 - Nous ne disons pas des choses contradictoires.
07:02 C'est ce que je pensais, c'est ce que mon père pensait.
07:05 Et mon père était tellement terrifié, tellement effrayé de la violence de la politique.
07:11 Et paradoxalement, il y a des gens qui souhaitent que leur fils devienne un homme politique.
07:15 Mon père ne le voulait pas.
07:16 Et jusqu'au dernier jour, je m'en souviens, "fais attention, fais attention, fais attention,
07:20 ils te veulent du mal".
07:21 Je ne sais pas qui étaient ces "ils".
07:23 Et au fond, comme un fils, j'ai intégré ça.
07:25 Est-ce que j'ai raison ? Je n'en suis pas sûr.
07:28 Et je pense qu'aujourd'hui, il n'y a plus cette espèce de plafond de verre.
07:32 Et heureusement.
07:33 Et si j'avais 30 ans de moins, si je m'étais peut-être libéré à l'époque de mes propres
07:37 phobies ou des siennes, peut-être aurais-je pensé différemment.
07:41 - Vous-même, vous racontez avoir été victime une seule fois dans votre vie d'une manifestation
07:46 ouvertement antisémite.
07:47 Racontez-nous.
07:48 - Ecoutez, c'était en 94.
07:49 C'est ma première élection comme conseiller général à Sochaux.
07:52 Et je vais au bureau de vote, j'avais battu le maire de la ville.
07:55 Il s'était effectivement totalement effondré, la droite locale.
07:59 Et tout à coup, une dame me dit "écoute, le juif, rentre chez toi, met ta kippa".
08:02 - Va-t'en le juif.
08:03 - Va-t'en le juif.
08:04 - C'est votre citation.
08:05 - Non, non, non.
08:06 Elle me dit d'abord "met ta kippa".
08:07 Et je lui dis "écoutez madame, je suis désolé, je ne mets pas de kippa, je suis un juif d'origine,
08:10 mais je suis totalement athée, je ne pratique rien.
08:12 Et puis, je ne mets pas ma kippa dans des lieux républicains.
08:15 En toute hypothèse, je la mets dans des cérémonies religieuses ou des obsèques où je vais le
08:19 plus rapidement possible.
08:20 Et à ce moment-là, on entend "va-t'en le juif, va-t'en le juif".
08:25 Et toute la foule se met à dire "va-t'en le juif".
08:28 Et ils me poursuivent dans les escaliers, vous savez, comme dans une scène de film.
08:30 J'étais avec un ami, nous essayons d'avancer pas trop vite, pas trop lentement, poursuivis
08:35 par la foule.
08:36 Nous reprenons la voiture aussi tranquillement que possible et puis après, ils ont brûlé
08:39 des pneus.
08:40 Et voilà.
08:41 Et ça s'est arrêté.
08:42 C'était la seule fois de ma vie.
08:43 Mais je pense que ces sentiments existaient.
08:44 Qu'est-ce que vous en avez gardé ?
08:45 J'en ai gardé l'idée que l'antisémitisme était quelque chose d'assez profondément
08:50 enfoui dans une certaine conscience qui ne demandait qu'à émerger dans des circonstances
08:55 particulières et qu'une petite étincelle suffisait à mettre le feu.
08:58 C'est assez drôle, parce qu'il y a une suite que je n'ai pas racontée.
09:00 C'est que le principal responsable de cette bronca antisémite était un élu local de
09:05 droite qui, 20 ans plus tard, m'a confortablement soutenu quand il a été élu à son tour adjoint
09:11 au maire de Sochaux avec un maire de gauche.
09:12 Et j'ai fait celui qui ne s'en souvenait pas.
09:14 Mais je m'en souvenais.
09:15 Alors vous revenez également sur votre parcours politique.
09:18 Camarade, camarade Moscovici, puisque c'est comme ça qu'on s'appelle ou qu'on s'appelait
09:23 au Parti Socialiste.
09:24 Qu'est-ce que vous pensez par exemple d'un certain nombre de déclarations qu'on a
09:28 pu reprocher à Jean-Luc Mélenchon, à d'autres membres de la France Insoumise ? Vous avez
09:32 été son camarade au parti, vous avez siégé dans le même gouvernement, vous avez accompagné
09:38 disons, mais même avec des sensibilités politiques différentes, une grande part de
09:42 vos vies politiques respectives lorsqu'on lui reproche par exemple de ne pas avoir qualifié
09:48 de terroriste le Hamas ?
