Syrie : les terribles séquelles des survivants de la prison de Saydnaya - Ca va mieux en le disant

Sud Radio

14/12/2024

Avec Jean Doridot, docteur en psychologie, fondateur de l’application Zenfie et auteur du livre Le bonheur est une science exacte (Larousse)

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00:00Sud Radio, ça va mieux en le disant, Jean Dorido.

00:05Bonjour Jean, bonjour Jean-Marie, bonjour à tous.

00:07Docteur en psychologie, fondateur d'HypnoseParis.com.

00:10Jean, vous revenez sur ces images parmi les plus bouleversantes de l'année,

00:14on les a vues sur les réseaux sociaux un peu partout.

00:16Avec la chute en Syrie du régime de Bachar el-Assad,

00:20le monde a découvert Sednaïa, cette prison de l'horreur,

00:23surnommée l'abattoir humain.

00:24Tant de milliers de personnes, voire de dizaines de milliers de personnes

00:27y ont été exécutées depuis 2011.

00:30Jean, quand on écoute le récit des survivants qui sortent agarres de cette prison,

00:35on se demande comment ont-ils fait, certains pendant près de 40 ans,

00:40parce qu'ils y ont été 40 ans, pour survivre dans de telles conditions.

00:44C'est vraiment le mot que vous employez Jean-Marie,

00:46complètement agarres, complètement hébétés.

00:48Alors évidemment, c'est l'avenir qui va permettre d'observer précisément

00:53les séquelles que présentent ces individus qui ont vécu l'horreur.

00:57Et ce qui est observable pour le moment, c'est effectivement,

01:01outre évidemment les traces physiques des traitements inhumains

01:05que ces personnes ont subis,

01:06ce sont des fonctions cognitives extrêmement altérées.

01:10Plusieurs cas sont rapportés de personnes complètement hébétées

01:14qui ne savent plus même qui elles sont.

01:17Ils donnent leur numéro de détenue pour certains à la place du nom.

01:20Des personnalisations complètes, ça fait évidemment froid dans le dos

01:24et ça ajoute au désespoir des familles qui peinent d'autant plus

01:28à retrouver leurs proches disparus.

01:30Alors justement, sur ces fameuses fonctions cognitives altérées,

01:34Jean, est-ce que ça a déjà été étudié par vos confrères ?

01:37Alors oui, oui, bien sûr, les effets psychologiques de la torture

01:40en fait, sont étudiés depuis toujours.

01:43Lorsqu'il s'agit d'obtenir des renseignements,

01:46il semblerait que toutes ces techniques de l'horreur

01:50soient précisément très inefficaces.

01:52Précisément parce qu'elles altèrent profondément la mémoire

01:55des individus suppliciés.

01:56Une étude américaine de 2005 menée par Harris Lieberman

02:00pour l'armée des USA observe que des militaires soumis

02:02à des conditions extrêmes, privation de sommeil, privation de nourriture,

02:06chaleur insupportable,

02:08ils ne parviennent pas à retenir des informations toutes simples

02:10apprises juste avant l'exercice.

02:13Une autre étude menée par le neuroscientifique

02:16en 2011 compare les effets du stress extrême

02:20vécu en situation de torture aux effets du stress post-traumatique.

02:23Il observe qu'en réalité, c'est exactement les mêmes effets présents.

02:27Sachant qu'on a eu la description de tous les actes qu'on connaît,

02:30électrocution piétinement par les hommes, enfin bref,

02:33tabassage sans fin, isolement aussi dans les extrêmes sous-sols.

02:37Voilà ce qu'ont subi ces gens.

02:39Alors Jean, tout ça, c'est pour les conséquences sur la mémoire.

02:43Mais est-ce qu'on sait comment les personnes ont tenu pendant toutes ces années

02:46avec tout ce qu'on vient de décrire ?

02:48Alors ces questions aussi sont étudiées par les psychologues.

02:51Trois Américains, notamment Jeff Greenberg, Tom Piysinski et Sheldon Solomon,

02:55sont à l'origine de ce qu'on appelle la théorie de la gestion de la peur,

02:58le terror-management.

02:59C'est une théorie qui date des années 80.

03:02Et selon ces trois experts, les personnes soumises à des traitements inhumains,

03:05elles auraient tendance à se détacher de leur propre individualité singulière

03:09pour se raccrocher précisément à des symboles transcendants,

03:13une cause, un drapeau, un sentiment d'appartemence à une collectivité humaine.

03:18Bien sûr, pour le moment, il est difficile de savoir ce qui s'est vraiment passé

03:22dans l'esprit de ces personnes traumatisées.

03:25Est-ce que les chercheurs vont pouvoir mener les longues études,

03:29les observations nécessaires pour documenter tout cela ?

03:33Aujourd'hui, en Syrie, rien n'est moins sûr.

03:36La situation est plus que particulière.

03:40Déjà, manifestement, c'est difficile de compter le nombre de personnes retrouvées,

03:44combien ont survécu, combien ont été exécutées sommairement,

03:47combien sont devenues folles.

03:50Tout simplement, des personnes finissent par perdre la raison.

03:52C'est l'extrémité des facultés cognitives altérées.

03:55Et tout cela est complètement vertigineux.

03:57Exactement. Alors pour conclure, Jean, comment ces personnes vont se remettre ?

04:00Comment elles peuvent simplement se reconstruire ?

04:02Alors ça, c'est la question de la résilience, évidemment.

04:04Et la science de la résilience, comme les autres sciences,

04:07se base sur l'observable et sur la comparaison.

04:10Et là, c'est tellement inouï ce que ces personnes ont traversé

04:12que ça va être compliqué.

04:13C'est l'avenir qui va permettre précisément d'observer comment certaines,

04:18on ne peut que le souhaiter, de ces personnes vont se reconstruire.

04:20Précisons d'ailleurs qu'il n'y avait vraiment pas que des combattants rebelles dans ces prisons.

04:25Vous aviez des gens raflés au hasard, même un môme,

04:27parce que c'en était un, un Libanais qui avait été raflé au hasard d'un checkpoint au Liban

04:32il y a 40 ans quand la Syrie occupait le pays.

04:34Il en est sorti 40 ans plus tard.

04:36Voilà ce que ce régime sanguinaire a fait.

04:38Merci beaucoup Jean Dorido, on se consolera avec votre livre

04:41« Le bonheur est une science ». Exact, c'est publié chez Larousse, à bientôt.

04:43À bientôt Jean-Marie.

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