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  • 30/05/2025
Ali Baddou reçoit Vincent Azoulay, historien de la démocratie athénienne, directeur d’études à l’EHESS, auteur de "Périclès, la démocratie athénienne à l’épreuve du grand homme" et "Athènes 403, une histoire chorale" disponibles en poche.

Retrouvez « Le 15 minutes de plus » présenté par Ali Baddou sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/15-de-plus
Transcription
00:0015 minutes de plus et ce vendredi matin j'ai le bonheur de recevoir l'un de nos grands historiens spécialistes de la démocratie athénienne.
00:17Il est directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales, auteur de Périclès, la démocratie athénienne à l'épreuve du grand homme
00:25et d'un livre « Athènes 403, une histoire chorale » disponible chant et flammarion en poche et qu'il a co-écrit avec Paulin Ismar.
00:36Bonjour Vincent Azoulay et bienvenue.
00:38Comme tous les vendredis, on va démarrer avec une expérience de pensée dans la peau de Périclès,
00:44dans la peau de celui qui était sans doute le plus grand des grecs, le plus grand des athéniens, mais on en parlera tout à l'heure.
00:50On est dans sa peau en pleine guerre du Péloponnèse, on est en 431 avant notre ère.
00:57Ennemis jurés, Athènes et Sparte n'en finissent pas de s'affronter.
01:02Les Spartiates sont aux portes d'Athènes et Périclès se fait huer à l'Assemblée.
01:08À quoi est-ce qu'il pense Vincent Azoulay et pourquoi se fait-il huer ?
01:14Il pense certainement que les athéniens sont un peuple difficile à manier.
01:18Il faut imaginer un face-à-face physique entre l'orateur et les athéniens qui sont sur la Pnix, sur une colline en plein air.
01:27Il fait chaud, la colline est bondée, il y a 4000, 6000 personnes à qui il faut s'adresser et qui vont décider de la guerre et de la paix directement.
01:38Donc il doit se dire que c'est difficile.
01:40En même temps, il en a vu d'autres.
01:41Il a 65 ans, il a été réélu de nombreuses fois stratège, il a une maîtrise de l'art oratoire exceptionnelle.
01:50Donc il a des atouts avec lui.
01:52Mais en même temps, il est sous tension.
01:55Il est sous tension ?
01:56Ah oui.
01:56Et qu'est-ce qu'il cherche à obtenir ?
01:58Il cherche à obtenir qu'on suive la stratégie qu'il a conseillée aux athéniens, c'est-à-dire accepter la relative faiblesse d'Athènes sur terre.
02:10Ils sont supérieurs sur les mers aux Spartiates, mais sur terre, les Spartiates sont plus forts.
02:17Et les athéniens doivent accepter de rester en ville derrière leur muraille et de profiter de leur empire pour faire face aux assauts des Spartiates.
02:26Donc il doit les convaincre que ce n'est pas si grave que cela, que leur champ soit ravagé, que s'ils tiennent, la lumière sera à l'horizon.
02:38Périclès, c'est une figure quasiment de héros.
02:41En tout cas, c'est le grand homme de la Grèce antique par excellence, fils de Xanthipe.
02:46Il monte à la tribune.
02:47À cette époque, il était le premier parmi les athéniens, le meilleur en parole et en action.
02:53C'est ce qu'écrit de lui l'historien Thucydide lorsqu'il présente le dirigeant athénien au moment où la cité est au point de s'effondrer quand elle est en guerre contre Sparte.
03:05À ce moment-là, Thucydide, donc l'un des pères de votre discipline, l'histoire, définit les deux domaines qui font la supériorité et la grandeur de l'homme politique.
03:16La parole et l'action, ce sont ces deux critères-là qui font la grandeur.
03:24Oui, parce que Périclès, qui n'est pas seul, il y en a d'autres, il est à la fois stratège, c'est-à-dire qu'il conduit l'armée, c'est l'action, et en même temps, il est un orateur exceptionnel.
