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  • 17/06/2025
Dans son édito du 17/06/2025, Mathieu Bock-Côté revient sur la possibilité d'un changement de régime en Iran.

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Transcription
00:00Alors, il y a cet espoir chez plusieurs, effectivement, qu'enfin, ce qui n'a jamais fonctionné pourrait fonctionner cette fois, parce que des conditions particulières seraient rassemblées, nous y viendrons dans un instant.
00:10Mais vous avez raison de le rappeler d'abord et avant tout, il y a deux dimensions de l'opération israélienne pour l'instant.
00:15D'abord, celle qui pourrait potentiellement faire l'unanimité, sauf sur les modalités peut-être, l'idée qu'il faut détruire la capacité nucléaire offensive de l'Iran.
00:26Et autour de cela, il y a une unité de la société israélienne et plus largement en Occident.
00:30On a entendu, par exemple, au Flash Info, juste avant, un maître en Allemagne dit « Vous faites le travail qu'on ne peut pas faire nous-mêmes ».
00:36Donc, il y a cette dimension.
00:37Il y a l'autre dimension qui consiste à dire « Nous allons frapper tellement fort le régime qu'il risque de s'effondrer ».
00:43Et s'il s'effondre, nous serions donc dans une logique de changement de régime.
00:47Notamment, on va cibler les dirigeants du régime.
00:50Si tel personnage en venait à mourir, ça permettrait l'effondrement du régime et dès lors, ça permettrait de le changer.
00:56Et la question qu'on peut se poser ici, c'est quelle est l'histoire des pratiques de changement de régime depuis 25 ans
01:01et quelles sont les possibilités que ça fonctionne aujourd'hui ?
01:04Alors, définissons les termes d'abord.
01:06Le changement de régime, on pourrait en avoir deux définitions.
01:08La première, qui est la plus générale, c'est lorsqu'un pays décide de mener une opération de déstabilisation dans un autre
01:15pour faire tomber son gouvernement et mettre au pouvoir de ce pays un gouvernement qui lui est beaucoup plus favorable.
01:21C'est l'espèce de coup d'État qui ne dit pas son nom et qui a existé si souvent dans l'histoire.
01:26Quand plusieurs dénoncent, par exemple, les révolutions orange-américaines,
01:29ils accusent les Américains de pratiquer une politique de déstabilisation un peu partout dans le monde,
01:34selon leur intérêt. C'est l'accusation que nous connaissons.
01:37L'autre dimension du changement de régime, c'est plus musclé.
01:39Ça consiste à dire, nous allons utiliser les forces armées pour attaquer un pays.
01:44Nous allons non seulement l'attaquer, nous allons le vaincre, nous allons faire tomber le régime,
01:48nous allons généralement l'occuper, nous allons le transformer profondément
01:52et au terme de cette opération, naîtra une belle démocratie toute neuve et toute propre
01:57qui deviendra l'ami de l'Occident.
02:01Alors, à la rigueur, ceux qui sont partisans de cela nous disent,
02:04il y a un double exemple, ça a déjà fonctionné, j'ai entendu ça je crois ce matin, je ne sais pas où,
02:08en Allemagne et au Japon.
02:10Alors là, on nous dit, l'opération du changement de régime a fonctionné en 1945
02:13et effectivement, on peut dire, l'occupation américaine en 1945,
02:17la politique de dénazification, fait en sorte, et le contexte de la guerre froide s'aide un peu,
02:22permet de transformer, de dénazifier l'Allemagne et de la convertir à la démocratie.
02:26On notera qu'il y avait déjà une prédisposition démocratique en Allemagne
02:29avant le basculement que l'on sait.
02:31Le pays avait déjà connu la démocratie et pouvait renouer avec elle.
02:35Au Japon, c'était un peu autrement, la logique de l'occupation militaire était là aussi,
02:39mais le Japon est devenu une démocratie alors qu'il ne l'était pas du tout
02:42avant que les Américains ne mènent leurs opérations.
02:44Donc, il y a deux exemples.
02:46Cela dit, c'est une idée, une théorie qui va plutôt disparaître du paysage
02:49pendant toute la période de la guerre froide
02:52et qui réapparaît surtout, non seulement après 1989, la chute du mur de Berlin,
02:57mais surtout à partir du début des années 2000, après le 11 septembre.
