- 01/07/2025
Dans le "débat du 7/10" sur France Inter, entretien avec Lou Welgryn, Data analyst chez Carbone4 Finance, co-présidente de Data For Good, et Gilles Babinet, entrepreneur, spécialiste des enjeux numériques. Le thème du jour : "L'IA est-elle un gouffre énergétique ?"
Retrouvez « Le débat du 7/10 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10
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00:00Ce matin en pleine vague caniculaire sur l'empreinte environnementale de l'intelligence artificielle.
00:07Le développement fulgurant de cette technologie a masqué dans un premier temps
00:13à quel point elle était énergivore, gourmande en ressources, métaux rares, mais aussi tout simplement en eau.
00:21Et sur tous ces sujets, on ne peut pas dire que les grandes entreprises d'intelligence artificielle
00:27soient de toute transparence.
00:29Alors on va en parler avec Lou Velgrine, bonjour.
00:32Bonjour.
00:33Vous êtes secrétaire générale de l'association Data for Good.
00:38Dites-nous en quelques mots ce que fait votre association.
00:41On est une communauté d'experts de la tech qui se met au service d'autres associations
00:45qui luttent pour la justice sociale, climatique et environnementale pour les aider à aller plus loin dans leur mission.
00:51Gilles Babinet, bonjour.
00:52Bonjour.
00:53Entrepreneur spécialiste des questions numériques, auteur de Green IA.
00:59L'intelligence artificielle au service du climat chez Odile Jacob en 2024.
01:05Soyez les bienvenus.
01:07Un rapport du cabinet Soprasteria sorti jeudi dernier s'intitule IA et environnement.
01:14sortir du brouillard informationnel.
01:18On est dans le brouillard, voire dans le tabou.
01:22La technologie est trop prometteuse pour qu'on commence à regarder d'un peu plus près ce qu'il y a sous le capot, selon vous, Lou Velgrine.
01:31Alors oui, déjà je pense qu'il y a une opacité qui est organisée aujourd'hui par les acteurs de la tech qui est en partie faite aussi pour masquer aujourd'hui leurs impacts.
01:44Donc on voit des impacts grandissants, par exemple Google qui a augmenté de 50% ses émissions, Microsoft de 30% qui est vraiment loin des promesses aujourd'hui technologiques qui sont faites, d'une technologie qui viendrait sauver le climat.
01:59Et ça c'est vraiment le discours des gens.
02:00Je donne un exemple, Eric Schmidt, l'ancien CEO de Google, qui nous explique qu'il faut oublier nos objectifs climatiques, déréguler intégralement l'IA et comme ça elle trouvera la solution magique pour nous sauver.
02:15Donc on est vraiment dans un espèce de...
02:17Mais c'est vrai qu'il y avait un discours sur les nouvelles technologies et le climat, ce sera propre et vertueux.
02:24Ça c'était avant, comme on dit.
02:25Oui, je pense que ce discours il est encore là, sauf que l'idée c'est de ne pas du tout y croire parce que ces solutions vertueuses sont toujours hypothétiques, utilisées au conditionnel et à venir.
02:36Alors que les impacts sont là, ils sont présents aujourd'hui.
02:39Gilles Babinet, votre lecture du paysage, paysage avec brouillard ?
02:45Oui, le brouillard est très important.
02:46D'ailleurs, hier soir je cherchais des chiffres et je me suis rendu compte que les chiffres qui se baladent sur les émissions ou plutôt la quantité d'énergie qui va être nécessaire pour faire de l'IA, c'est entre 600 TWh, c'est l'équivalent de la France à peu près, c'est plus que la France d'ailleurs, et 1600 TWh.
03:04Et ça sur...
03:05La fourchette est...
03:05La fourchette est énorme, alors ça dépend si on prend en compte par exemple la fabrication des microprocesseurs.
03:11Dans tous les cas, c'est extrêmement élevé.
03:13On était sur des perspectives de croissance assez faible des émissions du numérique jusqu'à l'avènement de l'IA générationnel.
03:21Et puis là, on a une réelle explosion avec des ouvertures de data center qui auparavant étaient plutôt un très gros data center tous les mois.
03:30Et c'est plutôt deux par semaine aujourd'hui.
03:31Donc c'est très très différent.
