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Ali Baddou reçoit Eric Dupond-Moretti, avocat, ancien garde des Sceaux et ancien ministre de la Justice, actuellement au Théâtre Marigny jusqu’au 15 juin pour son spectacle “J’ai dit oui” et sera les 18 et 19 juin à Lyon et à Toulouse.
Retrouvez « Le 15 minutes de plus » présenté par Ali Baddou sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/15-de-plus
Transcription
00:0015 minutes de plus et ce matin j'ai l'honneur de recevoir un avocat ancien garde des Sceaux et ministre de la Justice.
00:07Il a acquis le surnom d'Aquitator et il est en ce moment sur scène au Théâtre Marigny pour un spectacle.
00:14J'ai dit oui, oui à ses quatre années au ministère de la Justice.
00:19Bonjour Eric Dupond-Moretti.
00:20Bonjour Monsieur Badou.
00:22Et bienvenue. Tous les soirs sur scène vous proposez aux spectateurs une expérience de pensée.
00:27C'est de penser dans la peau d'un ministre et on a voulu reprendre l'exercice.
00:31C'est ce qu'on fait dans ce studio chaque semaine tous les vendredis.
00:35Mais l'expérience de pensée Eric Dupond-Moretti c'est d'imaginer qu'on est dans votre peau, dans celle de ce qu'on appelle un ténor du barreau.
00:42Imaginons qu'on est au tribunal face à une cour d'assises, vous êtes pénaliste, on s'avance pour plaider.
00:48Qu'est-ce qui se passe dans votre tête à ce moment-là ?
00:52Il faut avoir la volonté de convaincre.
01:00Et il y a évidemment beaucoup de moyens.
01:02D'abord il y a la palette des expressions possibles.
01:05Elle est extrêmement vaste, extrêmement nuancée.
01:08Ça peut être la gravité, ça peut être l'humour.
01:11Et devant le jury, alors c'est tout à fait particulier, il faut que les jurés aient envie de vous suivre.
01:17Et il faut que vous créez entre eux et vous une sorte de communion.
01:24Moi j'ai toujours dit que je voulais que les jurés aient envie de boire un Ricard avec moi, pas du champagne.
01:31Donc une forme de proximité.
01:34Et c'est ça qui permet au fond de dire les choses ensuite.
01:37Parce que l'éloquence ça n'est que l'emballage, c'est le papier cadeau.
01:41Et ensuite il y a évidemment ce que vous allez dire, le fond du dossier.
01:47Convaincre et persuader, c'est une grande distinction qu'on doit au philosophe Pascal.
01:51Convaincre ça fait appel à la raison.
01:54Persuader ça sollicite les sentiments.
01:57Est-ce que vous avez conscience de passer d'un registre à l'autre lorsque vous prenez la parole
02:02et que le silence se fait dans la salle ?
02:05Qu'il y a même de jeunes avocats qui viennent assister à vos plaidoiries ?
02:10Est-ce que vous jouez avec les formules dont vous nous parliez récemment ?
02:15Ces figures imposées comme on dirait dans d'autres exercices ?
02:19Ce qu'on appelait les tiroirs.
02:23Et alors Jean-Yves Liénard avait une formule merveilleuse.
02:25Il dit que certains critiquent les tiroirs, mais en réalité la grande difficulté c'est de les remplir.
02:30Oui, il y a des formules qui permettent évidemment de faire les transitions entre tel argument et tel autre.
02:36Ça permet de fluidifier le discours.
02:38Et puis ce qui est très important aussi c'est le silence.
02:41Je trouve qu'on parle beaucoup trop vite de façon générale.
02:45Parce que le silence c'est au fond, ça permet de souligner le dernier mot prononcé,
02:52de susciter l'attente du prochain.
02:55Donc il faut utiliser les silences.
02:58Ça fait partie des techniques que l'on doit utiliser lorsque l'on veut s'adresser à un jury,
03:04à des gens, à des auditeurs, enfin que sais-je encore, mais à des gens qui ont envie de vous écouter.
03:08Question technique, vous apprenez par cœur, comme lorsque vous êtes sur scène au Théâtre Marigny,
03:13ou est-ce que vous improvisez largement ?
03:16Non, il y a une trame qui est imposée évidemment.
03:20Vous choisissez par exemple de décliner votre plaidoirie sur le registre de la chronologie.
