Marie Portolano reçoit Patricia Hyvernart, boulangère et présidente de l'association "Patrons solidaires", dont le but est d'aider les entreprises dans leurs démarches administratives pour l'embauche d'une personne exilée ou sans-papiers. Elle est venue parler de son combat pour régulariser Yaya, son apprenti boulanger.
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00:00 Tricia Hiverna, merci beaucoup d'être avec nous ce matin.
00:03 Le projet de loi immigration est examiné par le Sénat.
00:06 Vous êtes là pour nous raconter votre histoire.
00:09 Vous êtes directement concernée.
00:11 C'est un combat que vous avez mené
00:13 pour éviter l'expulsion en 2021 de Yahia Ba.
00:16 C'est un jeune Guinéen que vous avez embauché
00:19 en tant qu'apprenti dans votre boulangerie.
00:21 C'est qui pour vous, ce jeune homme ?
00:24 C'est qui, aujourd'hui ?
00:26 Pour moi, c'est une merveilleuse personne
00:30 qui a un parcours exemplaire
00:33 et que j'ai envie de mettre à l'honneur tous les jours qui passent.
00:37 Vous l'avez rencontré quand il avait 16 ans.
00:39 Quelle est son histoire, à lui ?
00:42 Son histoire est exactement
00:46 comme celle de tous ces jeunes mineurs
00:48 qui arrivent par la Méditerranée
00:51 avec tout le parcours chaotique qu'on connaît
00:54 et aussi toutes les maltraitances qu'ils subissent
00:57 pendant leur parcours, notamment en Libye.
01:00 Il a été emprisonné en Libye.
01:02 Il a fui la Guinée pour fuir les maltraitances de sa famille.
01:05 Voilà, c'est exactement ça.
01:08 On sait que ce sont des parcours qui peuvent durer deux ou trois ans.
01:13 Donc, ces trois années de maltraitances
01:17 qu'on ne va pas énumérer aujourd'hui,
01:19 mais qui sont très dures à entendre.
01:22 Lorsqu'ils arrivent en France,
01:24 déjà là, il y a des premiers mensonges.
01:27 On leur explique que si leur parcours est exemplaire,
01:31 qu'ils auront leur place chez nous, sur notre territoire,
01:35 une place, un travail et une vie normale,
01:40 comme tous citoyens.
01:42 Et alors là, ils se donnent à 200 %
01:46 pour combler tout ce qu'on leur demande de faire.
01:50 C'est ce qu'a fait Yahya.
01:51 Quand il a eu 18 ans, il est renvoyé du foyer dans lequel il était
01:55 et il est mis sous le coup d'une obligation de quitter le territoire.
01:59 Il va devoir retourner en Guinée s'il n'est pas régularisé.
02:02 Comment vous réagissez à ce moment-là ?
02:04 Je le connais très bien, puisqu'il m'a demandé à plusieurs reprises
02:08 de le prendre en stage dans ma boulangerie.
02:11 Et donc, je le connais bien maintenant.
02:13 J'ai confiance en lui.
02:15 Je l'admire beaucoup.
02:18 Et je peux plus...
02:21 Je peux pas l'abandonner, je peux pas l'ignorer,
02:23 parce qu'il fait déjà partie de la famille.
02:27 Et je me dois de le soutenir.
02:29 Il a pas une obligation de quitter le territoire, mais deux.
02:33 Et à ce moment-là, lui qui a subi déjà le pire par son parcours,
02:39 eh bien là, c'est encore une autre maltraitance à subir,
02:42 puisqu'on le rejette.
02:44 Il n'est pas régularisé, l'administration refuse.
02:47 Donc, vous décidez de vous mettre en grève de la faim.
02:50 Alors, sans fausse modestie, ça n'est pas héroïque d'en arriver là.
02:55 C'est juste... normal.
02:58 Parce que quand on voit leur courage à eux,
03:02 je me disais que c'était bien plus facile pour moi de me passer de manger
03:06 que de te voir partir dans ton pays au risque d'une nouvelle fois
03:11 au péril de ta vie.
03:13 Donc, bien évidemment que j'ai choisi, c'était ma dernière carte.
03:17 Et ça a fonctionné, ça a pas été simple.
03:19 - 16 jours sans manger. - Vous avez perdu 10 kg.
03:22 J'ai perdu 10 kg, j'ai continué de travailler,
03:24 parce que ce qui était important, c'est que mes clients me soutiennent,
03:27 signent la pétition, il y a eu des milliers de signatures.
03:31 Parce que c'est une histoire, chaque enfant a une histoire différente,
03:35 une histoire lourde, une histoire grave.
03:37 Et en signant cette pétition, on a vraiment envie de les soutenir.
03:41 Et comment il réagit, lui, quand il voit
03:44 que vous entamez une grève de la faim pour le soutenir ?
03:47 - Qu'est-ce qu'il vous dit ? - Dans tous ses messages,
03:50 il dit qu'il est dévasté.
03:52 Parce qu'il a connu, en plus, la faim.
03:55 Donc, il sait ce que je suis en train de subir,
03:57 il sait que je risque gros pour ma santé.
04:00 Vous étiez prête à quoi, pour lui ?
04:02 Aller jusqu'au bout.
04:04 La préfète de L'Inde m'avait bien laissé le message
04:07 qu'elle ne le régulariserait pas à cause d'une grève de la faim.
04:12 Mais c'était trop tard, j'étais trop engagée
04:15 pour abandonner mon projet.
04:17 Vous, finalement, vous arrivez à obtenir les papiers pour Yahya.
04:21 Comment ça s'est passé ?
04:22 Ça a été une grande fête.
04:24 En amont, je l'avais inscrit au lycée professionnel.
04:28 Il avait été évalué, il avait eu des très bonnes notes,
04:31 et du coup, il a été accepté le jour de sa régularisation au lycée.
04:35 Ça a été bien médiatisé.
04:37 Mais concrètement, l'histoire de Yahya,
04:40 maintenant, tout le monde la connaît,
04:42 puisque tout ce qu'il a fait, il l'a réussi.
04:45 Mais tous les autres, les lycées professionnels nous le disent,
04:49 tous ces jeunes exilés qui arrivent chez nous,
04:51 c'est du pain béni, ils sont dévoués, ils sont courageux,
04:56 c'est eux qui font respecter l'ordre dans les classes.
05:00 Ce sont vraiment des parcours vertueux.
05:03 Aujourd'hui, Yahya ne travaille plus pour vous,
05:06 mais il va faire partie de votre famille,
05:08 puisque vous avez décidé de l'adopter.
05:10 Oui, c'est l'aboutissement,
05:12 tout ce parcours où il a beaucoup souffert,
05:16 de rejet.
05:18 J'ai juste envie de lui offrir une vraie famille,
05:21 avec des parents, des frères, des sœurs,
05:24 parce que j'ai cinq enfants,
05:26 dont je suis très fière, parce qu'ils m'ont toujours soutenue.
05:29 Et je suis très heureuse qu'il fasse partie de la famille.
05:32 Merci beaucoup, Patricea Iverna.
05:34 Vous avez créé une association en soutien aux entreprises
05:37 qui sont empêchées d'embaucher des jeunes exilés
05:40 qu'elles forment et accompagnent,
05:42 ça s'appelle Patronnes Solidaires.
05:44 Merci beaucoup d'avoir été avec nous.
05:46 Merci à vous de m'avoir invitée.