03:01Alors là, il va y avoir trois épisodes dans le changement de régime, d'une certaine manière.
03:04Le premier, c'est en Afghanistan.
03:07Alors, on le sait, la frappe des Américains en Afghanistan,
03:09qui est légitimée dans la communauté internationale s'y met,
03:12on va attaquer le régime, on va faire tomber les talibans,
03:15on va créer une démocratie en Afghanistan,
03:17et l'Afghanistan deviendra un régime ami pour nous là-bas.
03:22Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas une réussite à l'échelle de l'histoire.
03:25On l'a vu en 2021, quand après près d'un quart de siècle,
03:27les Américains ont été chassés, tout simplement,
03:32et qui a repris le pouvoir ? Les talibans.
03:35Qu'est-ce qu'on doit ajouter là-dedans ?
03:37Les talibans, et plus largement les islamistes,
03:39plusieurs manières de les nommer,
03:41en Afghanistan s'étaient déjà mobilisés contre les Russes auparavant.
03:44Rappelez-vous l'invasion soviétique en 1979, si je ne me trompe pas.
03:48Donc le pays résiste généralement aux sauveurs étrangers qui veulent le transformer.
03:52Et encore une fois, on peut comprendre que l'offensive contre l'Afghanistan,
03:55en 2001, était parfaitement légitime, suite au 11 septembre.
03:58Mais la transformation de l'Afghanistan en démocratie n'a pas fonctionné.
04:02Alors, est-ce que ça a fonctionné davantage en Irak ?
04:05Pas vraiment.
04:062003, on le sait, les Américains interviennent,
04:09et avec une théorie particulière.
04:11C'est la théorie des dominos démocratiques.
04:13La théorie des dominos démocratiques, ça dit, c'est la chose suivante.
04:16Nous allons transformer l'Irak en laboratoire.
04:19Nous allons faire tomber le régime, dégommer Saddam,
04:21et on va construire avec une constitution appropriée,
04:24une économie du marché qui fonctionne,
04:26et des pratiques institutionnelles.
04:27Nous allons construire une démocratie au Proche-Orient
04:30qui va être tellement inspirante
04:31que tous les voisins vont se rallier à ce modèle.
04:35Donc c'est des dominos démocratiques,
04:37un va tomber après l'autre,
04:38et l'Irak devenait le pays laboratoire
04:40de la démocratisation du Moyen-Orient.
04:43Est-ce que c'est une réussite ?
04:45Plus ou moins.
04:46Ce qu'on constate, c'est que normalement,
04:48de cette opération, on a eu Daesh qui est sorti de là.
04:50Il y a eu des questions.
04:50Donc la frappe a été lancée.
04:53On se croyait tout puissant chez les Américains là-dessus.
04:55C'est les néo-conservateurs.
04:56Et je reviendrai là-dessus dans un instant.
04:58Les néo-conservateurs de l'époque se croyaient tout puissants.
05:00Ils disaient, on va réussir à cet endroit-là.
05:02On utilisera l'immense force américaine
05:03pour semer la démocratie dans le monde.
05:05Certains diront de manière sceptique
05:06qu'ils ont surtout semé le chaos.
05:08Ils ont déstabilisé toute la région.
05:10La Libye, alors.
05:12Est-ce que la Libye, c'est le changement de régime qui a réussi ?
05:14On va dégommer le méchant, encore une fois.
05:16Kadhafi.
05:17Effectivement, le méchant est dégommé.
05:19On arrive.
05:20Mais qu'est-ce qu'on constate sur place ?
05:21Eh bien, le pays ne tenait que par l'autorité tyrannique,
05:24évidemment, de Kadhafi.
05:26Et une fois que le régime tombe, qu'est-ce qu'on a vu ?
05:28C'est un accélérateur incroyable pour la crise migratoire
05:31qu'a connue l'Europe à partir de ce moment-là.
05:34Donc notre action virtueuse.
05:36Nous allons déloger le dictateur.
05:38Nous allons créer une démocratie en Libye.
05:40Nous aurons un pays allié de plus chez nous là-bas.
05:42Le résultat aujourd'hui, c'est un pays qui a été colonement déstabilisé.
05:46C'est le lieu des passeurs.