09:50 Écoutez, je trouve qu'avec Jean-Luc Mélenchon, je suis à la fois sévère et en même temps
09:55 je trouve qu'on en parle trop.
09:57 On en parle trop ?
09:58 Oui, je vais vous dire pourquoi.
09:59 Je suis sévère parce que oui, il y a eu un pogrom, il y a eu un massacre et on aurait
10:04 attendu de lui et de certains de ses amis de la France Insoumise, pas tous, des paroles
10:08 d'empathie.
10:09 Pas pour la communauté juive mais pour l'humanité tout simplement.
10:12 Ce sont des actes d'une barbarie incroyable.
10:14 Et il n'y a pas besoin d'être juif, il n'y a pas besoin d'être un sympathisant
10:17 de la cause, il suffit juste d'être un humain pour le dire.
10:19 Il ne l'a jamais dit.
10:20 Et je pense que ses propos manquent.
10:22 Et du coup que ça donne un côté terriblement dissymétrique à sa parole.
10:26 Je ne dirais pas qu'il était antisémite, en tout cas il montrait qu'il n'était
10:29 pas philosémite et qu'il n'était pas attentif à ces souffrances-là.
10:32 Mais vous lui gardez une question d'amitié ?
10:33 Non, ce n'est pas une question d'amitié.
10:34 Je trouve qu'on en parle trop.
10:36 Pourquoi ? Parce qu'après derrière ça, il y a une espèce de déferlement sur lui
10:39 et sur la France Insoumise comme s'ils étaient je ne sais quelle branche armée française
10:43 ou plutôt branche civile française du Hamas.
10:45 Non plus.
10:46 Enfin, ils ne sont pas non plus des gens qui appellent à la haine et les exclurent
10:50 de l'arc républicain pour cela.
10:52 Je trouve que c'est un procédé politique que pour ma part je ne partagerais pas.
10:55 Je pense que, vous voyez, je suis un homme qui garde peut-être trop le sens de la nuance
10:59 et peut-être sur tout ça qui m'a manqué en réalité.
11:00 En politique ?
11:01 En politique.
11:02 De ne pas être nuancé.
11:03 D'être trop nuancé ?
11:04 Oui, j'essaie de comprendre, d'essayer d'avoir de l'empathie pour les autres.
11:07 Et en l'occurrence, je dirais à la fois qu'il faut être sévère mais il ne faut
11:10 pas non plus passer de l'autre côté du cheval et tomber dans je ne sais quel parano.
11:14 Il n'a pas eu de propos antisémites pendant cette période.
11:18 Il a eu des propos étrangement et même de façon suspecte, indifférents, hostiles,
11:24 dissymétriques qui laissent à penser des choses.
11:27 Des arrière-pensées sont là, sans doute.
11:29 Mais voilà, il ne faut pas non plus en faire une obsession.
11:31 Ce qui se passe, c'est un conflit qui a des conséquences mondiales, qui a des conséquences
11:36 pour nous et c'est ça qu'il faut regarder d'abord.
11:38 Pas les propos de Jean-Luc Mélenchon tous les jours.
11:39 On va rejoindre le standard inter où nous attendent de nombreux auditeurs.
11:44 Pierre Moscovici, près de la tombe de votre père, il y a celle de Dreyfus sur laquelle
11:48 vous déposez parfois un caillou.
11:49 Dreyfus au Panthéon, vous dites oui ?
11:51 Alors, je vous dis deux choses sur Dreyfus.
11:53 Je vous dis la première et j'en profite puisque je suis à votre antenne.
11:56 L'armée et la Présidence de la République pourraient à un moment donné décider de
12:03 le rétablir dans sa carrière.
12:05 Dreyfus aurait été général.
12:07 C'était son destin.
12:09 S'il n'avait pas été brisé par l'affaire, s'il n'avait pas été brisé comme homme,
12:13 il aurait été brisé aussi dans son parcours militaire.
12:15 Pourquoi ne pas faire de Dreyfus un général et le mettre au Panthéon ?
12:18 Oui, voilà, deux bonnes idées.
12:19 Deux bonnes idées en tout cas.
12:20 Voilà donc le message est passé au président de la République.
