Julia Vignali reçoit Violaine de Filippis, suite à la publication dans le journal le Parisien d'une charte avec des critères de beauté auxquels doivent se soumettre les hôtesses d'accueil de Roland Garros. Notre invitée et porte parole de l'association Osez le féminisme ! s'exprime sur cette charte et les injonctions de beauté à l'encontre des femmes dans notre société.
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00:00 Bonjour Violaine de Philippis, merci d'avoir accepté l'invitation de Télé Matins.
00:03 Alors, vendredi dernier, le journal Le Parisien révélait que les hôtesses d'accueil de Roland Garros
00:08 devaient se soumettre à des critères, à une charte avec des critères de beauté.
00:12 Parmi ces critères, l'épilation des jambes et des aisselles.
00:15 Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
00:16 D'abord, que le Code du travail prohibe les recrutements qui sont fondés sur l'apparence physique.
00:22 Donc, à la base, c'est formellement interdit.
00:25 Bien sûr, il y a des exceptions, exceptions qui sont issues du droit de l'Union européenne.
00:29 Mais qui répondent à des critères très restrictifs.
00:32 Donc, il serait intéressant de se poser la question en quelle litige de ce qui serait décidé par un juge.
00:36 Alors, par rapport à ces exceptions, quelles sont-elles ?
00:38 Eh bien, elles doivent répondre à un critère finalement d'objectivation.
00:41 C'est-à-dire qu'on ne peut pas recruter quelqu'un juste sur la beauté.
00:45 Par exemple, on doit pouvoir justifier la discrimination sur des critères tels que,
00:49 pour un rôle de cinéma, on va pouvoir discriminer sur l'âge, puisque objectivement, pour le rôle...
00:54 Le personnage doit avoir tel âge.
00:55 Mais sur les hôtesses de Roland Garros, ça vous paraît fou ?
00:58 On leur demande de s'épiler.
00:59 Je vous dis ça parce qu'en loge, j'étais avec ma maquilleuse et qui me dit
01:02 "Moi, j'aimerais pas avoir... C'est une femme, mais pourtant, elle dit
01:05 j'aimerais pas avoir une hôtesse avec des poils sous les bras."
01:07 Effectivement. Alors, ça interroge sur pourquoi on a cette réaction.
01:10 C'est-à-dire, pourquoi est-ce qu'on nous apprend finalement que les poils pour une femme, c'est sale ?
01:15 Et si on s'intéresse même aux médias, on voit que le traitement est différent.
01:18 Si on regarde les publicités pour les rasoirs, par exemple.
01:21 Alors, je ne sais pas si vous avez déjà remarqué, mais...
01:23 Elles sont toutes glabres.
01:24 Oui, exactement.
01:26 Mais c'est ça, c'est qu'en fait, on voit des images avec des femmes sans poils qui s'épilent.
01:30 Alors que pour les hommes et pour la barbe, vous avez quand même le geste qui marque avant et après.
01:35 Tout à fait. Ça veut dire que pour vous, le décryptage que vous en faites, c'est qu'une femme,
01:38 l'injonction, c'est qu'elle doit être sans poils avant ou après.
01:41 C'est bien ça ?
01:42 Exactement. Et ça arrive dès le plus jeune âge, puisqu'il y a des jeunes filles
01:45 qui sont déjà victimes de harcèlement scolaire, puisqu'elles sont poilues sur les jambes.
01:50 Et donc, elles vont être, finalement, se sentir discriminées à cause de ça,
01:54 à cause du regard des jeunes garçons aussi.
01:56 Finalement, c'est dès l'école qu'il faut déstigmatiser les poils pour les filles
02:00 et expliquer que non, ce n'est pas sale.
02:02 Mais il n'y a pas qu'à Roland-Garros que ce genre de critères existent.
02:05 On pense bien sûr au concours Miss France.
02:07 En fin 2021, votre association aux ailes féminisme a initié une action en justice
02:11 contre la société de production, justement.
02:13 Alors, selon vous, pourquoi là encore, ces concours de beauté sont-ils dégrattants et discriminatoires ?
02:19 En réalité, ils projettent une image uniforme de ce que doit être la beauté.
02:24 Par exemple, on ne voit pas sur les écrans, que ce soit dans le concours Miss France,
02:27 mais aussi au cinéma ou dans les émissions, des femmes de 50 ans et plus.
02:31 On n'en voit pas beaucoup.
02:32 Une étude récente expliquait que trois fois moins de rôles étaient attribués
02:36 aux femmes de 50 ans et plus par rapport aux hommes du même âge,
02:39 ce qui empêche les femmes de se projeter, finalement,
02:41 d'avoir des rôles modèles un peu plus âgés,
02:43 ce qui pose un vrai problème aussi sur les stéréotypes de beauté.
02:47 Qu'est-ce que vous avez obtenu avec votre action en justice
02:50 de pouvoir se présenter en tant que prétendante à Miss France en étant plus âgée, c'est ça ?
02:55 Moi, je peux me présenter, par exemple, ou pas ?
02:57 Oui, depuis notre action, les critères d'âge ont été modifiés,
03:00 bien que la production estime que ça n'ait rien à voir avec notre action,
03:03 c'est-à-dire que, comme par hasard, elle aurait décidé, la prod,
03:06 de modifier, bien sûr, au même moment.
03:09 Évidemment, on rattache directement à notre action,
03:10 donc pour nous, on a fait sauter les critères d'âge.