03:25Voilà, tel jour, tel fait, tel autre jour, etc.
03:29Ou bien d'un côté les éléments à charge, de l'autre les éléments à décharge,
03:33enfin tout dépend du dossier.
03:35Ça, ça ne peut pas s'improviser.
03:37Puis surtout, il ne faut pas se répéter.
03:40Moi je trouve qu'il n'y a rien de pire que de se répéter,
03:42parce que vous donnez à penser à votre interlocuteur qu'il est idiot.
03:46Et une chose dite et bien dite, ça suffit, il faut passer à la suivante.
03:50Donc, moi j'écrivais les introductions,
03:53souvent la conclusion, pour m'en souvenir évidemment,
03:56en essayant de me détacher de mes notes,
03:57et pour le reste, j'avais quelques points sur une feuille
04:00et puis je déclinais et j'essayais de donner un sens évidemment logique
04:04à l'argumentaire que je voulais développer.
04:06Alors, on connaît votre maîtrise de l'art oratoire, Éric Dupond-Moretti,
04:10mais quand on est dans le prétoire, qu'est-ce qui compte le plus ?
04:12Et c'est une question que peuvent se poser absolument tous les justiciables
04:15ou tous ceux qui pourraient se retrouver dans la situation d'être votre client ou votre cliente.
04:21C'est d'abord la maîtrise des dossiers.
04:23Le droit, c'est une matière extrêmement technique et subtile.
04:26« L'art oratoire au-delà des effets de manche, à quoi ça sert ? »
04:32« À expliciter les choses.
04:34Moi, je suis sidéré par le nombre croissant de commentateurs
04:39qui n'ont jamais mis les pieds dans un palais de justice
04:42et qui se permettent telle ou telle appréciation
04:46sur une décision de justice dont ils ne savent rien
04:49et alors qu'ils n'ont pas lu le moindre procès verbal du dossier. »
04:55« Mais vous-même, on vous a surnommé acquittateur 145 acquittements. »
05:00Je ne sais pas si le compteur s'est arrêté là, mais en tout cas, c'est assez...
05:03« Oui, il s'est arrêté là pour des raisons ministérielles. »
05:06« Pour des raisons ministérielles. »
05:07« Mais est-ce que tous les coups sont permis quand on prend la parole dans un tribunal ? »
05:11Est-ce que la seule idée que l'on a en tête, c'est de défendre son client ?
05:15On a en mémoire des avocats qui ont usé d'artifice
05:20ou qui ont accusé les partis civils
05:23de choses absolument invraisemblables et innommables,
05:26pour ne citer que Maître Vergès, par exemple,
05:29pour citer des grands cas, des grands procès,
05:31comme le procès Barbie ou le procès Papon.
05:34Est-ce que vous, vous estimez qu'il y a des choses que vous vous interdisez totalement ?
05:39Je pense que la défense est libre.
05:41Et lorsque vous me posez cette question,
05:43je pense à cette condamnation,
05:46mais je ne la commenterai pas,
05:48parce qu'un garde des Sceaux et un ex-garde des Sceaux
05:51ne peuvent pas commenter une décision de justice.
05:54Mais enfin, que le client soit condamné
05:56à raison des propos qui ont été tenus par son avocat,
06:01on peut philosophiquement se poser la question de savoir
06:04si ça n'est pas une régression,
06:06parce que l'avocat est libre.
06:07Alors, il est libre de son argumentaire,
06:09et le juge est libre, évidemment,
06:12de recevoir cet argumentaire ou de l'écarter.
06:15Oui, c'est une position...
06:18Bon, j'ai cité un exemple,
06:19mais est-ce que vous, par exemple,
06:20il y a des choses que vous vous interdisez ?
06:22Des coups que vous ne portez pas ?
06:24Non, moi, je me suis interdit peu de choses.
06:27Je pense que la parole est libre
06:28et que la justice doit être un lieu...
06:30L'enceinte judiciaire doit être un lieu de liberté.
06:32Alors, évidemment, ensuite, il y a quelques règles.
06:35Vous ne pouvez pas injurier les gens,
06:37vous ne pouvez pas outrager.
06:39Mais au-delà de ça, dans un discours,
06:41je pense que l'on peut tout dire
06:42et que l'on doit tout dire.
06:44Ensuite, voilà, c'est les interlocuteurs,
06:47les jurés, les magistrats professionnels,
06:49qui apprécient la pertinence de l'argument.
