Xerfi Canal a reçu Jean-Paul Dumond, professeur des universités, Institut de Recherche en gestion, Université Paris Est Créteil, pour parler de la fin de la rationalité instrumentale. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
00:00Bonjour Jean-Paul Dumont. Bonjour. Jean-Paul Dumont, vous êtes professeur des universités à l'IRG,
00:13l'Institut de Recherche en Gestion, Université Paris-Est Créteil, donc l'IAE Paris-Est. Alors
00:18Georges Bataille, d'emblée vous nous dites, c'est d'abord un ras-le-bol. L'envie d'inviter Bataille
00:25en Gestion, c'est un ras-le-bol, c'est le ras-le-bol d'une vision instrumentale de la gestion.
00:30Oui, alors il faut, je pense, nuancer ce ras-le-bol et comprendre quand est-ce qu'il intervient.
00:42Était évoqué tout à l'heure en préambule, en finir avec la rationalité instrumentale. Et je
00:52répondrai « surtout pas ». La rationalité instrumentale est extrêmement précieuse. Mais
01:01Bataille opère quelque chose de décisif, de mon point de vue. Il ne construit pas une critique de
01:12la rationalité instrumentale en tant que rationalité instrumentale. Il ne montre pas sa nocivité, il ne
01:19montre pas ses conséquences politiques. En revanche, il en dit une chose essentielle, il en dit c'est une
01:28valeur, mais c'est une valeur secondaire. La valeur principale, c'est la vie. Et c'est la vie qui est déployée sans fin, sans finalité.
01:41Juste pour être clair, cette rationalité instrumentale, c'est ce qui gouverne les instruments de gestion, la mise en ordre de l'organisation et de l'entreprise.
01:50Typiquement, c'est ça. C'est vraiment, on met tout sous contrôle. Et c'est ça que Bataille, enfin, ce que vous nous dites, c'est Bataille, c'est une invitation à remettre la vie au cœur.
02:00C'est le vitalisme. Alors, oui, tout à fait. La rationalité instrumentale est à mettre en contraste avec la rationalité axiologique. Il y a eu des organisations fondées sur la rationalité axiologique. C'était les organisations professionnelles.
02:19Et ceci a été très bien établi dans le champ de la gestion. Il est vrai que depuis 20 ans, 30 ans, 40 ans, la rationalité instrumentale domine de plus en plus l'ensemble des organisations et que les organisations professionnelles s'effacent.
02:40Ce que Bataille nous dit, et c'est absolument précieux, la rationalité instrumentale est, comme son nom l'indique, utile.
02:48Et cette utilité, elle est bien utile. On en a besoin pour dire ici, pour s'entretire, etc. C'est nécessaire. Mais elle doit être secondaire.
02:56Ce qui doit primer, c'est la vie, c'est la débauche, c'est l'engagement, c'est la mobilisation, c'est la création, c'est le dépassement des normes.
03:06Et c'est, dans une certaine mesure, la transgression. Voilà. Et toute la vie de Bataille a été construite dans une recherche de ce qu'était la vie, au-delà, en dépassement de la rationalité instrumentale.
03:23Et là, il est tombé sur un énigme, la vie ne peut pas se dire.
03:30Il a eu une formule que je trouve admirable, un notion, je ne vais pas parler de concept, une notion absolument admirable pour décrire cela, c'est le non-savoir.
03:39Le non-savoir de Bataille, ce n'est pas le non-savoir du savant. Le non-savoir du savant, c'est, j'ai appris beaucoup de choses et je me rends compte que ce que j'ai appris est très petit par rapport à l'immensité du monde.
03:50Le non-savoir de Bataille, ce n'est pas ça. Le non-savoir de Bataille, c'est le fait que ce que j'enquête, la vie, c'est corporel.
03:57Et ce qui est de l'ordre du corps ne peut pas se dire. Les mots trahissent.
04:02Et donc, ce vers quoi je dois aller, c'est vers cette conscience, entre guillemets, du corps qui est un non-savoir.
04:11J'aime beaucoup cette formule. Comment nous conduire à la mesure de l'univers si nous nous bornons au sommeil des connaissances convenues ?
04:18Exactement, exactement, exactement. Et c'est très beau, c'est le sommeil des connaissances convenues.
04:25Et oui, et le pire de ce que nous avons dans notre milieu, c'est bien souvent le conformisme.
04:32Bien sûr. Alors, avec le président des États-Unis, le 47e que nous avons, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il nous réveille.
04:41Voilà, je ne sais pas si c'est en bien ou en mal, on ne va pas le juger aujourd'hui.
04:45Mais c'est en tout cas une invitation à aller se saisir d'auteur comme Bataille pour penser le monde qui vient,
04:51penser ce qui nous arrive et l'appréhender autrement.
04:54Oui, absolument. Et nous devons être animés de la vie pour le combattre.
04:59Merci à vous. Un regard critique sur les gestions écologiques de Georges Bataille. Merci.