Brut.Cannes : Augustin Trapenard a rencontré Paul Verhoeven

Brut

Le tournage de la scène culte avec Sharon Stone dans Basic Instinct, le jour où il est allé chercher son prix de pire réalisateur…  Paul Verhoeven discute avec Augustin Trapenard pour Brut, à l'occasion de la projection de Benedetta au Festival de Cannes.

Transcript

00:00Pourquoi est-ce que vous pensez que l'image dans un film peut parfois devenir éternelle ?

00:05Je pense bien sûr à la scène d'interrogation de Sharon Stone dans Basic Instinct.

00:09En toute honnêteté, quand on a fait cette photo,

00:14ce que nous avons fait à la fin du jour,

00:16j'ai envoyé tous les acteurs masculins,

00:18et Sharon a pris son pantalon,

00:22et nous avons fait cette photo.

00:23Il y avait trois personnes autour, donc tout le monde était parti.

00:27La plupart de l'équipe était partie, et tous les acteurs étaient partis.

00:29On l'a fait en séparation, à sa demande.

00:32Je n'y pensais plus.

00:34Vous ne saviez pas que ça allait devenir iconique ?

00:36Au contraire, j'ai oublié.

00:39J'ai oublié tellement que quand l'éditeur a écrit cette scène pour la première fois,

00:46et qu'il est un catholique romain,

00:48j'étais étonné qu'il ait utilisé cette photo.

00:51Et qu'il est un catholique romain.

00:53En fait, vous ne l'attendriez pas.

00:55Mais il m'a dit, tu l'as tiré.

00:57Oui, j'ai pensé que je l'avais tiré, mais je ne sais pas si c'était nécessaire.

01:01Nous n'avions aucune idée, honnêtement.

01:04Nous n'avions aucune idée de ce qui allait se passer.

01:07Mais est-ce que c'est une bonne scène ?

01:08C'est une bonne image ?

01:09C'est génial.

01:10Je veux dire, c'est innovant, certainement.

01:12Et qu'est-ce qui le rend génial ?

01:14L'audacité, je dirais.

01:17Et bien sûr, du point de vue narratif,

01:21c'est que tous ces hommes sont à ses pieds.

01:26Elle les battent tous.

01:27Ils ressemblent à ça.

01:29Surtout la procuratrice, qui l'interroge.

01:32C'est comme ça.

01:34Donc, pour le narratif,

01:37c'est important que cette femme soit si forte,

01:42ou même diabolique,

01:44qu'elle utilise l'ouverture de ses pieds

01:47pour montrer que ces hommes sont tous hommes

01:52et qu'ils ont un regard masculin.

01:55On en parlera plus tard.

01:56Action.

01:57Bonsoir, Paul.

01:58Bonsoir.

01:59Qu'attendez-vous de votre spectateur,

02:01de quelqu'un qui regarde un de vos films ?

02:05Tout d'abord, qu'ils soient intéressés par le projet.

02:08Et je l'ai souvent utilisé

02:11pour produire une certaine ambiguïté dans le narratif.

02:15Je pense que c'est intéressant pour l'audience

02:17parce qu'ils peuvent s'occuper de ce qu'ils pensent

02:21au lieu de me dire que c'est ceci ou cela.

02:23Mais entre vous et moi, Paul,

02:25préférez-vous que les gens vous suivent

02:28ou qu'ils résistent un peu ?

02:31Apparemment, ça se passe beaucoup,

02:34que les gens sont séparés.

02:37Et bien sûr, j'ai eu, pour certains films,

02:40en Hollande, par exemple, avec le film Spatters,

02:42mais certes, dans les Etats-Unis avec Showgirls,

02:45il y a eu, bien sûr, un énorme critique.

02:48Et il y a eu, par exemple, pour Robocop,

02:52il y a eu une énorme quantité d'enthousiasme

02:55depuis le début.

02:56Les gens étaient étonnés.

02:58Mais Showgirls, ils étaient aussi étonnés,

03:00mais pas de manière très positive.

03:02Ils détestaient le film.

03:03Je sais, tu es allé à l'Awards de Radzi pour obtenir tes prix.

03:06Oui, j'ai dû marcher à l'avant six fois

03:09parce que j'étais le pire directeur,

03:12mais le pire script, la pire actrice.

03:14J'étais l'unique de l'équipe là-bas,

03:16alors j'ai reçu six prix.

03:18Et tu ne pouvais pas le croire,

03:19mais en même temps, il y avait une sorte de jubilation.

03:22Il me semblait que tu aimais ça.

03:24Jésus a dit que si ils te battent sur le cheveu droit,

03:28tu dois tourner ton cheveu gauche.

03:31J'ai senti un peu comme ça.

03:33Et qu'est-ce qui s'est passé ?

03:34Parce que j'étais là-bas et je suis allé à l'avant

03:36et je suis allé à l'avant et j'ai dit merci,

03:38et merci, et merci.

03:39L'audience était tellement positive

03:41et applaudissant et criant.

03:44Au début, ils étaient tous comme,

03:45ah ah ah,

03:47c'était mal, mal, mal.

03:48Et à la fin,

03:51c'était vraiment une preuve miraculeuse

03:54que Jésus avait raison.

03:55Paul, pourquoi penses-tu que tes films

03:57sont si souvent réhabilités ?