06:52Vous avez défendu la veuve et l'orphelin,
06:53vous avez aussi défendu des criminels
06:56ou des gens qui sont considérés comme des monstres,
06:59même si ce mot n'a pas forcément un sens très simple
07:03et que c'est plutôt un mot, d'ailleurs.
07:06On oublie que ce sont des humains.
07:07Est-ce que le mot indéfendable a un sens pour vous ?
07:09Non.
07:10Non.
07:11Non.
07:11Non.
07:12Il faut faire attention aux mots, d'ailleurs,
07:13parce que des hommes peuvent commettre
07:15des choses monstrueuses sans être des monstres.
07:18Aujourd'hui, on galvote les mots.
07:20Vous voyez, barbare, par exemple.
07:21Moi, il m'est arrivé de défendre de vrais barbares,
07:23c'est-à-dire des hommes qui ont commis des actes de barbarie.
07:27Mais il faut faire toujours très attention
07:29dans les mots que l'on utilise.
07:32Ce n'est pas la peine de rajouter,
07:35si j'ose dire, de l'excès.
07:37Notre période est une période d'excès,
07:40de radicalité absolue.
07:41On manque infiniment de nuances.
07:44Le calvaire et le pardon,
07:46c'était le titre de l'un de vos livres,
07:48l'un de vos livres importants.
07:49Est-ce que le mot de pardon a un sens
07:52pour l'avocat que vous êtes ?
07:54Bien sûr.
07:55Bien sûr.
07:55Bien sûr.
07:57Le calvaire et le pardon,
07:58c'est l'histoire de Loïc Séché
07:59qui a été condamnée deux fois
08:00à 16 ans de réclusion criminelle
08:02pour le viol d'une jeune femme.
08:04Et cette jeune femme est revenue intégralement
08:07sur ses aveux.
08:09Et on a découvert,
08:10lors de la procédure de révision,
08:12que par exemple,
08:13elle avait inventé son journal intime
08:16dans lequel elle mettait en cause Loïc Séché.
08:19Il a été acquitté après une révision
08:23sur des réquisitions conformes
08:25du ministère public.
08:27C'est-à-dire qu'il ne faut pas juger
08:29trop vite la justice.
08:30Voyez-vous ?
08:31Juger la justice ?
08:33Là, en l'occurrence,
08:34la justice a deux reprises
08:36à condamner cet homme.
08:38Il a été acquitté.
08:40Et heureusement que cette jeune femme
08:42est venue dire la vérité.
08:44Et Loïc Séché lui a dit
08:46« C'est un des moments les plus émouvants
08:48de ma carrière d'avocat.
08:50Je ne t'en veux pas à toi
08:52parce que cette jeune femme
08:53avait un certain nombre de difficultés
08:54psychiatriques, psychologiques.
08:57Mais j'en veux à la justice
08:58de m'avoir maltraité. »
08:59Donc il faut toujours être très circonspect,
09:02ne pas porter d'appréciation hâtive.
09:04La justice est compliquée.
09:05Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle,
09:07lorsque j'étais ministre,
09:09j'ai souhaité qu'elle soit filmée.
09:10Moi, je souhaite que les gens sachent,
09:13une fois encore,
09:15même si ça n'est pas dans l'air du temps,
09:18qu'il est très difficile de juger
09:19et qu'il est difficile, par exemple,
09:21de déterminer la peine juste.
09:24Alors justement, on va entendre
09:26un grand avocat
09:28qui lui aussi est devenu garde des Sceaux
09:30et c'est lui qui a autorisé le jugement,
09:32mais de quelques procès.
09:34Quelques procès seulement.
09:36C'est Robert Badinter.
09:36Écoutez-le, c'était le 12 mars 2017
09:39au tribunal de grande instance de Paris.
09:42Ce n'est pas Robert Badinter l'avocat,
09:44c'est Robert Badinter
09:45qui est accusé, paradoxalement,
09:48par le négationniste Robert Faurisson.
09:50« Les mots ont un sens
09:52sauf pour ceux qui les utilisent,
09:56comme vous,
09:58et pour qu'il n'y ait aucune équivoque,
10:01que les choses soient claires.