03:35Parce qu'il faut pouvoir s'adresser à 4000 personnes.
03:38Il faut rappeler quand même qu'il n'y avait pas de moyen de pousser sa voix.
03:42Mais non, il n'y a pas de micro !
03:43Il n'y a pas de micro !
03:44On est en plein air, il y a du vent, si vous allez sur la PNIX à Athènes, vous verrez à quel point c'est difficile déjà de s'adresser à 50 personnes.
03:51Mais alors qu'est-ce que ça veut dire qu'être orateur dans une démocratie comme Athènes ?
03:55Être orateur, ça veut dire être capable de persuader le peuple, en lui donnant des conseils, sachant qu'à la fin des fins, c'est le peuple qui tranche.
04:06Et ça, c'est très différent par rapport à nos propres sociétés, parce que si l'orateur ne convainc pas, ça s'arrête là.
04:13Ça s'arrête là, c'est le peuple qui, à la fin, vote.
04:16Périclès, donc, stratège et qui incarne l'orateur par excellence, il est doué d'une rhétorique.
04:23Comment la qualifier ? Elle est à la fois pédagogique, elle est à la fois autoritaire.
04:28Les sources anciennes n'ont cessé de mettre en scène ce pouvoir oratoire qu'il avait et qui était presque divin.
04:36Qu'est-ce qu'il utilisait comme artifice dans son discours pour convaincre cette assemblée démocratique de ce petit peuple des Athéniens,
04:45ceux qui étaient en droit de décider des affaires de la cité ?
04:49On aimerait le savoir.
04:50C'est vrai qu'on dit que sa rhétorique était divine et d'ailleurs on l'appelait l'Olympien.
04:54C'est-à-dire, comme Zeus, il a cette capacité de contraindre avec sa langue.
05:00Contraindre le peuple avec sa langue.
05:02Et c'est effectivement quelque chose qu'on lui attribue.
05:06Après, il faut relativiser un peu.
05:09C'est-à-dire que même le meilleur orateur ne peut véritablement convaincre le peuple sur le long terme
05:15si sa parole ne s'ajuste pas aux intérêts des Athéniens.
05:20Il ne faut pas penser à un pouvoir réellement magique.
05:23Ça, c'est la vision des sources.
05:24En réalité, il fallait qu'il convainque et ce qu'il devait dire ne pouvait pas être trop en décalage avec les attentes populaires.
05:31Élu, réélu.
05:32Il est souvent présenté, Périclès, comme le chef de l'âge d'or de la démocratie athénienne.
05:38Vous dites qu'il était exceptionnel.
05:40Exceptionnel et pour deux raisons.
05:42Alors d'abord, le nombre de ses réélections à la stratégie, qui est une sorte de magistrature.
05:47Et puis ?
05:48Et puis, sa parole.
05:50Sa parole.
05:51Sa parole.
05:51Sa parole.
05:52Toujours sa parole oratoire.
05:53Celle qui engourdit presque l'orateur et l'amène à voter dans le sens conseillé par Périclès.
06:00Mais on y revient.
06:01Mais surtout parce qu'il y a un mode d'élection.
06:02C'est-à-dire que selon de nombreux historiens, il a été élu par l'ensemble des Athéniens.
06:07Et pas uniquement par un clan ou par une tribu ou par un petit groupe de ses amis.
06:13Oui, oui, tout à fait.
06:14Parce qu'on était élu, alors jamais, pour un an.
06:17Il fallait ensuite être réélu et après avoir rendu des comptes.
06:21Donc il fallait reconvaincre sans cesse le peuple de vous accorder sa confiance.
06:2814 fois ?
06:2914 fois, au moins 14 fois d'affilée.
06:31Mais certainement une vingtaine au cours de sa longue carrière.
06:34Il est à l'origine de plusieurs grandes réformes.
06:37Alors on a parlé du chef de guerre, on a parlé de l'orateur.
06:40Mais il est à l'origine aussi de réformes qui concernent notamment la mise en place d'une indemnité journalière de présence au sein des assemblées.