03:34La question qui se pose, c'est de savoir comment vont évoluer ces chiffres, parce qu'on a beaucoup de mal finalement à savoir s'il n'y a pas un peu un effet d'annonce.
03:45Tout le monde annonce son data center pour essayer de faire peur aux voisins et de s'assurer finalement une certaine...
03:51C'est-à-dire c'est des prises de parts de marché.
03:53Exactement.
03:53Plus j'ai de data center, plus je suis puissant.
03:56On a vu ça aux Etats-Unis, c'est-à-dire des annonces de data center au même endroit par des acteurs différents.
04:01Donc vous ne pouvez pas construire le même data center au même endroit.
04:04Néanmoins, la préoccupation demeure.
04:06Plus prosaïquement, un data center, en quelques mots, ça sert à quoi ?
04:12Ça a quelle forme ?
04:14Dites-nous, parce que tout le monde n'est pas familier avec ces choses-là.
04:17D'accord, alors un centre de données, ça ressemble à une énorme infrastructure, comme un gros bloc, qui va à l'intérieur contenir énormément de serveurs.
04:31Donc ces serveurs, ils vont soit servir à stocker de l'information, soit à calculer pour faire de l'intelligence artificielle notamment.
04:41Et aujourd'hui, en fait, ces centres de données, ils sont en train de, comme vous le disiez très bien, puler un peu partout à travers le monde.
04:48Si on prend l'exemple de la France, depuis le sommet pour l'IA, on sait, Emmanuel Macron s'est engagé à investir 109 milliards d'euros
04:55et qu'il y ait 35 nouveaux centres de données qui sont destinés spécifiquement à l'intelligence artificielle en France.
05:03Et donc, ce développement, il se fait un peu sans réflexion réelle sur la finalité et surtout sur les impacts indirects, en fait, que ces centres de données vont avoir sur nos économies.
05:15Oui, mais des data centers propres ont été promis par le président de la République.
05:21Je vous vois sourire tous les deux.
05:22C'est compliqué parce qu'il y a deux choses.
05:26C'est vrai, c'est faux, ça peut être propre, merveilleux.
05:28Il y a plusieurs choses.
05:29Évidemment, l'énergie, l'électricité française est extrêmement peu carbonée.
05:33C'est probablement la moins carbonée au monde avec celle de la Norvège, mais qui est en petite quantité.
05:37Et donc, de ce fait, c'est une offre très appétissante pour ces grandes entreprises qui ont pris ces engagements d'être net zéro d'ici 2040 en général.
05:47C'est très court terme, d'ici une quinzaine d'années, arriver à ne plus avoir du tout d'émission de CO2.
05:52Et effectivement, comme vous venez de le dire, ça ne va absolument pas dans la bonne direction.
05:56Donc, ils cherchent des solutions.
05:57La France est l'une d'entre elles.
05:59Mais dans tous les cas, lorsque vous montez un data center, il faut fabriquer ces microprocesseurs.
06:04Et la fabrication peut représenter une part très significative des émissions de CO2.
06:09Pourquoi ?
06:10Parce que c'est fait à Taïwan, avec de l'énergie qui est très carbonée, que les processus de fabrication sont extrêmement intensifs.
06:18Par ailleurs, il y a une activité minière qui est quand même assez significative.
06:21Et donc, la question se pose quand même des usages et donc du cycle complet.
06:27C'est-à-dire de dire finalement, est-ce que quand je fais un prompt sur Internet,
06:30quelle est la quantité d'émissions de CO2 que je génère et les externalités au sens large ?
06:37Et est-ce que ces usages, par exemple de swiper sur TikTok, pour ne pas le nommer,
06:42sont tous équivalents les uns aux autres ?
06:45Lou Velgrine ?
06:46Oui, peut-être pour rebondir et dans une approche, on essaye de ramener cette consommation aux individus.
06:54Je pense que là, on est vraiment face à une question de faire des choix politiques très forts face à ces infrastructures.
06:59Aujourd'hui, ces infrastructures, elles viennent se mettre au service des secteurs les plus carbonés de notre économie
07:04en facilitant la fast fashion, en facilitant par exemple la génération super rapide
07:10de nouvelles collections de mode tous les jours pour Chine,
07:12en se mettant au service du secteur pétrogazier, je donne un chiffre,
07:16un seul contrat de Microsoft avec ExxonMobil,
07:19ça lui permet, grâce à l'IA, d'extraire 50 000 barils de pétrole supplémentaires par jour.
