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  • 06/11/2023
Marie Portolano reçoit Patricia Hyvernart, boulangère et présidente de l'association "Patrons solidaires", dont le but est d'aider les entreprises dans leurs démarches administratives pour l'embauche d'une personne exilée ou sans-papiers. Elle est venue parler de son combat pour régulariser Yaya, son apprenti boulanger.  

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Transcription
00:00 Tricia Hiverna, merci beaucoup d'être avec nous ce matin.
00:03 Le projet de loi immigration est examiné par le Sénat.
00:06 Vous êtes là pour nous raconter votre histoire.
00:09 Vous êtes directement concernée.
00:11 C'est un combat que vous avez mené
00:13 pour éviter l'expulsion en 2021 de Yahia Ba.
00:16 C'est un jeune Guinéen que vous avez embauché
00:19 en tant qu'apprenti dans votre boulangerie.
00:21 C'est qui pour vous, ce jeune homme ?
00:24 C'est qui, aujourd'hui ?
00:26 Pour moi, c'est une merveilleuse personne
00:30 qui a un parcours exemplaire
00:33 et que j'ai envie de mettre à l'honneur tous les jours qui passent.
00:37 Vous l'avez rencontré quand il avait 16 ans.
00:39 Quelle est son histoire, à lui ?
00:42 Son histoire est exactement
00:46 comme celle de tous ces jeunes mineurs
00:48 qui arrivent par la Méditerranée
00:51 avec tout le parcours chaotique qu'on connaît
00:54 et aussi toutes les maltraitances qu'ils subissent
00:57 pendant leur parcours, notamment en Libye.
01:00 Il a été emprisonné en Libye.
01:02 Il a fui la Guinée pour fuir les maltraitances de sa famille.
01:05 Voilà, c'est exactement ça.
01:08 On sait que ce sont des parcours qui peuvent durer deux ou trois ans.
01:13 Donc, ces trois années de maltraitances
01:17 qu'on ne va pas énumérer aujourd'hui,
01:19 mais qui sont très dures à entendre.
01:22 Lorsqu'ils arrivent en France,
01:24 déjà là, il y a des premiers mensonges.
01:27 On leur explique que si leur parcours est exemplaire,
01:31 qu'ils auront leur place chez nous, sur notre territoire,
01:35 une place, un travail et une vie normale,
01:40 comme tous citoyens.
01:42 Et alors là, ils se donnent à 200 %
01:46 pour combler tout ce qu'on leur demande de faire.
01:50 C'est ce qu'a fait Yahya.
01:51 Quand il a eu 18 ans, il est renvoyé du foyer dans lequel il était
01:55 et il est mis sous le coup d'une obligation de quitter le territoire.
01:59 Il va devoir retourner en Guinée s'il n'est pas régularisé.
02:02 Comment vous réagissez à ce moment-là ?
02:04 Je le connais très bien, puisqu'il m'a demandé à plusieurs reprises
02:08 de le prendre en stage dans ma boulangerie.
02:11 Et donc, je le connais bien maintenant.
02:13 J'ai confiance en lui.
02:15 Je l'admire beaucoup.
02:18 Et je peux plus...
02:21 Je peux pas l'abandonner, je peux pas l'ignorer,
02:23 parce qu'il fait déjà partie de la famille.
02:27 Et je me dois de le soutenir.
02:29 Il a pas une obligation de quitter le territoire, mais deux.
02:33 Et à ce moment-là, lui qui a subi déjà le pire par son parcours,
02:39 eh bien là, c'est encore une autre maltraitance à subir,
02:42 puisqu'on le rejette.
02:44 Il n'est pas régularisé, l'administration refuse.
02:47 Donc, vous décidez de vous mettre en grève de la faim.
02:50 Alors, sans fausse modestie, ça n'est pas héroïque d'en arriver là.
02:55 C'est juste... normal.
02:58 Parce que quand on voit leur courage à eux,
03:02 je me disais que c'était bien plus facile pour moi de me passer de manger
03:06 que de te voir partir dans ton pays au risque d'une nouvelle fois
03:11 au péril de ta vie.
03:13 Donc, bien évidemment que j'ai choisi, c'était ma dernière carte.
03:17 Et ça a fonctionné, ça a pas été simple.
03:19 - 16 jours sans manger. - Vous avez perdu 10 kg.
03:22 J'ai perdu 10 kg, j'ai continué de travailler,
03:24 parce que ce qui était important, c'est que mes clients me soutiennent,
03:27 signent la pétition, il y a eu des milliers de signatures.
03:31 Parce que c'est une histoire, chaque enfant a une histoire différente,
03:35 une histoire lourde, une histoire grave.
03:37 Et en signant cette pétition, on a vraiment envie de les soutenir.
03:41 Et comment il réagit, lui, quand il voit
03:44 que vous entamez une grève de la faim pour le soutenir ?
03:47 - Qu'est-ce qu'il vous dit ? - Dans tous ses messages,
03:50 il dit qu'il est dévasté.
03:52 Parce qu'il a connu, en plus, la faim.
03:55 Donc, il sait ce que je suis en train de subir,
03:57 il sait que je risque gros pour ma santé.
04:00 Vous étiez prête à quoi, pour lui ?
04:02 Aller jusqu'au bout.
04:04 La préfète de L'Inde m'avait bien laissé le message
04:07 qu'elle ne le régulariserait pas à cause d'une grève de la faim.
04:12 Mais c'était trop tard, j'étais trop engagée
04:15 pour abandonner mon projet.
04:17 Vous, finalement, vous arrivez à obtenir les papiers pour Yahya.
04:21 Comment ça s'est passé ?
04:22 Ça a été une grande fête.
04:24 En amont, je l'avais inscrit au lycée professionnel.
04:28 Il avait été évalué, il avait eu des très bonnes notes,
04:31 et du coup, il a été accepté le jour de sa régularisation au lycée.
04:35 Ça a été bien médiatisé.
04:37 Mais concrètement, l'histoire de Yahya,
04:40 maintenant, tout le monde la connaît,
04:42 puisque tout ce qu'il a fait, il l'a réussi.
04:45 Mais tous les autres, les lycées professionnels nous le disent,
04:49 tous ces jeunes exilés qui arrivent chez nous,
04:51 c'est du pain béni, ils sont dévoués, ils sont courageux,
04:56 c'est eux qui font respecter l'ordre dans les classes.
05:00 Ce sont vraiment des parcours vertueux.
05:03 Aujourd'hui, Yahya ne travaille plus pour vous,
05:06 mais il va faire partie de votre famille,
05:08 puisque vous avez décidé de l'adopter.
05:10 Oui, c'est l'aboutissement,
05:12 tout ce parcours où il a beaucoup souffert,
05:16 de rejet.
05:18 J'ai juste envie de lui offrir une vraie famille,
05:21 avec des parents, des frères, des sœurs,
05:24 parce que j'ai cinq enfants,
05:26 dont je suis très fière, parce qu'ils m'ont toujours soutenue.
05:29 Et je suis très heureuse qu'il fasse partie de la famille.
05:32 Merci beaucoup, Patricea Iverna.
05:34 Vous avez créé une association en soutien aux entreprises
05:37 qui sont empêchées d'embaucher des jeunes exilés
05:40 qu'elles forment et accompagnent,
05:42 ça s'appelle Patronnes Solidaires.
05:44 Merci beaucoup d'avoir été avec nous.
05:46 Merci à vous de m'avoir invitée.

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