06:48C'est-à-dire qu'il fallait permettre aux Athéniens les plus pauvres et ceux qui résidaient le plus loin de la cité
06:55de pouvoir participer à la décision collective.
06:59L'historiographie, elle a très longtemps valorisé le siècle de Périclès avec le recul aujourd'hui et le travail de l'historiographie.
07:08Il faut relativiser ?
07:10Alors oui, oui et non.
07:12C'est-à-dire qu'effectivement, il est à l'origine de cette formidable réforme, l'indemnité de participation, ce qu'on appelle le mistos.
07:19Alors pas pour l'Assemblée, ça, ça va être un petit peu plus tard, mais pour les tribunaux populaires.
07:23Et c'est quand même très intéressant parce que la démocratie, ça a à voir avec le contrôle des élites et y compris de Périclès lui-même.
07:29Parce que ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que Périclès a été jugé, a été condamné et a une amende équivalent à plusieurs millions d'euros
07:37qui l'amènent à se taire pendant plusieurs semaines jusqu'à ce que les Athéniens reviennent le chercher.
07:42Il a été menacé d'ostracisme. Il a menacé, il a été menacé d'être chassé de la cité.
07:48Tout à fait. Et ça ne s'est pas joué certainement à beaucoup. Et il a été condamné par les tribunaux populaires
07:54dont il avait favorisé le pouvoir par la participation des citoyens les plus pauvres.
08:01Donc ce Périclès, il a joué le jeu de la démocratie jusqu'au bout.
08:06Alors le grand homme et la démocratie, c'est un sujet majeur et qui résonne encore aujourd'hui.
08:12On va écouter une archive. C'est le philosophe Cornelius Castoriadis qui parle de la démocratie athénienne.
08:19C'est une archive inade du 19 juin 1992.
08:23Le refus de toute hétéronomie, le refus de l'autorité d'une parole qui aurait été transmise par des prophètes.
08:30Les Grecs n'ont pas de prophètes. Ils ont des poètes. Et ça, c'est énorme.
08:36Et c'est pour ça qu'ils ont pu commencer la liberté.
08:38Ils n'avaient pas de prophètes. Ils n'avaient pas de parole divine.
08:41Ils avaient des oracles. C'est autre chose.
08:42Mais les oracles vous disaient s'il faut prendre le bateau, s'il ne faut pas prendre le bateau.
08:46Ils ne vous disaient pas ce qu'il faut faire dans les affaires vraiment importantes dans la vie.
08:49Ça vous fait sourire, Castoriadis, qui dit qu'Athènes n'avait pas de prophète.
08:53Et c'est ce qui caractérise la démocratie athénienne, mais la démocratie tout court.
08:58Oui, ce qui me fait rire, enfin au sourire, c'est le ton presque à la luchini.
09:02Mais autrement, effectivement, il a tout à fait raison.
09:06Il n'y a pas de prophète, il n'y a pas de texte sacré, il n'y a pas de clergé à proprement parler.
09:11Et effectivement, la démocratie athénienne s'interroge sur ses valeurs fondamentales à travers la poésie.
09:17La poésie qui est offerte au théâtre, le théâtre de Dionysos.
09:21Donc au dieu, mais au peuple.
09:23Le peuple qui se réunit à l'Assemblée, mais aussi au théâtre,
09:27pour s'interroger sur les questions fondamentales de la communauté,
09:32mais à distance, à travers des héros.
09:34Est-ce qu'on a tort de penser qu'Athènes, c'est le berceau de nos démocraties,
09:39de la démocratie, même comme type de régime ?
09:42Alors je ne sais pas si ça relève du mythe, mais la démocratie directe,
09:46sans représentants, avec des citoyens réunis, qui échangent, qui débattent, qui délibèrent,
09:51avant de décider, ça reste l'idéal démocratique pour beaucoup.
09:56C'était comme ça ?
09:58Oui, c'était comme ça, c'était comme ça, et alors est-ce que c'est nos grands ancêtres ?