07:24Donc en fait, la question, elle n'est pas tant de sur-psychologiser les individus,
07:29mais de faire des vrais choix politiques forts,
07:31de s'interroger quels sont nos buts écologiques qu'on souhaite,
07:35qu'on se fixe pour rester dans les limites planétaires.
07:38Et cette décision-là, elle doit se faire en mettant les citoyens autour de la table.
07:42Parce qu'aujourd'hui, ce dont on prend conscience en France,
07:45c'est qu'on appuie sur l'accélérateur,
07:47on a une loi de simplification qui est en train d'être votée actuellement,
07:50qui dérégule intégralement l'implantation des centres de données,
07:57à la fois en pouvant faire fi de toutes les règles environnementales,
08:01mais également en écartant les citoyens de la question de l'aménagement de leur territoire.
08:05Et donc c'est fondamental qu'il y ait des choix politiques forts qui soient faits.
08:08Mais est-ce qu'une entreprise qui a un outil d'IA va refuser de le vendre
08:16ou de le mettre à disposition d'un pétrogazier
08:19pour qu'il puisse faire de l'extraction de barils
08:21de manière encore plus forte et furieuse ?
08:27Oui, enfin si vous voulez, c'est un débat ancien,
08:29puisque au sein de Google, vous avez eu, il y a quelques années,
08:34un conflit extrêmement fort sur le fait de mettre ces technologies au service des militaires.
08:38En fait, des activités militaires, ça aboutit au départ de beaucoup de gens.
08:43Malgré tout, Google a continué à faire ce type d'activité,
08:46mais il y a une conscience des gens dans le code qui existe à cet égard.
08:51On peut avoir, je pense, des choix, et notamment des choix démocratiques et politiques
08:56qui sont faits à l'égard de ces technologies.
08:58Je pense aussi qu'on n'est pas obligé de suivre le modèle américain,
09:02pour ne pas le nommer, qui effectivement est très consumériste.
09:06Il n'est pas trop puissant, ce n'est pas déjà lui qui a donné le « là » dans ce domaine ?
09:10Soit on essaye d'envisager un autre avenir, soit ça va être compliqué.
09:16Mais je pense que justement, la question qui se pose au moment où vous avez l'émergence
09:19de cette nouvelle technologie, c'est est-ce qu'elle est structurellement amenée
09:23à nous pousser à faire comme ces pays, les Etats-Unis en particulier,
09:28et donc avoir une approche qui est, je pense, avec des externalités
09:31qui ne sont pas très positives pour l'environnement et pour la démocratie ?
09:34Soit est-ce qu'on ne peut pas faire notre choix et partir dans une autre direction ?
09:40Est-il vrai que l'empreinte carbone d'une recherche effectuée sur intelligence artificielle
09:48est mille fois plus énergivore qu'une recherche Google classique ?
09:54En vrai, la vraie réponse à cette question, c'est qu'on n'en sait rien pour la réponse première
09:58que vous avez donnée, c'est-à-dire qu'en fait, il y a une opacité générale
10:02du nombre de paramètres qui sont dans ces modèles, du nombre de données
10:07qui prennent en entrée, de quel modèle de tchat GPT on utiliserait pour faire ce calcul.
10:12Donc en fait, on ne peut pas donner ce chiffre aujourd'hui,
10:14parce qu'on manque énormément de données.
10:16Par contre, ce qu'on peut dire, ce n'est pas parce qu'on manque de données
10:19que ça doit être un levier, une excuse pour ne pas agir,
10:22il faut qu'on sorte de cette vision ultra technosolutionniste
10:25qui nous promet une IA magique, vraiment mythifiée et providentielle.
10:31Et la réalité physique...
10:32C'est le discours dominant là, on est d'accord.
10:35C'est le discours 100% dominant, mais la réalité physique se rappelle à nous aujourd'hui.
10:39La réalité de la canicule, on l'a sentie en venant sur ce plateau.
10:43Et je pense que de plus elle va se rapprocher, moins on pourra l'ignorer aussi.