04:00Pourquoi ils deviennent iconiques plus tard ?

04:02Qu'est-ce que ça dit de ton travail,

04:04de toi comme artiste ?

04:06C'est une question très difficile pour moi d'y répondre

04:08parce que ça me semble comme si j'étais très égocentrique.

04:12Mais ça a l'air comme si tu étais un visionnaire.

04:14Je ne suis pas un visionnaire.

04:15Peut-être que je suis quelqu'un qui regarde la société

04:18et voit,

04:19que ce soit moi ou mon écrivain de script

04:21ou ensemble,

04:22qui voit des éléments,

04:24en fait, que les autres gens n'ont pas vu.

04:26Et je pense que Starship Troop

04:29est un grand exemple de ça.

04:31Bien sûr, tu peux dire que c'est prophétique

04:33en regardant la présidence de Trump,

04:36mais je pense que c'est ce qui est plus précis à dire

04:38que Ednou Meyer et moi,

04:40mais certainement Ednou Meyer,

04:42avions l'impression qu'il y avait une possibilité

04:44dans la société américaine

04:46d'entrer dans,

04:47disons,

04:49c'est la mauvaise parole,

04:50mais qui déscrivait de façon néofascistique.

04:53Et on sentait que cette couche était là,

04:56mais qu'elle n'était pas visible.

04:58Je pense que c'est plus que tu vois quelque chose

05:00qui te donne,

05:01que tu penses qu'il y a quelque chose

05:03qui se passe dans la société américaine,

05:06mais que les gens ne le voient pas encore.

05:08Pourquoi sont les femmes

05:10si souvent au centre de vos films ?

05:14Cela dépend un peu des circonstances, je pense.

05:18Ce n'est pas que je cherche...

05:20Je pense que j'ai un petit préférence,

05:22peut-être les 10 dernières années,

05:23les 15 dernières années,

05:24d'avoir un protagoniste féminin,

05:26la personne principale étant une femme.

05:30Tu sais pourquoi ?

05:31Non, je ne sais pas.

05:32Non, non.

05:33Pour moi, les hommes et les femmes sont égaux.

05:35Mais c'est très intéressant

05:36que ce soit un homme qui les regarde.

05:38On a parlé du regard des hommes.

05:40Qu'est-ce qui change quand c'est un homme ?

05:42Le regard, c'était une femme,

05:44c'était Jean.

05:47Bien sûr, mais toi, en tant que directeur,

05:48qu'est-ce qui change quand c'est un directeur homme

05:51qui regarde une actrice,

05:52qui la filme,

05:53qui la dirige sur un set de cinéma ?

05:59Nous n'avons pas eu de problème du tout.

06:02Tout le monde s'est d'accord.

06:04Il n'y avait pas de discussions.

06:05Il n'y avait pas de discussion sur,

06:07disons, les femmes ou les hommes ou les gays.

06:10Le regard des hommes n'existait pas à ce moment-là.

06:13C'était l'année dernière.

06:14Mais c'est intéressant.

06:14Qu'est-ce qu'il y a de désir ?

06:16Est-ce qu'il faut désirer ?

06:18Le désir, c'est naturel.

06:20Mais il me semble que

06:22parfois, tu aimes te plaisirer

06:25en faisant un film.

06:26À quel point, Paul, est ton plaisir

06:29plus valable que le plaisir du spectateur ?

06:32Mais il ne devrait pas.

06:33Ce que je ressens,

06:35je veux dire, j'ai toujours été,

06:36et parfois, malgré tout,

06:39mon idée,

06:40c'est que ce que j'aime,

06:42les gens vont aimer.

06:43Je n'ai jamais douté de ça.

06:44Parfois, j'avais raison,

06:46certainement avec les filles de scène.

06:47Mais la plupart du temps,

06:49j'ai aimé, ils ont aimé.

06:51Donc, tu ne t'es jamais censuré ?

06:53Non, jamais.

06:53Non, parce que si je le vois,

06:55je peux le tirer.

06:58C'est pour ça que je parle de désir.

07:00Parce que le désir,

07:02il s'agit de la transgression.

07:05Quand tu désires,

07:07tu ne peux pas te censurer.

07:09Ça dépend.

07:10Le désir n'est pas le problème.

07:12C'est ce que tu fais avec le désir.

07:14Y a-t-il des limites à ton désir,

07:16à tes fantaisies ?

07:17Pas dans les fantaisies, non.

07:19Mais artistiquement,

07:21il y a des limites, oui.

07:23Mais je suis libre de penser

07:26aux pires choses du monde.

07:28A quel point ?

07:29Au point de la tristesse ?

07:30Bien sûr, ça peut être la tristesse.

07:32Comment sais-je si c'est la tristesse ?

07:34Mais c'est intéressant.

07:35Qu'est-ce que le mauvais goût vous signifie ?

07:38Je ne sais pas.

07:39Qu'est-ce que le bon goût signifie ?

07:41Inconnu.

07:42Vous ne pensez pas à ça ?

07:43Non, non.

07:44En réalité, je ne pense pas à ça.

07:46Je pense que mon goût est d'accord.

07:48Est-ce que les gens ont essayé de corriger votre goût ?

07:51Les critiques l'ont fait.

07:52Les producteurs ?

07:53Non.

07:54Jamais.

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