12:24 Quand je vais sur cette tombe qui est effectivement à 15 mètres de celle de mon père, c'est
12:28 une rare tradition que j'observe, je mets un caillou sur la tombe de mon père, je vais
12:31 mettre un caillou sur la tombe de Dreyfus.
12:32 C'est le lieutenant-colonel, Alfred Dreyfus, pas le général Dreyfus.
12:35 Vous êtes nostalgique ? Est-ce que vous êtes plutôt désabusé quand vous regardez la
12:41 vie politique française ? On a le sentiment d'un homme profondément mélancolique, Pierre
12:46 Moscovici.
12:47 Non, je suis plutôt quelqu'un d'assez joyeux.
12:48 Désenchanté ?
12:49 Joyeux et optimiste dans la vie.
12:50 Vraiment ?
12:51 Vraiment.
12:52 Je ne suis pas nostalgique, je ne suis pas mélancolique, je suis éloigné.
12:55 Mais je suis inquiet.
12:57 Parce que la politique continue à m'intéresser.
12:59 Éloigné ?
13:00 Oui, d'abord je suis éloigné professionnellement parce que je suis à la Cour des comptes,
13:03 je suis impartial et indépendant.
13:05 Et ça c'est ma tâche.
13:06 Et je n'y déroge pas.
13:07 Je ne peux pas et je ne veux pas m'engager dans un parti.
13:10 Et je suis éloigné aussi parce que, au fond, la première phrase de mon livre c'est "la
13:14 France m'inquiète".
13:15 Elle m'inquiète parce qu'elle est devenue, je dis, l'homme politique malade de l'Europe.
13:20 On voit quand même un affaissement de la qualité du débat démocratique.
13:22 Trop de violence, trop de médiocrité, trop de paresse, pas assez d'idées.
13:27 La menace de la violence, du ressentiment, on ne peut pas dire que ce sont les paroles
13:31 d'un optimiste Pierre Moscovici.
13:33 Je suis un optimiste dans la vie.
13:35 Et je veux croire qu'on trouvera les conditions du rebond.
13:38 Et vous me demandiez quel était le besoin d'écrire ce livre ? C'est aussi témoigner
13:42 du fait que la politique peut être belle.
13:44 Et je souhaiterais qu'elle le redevienne.
13:46 Bonjour Rémi.
13:47 Oui ?
13:48 Merci de participer au grand entretien.
13:50 Vous nous appelez de Cambrai et vous avez une question pour Pierre Moscovici.
13:53 Oui.
13:54 Nous sommes le bon Edan et de beaucoup du marché commun en Europe.
14:00 Tout ça parce qu'on a fait l'Europe le marché commun.
14:07 Moi je travaille dans l'adhésif.
14:10 Je fabrique des brosses adhésives pour enlever les pêches et tout ça.
14:13 Je ne ferme pas parce que j'ai des employés que si je fermais ils iraient au chômage.
14:18 Mais sans ça les Polonais me prennent tous mes clients parce que le salaire à 500 euros
14:23 d'un Polonais contre moi à 3000, je ne peux pas lutter.
14:26 D'ailleurs d'autres gens l'ont compris, 3M qui est un de notre leader, est à 80%
14:34 en Pologne.
14:35 Alors votre question Rémi ?
14:36 Notre question c'est qu'on s'est trompé avec le marché commun.
14:40 Le marché commun on a voté contre et il est passé quand même.
14:46 Alors merci pour votre question.
14:48 Pierre Moscovici va vous répondre.
14:50 L'Europe c'est l'un des fils rouges de votre livre et c'est une question qui vous
14:53 a préoccupé pendant longtemps et vous êtes ce qu'on appelle un europhile.
14:57 C'est quelqu'un qui a cru à l'idéal européen.
15:00 Et qui y croit toujours.
15:01 Et qui y croit toujours.
15:02 L'idée n'est pas morte.
15:03 L'idée n'est pas morte.
15:04 Écoutez, on parle en ce moment beaucoup du Proche-Orient, c'est normal, mais aussi
15:07 la guerre en Ukraine.
15:08 Et qu'est-ce qui nous protège ?
15:10 Qu'est-ce qui nous protège dans un monde dangereux où des puissances sont en confrontation,
15:16 les Etats-Unis et la Chine ?
15:17 C'est l'Europe.
15:18 Et qu'est-ce qui continue d'attirer ?
15:19 C'est l'Europe.