05:47Faites la liste.
05:48Donc on a eu la crise migratoire qui a été alimentée par cela.
05:52Alors, qu'est-ce qu'on n'a pas compris manifestement
05:54en à peu près 25 ans là-dedans ?
05:56C'est que certains pays, et là je vais dire une horreur,
05:59certains pays ne tiennent quelquefois que par une poigne de fer.
06:03Ça ne veut pas dire que les gens sont sympathiques.
06:05Saddam Hussein, Kadhafi étaient des monstres, sans le moindre doute.
06:07Sans le moindre doute.
06:08Et qui aurait la nostalgie de ces personnages ?
06:11Ce qu'on constate, cela dit, c'est qu'une fois qu'on fait tomber un pays ainsi,
06:15on oublie en fait cette loi fondamentale de l'histoire.
06:17Après le pire, il y a l'encore pire.
06:20Et l'encore pire, c'était le résultat des 25 dernières années
06:23d'une politique exagérément optimiste de la part des Américains globalement
06:26qui disait, nous allons justement transformer tout ça
06:29par notre puissance impériale et souveraine et messianique.
06:32C'est ce qu'on a appelé en d'autres temps le wilsonisme botté.
06:35Le wilsonisme botté, c'est la doctrine de Woodrow Wilson.
06:37On va imposer partout la démocratie dans le monde,
06:39mais on ne va pas simplement se contenter d'en faire la promotion,
06:41on va l'imposer par les bombes, les bombardiers, les tanks, les marines, les GI.
06:46Rares sont les peuples qui applaudissent lorsqu'on vient leur expliquer,
06:48au bout d'un M16, voudriez-vous vous convertir à la démocratie, s'il vous plaît ?
06:52Alors, il y a des éléments qu'on doit retenir là-dedans qui me semblent importants.
06:56On est victime, de ce point de vue, dans le changement de régime,
06:58de ce qu'on pourrait appeler une forme d'universalisme américain devenu fou.
07:02Les Américains sont à peu près convaincus de la chose suivante.
07:04Tout le monde sur Terre veut être Américain.
07:06Ils sont le modèle et nous avons tous vocation à nous convertir à leur modèle.
07:09Oui, il y a une diversité de cultures sur Terre,
07:11mais les cultures sont vues comme elles sont vues aux États-Unis,
07:13comme des éléments de folklore.
07:14Donc, j'ai mon folklore, vous avez le vôtre, il a le sien,
07:18et puis on a une constitution qui nous rassemble,
07:19et chacun a notre petit folklore privé.
07:20Et les Américains oublient que la culture, c'est profond, c'est anthropologique,
07:24qu'on n'a pas tous vocation d'Américains aujourd'hui.
07:26Et de ce point de vue, qu'est-ce qu'on voit ?
07:28La démocratie n'est pas qu'un régime, c'est une culture, c'est un fait de civilisation.
07:32On a constaté depuis 25 ans que la Chine n'était pas à la veille de la conversion démocratique,
07:35que la Russie n'était pas à la veille de la conversion démocratique,
07:38mais on a oublié que la démocratie, c'était pas le grand élan universel qui embrasse tout le monde,
07:42c'était le régime politique accouché dont notre civilisation avait accouché.
07:46Deuxième élément, la démocratie présuppose un cadre national, normalement.
07:50Il faut qu'on soit capable de se parler, qu'on ait des points communs.
07:53Si on n'a pas de points communs, qu'est-ce qu'on voit ?
07:55Mais c'est le choc des tribus et le choc peut-être assez violent.
07:58Et le troisième élément, si vous oubliez ces éléments fondamentaux,
08:02la démocratie peut accoucher d'un immense chaos.
08:05Mais l'Iran pourrait-elle être l'exception ?
08:08Le changement de régime pourrait-il fonctionner dans ce pays ?
08:12C'est le rêve de plusieurs et sur quoi se fondent leurs rêves ?
08:14Ils disent que l'Iran, c'est pas un pays arabe artificiel comme les autres découpés par les empires coloniaux.
08:19L'Iran, c'est une vraie civilisation.
08:21Très juste, trois millénaires, très juste.
08:23C'est une civilisation profonde, raffinée, qui vit le régime des Mollahs comme un régime atroce qui soumet à la population.