10:02Pour moi,
10:06jusqu'à la fin de mes jours,
10:08tant que j'aurai un souffle,
10:09monsieur Faurisson,
10:11vous ne serez jamais,
10:13vous et vos pareils,
10:14que des faussaires de l'histoire.
10:17Des faussaires de l'histoire
10:19et de l'histoire
10:20la plus tragique qui soit,
10:23dont j'espère que l'humanité
10:24tirera, elle,
10:26la leçon et gardera le souvenir. »
10:28Qu'est-ce que vous ressentez
10:31en entendant ces mots ?
10:32Il est défendu par Henri Leclerc,
10:34immense avocat,
10:35lui aussi immense orateur,
10:37avec lequel vous avez eu
10:39la chance, on peut le dire,
10:40de plaider.
10:41« L'immense privilège
10:42de plaider souvent.
10:45Ça m'émeut beaucoup
10:46de réentendre la voix
10:50de Robert Badinter.
10:52Les mots ont un sens
10:53sauf pour ceux qui les utilisent,
10:55j'ai envie de dire,
10:57à bon entendeur,
10:59salut.
11:04Ben oui,
11:05Robert Badinter,
11:06qui était traité d'assassin,
11:08vous vous en souvenez,
11:08par certains policiers,
11:10ça se passait
11:11à Place Vendôme,
11:12après qu'il menait
11:13ce combat déterminé
11:15pour la brogation
11:18de la peine de mort.
11:18Il y avait d'ailleurs
11:19M. Le Pen
11:19qui était présent ce jour-là,
11:21Jean-Marie Le Pen.
11:22Je crains
11:25que l'on ait oublié
11:27aujourd'hui
11:27l'héritage
11:28de Robert Badinter.
11:30Déjà ?
11:31Ah ben écoutez,
11:32quand j'entends
11:33ce que j'entends,
11:34quand je vois
11:34ce que je vois,
11:36quand je sens
11:38ce manque de nuances,
11:39quand je vois
11:40toute une partie
11:41de la classe politique
11:42qui ne parle
11:43et qui ne pense
11:44qu'au travers
11:45de la répression,
11:47Robert Badinter,
11:48qui était par ailleurs
11:49un grand professeur de droit,
11:50et qui connaissait
11:52le travail
11:52des grands criminologues,
11:54se plaisait à dire
11:54qu'un homme
11:56ne commet pas
11:57une infraction
11:57avec un code pénal
11:58sous le bras.
11:59Et aujourd'hui,
12:00on vous dit le contraire.
12:02L'exemplarité,
12:03le laxisme
12:04de la justice,
12:05mais la justice,
12:06elle n'a jamais été
12:07aussi sévère.
12:08C'est mon grand regret
12:09de ministre
12:10que de ne pas avoir
12:11su convaincre
12:12de cela
12:13nos compatriotes.
12:15Il y a
12:15deux jours de cela
12:17dans la Croix,
12:18un merveilleux papier
12:19qui reprend
12:20tous les chiffres.
12:21La justice
12:22n'a jamais été
12:23aussi sévère.
12:24Les peines prononcées
12:25n'ont jamais été
12:25aussi lourdes.
12:27Tout le monde
12:27fait semblant
12:29d'oublier ça.
12:30Plaider,
12:31c'est bander,
12:32convaincre,
12:33c'est jouir.
12:33Ça, c'est du Badinter.
12:34C'est aussi du Badinter.
12:35Très étonnant d'ailleurs.
12:36Vous souscrivez ?
12:37Ouais.
12:38Allez-y,
12:39Régard Dupont-Mauré.
12:40C'est le mot de la fin.
12:41Si ces mots
12:41étaient sortis de ma bouche,
12:42on n'aurait pas été surpris.
12:44Robert Badinter,
12:45on est un peu surpris
12:48ça ne correspond pas
12:49à l'image
12:49que l'on se fait du personnage
12:50mais c'est très fort
12:51et c'est très vrai.
12:52Eh bien écoutez,
12:53ce sera le mot de la fin.
12:54Merci infiniment
12:54Éric Dupont-Mauré d'avoir été
12:56l'invité de 15 minutes de plus.
12:58Vous êtes sur scène
12:59au Théâtre Marigny
13:00pour ce spectacle
13:01J'ai dit oui
13:03et pour savoir pourquoi
13:04il faut aller vous voir
13:06donc l'expliquer.
13:08Merci d'avoir été
13:09l'invité d'Inter ce matin.

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