15:20 L'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie veulent adhérer à l'Europe.
15:22 On voit que la Suède et la Finlande ont adhéré à l'OTAN parce qu'ils veulent
15:27 appartenir à un ensemble géostratégique protégé.
15:29 Bon, je pourrais répondre longuement à cette question mais je crois simplement que c'est
15:34 faux.
15:35 Je pense que l'Europe nous a donné de la force, que l'Union fait la force, qu'elle
15:37 a permis d'ouvrir des marchés considérables à beaucoup d'entreprises, que la France
15:42 se porte aujourd'hui mieux économiquement qu'elle le se portait en 1957, que de toute
15:46 façon il n'y a pas de solution autarcique.
15:48 En même temps, je vois bien les faiblesses de l'Europe.
15:50 Je ne suis pas un euro-béat.
15:52 Et les faiblesses de la France, vous vous expliquez les troncs publics, évidemment.
15:58 Est-ce que la France est un pays qui est bien géré ou est-ce que c'est un pays qu'il
16:01 faut ranger dans la catégorie des pays Club Med ?
16:03 Non, pas un pays du Club Med.
16:05 C'est un pays solide, c'est un pays respecté.
16:07 C'est un pays qui a un grand marché intérieur, c'est un pays où les impôts rentrent très
16:10 très bien.
16:11 Enfin, vous dites que nous, il faut avoir une dette à l'italienne et des taux à l'allemande,
16:14 c'est impossible.
16:15 Mais c'est vrai que notre culture de finances publiques est une culture qui est insuffisamment
16:20 tournée vers la stabilité.
16:21 Nous avons une dette publique beaucoup trop élevée, 110%.
16:24 Nous avons des déficits publics qui se réduisent beaucoup trop lentement.
16:28 Nous avons une dépense publique de 56% du PIB qui est considérable mais surtout qui
16:32 n'est pas toujours d'une qualité égale.
16:34 Nous avons des prélèvements obligatoires à 45%.
16:36 Je voudrais que ça change.
16:37 Et ça, c'est le président de la Cour des comptes qui le dit.
16:40 Retrouver un leadership en Europe qui ne soit pas le leadership de la dette.
16:43 Et c'est pour ça que le désendettement est un impératif qui est théorique.
16:46 Et je vais retrouver l'auteur Dominique Strauss-Kahn qui fut aussi un de mes mentors,
16:50 qui disait "la dette est l'ennemi de la gauche".
16:51 Comment elle est l'ennemi de la droite ? Ce n'est pas une question de gauche ou de droite.
16:54 Pourquoi c'est l'ennemi de la gauche ? Pour ceux qui sont de gauche.
16:56 Parce que quand vous endettez un euro remboursé, c'est un euro en moins pour l'éducation,
17:00 pour la justice sociale ou pour la transition écologique.
17:02 Quand on aura en 2027 84 milliards d'euros de charge de la dette, c'est-à-dire de remboursement
17:07 annuel de la dette, plus que l'éducation nationale, ce sera très compliqué.
17:10 Que ça deviendra le premier poste budgétaire du pays.
17:13 Absolument.
17:14 Ce sera très compliqué de financer la transition écologique.
17:15 Vous voyez, le père de famille que je suis, le père d'un enfant de 50 ans, qui voit la
17:19 planète qui brûle.
17:20 Oui, d'un enfant de 5 ans.
17:21 5 ans.
17:22 Il n'a pas encore 50 ans.
17:23 Je pense à 50 ans.
17:24 Ah, à 50 ans.
17:25 Dans 50 ans.
17:26 Je vois la planète qui brûle.
17:27 Comment financer la transition écologique ? Comment préparer son avenir ? Comment préparer
17:30 son avenir aux enfants pour retrouver les capacités et les marges de manœuvre ? Désendettons-nous.
17:33 Désendettons-nous.
17:34 Le dogme des 3%, est-ce qu'il faut s'en libérer justement pour pouvoir investir,
17:39 pour pouvoir par exemple accompagner la transition écologique ?
17:42 Non, les 3% ne sont pas un dogme.
17:44 C'est une notion de bon sens justement.
17:45 C'est le niveau à partir duquel on commence à se désendetter.
17:48 Le dogme des 60% de dette publique, on en est libéré depuis longtemps.
17:51 Mais je crois qu'on ne peut pas faire davantage de dette.
17:53 Je crois que ce serait imprudent.
