Ultra -trail : les réflexions d'Albert Meige, coureur de trail épuisé dans son livre "Kilomètre 360"

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Transcript

00:00Je vous présente brièvement avant d'entrer dans le vif du sujet,

00:03puisque vous n'êtes pas un ultra-trailer professionnel,

00:05avant tout vous êtes un entrepreneur passionné par l'innovation et la création,

00:10auteur déjà de plusieurs ouvrages sur l'innovation et le digital,

00:13et même d'un rapport ministériel intitulé « La formation de l'esprit d'entrepreneur ».

00:18Et à côté de cette vie professionnelle, vous êtes un ultra-trailer,

00:22c'est-à-dire pour résumer l'ultra-trail, c'est de la course à pied en milieu naturel,

00:27souvent en montagne avec du dénivelé et de la longue distance.

00:31Et donc dans votre livre, qu'on voit apparaître à l'image,

00:34intitulé « Kilomètre 360 » aux éditions Paulsen,

00:37vous racontez votre aventure à la Swiss Peak 360,

00:40l'une des épreuves d'ultra-trail les plus difficiles au monde dans les Alpes-Suisses.

00:45Alors déjà, pour commencer, pourquoi avez-vous voulu partager votre expérience à travers un livre ?

00:51Initialement, en fait, je voulais la partager avec ma famille et mes amis,

00:54et je n'avais pas vraiment réalisé que certains allaient lire le livre.

00:59Voilà, c'est fait.

01:01Et donc, l'une des questions centrales de votre récit,

01:04c'est que se passe-t-il dans la tête d'un homme qui court depuis six jours,

01:08360 kilomètres, 26 000 mètres de dénivelé positif à travers les Alpes-Suisses ?

01:13Donc, que se passe-t-il ?

01:15Au début, il se passe plein de trucs,

01:17et puis au bout d'un moment, ça commence à être un peu le bazar dans la tête.

01:20Il y a plein de bizarreries qui s'opèrent sur le corps et sur l'esprit.

01:24Il y a des bizarreries au niveau de la mémoire,

01:26parce que quand on fait des courses si longues et qu'on ne dort pas ou qu'on dort très très peu,

01:31moins de deux heures par nuit pendant six jours,

01:33les souvenirs ne se fixent pas ou se fixent très mal.

01:37Il y a aussi les capacités cognitives qui s'effondrent,

01:39et tout devient extrêmement compliqué,

01:42que ce soit remplir ses gourdes, réorganiser son sac,

01:45tout ça devient extrêmement compliqué.

01:47On n'est plus capable de faire quoi que ce soit,

01:49en tout cas d'un point de vue cognitif.

01:50Vous parlez du sommeil.

01:52Effectivement, vous avez dormi moins de deux heures par jour

01:54sur la totalité de la course qui a duré six jours pour vous, en tout cas.

01:58Quel impact ça a ?

01:59Est-ce que vous avez été surpris le fait d'avoir résisté à cette privation de sommeil ?

02:05En fait, je suis venu au trail assez récemment,

02:08et je ne pensais pas, il y a quelques années,

02:11que c'était possible de pouvoir passer quasiment une semaine sans dormir

02:13ou en dormant moins de deux heures par jour.

02:17Et en fait, si, c'est possible, et on peut même faire encore moins.

02:22On apprend donc beaucoup sur soi, j'imagine,

02:24quand on est confronté à des épreuves aussi longues,

02:27puisque c'est difficile de s'entraîner, j'imagine,

02:29pour une course de 360 kilomètres dans les Alpes,

02:32les Alpes suisses en l'occurrence.

02:35Qu'est-ce qui se passe sur la découverte de soi-même ?

02:38Alors oui, c'est difficile de s'entraîner, surtout quand on n'est pas professionnel, je veux dire.

02:42Et qu'on est parisien.

02:43Il faut faire pas mal d'aller-retour sur les escaliers de l'abutement Martre

02:47pour faire un petit peu de dénivelé.

02:51Qu'est-ce qu'on découvre sur soi ?

02:53Je pense que dans le livre, au final, c'est certes un livre sur l'ultatrail,

02:57mais c'est un petit peu plus que ça, je pense.

02:58C'est une allégorie de la vie, avec la montée, avec la descente,

03:04et avec la grande question centrale, pourquoi est-ce qu'on court au fond ?

03:09Et pourquoi vous courez, vous, du coup ?

03:12Alors, je conclue ce livre-là, mais je vais défleurer un petit peu la chute,

03:16mais ce qui me guide beaucoup de mes décisions, de mes actions, c'est l'exploration.

03:22J'adore l'exploration, que ce soit l'exploration au sens géographique,

03:25à travers la montagne, à travers la forêt, etc.,

03:26mais aussi l'exploration intérieure.

03:30Donc c'est comme ça que je conclue ce livre.

03:32Mais du coup, vous dites justement, dans ce livre,

03:37j'ai toujours su, là je vous cite,

03:38j'ai toujours su que le voyage a été trop court.