03:14 Le critère du célibat, puisque vous deviez non seulement ne pas être mariée, être célibataire,
03:18 mais aussi ne pas avoir été mariée, donc ne pas être veuve,
03:21 toutes ces choses complètement illogiques ont sauté et on rattache directement à notre action.
03:28 On va revenir à la pilosité.
03:29 On constate que depuis dix ans, les femmes, et notamment les jeunes femmes,
03:33 s'affranchissent de plus en plus de l'épilation.
03:35 Certaines s'affichent même fièrement avec leur poil, comme la chanteuse Angèle.
03:40 Ne pas s'épiler, c'est devenu un acte politique, un acte militant ?
03:44 Et oui, malheureusement, oui, puisqu'en fait,
03:46 finalement, ça fait aussi reposer une injonction au militantisme,
03:49 de dire "si je ne m'épile pas, alors je fais un acte militant",
03:51 ça devrait être un choix libre.
03:53 Et on est d'accord qu'on peut être féministe et s'épiler ?
03:55 Effectivement, en fait, de toute façon, le féminisme, c'est d'abord pouvoir choisir
03:59 en étant quand même consciente des stigmates qui passent sur nous
04:04 et de ce qui nous semble libre, parfois ne l'est pas, puisqu'on nous conditionne des petites.
04:09 Mais effectivement, ne pas s'épiler, ça peut être un acte militant.
04:11 Alors moi-même, ça me gêne encore de me promener sur la plage non épilée,
04:16 mais je me pose cette question, je me dis "mais en fait, si je suis mal à l'aise,
04:18 c'est parce qu'on m'a dit depuis que je suis petite que les poils sur les jambes,
04:21 c'est sale, ce qu'on ne dit pas aux garçons".
04:23 Évidemment. Est-ce qu'il n'y a pas des sujets sérieusement plus prioritaires que les poils ?
04:28 Parce que c'est vrai que ça paraît gadget.
04:30 Est-ce que, par exemple, les agressions sexuelles,
04:32 ce n'est pas plus prioritaire dans le combat féministe ?
04:35 Ou est-ce que, selon vous, c'est tout à fait le même combat ?
04:37 Poils et violences faites aux femmes, c'est le même combat ?
04:39 Je vous remercie pour cette question qui est très intéressante,
04:42 puisqu'en réalité, on a tendance à détacher les agressions
04:45 de tout ce qui amène aux agressions.
04:46 Alors, à l'heure où on se parle, évidemment, il y a des choses,
04:48 à l'instant T, qui se passent de beaucoup plus grave.
04:50 Mais la question, c'est qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, les femmes sont agressées ?
04:53 Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, on est harcelé dans les transports ?
04:56 Eh bien, c'est ce sexisme ordinaire qu'on va apprendre dès le plus jeune âge,
04:59 aux filles comme aux garçons, puisque, après tout,
05:01 les hommes aussi sont des victimes collatérales,
05:03 je dis bien, finalement, accessoires du sexisme,
05:06 puisqu'on va leur apprendre qu'il faut être viril, qu'il faut être fort,
05:09 qu'il faut être beau, qu'il faut être riche.
05:11 Donc, en fait, l'égalité, ça marche pour tout le monde
05:13 et c'est bien pour toutes et tous.
05:15 Alors, justement, on parlait d'agressions sexuelles,
05:17 le ministère de l'Intérieur a lancé, mardi 30 mai,
05:19 une campagne nationale pour informer et sensibiliser les Français
05:22 sur la sécurité des femmes dans l'espace public.
05:25 Une initiative, pour rappeler à chacun, justement,
05:27 les gestes à avoir quand on est témoin ou victime d'une agression.
05:30 Vous avez dit que c'était une mesurette. Pourquoi ? Quel est le vrai combat ?
05:33 Pour oser le féminisme, c'est vrai que c'est une mesure gadget,
05:35 une mesurette, puisque ça ne résout pas la problématique
05:39 qui est, on le disait, l'anticipation, mais dès l'école,
05:41 par la déstigmatisation et, finalement, apprendre aux garçons
05:46 que ce n'est pas OK, en fait, d'être trop lourd,
05:50 ce n'est pas de la drague lourde.
05:51 À un moment, on se pose la question,
05:53 en fait, on est dans une agression qui peut être mal perçue par la victime.
05:58 En fait, c'est de bien…
05:59 Mais ça, c'est la formation, effectivement, qui est nécessaire,
06:02 mais il y a aussi ce qui se passe quand on dépose plainte en tant que femme.
06:05 Exactement. Et le deuxième volet, c'est ce qu'on reproche à cette mesure,
06:07 c'est de donner comme injonction aux femmes,
06:09 et c'est marqué sur le document, de déposer plainte.
06:11 Mais je veux dire, effectivement, c'est intéressant
06:14 et c'est nécessaire d'aller déposer plainte pour les statistiques,
06:17 mais pour la reconstruction personnelle.
06:19 Quand on sait comment se passe un dépôt de plainte,
06:21 dire aux femmes "allez déposer plainte sur ce flyer",
06:23 alors qu'aujourd'hui, les femmes victimes de violences
06:25 sont très mal prises en charge par la justice,
06:28 c'est-à-dire qu'il y a moins de 1% des viols qui aboutissent à une condamnation,
06:32 la plupart des plaintes pour violences faites aux femmes sont classées sans suite,
06:35 dire "allez déposer plainte", c'est ne pas s'interroger
06:38 sur le manque de capacité de la justice à traiter ces plaintes,
06:41 et c'est là où on attend des vraies mesures.
06:42 Merci beaucoup, Violaine de Philippis, d'avoir été notre invitée ce matin.
06:45 Merci à vous.