17:54 Parce qu'en réalité, chaque fois que vous faites 1 euro de dette, vous ne faites pas
17:58 1 euro de plus en matière de financement de la transition écologique, mais 1 euro de
18:01 moins.
18:02 Si j'utilisais une métaphore, je dirais que la dette publique commence d'abord par
18:05 paralyser l'action publique, puis qu'à un moment donné, elle vous étrangle.
18:09 Et qu'à un moment donné, elle vous conduit à l'austérité.
18:11 L'endettement conduit à l'austérité.
18:12 Pourquoi la France est un pays si mal géré ?
18:14 Je ne dirais pas qu'elle est mal géré.
18:16 Je dirais que nous avons une culture, une culture collective de la dépense publique.
18:19 Ça fait depuis 1974 qu'il n'y a pas eu un budget à l'équilibre.
18:23 Alors, il y a eu différentes périodes pendant ces 50 ans.
18:26 Et le problème, ce n'est pas tant le déséquilibre budgétaire que le désendettement ou l'endettement.
18:31 Je vais citer un autre chiffre.
18:32 En 2002, je ne le cite pas tout à fait par hasard, 2001, c'est l'entrée dans l'euro.
18:37 En 2001, la France et l'Allemagne ont exactement le même niveau d'aide publique.
18:41 - En 2002, c'est surtout Jean-Marie Le Pen au second tour d'une fonction présidentielle.
18:44 - Oui, c'est pour ça que je le citais.
18:45 - Vous insistez beaucoup là-dessus.
18:46 - Et aussi la défaite de Lionel Jospin le 21 avril 2002, qui a été, je pense, une
18:49 tragédie pour la gauche bien sûr, mais aussi pour le pays.
18:52 Voilà, 58% de l'aide publique en Allemagne, 58% en France.
18:56 Nous sommes 20 ans plus tard.
18:58 Ce n'est pas il y a 50 ans, il y a 20 ans.
19:00 Aujourd'hui, nous avons 110% et les Allemands ont 65%.
19:03 Évidemment, c'est un poulet.
19:05 - La morale de l'histoire ? - La morale de l'histoire, c'est que ces dernières
19:08 années ont été imprudentes du point de vue de l'endettement.
19:10 - Le gouvernement d'Elisabeth Borne a eu recours 15 fois au 49-3.
19:13 Quel regard est-ce que vous portez sur son utilisation ? Vous êtes à la tête d'une
19:16 des plus hautes institutions du pays.
19:18 Et je le disais, vous devez la transparence aux citoyens et vous devez également contrôler
19:25 les deniers de l'État.
19:27 - Écoutez, ça ne pose pas de problème de transparence particulière, ça pose sans
19:31 doute des problèmes de débat parlementaire.
19:33 C'est le résultat de la situation politique dans laquelle nous sommes.
19:36 C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, dans ce livre, j'appelle aussi à des réformes
19:41 institutionnelles et politiques face à la crise démocratique dans laquelle nous sommes.
19:44 Je pense qu'il faudrait revenir...
19:45 - Mais il faut y relancer ? - Au 42-3 ? Non, non.
19:48 Parce que dans cette situation-là, en l'absence de gouvernements de coalition, et je plaide
19:52 pour des gouvernements de coalition à l'avenir, il n'y a pas d'autre solution.
19:55 - Dans ce livre, Pierre Moscovici, et ce sera la dernière question, il y a plusieurs références
20:00 à Balzac, vous vous comparez souvent à Lucien de Rubinpré, qui est un loser, et pas à...
20:06 Comment s'appelle-t-il ? Rastignac, qui a été un peu plus dur, mais qui a connu une
20:13 fin plus glorieuse.
20:14 Vous êtes plutôt Lucien de Rubinpré que Rastignac ?
20:17 - Non, je disais que mes années, celles que vous évoquiez, le bain-douche, Castel, etc.
20:22 étaient peut-être mes années Rubinpré.
20:23 Elles sont passées il y a longtemps, mais je n'ai jamais connu Daniel Rastignac non plus.
20:26 Il faudrait que je réfléchisse, mais je ne me compare pas à un personnage de la comédie
20:29 humaine, non, non, pas du tout.
20:30 - Merci Pierre Moscovici, nos meilleures années, c'est publié chez Gallimard.
20:35 Je vous souhaite une excellente journée.

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