10:04Certainement pas, en tout cas pas directement, il ne faut pas oublier que les révolutionnaires,
10:08français comme américains, détestaient la démocratie athénienne.
10:11Il n'avait Dieu que pour Sparte et pour Rome.
10:14La démocratie athénienne, c'est une histoire qui commence véritablement au milieu du XIXe siècle,
10:18l'histoire d'amour avec la démocratie athénienne.
10:21On ne comprend rien à la démocratie, entre guillemets, américaine,
10:25si on ne se souvient pas que les pères fondateurs, justement,
10:27ne voulaient pas donner la parole à la populace.
10:30D'où ces scrutins qu'on n'arrive pas aujourd'hui à comprendre,
10:33où tout est fait pour que le peuple, en réalité, ne puisse pas directement, en tout cas,
10:38administrer les affaires de la communauté.
10:39Et qu'il puisse élire des représentants, et qu'il délègue son pouvoir et sa souveraineté.
10:44C'est un système représentatif.
10:46Du point de vue d'un athénien du Vème ou du IVème siècle,
10:49nous ne vivons pas en démocratie.
10:51Nous vivons dans des oligarchies libérales, ce qui est déjà bien,
10:55mais certainement pas en démocratie,
10:57là où le peuple peut administrer lui-même ses propres affaires.
11:00Quittons Périclès, Athènes 403.
11:02Athènes 403, c'est une histoire chorale,
11:05et c'est un livre absolument passionnant,
11:07sur ce moment, justement, où la démocratie athénienne est renversée.
11:11Vous racontez cette période à travers l'importance du cœur.
11:16Le cœur, comme on en parle au théâtre ou à l'opéra pour les Grecs,
11:20c'est une métaphore, mais c'est quelque chose qui est extrêmement profond,
11:25ancré dans la vie des Athéniens collectivement.
11:28Pourquoi ?
11:29Parce que ça correspond à une pratique sociale très enracinée.
11:33Il y avait chaque année au moins 1000 citoyens ou jeunes garçons
11:38qui allaient le devenir, qui faisaient partie des chœurs.
11:41Des chœurs qui chantaient et dansaient pour Dionysos dans le théâtre.
11:46Et c'était très très important.
11:48Même les hommes, donc ça faisait 500, c'est déjà beaucoup,
11:50étaient exemptés de services militaires.
11:52C'est dire à quel point chanter et danser pour la communauté
11:56était une activité essentielle.
11:59Autrement dit, ce qui fait société, ce qui est essentiel à la démocratie,
12:05c'est ce qu'on appelle la choralité, pouvoir faire cœur.
12:09Oui, pouvoir faire cœur.
12:10C'est toutes ces pratiques qui permettent de créer des formes d'identité partagée,
12:17d'un sentiment d'appartenance.
12:20Et ça passe par le chant et la danse.
12:22La morale de l'histoire, vous bossez sur l'ostracisme en ce moment.
12:25Et c'est vrai que c'est quelque chose d'absolument incompréhensible aujourd'hui.
12:30Comment est-ce que les Athéniens pouvaient en venir à chasser le meilleur et le plus grand d'entre eux ?
12:36Comment est-ce qu'on peut comprendre que le plus grand des citoyens
12:41puisse être exilé de la cité, ne plus participer aux affaires courantes
12:46alors qu'il est au sommet de sa gloire ?
12:48Et ce sera la fin.
12:49D'abord, il ne le faisait pas beaucoup.
12:51C'est peut-être déjà une première raison.
12:52Et ensuite, c'était par peur du retour de la tyrannie.
12:56Mais ça avait cet effet extraordinaire de domestiquer les hommes politiques
13:01qui vivaient malgré tout sous tension.
13:03Merci infiniment Vincent Azoulay d'avoir été l'invité de ces 15 minutes de plus.
13:08Athènes 403, une histoire chorale.
13:10C'est donc publié chez Flammarion.
13:13Bonne journée.

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