10:46On recevait à ce micro Jean-Marc Jancovici du Shift Project
10:51et il dénonçait la gadgetisation de l'IA.
10:55Je cite ces mots.
10:57Dans un monde aux ressources infinies, qu'on fasse des gadgets en plus des trucs essentiels,
11:02je n'ai aucun problème avec ça.
11:04Mais dans un monde aux ressources finies, qu'on fasse des gadgets à la place des trucs essentiels,
11:09ça, ça m'ennuie.
11:11Comment vous recevez ces mots ?
11:13Je les reçois, je suis assez d'accord si vous voulez.
11:16La réalité, c'est qu'on a beaucoup d'usages qui sont très inconséquents.
11:21Mais je pense qu'il faut aussi voir le côté assez positif de ces technologies.
11:27Aujourd'hui, vous avez des expérimentations qui sont faites à des niveaux d'échelle assez importants.
11:32On parle de centaines, de milliers d'hectares.
11:34Dans des rizières en Thaïlande, on met des modèles de machine learning.
11:38Et on annule la totalité des externalités environnementales.
11:42C'est-à-dire protoxyde d'azote, CO2, méthane.
11:46Et donc, c'est des promesses qui sont absolument fondamentales et qu'on ne peut pas ignorer.
11:51Quand vous mettez de l'IA dans des systèmes productifs, dans des usines,
11:55vous avez des systèmes qui sont capables de fonctionner avec 30-40% d'empreintes énergétiques en moins.
12:02Évidemment, il y a tous ces usages qui sont très consuméristes et cognitifs aussi.
12:10Le risque sur nos cerveaux est très important et c'est aussi amené par l'IA.
12:15Mais on ne peut pas avoir une vision uniquement manichéenne de ces technologies.
12:21C'est probablement une très grande part de la solution dans les enjeux de décarbonation à moyen terme.
12:26Louvel Green ?
12:28Oui, je suis désolée.
12:29Je voudrais rebondir parce que je ne suis pas totalement alignée avec votre vision.
12:33Dans le sens où vous dites, vous l'avez dit vous-même, vous avez employé le terme de promesse.
12:38Donc, on n'a aucune certification aujourd'hui que ces promesses viendront réellement réduire l'intégralité des impacts.
12:46Ensuite, ces technologies, elles ont généré de l'énergie pour être fabriquées.
12:50Et puis ensuite, vous avez mentionné la question de l'efficacité.
12:53Je pense que c'est quand même important de rappeler que ces technologies, à chaque fois,
12:56et que dans l'histoire de l'évolution de la technologie, à chaque fois qu'on a amélioré notre efficacité énergétique,
13:01en parallèle, on a augmenté nos usages.
13:03Et donc, en valeur absolue, on a toujours systématiquement augmenté nos émissions.
13:06Et c'est d'ailleurs ce qu'on observe aujourd'hui dans l'IA.
13:08On fait des puces de plus en plus petites, des centres de données de plus en plus puissants.
13:12Pourtant, ils sont toujours de plus en plus gros.
13:14Et les puces, on en produit de plus en plus.
13:16Donc, je pense que c'est très important d'avoir cette notion en tête quand on parle des impacts positifs.
13:22Mais la réponse, à mon avis, c'est simple.
13:23Gilles Babinet, d'un mot.
13:25C'est que c'est impossible de faire fonctionner cette planète sans une efficacité technologique extrêmement élevée.
13:30On ne peut pas nourrir 8 milliards de personnes.
13:32Et c'est la même chose avec l'IA.
13:33C'est-à-dire que ces usages vont être absolument déterminants
13:36pour faire en sorte qu'on puisse décarboner notre civilisation au sens large.
13:43Pas d'accord !
13:45Je pense qu'aujourd'hui, on n'a pas forcément d'IA pour décarboner nos bâtiments, nos voitures.
13:51Ces solutions, on les connaît.
13:52On a besoin de choix politiques forts et d'investissements
13:55plutôt que d'un développement massif de l'intelligence artificielle, à mon avis.
13:59Merci à tous les deux, Louvel Green, Gilles Babinet,
14:02d'avoir contribué à dissiper un peu de ce brouillard autour de l'intelligence artificielle.
14:09Merci.
14:10Merci.
14:11Merci.
14:12Merci.
14:13Merci.
14:14Merci.
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