03:42Paradoxalement, malgré l'épuisement, malgré la difficulté,

03:45vous auriez aimé que cette Swisspeak 360 continue encore un peu ?

03:49Effectivement, à plusieurs moments, pendant un tel voyage,

03:53on en bave tellement qu'à plusieurs moments, on se dit,

03:57il faut arrêter, je vais arrêter, j'en ai marre,

03:58mais en fait, on continue.

03:59Et puis, quand on arrive au bout, le voyage va s'arrêter,

04:04et on sait que ça va s'arrêter,

04:05donc ça provoque une certaine nostalgie.

04:08Pour la petite anecdote, j'ai reçu un SMS d'une autre traileuse

04:11qui l'avait faite l'année précédente.

04:13Il me restait une trentaine de kilomètres, un truc comme ça.

04:15Elle me dit, profites-en bien,

04:16parce que tu vas bientôt réaliser que ce serait trop court.

04:19Quand j'ai reçu ce message, ça m'a fait pleurer,

04:21parce que je savais qu'elle avait raison.

04:22Et effectivement, en arrivant, c'est déjà terminé.

04:25Et comment on se prépare pour faire des courses comme celle-ci,

04:27surtout quand on est un parisien comme vous,

04:28c'est-à-dire qu'on vit en ville,

04:29alors que ce genre d'épreuve se passe en montagne

04:32et qu'il faut, j'imagine, beaucoup, beaucoup d'entraînement ?

04:34Il faut d'entraînement, on se prépare.

04:37Il y a une autre question qui est associée à celle-ci,

04:39qu'on me pose souvent, c'est comment est-ce que tu fais pour être motivé ?

04:43En fait, je pense que la motivation n'est pas suffisante,

04:46parce que quand il fait un temps pourri à Paris,

04:49qu'il pleut, l'air est pollué, etc.,

04:51on n'est pas motivé pour aller courir.

04:52En revanche, il faut de la discipline.

04:54Et moi, j'ai mis en place un certain nombre de routines,

04:56des rendez-vous avec moi-même,

04:57et j'essaie de systématiquement

05:07aussi combiner la discipline

05:11avec des choses qui vont être rigolotes,

05:12par exemple, dessiner une carte de France

05:14au GPS en courant dans Paris.

05:17D'accord, ce qu'on voit beaucoup aujourd'hui

05:18maintenant sur les réseaux sociaux,

05:19grâce à toutes ces applications.

05:20C'est quelque chose que je ne connaissais pas.

05:22J'ai fait ça pour la première fois,

05:23puis après, je me suis rendu compte

05:24qu'il y avait effectivement un courant

05:25d'artistes qui dessinent avec leurs pieds.

05:29C'est propre du terme.

05:30On voyait sur les images d'illustration

05:32des trailers courir la nuit aussi.

05:33Est-ce que c'est particulier de courir la nuit

05:35quand on n'a plus aucun repère visuel,

05:37en montagne notamment ?

05:38Oui, parce qu'effectivement,

05:40sur ce genre d'exercice,

05:42on court tout le temps,

05:43et les pauses ne sont pas nécessairement la journée.

05:46Donc oui, courir la nuit,

05:48c'est un petit peu différent

05:49que courir la journée.

05:52On est à la frontale,

05:53on perd les repères visuels,

05:55et ça peut accentuer certaines choses,

05:57par exemple,

05:58une distorsion complète du temps,

06:02où il peut se passer plusieurs heures comme ça,

06:04où le corps continue d'avancer mécaniquement,

06:06de manière autonome,

06:07et pendant ce temps,

06:08l'esprit se met littéralement en sommeil.

06:10On dort,

06:11et au bout de quelques heures,

06:13l'esprit se réveille de nouveau,

06:14et on prend conscience

06:15qu'il s'est passé plusieurs heures.

06:16Donc des fois,

06:17il y a une distorsion

06:18entre l'esprit et le corps.

06:20Complètement.

06:23En temps normal,

06:23notre corps et notre esprit

06:24ne font qu'un,

06:25et en état de très grande fatigue,

06:28le corps et l'esprit se séparent.

06:29On peut avoir l'esprit

06:30qui va pousser le corps

06:31dans ses retranchements,

06:32ou au contraire,

06:33le corps qui avance,

06:34comme je viens de le dire,

06:35de manière totalement autonome,

06:37ou alors le corps et l'esprit

06:39qui existent

06:40de manière simultanée,

06:41l'esprit qui observe le corps

06:43de manière tout à fait

06:45ébahie,

06:46stupéfaite

06:47par ce que le corps

06:48est en train d'accomplir.

06:49Donc d'une certaine manière,

06:49c'est un petit peu

06:50une façon d'expérimenter

06:52le dualisme cartésien

06:53en vrai.

06:54Et pour plus de détails,

06:56merci Albert Meij,

06:57tout est dans ce livre

06:58kilomètre 360,

06:59aux éditions Paulsen.

07:00Merci à vous.

07:01Merci à vous.

07:02Merci.

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