08:29Et c'est vrai, les Iraniens, sans le moindre doute, vivent aujourd'hui, dans leur grande majorité,
08:34le régime des Mollahs comme un régime tyrannique et oppressif.
08:37Sa base sociale serait faible, il y aurait la possibilité de le faire tomber, peut-être.
08:41Ensuite, voilà trois nuances qu'on pourrait faire.
08:43D'abord, il y a une très grande diversité ethnique en Iran.
08:46Donc, quand vous faites tomber le régime, il est tout à fait possible que des minorités nationales disent
08:50« c'est l'occasion pour nous de nous constituer en état, de nous détacher de la souveraineté de Téhéran »,
08:54ce qui arrive normalement quand un empire multi-ethnique ou un état multi-ethnique s'effondre.
08:58Je précise que j'ai pas d'opposition de principe avec ça.
09:00Moi, quand des groupes nationaux décident de faire sécession, ça fait partie de l'histoire.
09:03Mais ceux qui plaident pour le changement de régime sont rarement favorables à ça, sauf pour le Kosovo.
09:07Deuxième élément, il faut qu'il y ait une élite de remplacement présente,
09:11capable de prendre les rênes du pays si le régime tombe.
09:14Pour l'instant, il y a une élite exilée en Iran, sans le moindre doute,
09:17mais sur les lieux, capable de prendre le pouvoir si le régime Némolat tombe.
09:21Donc, ce qui veut dire que la compétence gouvernementale nécessaire serait-elle là ?
09:24Ça reste à voir.
09:25Ensuite, on surestime quelquefois, et c'est important de le dire,
09:28le désir qu'ont ces pays de vivre à l'occidental.
09:31On était persuadé que Kaboul, la moderne, était finalement le laboratoire de l'Afghanistan de demain.
09:36Mal joué.
09:37On est persuadé que Téhéran, avec la part de modernité qu'il y a,
09:40serait le laboratoire de ce que serait l'Iran de demain, une Iran occidentalisée.
09:43Mais quand on quitte, en fait, les villes très modernes,
09:46qu'est-ce qu'on voit un pays qui, fondamentalement, ne vit pas à l'occidental,
09:49donc qui ne désire pas fondamentalement se convertir.
09:53J'avance à un dernier point sur cet élément particulier.
09:56On est en train de se convaincre nous-mêmes, peut-être, un peu de notre propre propagande.
09:58J'entends dire ici et là que les Iraniens rêveraient que les Occidentaux viennent les délivrer de leur régime,
10:05quel qu'il soit.
10:06Est-ce que c'est aussi vrai?
10:07On aime croire, on se croit sauveur, on se croit messianique,
10:10on se croit capable de se délivrer, de délivrer les autres de la tutelle qu'ils subissent.
10:15Il n'est pas certain que les peuples aient envie de se faire délivrer de l'extérieur.
10:20De ce point de vue, on a intériorisé la vision américaine du monde.
10:22Dix secondes, est-ce que vous n'êtes pas trop sévère avec les États-Unis quand même?
10:26Non, je ne crois pas.
10:29Les Américains, c'est une puissance révolutionnaire qui veut imposer partout ses idéaux,
10:34quitte à le faire par les armes trop souvent.
10:36C'est une puissance impériale qui tolère la souveraineté des autres,
10:38à condition que ça ne contrevienne pas à leur vision impériale de la souveraineté.
10:42Il y a une naïveté américaine, en fait, une naïveté anthropologique américaine,
10:45un manque de compréhension de ce qu'est la diversité profonde du monde.
10:49Alors, je reviens à mon point de départ.
10:50Une opération pour fragiliser, pour détruire la capacité nucléaire de l'Iran,
10:55tout le monde en comprend la légitimité.
10:58Mais de cela, s'il faut basculer à l'idée que l'Iran ne demande rien de plus
11:02qu'une opération occidentale pour le délivrer du régime qui l'étouffe
11:05et accoucher d'une démocratie nouvelle en ce lieu du monde,
11:07permettez-moi de confesser un certain scepticisme.
11:10Je ne me réjouis pas de ce que je dis,
11:11mais je pense que le scepticisme est d'autres noms ici de la prudence.
11:14Sous-titrage Société Radio-Canada
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